… à la nature des questions que, par ailleurs, posent ces propositions de loi, questions soulevées, en effet, par l’Assemblée des départements de France.
Tout d’abord, le Gouvernement est conscient des difficultés non seulement conjoncturelles, mais aussi structurelles rencontrées par les départements.
Les difficultés des départements s’expliquent d’abord par des facteurs structurels.
Le rythme de progression des dépenses sociales obéit à des tendances en partie structurelles : elles sont tantôt négatives, comme l’apparition de nouvelles formes de précarité ou la dégradation du marché du travail en raison de la crise ; elles sont tantôt positives – il faut s’en réjouir collectivement – comme le vieillissement de notre population avec l’allongement de la durée de la vie et les phénomènes l’accompagnant, qui sont souvent heureux.
Ces évolutions ne touchent pas seulement notre pays, l’ensemble des démocraties occidentales, notamment européennes, y sont confrontées, mais il est clair que l’impact en France est particulièrement fort. Ainsi, s’agissant du vieillissement de la population, on s’attend à compter 1, 4 million de personnes âgées en perte d’autonomie dès 2040 ; c’est beaucoup.
Nous sommes donc face à un enjeu de société. Face à ce défi social mais aussi financier, l’État a engagé des réformes importantes, pour toujours mieux répondre aux besoins croissants des personnes en perte d’autonomie et de leurs familles par l’instauration d’aides financières spécifiques.
La loi du 20 juillet 2001 a ainsi créé l’allocation personnalisée d’autonomie, celle du 11 février 2005 en faveur des personnes handicapées, cher Paul Blanc, a notamment instauré la prestation de compensation du handicap. Par ailleurs, le revenu de solidarité active, créé par la loi du 1er décembre 2008, a pris la suite du revenu minimum d’insertion et de l’allocation de parent isolé, par le RSA « socle » majoré à partir du 1er juin 2009, après une phase d’expérimentation menée grâce à des départements volontaires pour en tester la pertinence.
Au total, en 2009, les dépenses d’aide sociale prises en charge par les départements ont représenté 12, 4 milliards d’euros au titre de l’APA, de la PCH et du RSA.
Mais avec la crise, l’augmentation de ces dépenses sociales s’est amplifiée, alors que les recettes des départements se sont contractées, créant un « effet de ciseaux » particulièrement marqué, cela a été dit.
Cet écart entre l’évolution des recettes et des dépenses s’est accentué depuis le second semestre de l’année 2008 en raison de trois facteurs résultant directement de la crise économique : le nombre de bénéficiaires du RSA a fortement augmenté – 1, 14 million de bénéficiaires du RMI en juin 2008 contre 1, 33 million d’allocataires du RSA « socle » en juin 2010, soit une progression de 16 % en deux ans – ; les recettes de cotisations sociales perçues par la CNSA ont diminué du fait du ralentissement de l’activité économique ; enfin, la contraction des recettes a particulièrement touché la fiscalité indirecte avec une chute des droits de mutation à titre onéreux, les DMTO, due au retournement du marché immobilier pendant la crise.
Je note cependant que cette tendance s’est depuis inversée puisque, à la fin du mois de novembre 2010, les DMTO avaient progressé de 36 % par rapport à leur niveau de novembre 2009. Fin novembre 2010, ils s’établissaient à un peu plus de 5, 9 milliards d’euros, soit près de 700 millions d’euros de plus que sur l’ensemble de l’année 2009, année pour laquelle ils s’étaient élevés à 5, 2 milliards d’euros.
Enfin, j’ajoute que – et c’est un aspect extrêmement important ! – l’ampleur de cet effet de ciseaux n’a pas été le même d’un département à l’autre. C’est un fait incontestable ; les pratiques locales sont diverses, les héritages de la gestion passée et les réalités démographiques, sociales et économiques sont propres à chaque département. La France des territoires est faite de réalités multiples. Les pratiques locales y sont donc variées et souvent hétérogènes.
Le rapport du groupe de travail présidé par Gilles Carrez et Michel Thénault et celui de Pierre Jamet ont démontré, à l’évidence, cette diversité. Aussi, je suis bien consciente de la situation difficile dans laquelle se trouvent un certain nombre de départements, et c’est précisément pour cette raison que je puis affirmer que les réponses apportées dans ces propositions de lois ne sont pas adaptées à la nature du problème qui nous est posé.
Pour la clarté des débats, je souhaite rappeler, au préalable, ce que recouvre réellement la participation de l’État aux charges engendrées par ces dispositifs de solidarité.
S’agissant du RSA, l’État a fait le choix de procéder à une compensation similaire à celle du RMI, par le versement d’une fraction de TIPP qui est figée sur le montant des dépenses engagées par les départements en 2010. J’indique, au passage, que, pour le RMI, l’État avait été au-delà de ses obligations légales avec le Fonds de mobilisation départementale pour l’insertion, le FMDI, qui voit son existence confortée à hauteur de 500 millions d’euros par an pour la période 2011-2013.
La contribution nationale au financement de l’APA est, quant à elle, opérée via la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, la CNSA. Deux ressources fiscales ont été créées et viennent alimenter le budget de la CNSA : la contribution de solidarité pour l’autonomie, la CSA, et la contribution additionnelle de 0, 3 % au prélèvement social de 2 % assis sur les revenus du patrimoine et les revenus de placement, qui s’ajoutent à la fraction de 0, 1 % de la CSG.
Mais, à la différence de la compensation du RMI et du RSA, le montant annuel du concours de la CNSA n’est pas corrélé à la charge réelle de l’APA pour les départements. Le taux de couverture n’est donc déterminé, chaque année, qu’une fois le budget de la CNSA exécuté.
Ainsi, de manière plus générale, je veux préciser, car cela me semble important, que la dépense publique au titre de la dépendance excède le seul financement de l’APA par les départements ; on l’évalue aujourd'hui à quelque 22 milliards d’euros, soit un peu plus de 1 % du PIB.
Enfin, s’agissant de la prestation de compensation du handicap, une contribution de la CNSA participe, à l’instar de l’APA, à son financement.
S’agissant du « reste à charge » des départements, soyons clairs : les auteurs de ces propositions de loi ont opté pour une présentation relativement imprécise, qui s’avère, hélas ! tronquée.
Quand on compare les dépenses exposées par les départements au titre du RMI-RSA, de l’APA et de la PCH aux compensations correspondantes versées par l’État via la TIPP, le FMDI et les concours de la CNSA, on observe un « reste à charge » qui croît régulièrement du fait de l’effet de ciseaux que j’ai évoqué précédemment. Les auteurs des propositions de loi estiment que ce reste à charge s’est élevé à 3, 8 milliards d’euros en 2008, pour un taux de couverture de 66, 6 %, à 4, 5 milliards d’euros en 2009, pour un taux de couverture à 63, 26 %, et sera aux alentours de 5, 4 milliards d’euros en 2010, pour un taux de couverture à 60, 25 %.
Si la progression est incontestable, les chiffres avancés ne sont pas exacts.
En effet, cette présentation omet, alors qu’ils sont tout à fait impactant – les produits résultant des compensations transférées aux départements depuis 1984 au titre des prestations légales d’aide sociale versées aux personnes âgées dépendantes et aux personnes handicapées, la PSD intégrée à l’APA et l’ACTP, l’allocation compensatrice pour tierce personne, intégrée à la PCH. Les « quotes-parts » de DMTO transférées en compensation de la prise en charge des personnes dépendantes se sont élevées, en 2009, à 1, 4 milliard d’euros. La différence n’était donc plus, en 2009, que de 3, 55 milliards d’euros, soit un taux de couverture bien supérieur à celui que vous avez annoncé, puisqu’il est de 71 %.
Toutefois, le Gouvernement est conscient que le problème structurel demeure. Ces propositions de loi prévoient cependant un mécanisme de compensation qui ne semble pas adapté à la nature des problèmes rencontrés et qui, par ailleurs, va largement au-delà des obligations constitutionnelles de l’État, un point sur lequel je reviendrai dans un instant.
À première vue, ces propositions de lois paraissent simples, voire, à certains égards, séduisantes. Pour le RSA et la PCH, l’État prendrait, ni plus ni moins, à sa charge l’intégralité du coût de ces prestations supportées par les départements.
Pour l’APA, le mécanisme proposé s’avère particulièrement complexe, pour ne pas dire résistant à l’intelligibilité générale du système. Il distingue le calcul de la compensation des charges liées à l’APA à domicile et à l’APA en établissement, auxquelles est appliquée une franchise de 10 % ainsi que, pour l’APA à domicile, une minoration correspondant au montant actualisé de la compensation versée, en 2001, au titre de l’ancienne prestation spécifique dépendance, la PSD.
Au-delà de la complexité du système proposé, j’y vois un danger pour les départements, car ces propositions les déresponsabiliseraient en quelque sorte…