Intervention de Claude Kern

Réunion du 3 février 2015 à 14h30
Accords commerciaux entre l'union européenne le canada et les états-unis — Adoption d'une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission

Photo de Claude KernClaude Kern :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le libre-échange est trop souvent mal perçu par nos concitoyens. Entendu le plus fréquemment comme synonyme de « néolibéralisme » ou d’« ultralibéralisme », il fait peur et sa réputation sulfureuse charrie tout un lot de craintes : déréglementation, dumping, concurrence déloyale, et j’en passe…

Toutes ces craintes ne sont pas infondées. La forme est la sœur jumelle de la liberté, de sorte que, sans un cadre politique et juridique précis, le libre-échange peut tendre à une forme déraisonnable de licence, ce que nous ne souhaitons pas.

Cet enjeu de l’encadrement juridique est d’autant plus important que l’Union européenne est actuellement à la tâche, négociant conjointement deux accords commerciaux majeurs avec le Canada et les États-Unis. Le fameux accord transatlantique, dont on parle souvent abusivement, renvoie ainsi à deux accords construits sur le même mode et négociés selon des procédures comparables.

Les attentes sont immenses de chaque côté de l’Atlantique. Nous espérons en Europe un gain économique de plusieurs centaines de milliards d’euros grâce à cet accord, soit un ordre de grandeur comparable au plan d’investissement lancé par la Commission européenne il y a quelques semaines.

L’attente est grande également outre-Atlantique. Les États-Unis et le Canada ont fait de gros efforts de réindustrialisation ces dernières années et cherchent des débouchés plus familiers pour leurs productions de biens et services.

Justement, en Europe, ces pays nous sont d’ores et déjà familiers. Nous les connaissons bien, nous partageons une histoire commune, parfois la même langue, et nous y voyageons à l’occasion. Cette familiarité n’éteint pourtant pas les milliers de différences qui existent entre une rive et l’autre de l’océan qui nous sépare, notamment en termes de pratiques commerciales.

Les négociations lancées en 2005 avec le Canada et en 2011 avec les États-Unis sont d’une ampleur sans précédent et comparables, par leur étendue, aux immenses cycles de négociations de l’OMC. Tous les secteurs sont directement ou indirectement concernés et tous les États membres de l’Union sont touchés.

Devant de tels enjeux, le Sénat a pris la mesure de ses responsabilités et a conduit de nombreux travaux afin de rendre plus lisibles ces accords ; sans lisibilité, il sera impossible de rassurer nos concitoyens.

La proposition de résolution européenne présentée par notre collègue Michel Billout procède de cette attention permanente du Sénat aux questions économiques et européennes.

En l’espèce, cette proposition de résolution pointe les carences de fond et de forme des négociations en cours.

Concernant le fond, le mécanisme de règlement des différends entre les investisseurs privés et les États pose de graves problèmes d’autonomie de nos politiques publiques. Cela a déjà été largement commenté.

Je ne peux que souscrire à l’analyse de la commission des affaires européennes et de la commission des affaires économiques. Les montants en jeu sont trop importants et la voie de l’arbitrage trop incertaine pour assurer que le mécanisme de règlement des litiges ne viendra pas miner l’autonomie de décision de responsables élus dans la conduite des politiques publiques. Je pense, notamment, au contentieux entre Philip Morris et l’Australie concernant le paquet de cigarettes neutre ou au litige entre l’Allemagne et le groupe Vattenfall, qui exploitait deux centrales nucléaires outre-Rhin avant que ce pays ne décide de sortir du nucléaire.

On le voit bien, la question de l’arbitrage tel que prévu par ces accords dépasse de loin celle de la pratique actuelle de l’arbitrage international, en tant que se trouve désormais mise en cause la liberté des peuples de prendre leurs propres décisions en matière de politiques économiques. Cela n’est bien évidemment pas envisageable.

Des modes alternatifs de règlement des différends existent, comme le règlement entre États selon le modèle de l’OMC. C’est une piste qu’il convient d’explorer au plus vite. En effet, l’accord avec le Canada est sur le point d’être parachevé. Sa signature et sa ratification en l’état créeraient un précédent que l’on nous opposerait si, d’aventure, une volonté politique se manifestait au sein de la Commission pour revenir sur ce mode de règlement des différends.

J’en viens au second point abordé dans cette proposition de résolution et opportunément introduit par la commission des affaires européennes : la question de la transparence.

Le libre-échange, pour être économiquement efficace, demande la confiance. Or cette fameuse confiance, nécessaire à toute transaction, ne peut pas prospérer sur notre sol dans l’opacité des négociations, qui engendre craintes et suspicions.

De nombreuses avancées ont été obtenues par le Gouvernement en la matière, comme cela est parfaitement décrit dans le rapport. Toutefois, un supplément d’efforts est nécessaire, du fait même de la nature particulière de ces accords. Jamais, dans l’histoire, la France ne s’est engagée dans un processus d’une telle ampleur sans négocier elle-même son destin commercial.

Le mandat que le Conseil a donné à la Commission ne saurait être un blanc-seing. Nous sommes responsables, exécutif comme parlementaires, devant nos concitoyens, et notre premier devoir envers eux est celui de l’information, donc de la transparence.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion