Intervention de Jean-Claude Lenoir

Réunion du 3 février 2015 à 14h30
Accords commerciaux entre l'union européenne le canada et les états-unis — Adoption d'une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission

Photo de Jean-Claude LenoirJean-Claude Lenoir, rapporteur :

Je vous remercie, monsieur le président de la commission des affaires européennes, de m’apporter votre soutien.

La seconde question, à savoir celle du règlement des différends, et donc de l’arbitrage, est de loin la plus importante. Il s’agit évidemment d’un sujet sensible, car il y va de la souveraineté nationale. Nous savons, chaque fois que c’est nécessaire, défendre les intérêts supérieurs de notre pays. Nous ne saurions admettre que des politiques auxquelles nous sommes attachés puissent être contrariées par des décisions qui nous seraient d’une certaine façon imposées par des entreprises ou des investisseurs.

Pour autant, il existe aujourd’hui un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États, l’ISDS, selon l’acronyme anglais.

Il faut également prendre en compte la situation d’entreprises qui se trouveraient lésées, victimes de discrimination ou dépossédées de leurs biens. Nous n’en sommes plus aux temps où Nasser nationalisait le canal de Suez ou Fidel Castro les casinos de La Havane, mais il y a des formes d’expropriation indirecte.

Aujourd’hui, plusieurs solutions s’offrent à ces entreprises. L’une consiste à se tourner vers la justice de l’État concerné, mais il y a une condition préalable : celui-ci doit être un État de droit. En l’espèce, c’est incontestablement le cas des États-Unis.

Cela dit, il convient de relever une très grande difficulté : la justice américaine exclut tout recours non prévu par le traité tel qu’il aura été ratifié par le Congrès américain. Or il faut savoir que ce dernier, de façon assez constante, élimine toutes les clauses qui permettraient à une entreprise de saisir directement la justice américaine.

Une autre formule consiste à s’appuyer sur un règlement interétatique, tel que celui qui existe au sein de l’OMC. Cependant, comme son nom l’indique, un tel règlement s’applique entre les États : les investisseurs et les entreprises ne se sentent donc pas forcément protégés au mieux.

Finalement, nous en arrivons à la solution de l’arbitrage, telle qu’elle figure aujourd’hui dans le CETA et dans le projet de TTIP.

À ce sujet, il faut dire que les formules proposées sont relativement souples. Il est en effet possible, pour les investisseurs, de recourir à diverses instances, telles que l’organe de règlement des conflits adossé à la Banque mondiale, la Cour internationale d’arbitrage de Paris ou la Cour internationale de justice de La Haye. Cependant, le recours à ce type de procédure inquiète, voire effraie : on a le sentiment qu’il n’est pas forcément favorable aux États, qui ont besoin d’être protégés. Il n’est pas concevable qu’un État soit dépossédé de son pouvoir régalien dans les domaines social, de l’environnement ou de la santé. Une très grande vigilance doit donc être de mise en la matière.

C’est la raison pour laquelle il est apparu aux membres de la commission des affaires économiques, reprenant en l’espèce le texte proposé par la commission des affaires européennes, qu’il était surtout important de bien cerner les conditions du recours à l’arbitrage, ainsi que les modalités de celui-ci.

Monsieur le secrétaire d’État, il y a des points sur lesquels nous attendons du Gouvernement qu’il prenne des positions très fermes et très claires.

Il s’agit d’abord de faire respecter la notion d’expropriation indirecte, en en déterminant bien les contours, de façon à éviter les abus. Certains précédents, qui ont été relevés tout à l’heure, sont assez impressionnants : je pense à Vattenfall, entreprise suédoise qui réclame une indemnité au gouvernement allemand après que celui-ci a décidé l’arrêt des centrales nucléaires, ou bien à Philip Morris, qui a engagé une procédure contre l’Australie et l’Uruguay après la décision de ces deux États de modifier la réglementation sur les paquets de cigarettes.

Ensuite, il faut déterminer de façon très claire les actes autorisés et ceux qui ne le sont pas, de façon à éviter toute interprétation.

Par ailleurs, des dispositifs répressifs contre les recours abusifs doivent être prévus. Un investisseur a parfaitement le droit de saisir un arbitre, mais si ce recours est considéré comme abusif, il est tout à fait normal de faire payer celui qui l’a engagé, sachant que le coût d’une telle procédure est en moyenne d’environ 7 millions d’euros.

En outre, il importe de prévoir une procédure d’appel.

Enfin, il convient d’assurer la plus grande transparence dans l’arbitrage. En particulier, il s’agit de prévenir d’éventuels conflits d’intérêts.

Tels sont, monsieur le secrétaire d’État, les points sur lesquels la commission des affaires économiques, faisant écho à la commission des affaires européennes, vous demande de vous prononcer au nom du Gouvernement.

En conclusion, la commission des affaires économiques estime que les discussions en cours sont non seulement importantes, mais aussi prometteuses. Nous avons adopté une position de sagesse, équilibrée. Nous ne remettons rien en cause, mais nous demandons que les intérêts de notre pays et ceux de nos entreprises soient protégés. Il ne faut pas sous-estimer l’impact positif de ce type de traité. En particulier, nous avons pu vérifier que l’accord conclu avec le Canada est certainement source de bénéfices non seulement financiers, mais également moraux et politiques, eu égard à la qualité des relations actuelles entre l’Union européenne et ce pays. §

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