Intervention de Daniel Raoul

Réunion du 3 février 2015 à 14h30
Accords commerciaux entre l'union européenne le canada et les états-unis — Adoption d'une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission

Photo de Daniel RaoulDaniel Raoul :

Ce mécanisme d’arbitrage n’est pas acceptable en l’état, pour de multiples raisons.

Premièrement, il instaure par son existence même une juridiction privée qui place les entreprises et l’État sur le même plan et dont le fonctionnement serait totalement opaque et sans appel.

Deuxièmement, une telle juridiction pourrait établir une jurisprudence qui primerait sur le droit national existant et sur le droit européen. Un mécanisme de cette nature, en particulier dans un accord de dimension systémique qui vise l’élaboration de normes mondiales, serait de nature à remettre en cause la capacité des États à légiférer, ainsi que des réglementations nationales et européennes existantes dans les domaines sanitaire, environnemental et social.

À cet égard, je voudrais illustrer par un exemple ce qui aurait pu arriver en France si un tel mécanisme avait existé : les sociétés américaines auraient pu mettre à exécution leur menace de réclamer 1 milliard d’euros au Gouvernement français au titre de l’application de la loi interdisant la technique de la fracturation hydraulique, chère à notre collègue Jean-Claude Lenoir, au motif qu’elles auraient commencé leurs travaux d’exploration sur plusieurs sites français.

On a déjà évoqué l’action de Philip Morris contre l’Australie, à laquelle cette compagnie réclamait également un dédommagement considérable après que les paquets de cigarettes génériques eurent été imposés dans le pays.

L’inclusion de ce mécanisme d’arbitrage, fût-il assorti de conditions – mise en place d’une procédure d’appel ou garantie absolue du droit des États à réglementer – nous laisse réservés, et le mot est faible !

Cependant, je tiens à saluer le travail de la commission des affaires européennes, qui, par l’introduction de l’alinéa 17 de cette proposition de résolution, a fait preuve d’un esprit constructif, afin qu’une solution viable puisse être trouvée si une majorité d’États membres venait à s’exprimer in fine en faveur de l’insertion, non du mécanisme en l’état, mais d’un nouveau mécanisme.

Ce mécanisme pose un véritable problème, alors que, dans le monde, les États acceptent de moins en moins d’inclure une telle clause dans leurs accords bilatéraux d’investissements et que, dans le même temps, de plus en plus de différends sont portés devant les tribunaux privés.

Le fait que l’Union européenne, depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, en 2009, ait une compétence exclusive de négociations d’accords d’investissements avec des pays tiers soulève la question de la légitimité et de l’équité d’un tel mécanisme.

Le débat autour de cette proposition de résolution européenne est essentiel à l’heure où des collectivités se déclarent « zone de débat démocratique sur le TAFTA ». Il constitue l’occasion de réaffirmer que les parlementaires nationaux, tout comme leurs collègues européens, assument cette responsabilité de contrôle et que cette vigilance exercée sans relâche depuis le début des négociations porte aujourd’hui ses fruits.

La Commission européenne s’est vue dans l’obligation de suspendre le dialogue avec les Américains au mois de février 2014 et de lancer une consultation publique, dont les résultats, publiés le 13 janvier dernier, sont tout à fait éloquents : ce mécanisme ne peut être inclus en l’état.

À la suite de cette consultation, une nouvelle position de la Commission européenne, négociée avec les États membres, paraît désormais incontournable. Je sais que vous avez eu, monsieur le secrétaire d'État, des contacts avec votre homologue allemand ; nous verrons si vous parviendrez à convaincre d’autres États membres, en particulier ceux de l’Europe de l’Est qui relevaient auparavant du bloc soviétique. En tout cas, la France et l’Allemagne semblent, elles, résolument opposées au dispositif existant.

Cette proposition de résolution est donc bienvenue et nous y sommes favorables, car elle nous permet de réaffirmer un certain nombre de principes et de souhaits auxquels nous sommes attachés. Monsieur le secrétaire d'État, nous espérons que ce texte vous aidera dans vos échanges avec nos partenaires européens.

Rappelons que nous refusons un mécanisme d’arbitrage dans les accords avec les États-Unis et le Canada et que nous défendons le principe d’une justice impartiale et équitable.

Souhaitons qu’une solution puisse être trouvée avec nos partenaires, surtout si la Cour de justice de l’Union européenne confirme la nature mixte de ces accords de libre-échange, qui nécessiteront alors une ratification des parlements nationaux, en plus de celle du Parlement européen.

Enfin, il faut que, comme le prévoit la proposition de résolution qui nous est présentée, la piste du mécanisme interétatique, sur le modèle de l’organe de règlement des différends de l’OMC, soit également étudiée.

Monsieur le secrétaire d'État, nous vous rappelons d’ailleurs votre engagement de nous transmettre une étude d’impact pour chacun des quatre scénarios que vous avez mentionnés. Ce sera une pièce très utile à verser au débat. Il est désormais nécessaire qu’elle soit adressée dans les plus brefs délais au Parlement afin que celui-ci puisse, en toute connaissance de cause, se saisir des discussions en cours.

J’ajouterai, pour finir, que les négociations du TTIP et la finalisation du CETA ainsi que la stratégie européenne globale en matière d’accords commerciaux et d’investissements doivent faire l’objet de la plus grande transparence possible. C’est l’autre point fort de cette proposition de résolution.

À ce titre, monsieur le secrétaire d'État, nous saluons les initiatives que vous avez prises à l’échelon national de rendre publics le plus possible de documents et de créer un site dédié. Nous espérons que les autres propositions formulées lors du comité stratégique du 29 octobre dernier pourront être concrétisées rapidement.

Là encore, la pression conjuguée des parlements nationaux, du Parlement européen et de certains États membres comme la France a permis que la Commission européenne accède enfin à la demande d’une plus grande transparence des négociations.

La communication adoptée par la Commission européenne le 25 novembre dernier et définissant de nouvelles règles sur l’accès des eurodéputés et du grand public aux documents du traité transatlantique est un signe encourageant en la matière. Cela devrait grandement faciliter la volonté du gouvernement français de rendre ces négociations plus transparentes pour la représentation nationale. Nous espérons que, en conséquence, l’ensemble des parlementaires nationaux pourront bénéficier des mêmes règles que leurs collègues eurodéputés.

Nous saluons cet effort, conforme à l’intérêt de la Commission européenne, qui a bien besoin aujourd’hui du soutien des parlementaires nationaux et européens, mais aussi des citoyens européens, dans des négociations mal comprises. Il n’est qu’à voir les résultats de la consultation auprès de 150 000 citoyens !

Les annonces de la Commission indiquant la déclassification d’un certain nombre de documents de négociation devraient contribuer à l’information des citoyens. « Bien informés, les hommes sont des citoyens ; mal informés, ils deviennent des sujets », écrivait Alfred Sauvy, grand démographe français du XXe siècle.

Alors que le huitième cycle de négociations du TTIP a repris ce lundi entre l’administration Obama et la Commission européenne, beaucoup de questions restent encore sans réponse, notamment en ce qui concerne l’accord avec le Canada.

La France et l’Allemagne se sont décidées à demander conjointement la révision de cet accord sur son volet de règlement des différends. Or la présidence lettone, suivant la position des pays baltes, refuse de rouvrir le débat sur l’arbitrage dans cet accord, soulignant que les négociations avec le Canada se sont conclues au mois d’octobre 2013. Rappelons que le processus de ratification devrait débuter au premier semestre de cette année.

Qu’en est-il ? La négociation pourra-t-elle reprendre avec le Canada sur ce point ? Serait-il cohérent qu’un dispositif soit retiré ou strictement encadré dans le cadre de l’accord avec les États-Unis et que ce ne soit pas le cas dans le cadre de l’accord avec le Canada ?

Pour autant, nous voterons cette proposition de résolution, malgré les réserves que j’ai mentionnées. §

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