Intervention de Jean Bizet

Réunion du 3 février 2015 à 14h30
Accords commerciaux entre l'union européenne le canada et les états-unis — Adoption d'une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission

Photo de Jean BizetJean Bizet :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’Union européenne et les États-Unis ont engagé, voilà un peu plus d’un an et demi, des négociations en vue de conclure un accord de libre-échange. Cet accord est destiné – je cite le mandat de négociation – à « libéraliser entre les deux parties les échanges de biens et de services et à prévoir des règles applicables aux questions liées au commerce avec un niveau d’ambition élevé, dépassant celui des engagements pris précédemment dans le cadre de l’OMC ».

La commission des affaires européennes s’était saisie du mandat de négociation sur le rapport de Simon Sutour et avait formulé diverses observations.

La dynamique provoquée par la décision d’engager ces négociations commerciales s’est facilement appuyée sur l’impact positif attendu d’un tel accord en termes de croissance et d’emploi des deux côtés de l’Atlantique. Dieu sait si, aujourd’hui, nous avons besoin d’une telle relance, en particulier les PME, explicitement mentionnées comme cibles prioritaires.

Cependant, dix-neuf mois et sept sessions de négociations plus tard, les choses ont bien peu progressé. Sur le fond, les positions respectives de l’Union européenne et des États-Unis restent très éloignées. Le blocage porte, en particulier, sur des questions lourdes, notamment l’accès des Européens aux marchés publics américains, fédéraux ou subfédéraux, la coopération réglementaire sur les services financiers ou encore le travail de « convergence » réglementaire, élément essentiel de la facilitation des échanges. En outre, je n’aurai garde d’oublier les risques qui peuvent peser sur nos préférences collectives européennes, s’agissant en particulier des questions agricoles, des indications géographiques ou de nos priorités sanitaires et phytosanitaires. Notre collègue Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques, a clairement évoqué ce point. Ayant eu l’occasion d’échanger avec M. Pascal Lamy la semaine dernière, je puis dire que nous sommes face à une négociation totalement différente des négociations antérieures, puisque les discussions portent non plus sur des questions tarifaires, de droits de douane, mais sur des questions d’harmonisation et d’homologation de normes, appréhendées de façon très différente de part et d’autre de l’Atlantique.

Les choses ont donc peu avancé sur le fond jusqu’à présent, mais chacun des partenaires, à tous les niveaux, entend vouloir faire de 2015 une année charnière et l’occasion d’un nouveau départ. En effet, une fois passée la reconstitution post-électorale des institutions européennes et clarifié le nouveau paysage politique parlementaire américain, une nouvelle dynamique est possible et nécessaire.

La Commission européenne, la présidence lettone, le président des États-Unis s’accordent en effet avec notre propre gouvernement pour avancer rapidement, voire pour conclure à la fin de cette année l’ambitieux programme commercial que l’Europe et les États-Unis se sont donnés. Le président des États-Unis pourra obtenir du Congrès, pourtant désormais majoritairement républicain, la TPA, la trade promotion authority, ce qui lui permettra d’accélérer la négociation. Cela étant, je ne suis pas aussi optimiste en termes de calendrier : il est fort probable que les négociations durent longtemps, et ce n’est d’ailleurs pas, à mon sens, un drame en soi. Peut-être pouvons-nous inventer une autre approche, puisque nous sommes dans un cadre non plus multilatéral, mais bilatéral, en scindant la négociation en différentes phases, dans la mesure où il y aura des points durs, s’agissant notamment des préférences collectives ?

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’en viens à la proposition de résolution qui nous occupe aujourd’hui. Elle porte sur deux aspects importants de la négociation : d’une part, les modalités de règlement arbitral des litiges entre un investisseur et l’État d’accueil de l’investissement ; d’autre part, la nécessaire transparence que les parlementaires nationaux que nous sommes, mais aussi, au-delà, la société civile et l’opinion elle-même, sont en droit d’attendre. Cette négociation aura à l’évidence une incidence sur notre économie, notre culture industrielle et même sociétale.

L’auteur de cette proposition de résolution, qui en est également le rapporteur devant la commission des affaires européennes, à savoir notre excellent collègue Michel Billout, a très clairement posé les termes du débat. Il a exprimé la légitime préoccupation pouvant résulter de l’expérience d’un certain type d’arbitrage privé entre États et investisseurs et de ses dérives potentielles.

Je ne reviendrai pas sur le détail des interrogations et des préconisations que Michel Billout a formulées à l’instant, le projet de résolution qui vous est soumis les résumant très fidèlement. Je me bornerai, monsieur le secrétaire d’État, à solliciter de votre part, sur ce point, une précision s’agissant de l’accord de libre-échange, dénommé « CETA », conclu il y a peu entre l’Union européenne et le Canada : la réserve d’examen posée par la France sur ce chapitre de l’accord commercial avec le Canada permettra-t-elle d’amender significativement, voire de laisser de côté, le dispositif ISDS qui y figure ?

Ma seconde remarque concernera les aménagements qui pourraient être éventuellement apportés aux actuels dispositifs de règlement des différends État-investisseur, à savoir la mise en place d’un mécanisme d’appel et/ou l’implication des tribunaux nationaux. Pourtant, ces éléments figurent déjà dans la partie du mandat de négociation concernant la protection des investissements : « Il conviendra d’envisager la création d’un mécanisme d’appel applicable au règlement des différends entre les investisseurs et l’État au titre de l’accord, et d’étudier la relation qu’il convient d’établir entre le RDIE et les voies de recours internes. »

Je me joins donc, monsieur le secrétaire d’État, à Michel Billout pour vous demander ce que vous souhaiteriez que la Commission propose au sujet du règlement des litiges entre un État et un investisseur, sachant que les résultats de l’enquête conduite par la Commission européenne sont très négatifs, comme cela a été rappelé.

Permettez-moi une observation incidente sur la consultation directe de la société civile sur l’ISDS engagée l’an passé par la Commission européenne : le principe en est salutaire et légitime, mais il semble, en l’espèce, que le procédé de réponses prédéfinies via des plateformes en ligne peut amener à s’interroger sur des détournements susceptibles de fragiliser une démarche participative pourtant essentielle dans le fonctionnement de l’Union européenne.

J’en reviens à l’arbitrage privé des différends entre État et investisseur. Interrogé récemment sur le sujet, M. Timmermans, vice-président de la Commission européenne, a une approche plus qu’ambiguë. Il estime, d’une part, qu’un tel dispositif pourrait être utile dans le cadre du TTIP et qu’il ne faut pas le rejeter d’emblée, car il pourrait s’avérer bénéfique pour les citoyens européens. Il reconnaît cependant, d’autre part, que l’ISDS ne constitue pas une nécessité absolue, en particulier si sa mise en œuvre conduit à ne pas respecter les droits des citoyens.

M. Timmermans sera à Paris le 17 février prochain. J’invite les membres de la commission des affaires européennes à participer à son audition, qui aura lieu à l’Assemblée nationale. Nous pourrons lui poser de nouveau cette question, pour savoir quelle est véritablement sa position, compte tenu de l’évolution des discussions sur ce sujet précis et des propos du président Juncker que nous a rapportés notre collègue Billout. Il serait souhaitable que nous puissions connaître l’évolution de la position de la Commission européenne sur ce point.

Je terminerai, mes chers collègues, en évoquant le second objet de cette proposition de résolution, à savoir la transparence des négociations en cours.

Ma première observation aura trait au comité de suivi stratégique que vous avez mis en place, monsieur le secrétaire d’État, pour associer au suivi des négociations membres de la société civile, ONG, associations et, bien évidemment, parlementaires. Nous vous savons gré d’avoir engagé cette démarche qui répond à l’importance de l’enjeu. J’ai la conviction que, dans ces domaines, l’ignorance est la pire conseillère, quand l’ouverture et la transparence sont les alliées du progrès. Notre assemblée va d’ailleurs faire écho à cette initiative, puisque la commission des affaires économiques et celle des affaires européennes ont créé un groupe de suivi conjoint des négociations, ce dont je me réjouis grandement. Monsieur le secrétaire d’État, je sais votre disponibilité pour travailler avec ce groupe de suivi : nous vous en sommes par avance reconnaissants.

Ma seconde observation concernera ce qui constitue, à mes yeux, l’un des aspects éminents de la transparence, à savoir l’implication souhaitable des parlements nationaux lors de la phase de ratification de l’accord. Une telle implication dépend du caractère mixte de ce dernier, caractère sur lequel, semble-t-il, le doute ne serait pas totalement levé. Nous espérons, pour notre part, que le doute sur ce point n’a pas lieu d’être. Mme Pellerin, alors ministre chargée du commerce extérieur, avait indiqué devant l’Assemblée nationale, le 22 mai 2014, que le caractère mixte du TTIP « est du reste écrit dans les décisions du Conseil et c’est ce qui a permis l’adoption à l’unanimité de ce mandat. Ce caractère mixte a été une condition de l’adoption de ce mandat, et il n’y a aucun doute sur le fait que cet accord est mixte. » Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous apporter quelques assurances sur ce point ? En effet, nous entendons encore s’exprimer des inquiétudes ici ou là, émanant notamment des milieux socioprofessionnels.

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de résolution représente la première manifestation concrète, équilibrée et argumentée de cette attention inquiète que les parlementaires, comme une partie de l’opinion, portent au projet d’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis.

Cette inquiétude ne doit pas occulter les potentialités réelles de cet accord, rappelées par Jean-Claude Lenoir, qu’il s’agisse de la croissance ou des emplois attendus de sa mise en œuvre. La vigilance des États membres, des gouvernements et des parlements nationaux aura à s’exercer, en concertation étroite avec la Commission européenne, qui seule négocie. En particulier, plus la transparence deviendra la règle pour la Commission, plus la confiance de l’opinion pourra se renforcer.

Je vous propose donc, mes chers collègues, d’adopter la proposition de résolution qui vous est soumise, car elle va dans le bon sens. §

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