Intervention de François Bonhomme

Réunion du 3 février 2015 à 14h30
Représentation équilibrée des territoires — Adoption d'une proposition de loi constitutionnelle dans le texte de la commission

Photo de François BonhommeFrançois Bonhomme :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, comme beaucoup d’entre vous, je fais partie de ceux qui considèrent que la vocation du Sénat réside notamment dans sa capacité à rendre opérationnelle la notion de territoire.

Or il me semble que cela passe aujourd'hui par un assouplissement du principe constitutionnel d’égalité devant le suffrage, ou en tout cas par une application moins étroite ou moins stricte que celle qui en est faite par le juge constitutionnel. J’estime en effet que le principe d’égalité devant le suffrage ne peut être appréhendé, y compris par le juge suprême, au travers du seul prisme de la démographie.

La proposition de loi constitutionnelle qui nous occupe aujourd’hui a la vertu de donner corps à la notion de territoire, si souvent invoquée pour fonder l’une des singularités fortes de la Haute Assemblée. Au demeurant, le Conseil d’État semble mieux inspiré que le juge constitutionnel, puisqu’il admet la notion de territoire, qu’il utilise explicitement dans sa jurisprudence.

J’en viens au fameux tunnel. On pourrait en dire, pour paraphraser une formule célèbre : « Trop de démographie, pas assez de géographie. » Dans ce contexte, la proposition de loi de Gérard Larcher et Philippe Bas introduit une souplesse bienvenue.

Le Sénat, en tant que constituant, entend sortir du « tout arithmétique », se faisant ainsi le défenseur des territoires et s’attaquant à des règles qui restreignent la possibilité d’une représentation équitable. En tenant mieux compte des disparités territoriales, il s’agit de desserrer le carcan jurisprudentiel actuel.

Entendons-nous bien : nous ne souhaitons pas remettre en cause la logique arithmétique fondée sur le principe « un homme, une voix », sur lequel est fondé tout notre système démocratique représentatif. Encore faut-il que ce principe fondamental s’articule et se construise sur la réalité territoriale, faute de quoi l’absence de correctif suffisant aggravera insensiblement la marginalisation d’une France périphérique par rapport à une France « métropolisée », avec les effets politiques que nous connaissons parfaitement.

À l’occasion de l’adoption en commission de cette proposition de loi constitutionnelle, beaucoup se sont interrogés, à raison, sur l’absence de prise en compte des bassins de vie, tout au moins en matière électorale, malgré les discours apaisants des ministères de l’intérieur, du logement ou de la ville, qui nous assurent que ces territoires sont véritablement un principe directeur de leurs politiques publiques.

Mais voilà, monsieur le secrétaire d’État, toutes les décisions, annonces ou affichages des derniers mois, à commencer par le changement des scrutins départementaux et les découpages cantonaux auxquels ils ont donné lieu, procèdent de la logique inverse et montrent que vous avez tourné le dos aux territoires !

Il est tout de même paradoxal, et même inquiétant, de voir les conditions, sinon baroques, en tout cas inédites, dans lesquelles les prochaines élections départementales vont se dérouler.

Tout d’abord, le projet de loi sur les compétences n’étant toujours pas définitivement adopté, les campagnes électorales vont se dérouler sans que l’on connaisse précisément les compétences redistribuées ou nouvelles.

Par ailleurs, je vous rappelle que les promoteurs de la réforme territoriale engagée voulaient, avant l’examen au Sénat, supprimer les départements et imposer un seuil couperet à 20 000 habitants pour les intercommunalités.

Enfin, force est de constater que ces scrutins vont se dérouler avec un mode d’élection confus, au sein de cantons redécoupés selon un charcutage jamais vu. Pourtant, les rédacteurs du projet de loi sur les nouveaux modes de scrutin départementaux expliquaient avec le plus grand sérieux que l’élection des conseillers départementaux au sein des cantons devait permettre d’assurer l’ancrage territorial des élus, ainsi qu’un lien de proximité fort entre ces derniers et leurs électeurs.

S’agissant du redécoupage, ou plutôt du charcutage, chacun se souvient sans doute de ce que nous disait ici le ministre de l’intérieur de l’époque, promu depuis, lors du débat parlementaire sur le nouveau mode de scrutin départemental : il s’insurgeait alors contre les accusations concernant un « prétendu tripatouillage ».

Le moins que l’on puisse dire est que nous n’avons pas été déçus. Monsieur le secrétaire d’État, ce charcutage ferait même rougir de jalousie ou d’envie Charles Pasqua…

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