Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce débat tombe à point nommé. Il a lieu en effet quelques jours seulement après la publication du rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre, mais surtout après qu’a été révélé – grâce à une fuite dans la presse, si j’ai bien compris – le contenu d’un rapport demandé par le Gouvernement à une mission d’évaluation de la politique du logement composée du Conseil général de l’environnement et du développement durable, de l’Inspection générale des affaires sociales et de l’Inspection générale des finances, et rendu l’été dernier.
La découverte de ce rapport a fait l’effet d’une petite bombe. Ses auteurs posent un diagnostic sans concession de nos politiques publiques et formulent également de nombreuses propositions, n’hésitant pas à aller à l’encontre de la pensée généralement dominante en matière de politique du logement.
Certes, certains pourront toujours balayer d’un revers de main tout ou partie des conclusions de ce document, accusant le Gouvernement de chercher à faire des économies sur les quelque 46 milliards d’euros que représentent les aides publiques au secteur, auxquelles il faut ajouter 5 milliards d’euros en provenance d’Action logement et de la Caisse des dépôts et consignations, soit un total de 51 milliards d’euros. Je crois au contraire que ce rapport contient de nombreuses pistes à creuser pour rendre nos politiques publiques plus efficaces et peut-être même à moindre coût, ce qui ne devrait pas être un tabou en une période où le Gouvernement a besoin de réaliser des économies budgétaires.
En effet, 51 milliards d’euros par an, cela représente 2 % de la richesse nationale. Ce n’est pas rien. Pourtant, malgré ces moyens importants, nous n’arrivons toujours pas à juguler la crise qui s’amplifie. Personne ne peut s’en satisfaire et nous ne pouvons pas en rester là.
Manifestement, ce rapport a déjà servi au Gouvernement puisque, lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2015, quelques petites mesures s’en inspiraient. Cependant, c’était bien peu au regard des nombreuses propositions de ce rapport, d’autant plus que, madame la ministre, celles que vous aviez retenues en sont restées au stade de la discussion. Je pense notamment à la transformation du dispositif d’accession à la propriété par le biais des aides personnelles.
Cependant, je relèverai plusieurs points de ce rapport sur lesquels je souhaite vous interroger, madame la ministre, pour connaître votre sentiment et vos intentions : l’évaluation des besoins, la dispersion des moyens et les grands axes de notre politique publique en matière de logement.
Sur l’évaluation des besoins, nous répétons les uns et les autres qu’il faudrait construire au moins 500 000 logements par an pour sortir de la crise. Or le rapport réfute ce chiffre, s’appuyant sur l’exemple de l’Île-de-France, zone tendue s’il en est, où, dans le cadre de la loi relative au Grand Paris, le Gouvernement a fixé l’objectif de 70 000 logements par an.
Lorsque cet objectif de 70 000 logements a été annoncé, je me rappelle m’être demandé comment on était parvenu à un tel résultat : en le ramenant au chiffre initial de 500 000 logements par an, il me semblait que quelque chose n’allait pas ! Le rapport précise que, s’agissant de la loi relative au Grand Paris, les besoins ont été assez finement analysés. Par extrapolation, les auteurs du rapport estiment que, en ramenant ce besoin à l’échelle nationale, ce sont non pas 500 000 logements par an qu’il faudrait construire pour les cinq années à venir, mais quelque 332 000 ! Vous avouerez qu’un tel écart est significatif.
Le rapport pointe ensuite la trop grande dispersion des moyens qui découle assez logiquement de cette mauvaise appréciation des besoins.
La question des zonages est ainsi posée à nouveau, comme celle de l’équilibre à trouver entre accession à la propriété et logement social, mais aussi taille des logements et gamme de prix en fonction des secteurs géographiques.
Madame la ministre, il semble que vous ayez là un grand chantier à mener avant toute réforme, car, sans bonne connaissance des besoins, nous risquons encore une fois de nous tromper sur le recalibrage et la répartition des moyens.
Ce rapport traite également des grands axes d’intervention de nos politiques publiques, ce qui constitue un autre point intéressant.
Alors que nous souffrons d’une insuffisance de construction, même si l’on peut ne pas être d’accord sur les chiffres, nous consacrons 49 % des moyens engagés – je rappelle qu’ils atteignent 51 milliards d’euros – à la solvabilisation de la demande, seulement 17 % au développement de l’offre et 17 % à l’amélioration du parc existant. Il s’agit là d’un véritable paradoxe sur lequel nous devons nous interroger.
Les moyens vont-ils là où ils sont les plus nécessaires, en termes tant de sectorisation géographique, comme je le soulignais tout à l’heure, que de segmentation du marché et, surtout, de moyens accordés au développement de l’offre ? Car il faut développer l’offre !
Ce dernier point est d’autant plus important que le rapport pose la question de l’efficacité des aides personnelles. Or celles-ci représentent aujourd’hui, à elles seules, près de 50 % des crédits.
Je dois avouer, madame la ministre, que je suis particulièrement heureux que cette question soit enfin soulevée. Je l’ai fait, à cette tribune même, lors de l’examen du dernier texte défendu par Benoist Apparu ; je l’ai refait à l’occasion de la discussion générale sur le texte ALUR de Cécile Duflot. Dans les deux cas, je n’ai pas vraiment senti d’adhésion à mon propos : au mieux du scepticisme, au pire une accusation de vouloir pénaliser les bénéficiaires de ces aides.
Voilà qu’aujourd’hui ce rapport ne dit rien d’autre que ce que j’indiquais à l’époque : les aides personnelles ont eu et ont encore un effet inflationniste sur les loyers.