J'ai grand plaisir à revenir, accompagné de deux membres du collège de l'Arcep, Françoise Benhamou et Philippe Distler, devant vos deux commissions réunies, capables d'appréhender tout à la fois les enjeux économiques et culturels de ce dossier.
Les fréquences hertziennes appartiennent au patrimoine immatériel de l'État, c'est-à-dire de tous les Français. C'est pourquoi la voix du Parlement est si importante sur ce sujet de la meilleure utilisation du spectre hertzien au service de l'intérêt général. Car si le spectre demeure, l'intérêt général évolue avec le temps. L'État avait décidé d'affecter le premier dividende numérique libéré par la télévision numérique terrestre (TNT) au secteur de la téléphonie mobile. L'affectation du second dividende numérique, celui de la bande des 700 MHz, comporte des enjeux en partie nouveaux.
Ce qui est en jeu, c'est d'abord l'avenir du secteur de la téléphonie mobile, dans un contexte marqué par une mobilité économique et sociale toujours plus grande, par la multiplication des données créées et échangées sur les réseaux, par l'apparition de l'internet des objets... Bref, la question est celle de la capacité des réseaux mobiles à véhiculer des données. Rappelons que le volume des données mobiles a augmenté de 90 % en France l'an dernier ; le phénomène est mondial. La Conférence mondiale des radiocommunications a estimé en 2012 que la bande des 700 MHz devait être affectée aux services mobiles en Europe ; elle doit confirmer cette décision avant la fin 2015. Au niveau européen, le Radio Spectrum Policy Program (RSPP) a fixé l'objectif d'identifier avant la fin de l'année au moins 1 200 MHz de fréquences, la bande des 700 MHz étant considérée comme éligible. L'Allemagne et le Royaume-Uni ont entamé des consultations publiques sur l'utilisation de la bande : le calendrier allemand prévoit son attribution en 2015. Les fréquences basses de la bande des 700 MHz possèdent des caractéristiques physiques leur conférant une grande qualité de propagation. Ces fréquences constituent ainsi une ressource particulièrement adaptée à la couverture des zones rurales et de l'intérieur des bâtiments.
En France, la réaffectation de la bande des 700 MHz, occupée par l'audiovisuel, au bénéfice des acteurs des télécommunications, a été annoncée par le Président de la République dès 2013. Le gouvernement a précisé en juillet 2014 que la bande des 700 MHz serait placée sous la responsabilité de l'Arcep avant décembre 2015 en vue de son affectation aux opérateurs mobiles, et que la TNT libèrerait la bande d'ici 2019 grâce à un réaménagement du spectre réalisé entre octobre 2017 et juin 2019, avec la possibilité d'un transfert progressif par plaques régionales. Le Président de la République a confirmé ces choix en octobre 2014.
Ce calendrier ambitieux peut être respecté si certaines conditions sont réunies. L'Arcep sera bien au rendez-vous, mais elle n'est pas maîtresse de tout.
Tout d'abord, la bande devant être attribuée avant d'être libérée, il faut garantir aux candidats une sécurité juridique suffisante. L'Arcep a engagé une consultation publique ; nos auditions s'achèveront à la fin du mois, et la synthèse sera publiée en mars. Nous établirons d'ici juin un projet d'appel à candidature qui sera soumis à notre commission ad hoc, puis l'appel à candidature sera lancé au début de l'été, l'instruction des dossiers devant se poursuivre jusqu'à la fin de l'automne. Le CSA interviendra dans ce processus, de même que l'Agence nationale des fréquences (ANFR), s'agissant des négociations à conduire avec les pays frontaliers pour éviter les brouillages. Quant au Gouvernement, il devra fixer le montant de la redevance dont les opérateurs auront à s'acquitter, si possible avant le lancement de l'appel à candidatures. Il lui incombe également de définir avec le Parlement les conditions du basculement entre audiovisuel et téléphonie mobile, son calendrier et les aides éventuelles pour l'adaptation des téléviseurs.
Enfin, Gouvernement et Parlement devront fixer des priorités politiques. Il n'appartient pas à l'Arcep de décider si l'opération doit avoir pour objectif principal de fournir des recettes financières, d'améliorer la couverture du territoire ou de renforcer la compétitivité du secteur. Nous aimerions en revanche connaître ces orientations le plus tôt possible. D'une manière générale, pour donner plus visibilité aux acteurs, il est souhaitable que le plus grand nombre d'informations soit disponible avant l'attribution des fréquences. De nouvelles dispositions législatives seront peut-être nécessaires.
J'en viens à la question de l'utilisation des fréquences et des contreparties à exiger. Le premier enjeu est celui de la compétitivité du secteur des communications numériques : l'attribution de la bande des 700 MHz peut être l'occasion d'augmenter le débit, donc d'améliorer la qualité de service. En ce qui concerne la structuration de la bande, 30 MHz duplex sont à allouer, qui peuvent être découpés en sous-ensembles de 5 MHz. Il conviendra de définir la taille des blocs de manière à ce qu'ils soient incitatifs sans créer de déséquilibres entre acteurs.
Le deuxième enjeu est l'aménagement numérique du territoire. Actuellement, l'objectif est d'assurer sur tout le territoire un débit théorique de 60 Mbit/s. Doit-on profiter de la réallocation de la bande des 700 MHz pour atteindre cet objectif plus rapidement, pour améliorer la couverture de l'intérieur des bâtiments ou celle des lignes de TGV ? Cette nouvelle bande permettant d'atteindre un débit de 100 Mbit/s, doit-on fixer un tel objectif pour l'ensemble du territoire ? Enfin, doit-on exiger des opérateurs privés qu'ils s'engagent à coopérer avec les acteurs publics pour améliorer la couverture numérique du territoire ?
Le troisième enjeu est celui des finances publiques. Il y a lieu de réfléchir aux modalités d'attribution : la procédure doit-elle prendre la forme d'un « concours de beauté », d'enchères, ou bien emprunter à ces deux formes ?
L'attribution de la bande des 700 MHz va structurer le secteur des télécommunications pour les dix années à venir. Il s'agit donc d'une décision historique qui engage la nation toute entière. L'Arcep sera au rendez-vous, mais elle n'est pas seule. Je souhaite que le Parlement joue un rôle décisif dans ce processus, et j'espère que l'attribution fera l'objet du plus large consensus, grâce à une vision partagée de l'avenir.
- Présidence de M. Gérard César, vice-président.-