Intervention de Rémy Pointereau

Commission des affaires économiques — Réunion du 4 février 2015 : 1ère réunion
Transition énergétique pour la croissance verte — Dispositions applicables aux collectivités territoriales - Audition de Mm. Rémy Pointereau et philippe mouiller

Photo de Rémy PointereauRémy Pointereau, co-rapporteur de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation :

Je remercie les deux commissions de nous accueillir aujourd'hui pour une présentation des travaux que j'ai conduits en binôme avec Philippe Mouiller. A l'heure où certains émettent des doutes sur l'utilité du Sénat et la qualité de son travail, je crois que nous pouvons apporter une réelle plus-value, en investissant le champ de la simplification administrative. À l'initiative du Président Gérard Larcher, le Bureau du Sénat a confié en novembre 2014 à la délégation aux collectivités territoriales une mission d'évaluation et de simplification des normes applicables aux collectivités territoriales.

La délégation a reçu compétence pour se saisir des dispositions des projets et des propositions de loi comportant ces normes. Elle ne disposait pas de ce pouvoir auparavant : depuis sa création en 2009, une « jurisprudence » bien établie l'incitait au contraire à ne pas réaliser de travaux sur les textes inscrits à l'ordre du jour du Sénat.

Le Bureau du Sénat a prévu, parallèlement, la désignation au sein de la délégation d'un premier vice-président délégué chargé de l'évaluation et de la simplification des normes. Il a enfin prévu que ce travail se ferait en liaison avec le Conseil national d'évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics, présidé par Alain Lambert, et dont le champ de compétence et les objectifs sont sensiblement les mêmes que ceux de la délégation.

Le Bureau du Sénat a voulu apporter une réponse concrète et efficace à une urgence dont chaque sénatrice et chaque sénateur éprouve une expérience aigue, une urgence que traduit l'exaspération des élus locaux à l'égard d'un cadre juridique étouffant pour l'initiative locale - ceux d'entre nous qui ont fait campagne lors du renouvellement sénatorial ont pu mesurer l'exaspération des maires sur ce point - comme il est par ailleurs, tout aussi étouffant pour l'initiative entrepreneuriale. Il s'agit, bien-sûr, de la prolifération dans notre ordonnancement juridique des normes inapplicables, des normes inextricables et des normes inabordables.

Tels sont en effet les trois pôles de la complexité contre laquelle la délégation aux collectivités territoriales a reçu la mission spécifique de lutter. Nous devons à la fois travailler sur le flux et sur le stock des normes, ce qui risque de prendre un certain temps, sachant qu'on dénombre actuellement 12 000 lois, 400 000 normes et 140 000 décrets. En tant que parlementaires, nous sommes aussi responsables de cette inflation normative.

Le dispositif prévu par le Bureau du Sénat a été rapidement mis en place. Le premier vice-président délégué a été désigné lors de la réunion de la délégation du 13 novembre 2014, puis un groupe de travail sur la simplification des normes a été constitué. À l'occasion de sa première réunion, le 15 janvier 2015, ce groupe a proposé d'élaborer un rapport d'information sur le projet de loi relatif à la transition énergétique. Il s'agit donc du premier texte sur lequel nous travaillons. La loi Macron devrait suivre prochainement.

Pourquoi le choix de cette entrée en matière ? C'est que le projet de loi relatif à la transition énergétique offre à beaucoup d'égards une parfaite occasion d'inaugurer la mission de simplification.

Tout d'abord, il intéresse de très près les collectivités territoriales. Un rapport de la délégation sur le thème « mobiliser les sources d'énergie locale », publié en juin 2013, a mis en valeur leur rôle permanent dans le secteur de l'énergie et leur montée en puissance comme acteurs d'une politique énergétique misant sur la proximité, sur le rôle des circuits courts et sur le développement des synergies entre les politiques publiques nationales et locales. Le projet de loi reconnaît ce rôle et entérine l'ancrage territorial de la politique énergétique. La problématique territoriale traverse l'ensemble de ses chapitres, comme le résume cette phrase-programme extraite du rapport de la délégation : « faire des collectivités territoriales les maîtres d'oeuvre de la construction du futur modèle énergétique français » ; même si, de l'avis de l'association des départements de France (ADF) par exemple, le modèle retenu demeure très centralisé. Quoiqu'il en soit, la mission de la délégation n'est pas d'apprécier la pertinence au fond du projet de loi mais de peser sa qualité normative, qui est un aspect essentiel, il est vrai, de la « durabilité » de la politique de transition énergétique.

Il n'est donc pas question de remettre en cause le travail des rapporteurs Louis Nègre et Ladislas Poniatowski, que je félicite, mais d'en être l'aiguillon, la vigie de simplification, sachant qu'il n'y a pas eu d'étude de l'impact financier de ce projet de loi. De ce côté, il y a beaucoup à faire...

Le projet de loi, en effet, présente de très nombreux traits de la complexité. Il conjugue les déclarations d'objectifs dénuées de portée immédiatement identifiable avec un semis de petites dispositions modificatrices dont l'impact technique et financier est difficile à appréhender. Il surajoute, parfois à la marge, des obligations à d'autres obligations déjà existantes, ne bouleversant rien mais compliquant tout. Indifférent à l'analyse coûts-avantages des normes qu'il crée, il est aussi emblématique du comportement tendanciellement schizophrénique d'un État qui impose de nouvelles contraintes coûteuses tout en appelant à la baisse de la dépense locale et en diminuant ses propres concours. Un récent rapport de la délégation a mis en évidence la situation inextricable dans laquelle cette politique a plongé les finances locales.

Le projet de loi représente ainsi, en fin de compte, le tout venant de la complexité. Il est par ailleurs parfaitement représentatif d'une autre cause majeure de celle-ci, à savoir l'uniformité centralisatrice de la norme étatique. Que signifient, par exemple, les obligations d'isolation imposées identiquement d'un bout à l'autre du territoire sans que la profonde diversité des climats soit apparemment prise en compte ? Le projet de loi est emblématique d'un défaut trop fréquent d'appréciation correcte des limites de l'État normatif face à la liberté d'administration des collectivités décentralisées. La simplification rejoint alors la mission principale de la délégation aux collectivités territoriales, qui est de rappeler chaque fois que nécessaire la logique de la décentralisation. En l'occurrence, il appartient à l'État stratège de fixer la politique nationale de transition énergétique et de mettre celle-ci en oeuvre dans les territoires par l'incitation, par la convention, par la programmation ; il appartient en revanche aux collectivités, non pas d'exécuter mais de donner effet, à leur rythme, en fonction de leurs moyens et de leurs besoins, qui sont divers.

En fonction de l'ensemble de ces constats, le projet de loi offre au Sénat une parfaite occasion d'apporter une réponse concrète, une réponse nécessaire aux attentes des élus locaux. Le questionnaire sur la simplification lancé par le Président Gérard Larcher à l'occasion du Congrès des maires 2014 a permis de bien identifier et de hiérarchiser ces attentes. Certes, il n'y a pas eu autant de retours qu'espéré. Mais deux tiers des 5 000 répondants ont désigné l'urbanisme, et un quart ont désigné l'environnement, comme les secteurs prioritaires de la simplification des normes. Les élus attendent donc le Sénat sur le terrain de la simplification, ce terrain est en grande partie celui de l'environnement et celui du droit de la construction.

Voilà en quelques mots l'objectif de notre travail au sein de la délégation. Il ne s'agit pas de vider le texte de sa substance, mais de poser les jalons de la simplification. Je laisse à présent le soin à mon collègue Philippe Mouiller de vous présenter la façon dont nous avons calibré ce travail, autour de différentes thématiques.

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