La réunion est ouverte à 10 heures.
Nous entendons ce matin Rémy Pointereau et Philippe Mouiller sur leur rapport d'information, au nom de la délégation aux collectivités territoriales, sur les dispositions applicables aux collectivités territoriales du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, dont nous débattrons à partir de mardi prochain en séance publique.
Pour cette audition, nous sommes heureux d'accueillir nos collègues de la commission des affaires économiques et leur président, Jean-Claude Lenoir. L'examen, pour moitié environ, par chaque commission, des dispositions du projet de loi justifiait que l'audition de Rémy Pointereau et Philippe Mouiller ait lieu devant nos deux commissions réunies.
Chers collègues rapporteurs, c'est une première ! C'est en effet la première fois que la délégation aux collectivités territoriales intervient sur un projet de loi au titre de sa nouvelle mission - celle, voulue par le président du Sénat, Gérard Larcher, je le cite, « d'examiner les projets et propositions de loi comportant des normes applicables aux collectivités, et de proposer dans toute la mesure du possible leur simplification ou leur suppression ».
Au sein de la délégation, Rémy Pointereau a été désigné premier vice-président chargé de la simplification des normes. Nous avons la chance qu'il soit également membre de notre commission. Cela devrait permettre des passerelles intéressantes entre nos travaux respectifs et c'est ce que nous essayons de faire aujourd'hui.
Pour ce premier exercice, il nous a semblé non seulement intéressant mais nécessaire de vous entendre. De mémoire, 110 articles ont été ajoutés par l'Assemblée nationale à ce projet de loi de transition énergétique, qui est ainsi passé de 60 à plus de 170 articles. Cela justifie que l'on regarde de très près, avec le prisme des normes et de la simplification, les différentes dispositions du projet de loi. Je précise au passage que cette préoccupation a été au coeur des travaux du rapporteur Louis Nègre. Mais un regard extérieur est parfois très utile.
Nous souhaitons vous entendre, d'abord, sur la méthode que vous avez retenue, puis, sur les mesures de simplification ou de suppression que vous proposez pour ce projet de loi. Vous nous confirmerez, je pense que ces propositions prendront la forme d'amendements. Nous serons donc conduits à les examiner en détail lors de nos réunions de commission respectives d'examen des amendements de séance, la semaine prochaine.
Avant de vous laisser présenter votre rapport, je donne la parole à Jean-Claude Lenoir.
Je ne cache pas notre plaisir d'être accueilli aussi chaleureusement par la commission du développement durable. Cela réveille des souvenirs, qui ne sont pas si lointains, où il n'y avait qu'une seule et même commission.
En ce qui concerne le projet de loi sur la transition énergétique, la commission des affaires économiques a examiné le texte la semaine dernière. Nous avons pris acte, à l'unanimité, des délibérations de la commission du développement durable, sur tous les articles délégués au fond.
Je remercie les deux commissions de nous accueillir aujourd'hui pour une présentation des travaux que j'ai conduits en binôme avec Philippe Mouiller. A l'heure où certains émettent des doutes sur l'utilité du Sénat et la qualité de son travail, je crois que nous pouvons apporter une réelle plus-value, en investissant le champ de la simplification administrative. À l'initiative du Président Gérard Larcher, le Bureau du Sénat a confié en novembre 2014 à la délégation aux collectivités territoriales une mission d'évaluation et de simplification des normes applicables aux collectivités territoriales.
La délégation a reçu compétence pour se saisir des dispositions des projets et des propositions de loi comportant ces normes. Elle ne disposait pas de ce pouvoir auparavant : depuis sa création en 2009, une « jurisprudence » bien établie l'incitait au contraire à ne pas réaliser de travaux sur les textes inscrits à l'ordre du jour du Sénat.
Le Bureau du Sénat a prévu, parallèlement, la désignation au sein de la délégation d'un premier vice-président délégué chargé de l'évaluation et de la simplification des normes. Il a enfin prévu que ce travail se ferait en liaison avec le Conseil national d'évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics, présidé par Alain Lambert, et dont le champ de compétence et les objectifs sont sensiblement les mêmes que ceux de la délégation.
Le Bureau du Sénat a voulu apporter une réponse concrète et efficace à une urgence dont chaque sénatrice et chaque sénateur éprouve une expérience aigue, une urgence que traduit l'exaspération des élus locaux à l'égard d'un cadre juridique étouffant pour l'initiative locale - ceux d'entre nous qui ont fait campagne lors du renouvellement sénatorial ont pu mesurer l'exaspération des maires sur ce point - comme il est par ailleurs, tout aussi étouffant pour l'initiative entrepreneuriale. Il s'agit, bien-sûr, de la prolifération dans notre ordonnancement juridique des normes inapplicables, des normes inextricables et des normes inabordables.
Tels sont en effet les trois pôles de la complexité contre laquelle la délégation aux collectivités territoriales a reçu la mission spécifique de lutter. Nous devons à la fois travailler sur le flux et sur le stock des normes, ce qui risque de prendre un certain temps, sachant qu'on dénombre actuellement 12 000 lois, 400 000 normes et 140 000 décrets. En tant que parlementaires, nous sommes aussi responsables de cette inflation normative.
Le dispositif prévu par le Bureau du Sénat a été rapidement mis en place. Le premier vice-président délégué a été désigné lors de la réunion de la délégation du 13 novembre 2014, puis un groupe de travail sur la simplification des normes a été constitué. À l'occasion de sa première réunion, le 15 janvier 2015, ce groupe a proposé d'élaborer un rapport d'information sur le projet de loi relatif à la transition énergétique. Il s'agit donc du premier texte sur lequel nous travaillons. La loi Macron devrait suivre prochainement.
Pourquoi le choix de cette entrée en matière ? C'est que le projet de loi relatif à la transition énergétique offre à beaucoup d'égards une parfaite occasion d'inaugurer la mission de simplification.
Tout d'abord, il intéresse de très près les collectivités territoriales. Un rapport de la délégation sur le thème « mobiliser les sources d'énergie locale », publié en juin 2013, a mis en valeur leur rôle permanent dans le secteur de l'énergie et leur montée en puissance comme acteurs d'une politique énergétique misant sur la proximité, sur le rôle des circuits courts et sur le développement des synergies entre les politiques publiques nationales et locales. Le projet de loi reconnaît ce rôle et entérine l'ancrage territorial de la politique énergétique. La problématique territoriale traverse l'ensemble de ses chapitres, comme le résume cette phrase-programme extraite du rapport de la délégation : « faire des collectivités territoriales les maîtres d'oeuvre de la construction du futur modèle énergétique français » ; même si, de l'avis de l'association des départements de France (ADF) par exemple, le modèle retenu demeure très centralisé. Quoiqu'il en soit, la mission de la délégation n'est pas d'apprécier la pertinence au fond du projet de loi mais de peser sa qualité normative, qui est un aspect essentiel, il est vrai, de la « durabilité » de la politique de transition énergétique.
Il n'est donc pas question de remettre en cause le travail des rapporteurs Louis Nègre et Ladislas Poniatowski, que je félicite, mais d'en être l'aiguillon, la vigie de simplification, sachant qu'il n'y a pas eu d'étude de l'impact financier de ce projet de loi. De ce côté, il y a beaucoup à faire...
Le projet de loi, en effet, présente de très nombreux traits de la complexité. Il conjugue les déclarations d'objectifs dénuées de portée immédiatement identifiable avec un semis de petites dispositions modificatrices dont l'impact technique et financier est difficile à appréhender. Il surajoute, parfois à la marge, des obligations à d'autres obligations déjà existantes, ne bouleversant rien mais compliquant tout. Indifférent à l'analyse coûts-avantages des normes qu'il crée, il est aussi emblématique du comportement tendanciellement schizophrénique d'un État qui impose de nouvelles contraintes coûteuses tout en appelant à la baisse de la dépense locale et en diminuant ses propres concours. Un récent rapport de la délégation a mis en évidence la situation inextricable dans laquelle cette politique a plongé les finances locales.
Le projet de loi représente ainsi, en fin de compte, le tout venant de la complexité. Il est par ailleurs parfaitement représentatif d'une autre cause majeure de celle-ci, à savoir l'uniformité centralisatrice de la norme étatique. Que signifient, par exemple, les obligations d'isolation imposées identiquement d'un bout à l'autre du territoire sans que la profonde diversité des climats soit apparemment prise en compte ? Le projet de loi est emblématique d'un défaut trop fréquent d'appréciation correcte des limites de l'État normatif face à la liberté d'administration des collectivités décentralisées. La simplification rejoint alors la mission principale de la délégation aux collectivités territoriales, qui est de rappeler chaque fois que nécessaire la logique de la décentralisation. En l'occurrence, il appartient à l'État stratège de fixer la politique nationale de transition énergétique et de mettre celle-ci en oeuvre dans les territoires par l'incitation, par la convention, par la programmation ; il appartient en revanche aux collectivités, non pas d'exécuter mais de donner effet, à leur rythme, en fonction de leurs moyens et de leurs besoins, qui sont divers.
En fonction de l'ensemble de ces constats, le projet de loi offre au Sénat une parfaite occasion d'apporter une réponse concrète, une réponse nécessaire aux attentes des élus locaux. Le questionnaire sur la simplification lancé par le Président Gérard Larcher à l'occasion du Congrès des maires 2014 a permis de bien identifier et de hiérarchiser ces attentes. Certes, il n'y a pas eu autant de retours qu'espéré. Mais deux tiers des 5 000 répondants ont désigné l'urbanisme, et un quart ont désigné l'environnement, comme les secteurs prioritaires de la simplification des normes. Les élus attendent donc le Sénat sur le terrain de la simplification, ce terrain est en grande partie celui de l'environnement et celui du droit de la construction.
Voilà en quelques mots l'objectif de notre travail au sein de la délégation. Il ne s'agit pas de vider le texte de sa substance, mais de poser les jalons de la simplification. Je laisse à présent le soin à mon collègue Philippe Mouiller de vous présenter la façon dont nous avons calibré ce travail, autour de différentes thématiques.
En effet, je vais principalement vous décrire la méthode que nous avons employée pour analyser ce texte. Nous avons défini six grandes thématiques sur lesquelles nous souhaitons alerter les élus et le Gouvernement. Nous espérons bien sûr que la plupart de nos amendements seront adoptés, mais il s'agit avant tout d'une démarche d'alerte sur les risques normatifs au regard de l'application des textes. L'exemple le plus flagrant est le nombre de renvoi à des décrets, qui sont autant de nouvelles normes dont on ne maîtrise pas l'application. L'absence d'étude sur l'impact financier de certaines mesures est également symptomatique : on est souvent incapable de quantifier les conséquences directes pour les collectivités. Au total, nous avons travaillé sur 22 amendements, dont huit ont déjà été satisfaits par les travaux des deux commissions, notamment en ce qui concerne les obligations imposées aux plans locaux d'urbanisme (PLU).
La première thématique regroupe ce qui tend à imposer aux collectivités des obligations souvent disproportionnées. L'exemple le plus marquant, on l'a déjà évoqué, est celui de l'obligation de réaliser des travaux d'isolation ou d'études, telle que définie à l'article 5. Nous considérons que l'absence de limite financière adossée à cette obligation constitue un réel risque normatif. Nous devons prendre en compte la capacité réelle des collectivités à mettre en oeuvre cette obligation.
Il en va de même pour le renforcement, prévu à l'article 9, de l'obligation d'achat de 20 % de véhicules propres au sein d'un parc de plus de 20 véhicules. Outre la capacité des collectivités, on ne prend pas en compte les contraintes liées au service.
La deuxième thématique regroupe ce qui tend à imposer des obligations dans une formulation insuffisamment précise, en renvoyant soit à des précisions futures, sans annoncer de calendrier, soit à des décrets. La disposition de l'article 19 sur la promotion du tri à la source des déchets organiques et de la tarification incitative appartient à ce groupe de normes. On y définit un objectif de couverture de 15 millions de personnes à horizon 2020 et 25 millions de personnes à horizon 2025. S'agit-il d'un objectif global ou dispose-t-on d'un calendrier avec des phases précises ? Quelles incitations et quelles incidences financières ?
Les mêmes questions valent pour le plan de développement du véhicule électrique. On définit un voeu sans élément précis en matière d'application de cette mesure. C'est également le cas de la volonté de favoriser les plans de circulation pour les véhicules propres : on est dans l'incertitude, ce qui revient à renvoyer ces questions au niveau réglementaire et laisse des marges d'appréciation.
La troisième thématique regroupe ce qui tend à créer ou à compléter des procédures disproportionnées au regard de l'équilibre approprié entre l'objectif recherché et les moyens techniques et financiers dont la collectivité territoriale dispose. C'était l'exemple du PLU, qui a été réglé grâce au travail de commission.
La quatrième thématique regroupe ce qui tend à créer une compétence locale obligatoire dont les conditions de mise en oeuvre ne sont pas réunies au regard des moyens techniques, juridiques ou financiers dont la collectivité dispose. Il est possible de citer les dispositions de l'article 19 quater qui attribuent au maire de nouveaux pouvoirs à l'égard des véhicules abandonnés stockés sur la voie publique ou sur le domaine public, avec obligation de recours à un expert automobile. La volonté de la délégation est d'adapter cette mesure, en prenant en compte les différences de situation entre grandes et petites collectivités. Il s'agit donc d'apporter de la nuance à ces dispositions et non de les supprimer. On évite d'imposer une contrainte supplémentaire à des collectivités qui seraient incapables de la mettre en oeuvre.
La cinquième thématique regroupe ce qui tend à diminuer les délais prévus initialement pour la mise en oeuvre de dispositions complexes ou coûteuses. L'exemple le plus flagrant concerne l'interdiction des produits phytosanitaires, dont personne ne conteste la nécessité. Mais comment raccourcir le délai de 2020 à 2016 sans peser excessivement sur les collectivités les plus fragiles ? Il faut mettre le curseur au bon niveau : faut-il modifier le calendrier ? Faut-il le différencier selon la taille de la collectivité ?
La sixième thématique regroupe ce qui a pour effet de brouiller la compréhension des compétences des collectivités. Nous sortons à peine des débats autour du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, et l'on vient déjà ajouter des compétences par le biais de ce texte ! C'est notamment le cas pour tout ce qui concerne les réseaux de chaleur ou de froid : relèvent-ils des communes, des EPCI, des métropoles ? Nous mettons l'accent sur la nécessité de clarifier les compétences.
Le même débat vaut pour les schémas. Certains sont nécessaires, d'autres moins. Nous évoquons dans notre rapport le schéma régional de biomasse, prévu à l'article 22 bis A, mais nos remarques sont déjà satisfaites par le texte issu des travaux des commissions.
Je ne vous présente pas en détail le contenu de nos amendements, nous aurons l'occasion d'y revenir la semaine prochaine. Nous souhaitions simplement expliciter notre approche. On ne remet pas en cause le contenu, mais le spectre des obligations pour les collectivités. Sur le terrain, les élus nous ont beaucoup parlé du Grenelle de l'environnement et des normes qui en découlent, comme de la loi sur l'eau. Aujourd'hui, nous souhaitons simplement vous alerter sur les risques liés à l'introduction d'une complexité supplémentaire par le biais de ce texte.
rapporteur pour la commission du développement durable.- Nous avons ici une discussion qui ramène à la question de l'utilité de la loi : si elle est trop bavarde ou simplement incantatoire, sa portée pratique est limitée. Inversement, toute loi prescriptive impose nécessairement des contraintes, et c'est dans cette hypothèse que nous pouvons réfléchir - lorsque la disposition législative renvoie à un décret - à progresser dans le contrôle de l'application de la loi, le rapporteur du texte vérifiant la conformité des décrets à la volonté du législateur.
En tant qu'élus locaux, nous sommes tous sensibles aux difficultés que nous rencontrons sur le terrain. Je prends un exemple dans le projet de loi, celui du mécanisme complexe rattaché à la dotation de solidarité rurale destiné à soutenir les collectivités se contentant d'un éclairage plus économe : l'intention est louable mais le dispositif retenu s'apparente trop à une « usine à gaz » et sa suppression nous a semblé plus raisonnable. Les positions de la commission du développement durable et de la délégation ont étés convergentes sur ce point et sur plusieurs autres dispositions du projet.
En ce qui concerne l'idée d'obliger le maire à intervenir pour éliminer les épaves de véhicules, je fais observer que si, pour une métropole, les frais de recours à un expert ne soulèvent pas de difficulté, pour une commune de 150 habitants, le coût est, en revanche, prohibitif. Deux possibilités, dès lors, se présentent : soit on institue des seuils pour exonérer les petites communes, soit il faut mettre à la charge du propriétaire du véhicule le coût de l'expertise. J'entends des protestations mais une telle démarche est parfaitement légitime et il faut trouver une solution efficace car, dans le sud de la France, les épaves posent des problèmes de santé publique, en particulier avec la prolifération du chikungunya.
Je partage de nombreux points de vue avec la délégation : nous avons travaillé ensemble sur les articles 5 et suivants qui concernent le bâtiment et plusieurs suggestions de la délégation ont étés reprises ou satisfaites par mes amendements.
Je salue, pour ma part, la pertinence et l'utilité du travail effectué par la délégation.
Je rappelle que quand une loi ne prévoit pas de décret, elle est directement applicable et j'observe, à l'inverse, que bien souvent ce sont les textes réglementaires qui alourdissent et complexifient le régime prévu par le législateur. Je me demande aussi les textes réglementaires n'ont pas tendance à paraitre avec plus de retard lorsqu'ils sont prévus par les dispositions législatives introduites par voie d'amendement parlementaire. Lorsque nous essayons de fixer un délai pour garantir la sortie du décret dans des délais rapides, on nous oppose alors l'interdiction de faire des injonctions au Gouvernement. Au total certains textes d'application ne sont toujours pas publiés cinq ans après le vote de la loi.
Cela justifie, comme le souhaite d'ailleurs le Président du Sénat, que les commissions se ressaisissent pleinement de la mission de contrôle de l'application des lois.
Je m'associe d'abord à la suggestion tendant à suivre avec une extrême vigilance le contrôle de l'application de la loi. J'observe aussi que l'on oppose un peu trop rapidement, à mon sens, les petites communes pauvres aux communes moyennes qui auraient plus de moyens financiers : je peux cependant témoigner que le cumul des charges imposé à ces dernières devient rapidement insupportable.
Je salue à mon tour le travail de la délégation. Responsabilité, efficacité, et aussi capacités financières à bout de souffle des collectivités locales : tel est le triptyque qui domine aujourd'hui notre exercice de la fonction législative. J'exprime ici des craintes pour le logement social : à force de surajouter des normes, nous allons brider les capacités de construction.
Il est important de travailler conjointement avec l'Association des Maires de France sur la réglementation et la simplification des normes. J'ajoute une interrogation à propos des fédérations sportives qui ont aujourd'hui tendance à multiplier les exigences sur les vestiaires ou les équipements sportifs. Il serait opportun de les rencontrer pour freiner cette inflation de règles paralysantes.
Distinguons bien les normes et la façon de les interpréter. Je constate avec satisfaction que certains fonctionnaires des services de l'État le font avec souplesse et intelligence.
Je souligne à mon tour que le législateur est souvent sur le fil du rasoir. Le danger, si la loi ne prévoit pas de décret, est que seule une circulaire intervienne, c'est-à-dire un texte interprétatif sans aucune valeur juridique. Compte tenu de l'accroissement du nombre de procédures judiciaires, il est, somme toute, préférable qu'un décret précise le droit applicable pour limiter les recours abusifs ou fantaisistes. La loi littoral, très en avance sur son temps, et qui n'a pas donné lieu à des décrets d'application, fournit un exemple de ce phénomène d'insécurité juridique pour les maires confrontés à de nombreux contentieux invoquant les dispositions législatives non explicitées par voie réglementaire.
Je rappelle qu'en 1994-1995, une mission d'information de l'Assemblée nationale sur l'application des lois a résumé ses travaux dans un rapport, intitulé « L'insoutenable application de la loi » qui mérite d'être relu. De nombreuses normes se sont surajoutées depuis, et cette évolution s'accélère de façon vertigineuse. Je crains, moi aussi, que les obstacles à la construction soient devenus excessifs. Le message délivré par la délégation aux collectivités territoriales est très instructif et je suggère que le Gouvernement puisse plus systématiquement présenter en même temps que les projets de loi les décrets qu'il compte prendre.
Au-delà de l'aspect purement normatif, on est en train de limiter les pouvoirs de décision des collectivités et la nécessité d'être associé à l'élaboration des décrets est devenue aujourd'hui stratégique.
Je souhaite nuancer le « discours anti normes ». Les pays scandinaves méritent d'être cités en exemple car ils ont des normes à la fois efficientes et complètes. S'agissant du logement social, je rappelle aussi que l'absence de normes risque de mettre en danger leurs occupants. Je reconnais que certaines règles sont aberrantes et qu'il faut alors les modifier. En matière climatique, je constate que la gouvernance territoriale a été simplifiée. Je m'interroge aussi sur l'attitude de ceux qui contestent l'inflation normative mais qui n'en votent pas moins des dispositions complexes pour encadrer le développement de l'éolien.
J'approuve pleinement les propos des rapporteurs sur la simplification mais je souligne que ces mesures risquent cependant de compliquer la situation que connait la Réunion. Je rappelle, en effet, le principe constitutionnel de l'assimilation législative stricte entre ce territoire et la France métropolitaine. Or la Réunion est distante de 10 000 kilomètres et on sous-estime en Europe les incidences sur la transition énergétique de la très forte croissance démographique que connaissent non seulement la Réunion mais aussi les pays de l'ensemble de la zone de l'Océan indien. Il nous est, dans ces conditions, difficile d'appliquer la loi selon les mêmes modalités que les autres départements français. Prenons garde : l'application uniforme de principes justes peut entrainer de très sérieux inconvénients sur le terrain si on ne prend pas en compte la spécificité des territoires lointains.
J'approuve pleinement les propos qui ont rappelé la forte contrainte financière qui s'exerce sur les collectivités territoriales et les projets de loi que nous examinons n'en tiennent pas toujours suffisamment compte.
Par ailleurs, nous sommes effectivement confrontés au défi posé par l'uniformité de la loi et le texte ne fait pas de distinction entre les territoires soumis à des conditions climatiques différentes ni même entre la ruralité et le monde urbain. C'est une véritable difficulté.
Plus généralement, il nous faut prendre du recul par rapport au volume de notre production législative et mieux examiner les alternatives à la réglementation.
A propos des normes imposées par les fédérations sportives, je proposerai volontiers l'application du principe « prescripteur-payeur », et cette idée s'appliquerait aussi, en particulier, à l'État et aux régions.
Éviter l'insécurité juridique est un impératif de plus en plus difficile à satisfaire et je fais observer que l'interprétation de la loi varie trop souvent d'un département à l'autre.
J'ajoute un mot sur le thème du contrôle de l'application de la loi qui doit s'effectuer à la fois en amont avec la présentation par le Gouvernement des projets de décret et en aval avec un suivi attentif des textes d'application par le rapporteur du texte.
La réunion est ouverte à 16 h 35.
Je suis heureux d'accueillir M. Sébastien Soriano en présence des membres de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, quelques semaines après sa nomination à la tête de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), afin d'évoquer avec lui la réaffectation de la bande de fréquence des 700 MHz. Ce processus s'inscrit dans un contexte européen, et le Président de la République en a fixé le calendrier : l'attribution des fréquences aurait lieu sous forme d'enchères en décembre 2015, leur transfert effectif entre octobre 2017 et juin 2019. La réallocation des fréquences se fera au profit des opérateurs de télécom et de l'Internet mobile à très haut débit (4G), ce qui justifie l'intervention de l'Arcep, co-affectataire avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) jusqu'en 2019, puis seule affectataire ensuite.
Nous vous interrogerons sur les modalités de cette opération, sur l'intérêt de ces fréquences pour améliorer la couverture du territoire en téléphonie mobile, et sur le niveau des enchères envisagées. Les opérateurs ont-ils les moyens financiers pour investir ? Sont-ils intéressés par la mise à disposition de ces nouvelles fréquences ? Comme d'autres, je déplore que la commission de modernisation de la diffusion audiovisuelle (CMDA) n'ait pas été officiellement saisie de l'arrêté du 6 janvier 2015 portant modification du tableau national de répartition de la bande des fréquences.
J'aurai le regret de devoir vous quitter avant l'issue de cette réunion, mais notre collègue Gérard César me remplacera.
J'ai grand plaisir à revenir, accompagné de deux membres du collège de l'Arcep, Françoise Benhamou et Philippe Distler, devant vos deux commissions réunies, capables d'appréhender tout à la fois les enjeux économiques et culturels de ce dossier.
Les fréquences hertziennes appartiennent au patrimoine immatériel de l'État, c'est-à-dire de tous les Français. C'est pourquoi la voix du Parlement est si importante sur ce sujet de la meilleure utilisation du spectre hertzien au service de l'intérêt général. Car si le spectre demeure, l'intérêt général évolue avec le temps. L'État avait décidé d'affecter le premier dividende numérique libéré par la télévision numérique terrestre (TNT) au secteur de la téléphonie mobile. L'affectation du second dividende numérique, celui de la bande des 700 MHz, comporte des enjeux en partie nouveaux.
Ce qui est en jeu, c'est d'abord l'avenir du secteur de la téléphonie mobile, dans un contexte marqué par une mobilité économique et sociale toujours plus grande, par la multiplication des données créées et échangées sur les réseaux, par l'apparition de l'internet des objets... Bref, la question est celle de la capacité des réseaux mobiles à véhiculer des données. Rappelons que le volume des données mobiles a augmenté de 90 % en France l'an dernier ; le phénomène est mondial. La Conférence mondiale des radiocommunications a estimé en 2012 que la bande des 700 MHz devait être affectée aux services mobiles en Europe ; elle doit confirmer cette décision avant la fin 2015. Au niveau européen, le Radio Spectrum Policy Program (RSPP) a fixé l'objectif d'identifier avant la fin de l'année au moins 1 200 MHz de fréquences, la bande des 700 MHz étant considérée comme éligible. L'Allemagne et le Royaume-Uni ont entamé des consultations publiques sur l'utilisation de la bande : le calendrier allemand prévoit son attribution en 2015. Les fréquences basses de la bande des 700 MHz possèdent des caractéristiques physiques leur conférant une grande qualité de propagation. Ces fréquences constituent ainsi une ressource particulièrement adaptée à la couverture des zones rurales et de l'intérieur des bâtiments.
En France, la réaffectation de la bande des 700 MHz, occupée par l'audiovisuel, au bénéfice des acteurs des télécommunications, a été annoncée par le Président de la République dès 2013. Le gouvernement a précisé en juillet 2014 que la bande des 700 MHz serait placée sous la responsabilité de l'Arcep avant décembre 2015 en vue de son affectation aux opérateurs mobiles, et que la TNT libèrerait la bande d'ici 2019 grâce à un réaménagement du spectre réalisé entre octobre 2017 et juin 2019, avec la possibilité d'un transfert progressif par plaques régionales. Le Président de la République a confirmé ces choix en octobre 2014.
Ce calendrier ambitieux peut être respecté si certaines conditions sont réunies. L'Arcep sera bien au rendez-vous, mais elle n'est pas maîtresse de tout.
Tout d'abord, la bande devant être attribuée avant d'être libérée, il faut garantir aux candidats une sécurité juridique suffisante. L'Arcep a engagé une consultation publique ; nos auditions s'achèveront à la fin du mois, et la synthèse sera publiée en mars. Nous établirons d'ici juin un projet d'appel à candidature qui sera soumis à notre commission ad hoc, puis l'appel à candidature sera lancé au début de l'été, l'instruction des dossiers devant se poursuivre jusqu'à la fin de l'automne. Le CSA interviendra dans ce processus, de même que l'Agence nationale des fréquences (ANFR), s'agissant des négociations à conduire avec les pays frontaliers pour éviter les brouillages. Quant au Gouvernement, il devra fixer le montant de la redevance dont les opérateurs auront à s'acquitter, si possible avant le lancement de l'appel à candidatures. Il lui incombe également de définir avec le Parlement les conditions du basculement entre audiovisuel et téléphonie mobile, son calendrier et les aides éventuelles pour l'adaptation des téléviseurs.
Enfin, Gouvernement et Parlement devront fixer des priorités politiques. Il n'appartient pas à l'Arcep de décider si l'opération doit avoir pour objectif principal de fournir des recettes financières, d'améliorer la couverture du territoire ou de renforcer la compétitivité du secteur. Nous aimerions en revanche connaître ces orientations le plus tôt possible. D'une manière générale, pour donner plus visibilité aux acteurs, il est souhaitable que le plus grand nombre d'informations soit disponible avant l'attribution des fréquences. De nouvelles dispositions législatives seront peut-être nécessaires.
J'en viens à la question de l'utilisation des fréquences et des contreparties à exiger. Le premier enjeu est celui de la compétitivité du secteur des communications numériques : l'attribution de la bande des 700 MHz peut être l'occasion d'augmenter le débit, donc d'améliorer la qualité de service. En ce qui concerne la structuration de la bande, 30 MHz duplex sont à allouer, qui peuvent être découpés en sous-ensembles de 5 MHz. Il conviendra de définir la taille des blocs de manière à ce qu'ils soient incitatifs sans créer de déséquilibres entre acteurs.
Le deuxième enjeu est l'aménagement numérique du territoire. Actuellement, l'objectif est d'assurer sur tout le territoire un débit théorique de 60 Mbit/s. Doit-on profiter de la réallocation de la bande des 700 MHz pour atteindre cet objectif plus rapidement, pour améliorer la couverture de l'intérieur des bâtiments ou celle des lignes de TGV ? Cette nouvelle bande permettant d'atteindre un débit de 100 Mbit/s, doit-on fixer un tel objectif pour l'ensemble du territoire ? Enfin, doit-on exiger des opérateurs privés qu'ils s'engagent à coopérer avec les acteurs publics pour améliorer la couverture numérique du territoire ?
Le troisième enjeu est celui des finances publiques. Il y a lieu de réfléchir aux modalités d'attribution : la procédure doit-elle prendre la forme d'un « concours de beauté », d'enchères, ou bien emprunter à ces deux formes ?
L'attribution de la bande des 700 MHz va structurer le secteur des télécommunications pour les dix années à venir. Il s'agit donc d'une décision historique qui engage la nation toute entière. L'Arcep sera au rendez-vous, mais elle n'est pas seule. Je souhaite que le Parlement joue un rôle décisif dans ce processus, et j'espère que l'attribution fera l'objet du plus large consensus, grâce à une vision partagée de l'avenir.
- Présidence de M. Gérard César, vice-président.-
Votre intervention, extrêmement riche, soulève une foule de questions et semble remettre en cause la légitimité du Plan France très haut débit, notamment en matière de transport des données.
Nous avons quatre opérateurs privés, identiques dans le fixe et le mobile, auxquels s'ajoutent les réseaux d'initiative publique (RIP) et les opérateurs de réseau mobile virtuel (MVNO) qu'il est important de ne pas écarter du jeu afin de préserver la concurrence. Seuls les quatre grands opérateurs participeront aux enchères. Or, ils sont déjà déstabilisés par le rachat de SFR par Numéricable et confrontés à de nombreuses interrogations. Va-t-on désormais privilégier le fixe ou le mobile, et dans le fixe le très haut débit ou la montée en débit ? D'ailleurs, les opérateurs n'ont plus d'argent. L'État espère tirer plus de 2 milliards d'euros de recette de la réaffectation de la bande des 700 HMz, somme déjà inscrite dans le budget 2015 au bénéfice des armées, mais il n'est pas certain que les opérateurs pourront débourser cette somme, tout en continuant à investir dans le réseau fixe. Enfin, les aides financières d'État notifiées à Bruxelles semblent favoriser Orange, détenteur du réseau fixe, au détriment des RIP. N'y a-t-il pas lieu de solliciter l'avis de l'Autorité de la concurrence ? Comment garantir la libre concurrence et la liberté des RIP dans le cadre du Plan France très haut débit ? Cette audition ne vous suffira sans doute pas à répondre à toutes ces questions.
Je félicite M. Soriano pour sa nomination à la tête de l'Arcep. Nous soutenons tous le principe d'une réaffectation de la bande des 700 MHz en faveur des télécoms, vu les besoins nouveaux liés à l'augmentation du trafic de données, mais les modalités retenues sont contestables. On agit dans la précipitation, pour boucler tant bien que mal le budget de la défense. L'arrêté portant modification du tableau national de répartition de la bande des fréquences, publié sans que la CMDA n'ait été consultée, est par là même entaché de vice de forme : à vouloir aller trop vite, on prend le risque d'affaiblir la sécurité juridique du processus, pourtant indispensable à de tels investissements.
Le calendrier retenu est peu réaliste. La situation n'est pas du tout la même en Allemagne, où 7 % seulement de la diffusion audiovisuelle repose sur la plateforme hertzienne. La Grande-Bretagne prévoyant un transfert en 2020, il nous faudra harmoniser nos positions pour éviter les brouillages dans les régions voisines de la Manche. Enfin, si les nouvelles technologies de diffusion audiovisuelle, y compris en ultra haut débit, permettent de retirer à ce secteur la bande des 700 MHz, il faudra des années pour que les Français s'équipent en conséquence. Le basculement de l'analogique vers la TNT ne fut déjà pas simple ; au moins offrait-on la perspective d'un plus grand nombre de chaînes. Prévoir un transfert de la bande des 700 MHz vers la téléphonie mobile dès 2019 est vraiment très optimiste. Or la diffusion audiovisuelle est la « pointe de diamant » de notre système de soutien à la création et au pluralisme. En cas de problème, nul doute que les acteurs culturels monteront au créneau !
Irréaliste, le calendrier est à peine souhaitable. La couverture 3G du territoire est de moins en moins complète : le trafic de données augmente tandis que la qualité du service s'effondre dans de nombreux départements, notamment hors des villes. Faudra-t-il demander aux collectivités d'investir dans les réseaux mobiles alors que leurs dotations diminuent ? Où va-t-on ? Il est également incohérent de demander en même temps aux opérateurs d'accélérer le déploiement de la fibre et de mobiliser des moyens financiers pour des fréquences dont, au moins jusqu'en 2020, ils n'ont pas besoin.
Un dernier mot sur les objectifs. Au moment de l'attribution de la bande des 800 MHz, c'est le Parlement - et notamment le Sénat - qui a demandé, et obtenu, que la couverture du territoire soit retenue comme objectif prioritaire, quand Bercy ne songeait qu'aux recettes financières. Je proposerai cette fois d'inscrire cet objectif dans la loi. Il appartient à la représentation nationale de fixer les règles du jeu.
Nous sommes tous d'accord sur l'opportunité de la réaffectation de la bande, mais ses modalités nous inquiètent. Il n'est pas sûr que le budget de la défense bénéficie en 2015 des recettes attendues...
Cette réaffectation risque-t-elle de déstabiliser les acteurs de l'audiovisuel, diffuseurs et éditeurs de service ? Ne manque-t-il pas un chef d'orchestre pour superviser les actions à mener ? Enfin, se pose la question des coûts induits, pour les particuliers d'abord : afin de s'adapter aux nouvelles normes de diffusion audiovisuelle, il faudra acheter un nouveau téléviseur, ou au moins un adaptateur, à 30 ou 40 euros pièce. Nous devons poser le principe que ce coût ne sera pas supporté par les ménages - restera à savoir qui paie. Les chaînes de la TNT auront aussi des coûts à supporter, et il n'est pas sûr qu'elles en aient toutes les moyens. Sous leur aspect technique, ces questions sont donc éminemment politiques.
Je salue Mme la présidente de la commission de la culture qui nous a rejoints.
Merci à Sébastien Soriano pour son exposé très complet. Comme l'a dit le président Retailleau, il ne faut pas confondre vitesse et précipitation : sans sécurité juridique, les opérateurs n'achèteront pas. Pouvez-vous préciser quelles dispositions législatives vous paraîtraient nécessaires ?
Depuis sa création, l'Arcep défend la nécessité de sauvegarder un équilibre entre les opérateurs ; en pratique, on s'aligne toujours sur celui qui va le moins vite. Il convient de fixer des règles du jeu afin que les opérateurs avancent à la même vitesse. Les militaires attendent leur 2 milliards d'euros...
S'il est exact que les collectivités locales ont des difficultés financières, nécessité fait loi. Il serait utile qu'elles aient la possibilité légale d'investir dans les réseaux 3G. Cela soulève des problèmes techniques : comment fera-t-on dans les zones grises ? Comment assurer l'égalité de traitement entre les opérateurs ? Faudra-t-il recourir à l'itinérance ? Si celle-ci ne fonctionne pas très bien avec la 3G, je place beaucoup d'espoirs dans l'itinérance de quatrième génération. La bande des 700 MHz a des propriétés merveilleuses. Elle offre la possibilité de couvrir des territoires ruraux actuellement très mal couverts, sans investissement supplémentaire en pylônes.
La réaffectation de la bande de fréquence des 700 MHz préoccupe nos deux commissions. Après Sébastien Soriano, nous auditionnerons demain M. Olivier Schrameck, président du CSA. Nous sommes plusieurs à siéger au sein de la CMDA, et je regrette qu'elle n'ait pas été réunie sur ce sujet depuis octobre 2013.
Dans le contexte actuel de consolidation du secteur des télécommunications, la vente de fréquences ne répondant à aucun besoin avant 2020 s'expose à un rendement budgétaire faible au détriment des intérêts patrimoniaux de l'État. En réponse à la question d'un parlementaire, le ministre de l'économie avait indiqué en octobre que l'attribution de la bande pourrait être reportée à une date plus favorable, ultérieure à 2015. Quelle est votre appréciation sur ce point ?
La diffusion de la TNT revêt une importance démocratique de premier plan pour la poursuite des objectifs de gratuité et de promotion de la diversité culturelle. Or il n'existe pas à ce stade d'alternative au système actuel. Où en sont les réflexions ?
La réaffectation de la bande des 700 MHz va fragiliser la couverture du territoire. Quelles sont les mesures législatives ou les engagements budgétaires nécessaires, à vos yeux, pour qu'elle se réalise dans de bonnes conditions ?
Je veux être rassurant sur l'état du marché. Le secteur des télécoms a traversé une période difficile, c'est vrai, mais il en sort progressivement. C'est un secteur qui investit environ 7 milliards d'euros par an ; l'achat de nouvelles fréquences ne représente donc pas un effort démesuré, d'autant qu'il sera échelonné sur plusieurs années. Un certain nombre d'opérateurs ont manifesté leur intérêt pour ces fréquences : Free, mais aussi Orange par la voix de Stéphane Richard le week-end dernier.
Philippe Leroy m'a interrogé sur l'articulation avec le Plan France très haut débit. Les débits de 60 et 100 Mbit/s sont théoriques. Les réseaux de très haut débit mobile, même situés sur la bande de 700 MHz, ne sont pas appelés à se substituer aux réseaux filaires : tant sur les réseaux de collecte qu'en matière d'usages, les complémentarités sont nombreuses. Dans les territoires où le déploiement de la fibre optique jusqu'à l'abonné sera trop coûteux, il ne faudra pas exclure le très haut débit mobile. La mission très haut débit - à laquelle nous collaborons - mène de telles expérimentations.
L'Arcep s'intéresse à la concurrence depuis dix-huit ans. Nous venons d'une situation de monopole, notamment sur les réseaux fixes. Mais il ne faut pas opposer concurrence et compétitivité : celle-là est au service de celle-ci. L'objectif est de fournir un service de bonne qualité, c'est-à-dire un bon débit et une bonne couverture à un bon prix. En un mot, d'être compétitif. Entretenir chez les opérateurs la peur de perdre leurs clients est un moyen d'y parvenir. D'aucuns craignent que l'Arcep avantage le dernier opérateur entré sur le marché dans son attribution de la bande des 700 MHz. La question est complexe. Le secteur, dit-on, ne doit pas courir au rythme du plus lent. C'est juste, dès lors que la course à l'investissement est ouverte à tous. Cela étant, aucun ne doit courir avec une jambe de bois. Or les patrimoines de fréquences sont inégalement répartis. Il revient au régulateur d'inciter au développement d'infrastructures pérennes, en assurant une juste répartition du spectre.
Tous ne se sont pas portés candidats, ce n'est pas le fruit du hasard !
Nous sommes attentifs à l'équilibre global. Nous créerons des incitations. Il n'y a en tout état de cause pas de plan caché pour favoriser tel ou tel opérateur.
L'Arcep n'a pas non plus orienté l'attribution de la bande des 800 MHz vers quiconque.
Je ne visais pas l'Arcep - et rends d'ailleurs hommage au président Silicani, qui a fait prévaloir les objectifs de couverture. Je soulevais le fait que Free n'avait pas souhaité concourir pour l'attribution de certaines fréquences.
S'agissant des zones grises et de la couverture à l'intérieur des bâtiments, la consultation publique est en cours. C'est un casse-tête. Nous espérons progresser à l'occasion de l'attribution de la bande des 700 MHz.
Le calendrier du processus est défini par le gouvernement : il s'impose à moi, je ne peux qu'en prendre acte. Il est ambitieux, mais pas intenable si le Gouvernement, le Parlement, le CSA, l'ANFR, prennent les décisions qui s'imposent avant l'octroi des fréquences. L'Arcep sera en tout cas au rendez-vous.
Les dispositions législatives opportunes concernent le secteur audiovisuel davantage que celui des télécommunications : la mise aux normes des téléviseurs commande d'envoyer rapidement des signaux économiques aux fabricants. Sans doute faudrait-il aussi réfléchir à l'accompagnement des ménages dans cette transition.
La loi de modernisation de l'économie (LME) du 4 août 2008 prévoyait déjà l'accompagnement des ménages dans l'acquisition d'un décodeur. Au-delà de l'aspect financier, il faudra faire un effort de pédagogie. Ce sera le rôle du CSA.
Il faudra également accompagner les acteurs de l'audiovisuel eux-mêmes, afin de ne pas déstabiliser le marché. Le calendrier du basculement, de décembre 2015 à juillet 2019, devra être aussi fin et clair que possible. L'Arcep, l'ANFR et au CSA sont d'ores et déjà au travail, pour définir les règles du jeu.
L'ANFR travaille en ce moment sur l'aspect technique du basculement, ainsi que sur la question des négociations aux frontières. L'Allemagne sera l'un des premiers pays à passer aux 700 MHz. Un groupe de travail réunit les pays avec lesquels se posera le problème du brouillage : le Royaume-Uni et les pays du Benelux - le problème se pose moins avec l'Espagne et l'Italie, séparés de la France par des montagnes. L'objectif de l'ANFR est de parvenir à la signature d'accords aux frontières dans le courant de l'année 2016. C'est une opération classique mais longue à mener.
Je serai aussi rassurant que Sébastien Soriano sur l'état du marché : dans tous les pays développés, l'appétence pour les fréquences est vive, en raison de l'explosion des services de données. Sans fréquences, basses en particulier, les opérateurs mettent la clé sous la porte. Le délai qui sépare la mise à disposition de l'attribution des fréquences n'est pas un problème en soi ; l'attribution des fréquences 4G a été faite ainsi, sur dix-huit mois. Quelles fréquences seront disponibles, et quand ? Voilà les seules questions pour lesquelles les opérateurs veulent des réponses précises.
Nous devons procéder à la désignation d'un candidat pour siéger au sein du Conseil d'administration de l'agence Business France, organisme qui succède à UBI-France.
Je vous propose la candidature de M. Alain Chatillon.
La réunion est levée à 17h45.