Chère Pascale Boistard, nous nous connaissons de longue date, et nous nous estimons mutuellement. §Mais quel rapport le cannabis a-t-il donc avec les droits des femmes, qui, soit dit en passant, sont moins consommatrices que les hommes ? §
Pourtant, le débat est bien sur la table ! Et le message que nous envoyons n’est pas celui que redoute Mme Touraine. Nous avons choisi, nous, écologistes, de regarder le problème en face. Les Françaises et les Français ont eux-mêmes brisé le tabou et s’interrogent, ce qui me semble très important.
Ainsi la part des personnes estimant que l’usage du cannabis comporte un risque dès l’expérimentation est-elle en baisse, avec un taux de 54 % actuellement, contre 62 % en 2008.
Les opinions des Français sur les politiques publiques menées ou à mener en matière de drogues traduisent un double mouvement : d’un côté, une plus forte adhésion aux mesures prohibitives concernant le tabac et l’alcool et, de l’autre, un suffrage moins marqué aux sanctions prévues par la loi pour les personnes interpellées pour usage ou détention de cannabis.
Les Français restent certes très majoritairement, à 78 %, opposés à une mise en vente libre du cannabis. La proportion de ceux qui sont favorables, soit 22 %, a pourtant nettement progressé depuis 2008, où elle était de 15 %.
La part d’opinions favorables à l’autorisation du cannabis sous certaines conditions, en maintenant l’interdiction pour les mineurs et avant de conduire, a, quant à elle, doublé sur la période, passant de 31 % à 60 %.
Même parmi les personnes opposées à la mise en vente libre du cannabis, une partie plus importante qu’en 2008 serait d’accord pour une mise en vente libre sous conditions. Enfin, d’après l’enquête EROPP, qui porte sur les représentations, opinions et perceptions sur les psychotropes, les Français apparaissent de plus en plus réservés à l’égard des différentes sanctions qui punissent la consommation simple sans revente, avec une préférence pour les solutions qui orientent vers les soins ou un rappel à la loi.
Assurer avant tout la santé et la sécurité des personnes et des collectivités requiert une réorientation fondamentale des priorités et des ressources des politiques mises en œuvre.
Les dépenses induites par les dispositions punitives en vigueur, qui sont inefficaces, contreproductives et coûteuses pour le contribuable, devraient cesser, alors que celles qui sont consacrées aux mesures éprouvées de prévention, de réduction des risques et de traitement devraient, au contraire, augmenter pour couvrir les besoins, immenses. N’oublions pas que 41, 5 % des jeunes de 17 ans ont expérimenté le cannabis et que 6, 5 % sont des fumeurs réguliers ; 32, 8 % des adultes de 18 à 64 ans ont expérimenté le cannabis et 2, 1 % sont des fumeurs réguliers. Au moins 38 000 personnes sont prises en charge en raison de leur consommation de cannabis dans les structures spécialisées en addictologie.
Commençons par éradiquer quelques-uns des préjugés étayant la logique absurde de la prohibition.
Je pense d’abord à la théorie de l’escalade, selon laquelle le consommateur de cannabis, en cas de dépénalisation et/ou de légalisation du cannabis, aurait nécessairement recours à des substances plus dangereuses.
Cette théorie ne tient pas. La consommation de cannabis est ordinairement transitoire. Même en cas de dépendance, les deux tiers des usagers mettent fin à leur addiction entre 25 et 30 ans. « On nous disait : les ados vont se ruer sur le cannabis, les adultes vont se défoncer et ne plus aller travailler... Rien de tout cela ne s’est concrétisé » : voilà ce que constatait, il y a peu, Brian Vicente, l’un des rédacteurs de l’amendement 64 par lequel 55 % des électeurs du Colorado ont autorisé la production et la vente du cannabis aux adultes de plus de 21 ans.
L’autre idée à révoquer est celle de l’extrême dangerosité du cannabis.
Le cannabis ne tue quasiment pas en comparaison avec des drogues comme l’héroïne et la cocaïne. Sa dangerosité est moindre que celle du tabac et de l’alcool. Certes, conduire sous l’influence du cannabis multiplie par 1, 8 le risque d’être responsable d’un accident mortel de la route. Mais ce risque est multiplié par près de 15 en cas de consommation conjointe de cannabis et d’alcool.
Selon les experts européens, l’alcool serait de loin le produit le plus dangereux, entraînant des dommages sanitaires et sociaux majeurs, suivi par l’héroïne et la cocaïne, puis par le tabac, qui causerait surtout des dommages sanitaires. Seulement ensuite viendrait le cannabis, susceptible de causer plutôt des dommages sociétaux.
Certes, et je l’ai déjà dit, le cannabis n’est pas un produit anodin. L’expertise de l’INSERM sur les conduites addictives chez les jeunes souligne qu’un excès de consommation entraîne chez eux déficit de l’activité, fatigue physique et intellectuelle, difficultés de mémorisation, difficultés relationnelles, décrochages scolaires, mal-être. Il peut également induire des troubles psychotiques, parfois également liés au parcours de vie de l’adolescent, notamment familial.
En revanche, il n’a pas été démontré que le cannabis pouvait être la cause unique de la schizophrénie.
Justement, chers collègues, pour lutter contre ces maux, il s’agit non pas d’interdire et de punir, mais de prévenir et de guérir. Mieux, on ne pourra jamais efficacement prévenir et guérir qu’en levant le tabou et en cessant d’interdire pour encadrer et contrôler.
La dangerosité du tabac et de l’alcool n’a pourtant pas induit leur interdiction ni leur pénalisation. On connaît les effets pervers de la prohibition de l’alcool aux États-Unis dans les années vingt. Les pouvoirs publics s’attellent aujourd’hui, avec raison bien sûr, à des campagnes de prévention probablement plus utiles. Pourquoi ne pas faire de même avec le cannabis ?
La guerre menée contre les drogues depuis quarante ans n’a réussi ni à limiter leur consommation ni à endiguer la criminalité liée à leur production et à leur commerce. Les interpellations pour usage de cannabis atteignent le chiffre annuel de 122 439 et représentent 90 % des interpellations pour usage de stupéfiants. Leur nombre a été multiplié par cinq depuis le début des années quatre-vingt-dix. En dehors des affaires d’usage, les services de police et de gendarmerie ont effectué 15 302 interpellations pour usage-revente et trafic de cannabis ; 31 000 personnes ont été condamnées en 2012 à des peines inscrites au casier judiciaire pour consommation de cannabis.
Le premier constat qui s’impose est celui du désastre du modèle répressif français. Notre police et notre justice n’ont-elles pas mieux à faire ? N’avons-nous donc aucun souci de l’usage des deniers publics ? Le niveau de prévalence du cannabis en France est parmi les plus élevés en Europe, avec le Danemark. Un collégien français sur dix a expérimenté le cannabis, et si cette consommation ne touche que 1, 5 % des élèves en sixième, elle en touche un sur quatre en troisième.
Pire, notre stratégie de prévention nationale et d’accompagnement des usagers est quasi inexistante, faute de ressources ! Au Colorado, 33 millions d’euros du produit des taxes du cannabis légalisé ont été alloués aux écoles. « Nous sommes guidés par trois principes : éviter que la marijuana ne tombe entre les mains des enfants, des criminels et des autres États », a déclaré la directrice de l’administration fiscale de l’État du Colorado. N’y a-t-il donc pas lieu de s’inspirer d’une telle expérience ?
Au sein de l’Union européenne, on rencontre trois sortes de législations : celles qui considèrent l’usage de cannabis comme une infraction pénale, celles qui le considèrent comme une infraction administrative, passible de sanctions administratives ; celles encore, et c’est le cas dans quinze pays membres de l’Union européenne, qui n’interdisent pas l’usage du cannabis en tant que tel, mais qui font de sa détention en petite quantité pour usage personnel une infraction pénale ou administrative.
Aux Pays-Bas, la détention et la vente de cannabis ne sont pas légales, mais elles sont tolérées, sous certaines conditions. La Hollande n’a jamais légalisé la production du cannabis sur son territoire, et ne s’intéresse pas aux sources d’approvisionnement des coffee shops, qui relèvent d’une réglementation nationale. On dénombre moins de 9 000 interpellations pour infractions relatives aux drogues douces en 2012 pour l’ensemble du pays, 18 300 pour l’ensemble des drogues, soit dix fois moins qu’en France.
J’ajoute pour finir que la prévalence du cannabis est inférieure en Hollande à celle constatée chez nous : 13, 7 % sur les douze derniers mois pour les 15-34 ans, contre 17, 5 % en France, malgré une législation infiniment plus répressive et aucune tolérance pour la vente libre.
La présente proposition de loi a pour objet d’autoriser l’usage et d’encadrer de manière très rigoureuse la vente au détail aux personnes majeures et l’usage de plantes de cannabis et de produits dérivés issus de cultures et de pratiques culturales contrôlées, dont les caractéristiques et la teneur en principe psychoactif – le tétrahydrocannabinol ou THC - seraient réglementées.
Nous avons depuis peu plusieurs exemples de dépénalisation et de légalisation contrôlée du cannabis.
L’Uruguay a adopté un ensemble de lois légalisant et réglementant les usages non médicaux du cannabis. Le modèle uruguayen repose sur un degré d’intervention gouvernementale plus élevé que les modèles commerciaux des États de Washington et du Colorado, aux États-Unis, et ce dans tout le circuit allant de la production à la vente. Les recettes liées au cannabis ont atteint, à la fin de 2014, 570 millions d’euros au Colorado, selon une estimation.
Le rapport de Terra Nova envisage quant à lui la légalisation du cannabis et la structuration d’un monopole public, avec les meilleures garanties en termes de contrôle de la prévalence et de protection des populations les plus vulnérables. Il faudra également assécher le marché noir de quelque 100 000 personnes en baissant dans un premier temps le prix du gramme de cannabis légal, puis augmenter ce prix, comme pour le tabac, afin d’empêcher une progression de la prévalence.
Cette légalisation constituerait une source de revenus fiscaux considérables, entre 1, 7 milliard et 2 milliards d’euros, et entraînerait la création d’au moins 13 000 emplois, hors ceux qui sont liés à la production, sans compter le coup porté aux réseaux de la drogue, à la criminalité qui leur est associée et à l’une des sources de financement du terrorisme.
Cette proposition de loi est la première du genre à être déposée et débattue dans l’histoire parlementaire française.
J’espère de tout cœur, chers collègues, que vous lui apporterez vos suffrages. Mais, quand bien même vous hésiteriez à le faire, l’examen de ce texte contribuera indéniablement à l’indispensable processus de sensibilisation de l’opinion publique et des responsables politiques à une question sociétale, sociale et sanitaire cruciale.
Le débat est donc ouvert, publiquement et au plus haut niveau. Voilà qui est fort bien !