Oui, il y a une crise du logement, et c’est mon seul point d’accord avec M. Jean-Claude Lenoir.
Je n’épiloguerai pas – démonstration a déjà été faite et elle le sera peut-être encore –, mais je tiens à citer quelques chiffres qui attestent de cette crise du logement, même si certains ont été rappelés. Selon le traditionnel rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre, 3, 5 millions de personnes sont mal logées, dont 141 500 se trouvent sans aucun domicile, ce qui est énorme. En outre, 5 millions de personnes sont fragilisées du fait de problèmes de logement. Un autre chiffre, moins souvent cité, est également important : 1 700 000 demandes de logements sociaux sont actuellement déposées. En d’autres termes, il existe une sorte de file active de 1 700 000 personnes en attente d’un logement.
La production de logements – Philippe Dallier vient d’en parler – a atteint, en 2014, environ 300 000 logements, dont 200 000 logements sociaux. J’ignore si c’est suffisant ou non. Toujours est-il que cela paraît limite, et il faudra certainement faire plus, même si ce n’est déjà pas si mal.
Qu’ajouter une fois ce constat établi ?
Je commencerai par formuler trois remarques que l’on entend rarement et qui concernent l’hétérogénéité de la situation, le caractère déjà ancien de la dégradation, la dimension plus européenne que nationale de la crise de production.
Première remarque, cette crise du logement n’est pas homogène sur le territoire français. En effet, sur certains territoires, il n’existe aucune tension ni pratiquement aucun décalage entre l’offre et la demande. En revanche, ailleurs, la situation peut être extrêmement grave et rappeler ce terrible hiver 1954.
Cette remarque est importante, car la situation s’appréhende différemment selon les territoires. Il n’est qu’à relire le rapport que j’ai rédigé avec mon collègue et ami Gérard Roche sur l’application de la loi instituant le droit au logement opposable, dite loi DALO : il est évident que la situation du logement est très fortement hétérogène en France.
Deuxième remarque, la baisse de la production de logements n’est pas imputable au gouvernement socialiste. Elle date de 2010 et obéit à des conditions macro-économiques qui dépassent non seulement le Gouvernement, mais aussi la France.
En effet, et c’est ma troisième remarque, cette crise de la production a une dimension européenne. Il suffit de comparer la situation des différents pays. Ainsi, le ratio entre le nombre de nouvelles constructions et le nombre d’habitants montre que la France n’est pas du tout en retard par rapport à la moyenne européenne. Bien au contraire, notre pays détient l’un des meilleurs taux : cinq nouvelles constructions pour mille habitants, contre trois pour mille en Allemagne.
Je note que, face à cette crise, le Gouvernement a pris des mesures : renforcement des prêts à taux zéro et de l’investissement locatif dans les zones tendues, simplification des normes.
Toutefois, le plus important en matière de construction de logements, c’est le foncier. À cet égard, j’évoquerai maintenant le rapport de la Commission nationale de l’aménagement, de l’urbanisme et du foncier, que son président, notre ancien collègue Thierry Repentin, a récemment présenté au Sénat.
En 2013, 23 terrains ont été cédés, ce qui représente 43 hectares et a permis la construction de 1 800 logements. Au 31 octobre 2014, 7 terrains ont été cédés.
Ces résultats sont prometteurs, comme tout le monde l’a reconnu au sein de la Commission.
Cela étant dit, la situation du logement dans notre pays étant très hétérogène, permettez-moi de faire un point sur celle, très particulière et rarement évoquée, des quartiers populaires, et d’y signaler l’importance du mal-logement, ainsi que ses conséquences. Elles sont évidemment très négatives sur la qualité de vie des habitants, mais aussi sur l’image de ces quartiers, où l’on habite mal.
L’analyse des interactions entre le logement et l’école – cela a déjà largement été fait, en particulier par Éric Maurin dans son essai intitulé Le ghetto français – permet de constater que le mal-logement est à l’origine d’un cercle vicieux entraînant la dégradation et la paupérisation du quartier. Il est donc extrêmement important de revenir dans ces quartiers à des logements de qualité.
Ces quartiers sont caractérisés à la fois par une abondance de logements sociaux et par une inadaptation insuffisante de ces derniers à la demande.
Les logements sociaux sont abondants dans ces quartiers, qui se spécialisent même dans ce type de logements, comme si le logement social appelait le logement social. Certains quartiers, voire certaines villes comptent ainsi jusqu’à 70 % de logements sociaux. Il est donc difficile d’y parvenir à une pluralité sociale et culturelle.
Mais si, dans ces quartiers, les logements sociaux sont abondants, ils ne sont pas adaptés à la demande. Toutes les études le montrent, alors que le nombre de familles très nombreuses – de plus de cinq enfants – y est extrêmement élevé, ces quartiers ne comptent pas de logements de taille adaptée permettant de répondre à la demande, et ce pour des raisons historiques. Ces grands ensembles ont en effet été construits à la fin des années soixante et au début des années soixante-dix, époque où la référence était alors le F3 ou le F4.
Mais il ne faut pas croire que les seules difficultés de ces quartiers sont liées aux logements sociaux. En effet, de nombreuses copropriétés sont dégradées – vous le savez d’ailleurs, madame la ministre, car vous y consacrez une grande part de votre énergie, et je tiens à vous remercier de l’action que vous menez à cet égard –, regroupant ce que j’appellerai les « déboutés du logement social ». Cela pose d’ailleurs un problème de fond quant à l’intérêt du logement social. Dans ces copropriétés, des bailleurs indélicats se transforment assez vite en marchands de sommeil.
Il est donc important de construire des logements, la question étant : combien – on peut en discuter – et où. §Toutefois, il ne faut pas non plus oublier que la réhabilitation des logements de mauvaise qualité, sujet dont on ne parle jamais, est nécessaire, car c’est aussi une façon d’augmenter l’offre.
Permettez-moi d’évoquer ici le bilan de l’action de l’Agence nationale de l’habitat, l’ANAH, lequel est extrêmement positif. Il montre que sans construire, parfois même avec des crédits moins élevés, on peut très nettement modifier la quantité de logements et leur qualité.
L’ANAH a diverses missions, que vous avez d’ailleurs rappelées, madame la ministre : le programme « Habiter mieux », qui tend à lutter contre la précarité énergétique, l’adaptation des logements au vieillissement et au handicap, la réhabilitation du logement indigne et l’action sur les copropriétés.
Les bénéficiaires des subventions de l’ANAH occupent des logements privés – je le rappelle – et sont forcément des familles modestes, voire très modestes.
Les chiffres sont éloquents. En 2014, 50 000 logements ont été rénovés dans le cadre du programme « Habiter mieux », mais – vous le savez, madame la ministre –, on aurait encore pu faire plus ; 1 000 logements ont été rénovés dans le cadre de l’habitat indigne ; 13 000 logements ont été rénovés dans des copropriétés privées dégradées.
Je vous remercie d’ailleurs infiniment, madame la ministre, pour cette nouvelle façon d’aborder le traitement des copropriétés très dégradées. Nous manquions d’outils, la loi ALUR nous en a donné en créant les opérations de requalification de copropriétés dégradées, ou ORCOD. La première d’entre elles concernera, grâce à vous, madame la ministre, la copropriété du Chêne-Pointu de Clichy-sous-Bois. Le décret vient juste d’être publié. Je pense que la ville de Grigny bénéficiera elle aussi bientôt d’une telle opération.
Enfin, 15 000 logements ont été adaptés à la perte d’autonomie.
Les résultats sont importants pour ceux qui en bénéficient, mais ils le sont aussi financièrement. En effet, quand on consomme moins d’énergie, quand on retarde le placement d’une personne dépendante dans un établissement spécialisé, on gagne de l’argent. En outre, de tels travaux, qu’il s’agisse de travaux d’isolation, du changement des fenêtres ou du remplacement d’une baignoire par une douche, ne peuvent être effectués que par des artisans locaux. C’est un facteur économique très important.
J’indique par ailleurs que 42 % des travaux ont été réalisés en zone rurale – je pense, madame la ministre de l’égalité des territoires, que vous ne serez pas insensible à ce taux –, 34 % en zone urbaine et 24 % en zone intermédiaire.
Oui, nous connaissons une crise du logement. Tout le monde s’accorde à dire que c’est une grande cause nationale. Je rappelle d’ailleurs que, depuis la loi DALO, le droit au logement a valeur constitutionnelle, mais que ce n’est pas un droit constitutionnel. Peut-être faudra-t-il y réfléchir.
Si l’on veut s’en sortir, il faut bannir toute politique politicienne – je constate que notre débat se déroule aujourd'hui dans une bonne ambiance – et s’unir, car, en matière de production de logements, les responsabilités sont éparpillées, ce qui rend la gestion extrêmement difficile, chacun ayant une petite part du pouvoir. L’union est une obligation. On ne peut pas se lamenter sur la crise du logement si, chacun à son niveau, nous ne parvenons pas à rechercher ensemble des solutions.
Puisque nous représentons ici les territoires, permettez-moi d’attirer l’attention sur la responsabilité des maires. Après les élections municipales, un certain nombre de programmes ont été gelés, voire abandonnés à la suite d’un changement de l’exécutif municipal. Chacun doit prendre ses responsabilités. À cet égard, je ne doute pas, madame la ministre, que vous pourrez nous mener très rapidement sur le chemin du « bien-logement ».