Intervention de Matthias Fekl

Réunion du 3 février 2015 à 14h30
Accords commerciaux entre l'union européenne le canada et les états-unis — Adoption d'une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission

Matthias Fekl, secrétaire d'État :

… mais elles n’ont pas donné lieu, à ce stade, à des avancées substantielles.

Concernant l’accord avec le Canada, si l’on met à part la question de l’arbitrage, qui mérite des analyses spécifiques, le Gouvernement considère qu’il sera bénéfique pour notre économie, notamment en raison des avancées obtenues sur l’accès aux marchés publics canadiens et sur la protection de nos indications géographiques.

Cet accord permettrait en particulier, s’il est ratifié, un accès inédit aux marchés publics canadiens à tous les niveaux. Le Canada a pris soin d’associer à la conduite des négociations l’ensemble des niveaux, national mais aussi infranationaux. Aujourd'hui, nous avons donc la conviction que cet accord engage les différents niveaux pertinents. Il protégerait les productions agricoles françaises à un degré inédit dans un accord de ce type, notamment grâce à la reconnaissance par les Canadiens de quarante-deux nouvelles indications géographiques, dans la charcuterie ou les produits laitiers, venant s’ajouter à celle de nombreuses indications géographiques concernant les vins et spiritueux, qui avait été consacrée dès 2004 dans le cadre de nos relations avec le Canada.

Cependant, malgré des avancées incontestables dans le courant des négociations, le traitement de la question du règlement des différends entre les investisseurs et les États n’est pas satisfaisant à ce stade.

Il faut le rappeler, l’ISDS n’est pas un objet nouveau pour la France et dans le domaine des négociations commerciales internationales. À l’échelle mondiale, on dénombre plus de 3 000 traités incluant des dispositifs de ce type. Notre pays a signé, depuis 1972, 108 accords qui prévoient ce mécanisme, dont 95 ont été ratifiés par le Parlement, conformément à la Constitution.

Ce dispositif, tel qu’il existe classiquement, permet à un investisseur de demander réparation devant un tribunal arbitral international d’une mesure spoliatrice, injuste ou arbitraire prise par l’État d’accueil. Les textes ratifiés par notre pays ont été à cet égard protecteurs des intérêts de nos entreprises.

Aujourd’hui, toutefois, la situation a évolué. On constate de plus en plus un détournement de la lettre comme de l’esprit de ces mécanismes, des entreprises multinationales attaquant non plus des décisions injustes, arbitraires et spoliatrices, mais des choix démocratiques souverains, notamment en matière de santé publique ou de politiques énergétiques, comme en témoignent les affaires Vattenfall contre Allemagne et Philip Morris contre Australie. C’est donc dans ce contexte que s’inscrivent désormais notre analyse et notre action.

Depuis ma prise de fonctions, je me suis engagé, à la suite de mes prédécesseurs, pour que nous n’acceptions pas un dispositif par simple routine, au seul motif que les négociations doivent avancer. Je me suis engagé parce que je crois qu’il est temps de réfléchir aux règles du commerce mondial du XXIe siècle. Je souhaite souligner devant vous plusieurs exigences incontournables.

Nous ne devons rien exclure a priori, toutes les options sont sur la table et il faut les explorer méthodiquement. Votre proposition de résolution envisage plus particulièrement deux options. Elles sont intéressantes et judicieuses, mais il en existe aussi d’autres. C’est la seule nuance que je veux apporter par rapport à votre proposition de texte : nous sommes totalement d’accord, dans l’esprit comme sur le fond, mais le Gouvernement souhaite étudier toutes les options dans le cadre des débats et des négociations à venir. C’est pour cette seule raison que je m’en remettrai à la sagesse de la Haute Assemblée au moment du vote sur la proposition de résolution.

La première exigence est celle que vous soulignez avec force dans votre projet de résolution : il faut réaffirmer le droit des États à réguler.

Soyons lucides : des progrès, qu’il faut apprécier à leur juste valeur, ont été faits dans les négociations sur l’accord avec le Canada. Ils sont cependant encore insuffisants aujourd'hui. En particulier, de quelle définition exacte de la notion d’« attentes légitimes des investisseurs » dispose-t-on ? Quelle est la marge d’interprétation des arbitres lorsqu’il est question de « traitement juste et équitable » des entreprises ? La jurisprudence sur ce point est parfois sujette à variations et, en tout état de cause, elle est insuffisamment prévisible. Il faut donc renforcer substantiellement les protections des intérêts des États.

La deuxième exigence fondamentale concerne la déontologie. Comme vous, j’ai consulté largement autour de moi sur ce sujet, y compris des praticiens de l’arbitrage, notamment sur la place de Paris, qui bénéficie d’une forte renommée dans ce domaine et dans d’autres. Nombreux sont ceux qui s’accordent pour juger que la situation actuelle n’est pas acceptable : les règles encadrant les activités des arbitres internationaux en matière d’investissements sont totalement insuffisantes. Dans aucune juridiction française l’on accepterait que le juge puisse être, quelques mois plus tard, l’avocat du plaignant dans une autre affaire.

La troisième exigence est d’ordre procédural. Vous le savez, le droit public français reconnaît la faculté d’interjeter appel. C’est un principe général de notre droit. Les sentences arbitrales, quant à elles, ne sont pas susceptibles de recours : ce n’est pas acceptable ! La création d’un mécanisme de recours ou d’appel est donc indispensable. Ce n’est pas une démarche simple, car nous sommes liés par des conventions internationales qui rendent cet exercice juridiquement complexe, mais elle est nécessaire. Il existe des possibilités, que nous analysons et que nous expertisons. Je le répète devant vous, les juridictions publiques nationales doivent avoir toute leur place dans les procédures. Ce sont des pistes sur lesquelles nous sommes en train de travailler.

Les éléments que je vous livre suscitent l’attention en France, bien sûr, mais aussi dans toute l’Europe, et parfois au-delà. Je salue à cet égard l’initiative de la Commission européenne, qui a mené une vaste consultation publique sur le mécanisme d’ISDS dans le traité transatlantique. Ses résultats, qui ont été publiés le 13 janvier dernier, se fondent sur quelque 150 000 réponses, dont près de 10 000 venaient de France. Une majorité d’entre elles – environ 145 000 – avaient été formulées par des citoyens et envoyées par l’intermédiaire de plateformes électroniques. Elles témoignent de l’intérêt collectif pour cette question des mécanismes d’arbitrage. Parmi les autres réponses, un grand nombre émanaient d’organisations représentant la société civile dans toute sa diversité. Elles sont précieuses et permettent d’éclairer le débat.

Cette consultation a recueilli le nombre le plus élevé de contributions dans l’histoire de l’Union européenne. Comment, dès lors, les ignorer ? Comment ne pas prendre en compte les réserves très fortes – c’est le moins que l’on puisse dire ! – qui ont été exprimées sur l’ISDS ? Ce serait un déni de démocratie, qui nous laisserait tous affaiblis. Il est de notre responsabilité de tirer les conclusions des résultats de cette consultation et d’apporter des réponses constructives.

La Commission a identifié quatre pistes de réflexion : la protection du droit des États à réguler ; la transparence et la déontologie des arbitres ; l’articulation entre les instances arbitrales et les juridictions nationales ; la création d’un mécanisme d’appel. On le voit, la période est favorable, au niveau européen, pour progresser ensemble vers des solutions d’avenir.

La publication de ce rapport, que nous étions un certain nombre à attendre afin de pouvoir connaître les attentes citoyennes exprimées, ouvre une nouvelle étape d’analyse et d’action.

La question est désormais de savoir comment inventer les modalités des mécanismes de règlement des différends du XXIe siècle, adaptées à la nouvelle réalité du commerce international, lequel ne pourra pas être régulé selon les règles, les principes et les mécanismes d’hier.

La France, avec d’autres, dispose de la légitimité et de l’expertise nécessaires pour travailler sur ce sujet. Nous avons en outre l’expérience et la crédibilité requises, car la France est présente dans les nombreuses instances internationales qui devront nécessairement être impliquées si nous voulons réformer en profondeur le système et, à plus long terme, promouvoir un système institutionnalisé à l’échelle mondiale de règlement des contentieux entre investisseurs et États. Et pourquoi ne pas envisager – ce n’est pas pour demain, mais il ne faut rien s’interdire ! – la création d’une cour internationale permanente siégeant en Europe ? L’action de la France est conforme à son message, à sa vocation constante à prôner une mondialisation régulée, une gouvernance mondiale démocratique.

La légitimité et l’expérience de la France doivent être utilisées de concert avec nos partenaires européens. C’est dans cet esprit que je me suis rendu il y a deux semaines à Berlin, au lendemain de la publication du rapport de la Commission, pour m’entretenir avec MM. Sigmar Gabriel, ministre fédéral de l’économie et de l’énergie, et Matthias Machnig, mon homologue, secrétaire d’État chargé des questions commerciales.

Nos échanges nous ont conduits à mettre en place une démarche ouverte à tous les États membres ayant la volonté d’étudier avec nous toutes les options pour préserver les intérêts des États et des peuples. Aujourd’hui s’ouvre donc une phase de construction dans laquelle le Gouvernement est pleinement engagé.

Je tiens à rappeler que nous ne sommes pas tenus d’intégrer de manière automatique de tels mécanismes dans les accords commerciaux internationaux ; vous le soulignez d’ailleurs dans votre proposition de résolution. D’autres États, y compris lors des négociations avec les États-Unis, ont ainsi fait d’autres choix : je pense, par exemple, à l’Australie, qui n’a pas eu recours à un tel mécanisme. Toutes les options sont donc sur la table, je le répète.

En cohérence avec la déclaration franco-allemande et à la suite de mon déplacement à Berlin, les échanges se poursuivent avec de nombreux partenaires européens.

Mesdames, messieurs les sénateurs, dans ce contexte, la proposition de résolution en discussion aujourd’hui est pleinement en phase avec l’appréciation du Gouvernement : vous demandez un renforcement de la transparence, une association plus étroite du Parlement, un contrôle démocratique effectif, ainsi que l’invention de nouveaux mécanismes de règlement des différends entre les investisseurs et les États. Nous partageons le même état d’esprit et la même détermination à avancer. §

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