Intervention de François Commeinhes

Réunion du 5 février 2015 à 9h00
Débat sur la politique du logement

Photo de François CommeinhesFrançois Commeinhes :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le logement est au cœur des préoccupations des Français. Les pouvoirs publics ont multiplié les initiatives, ces dernières années, pour accroître la production de logements et en améliorer la qualité, parfois au prix de dispositifs coûteux, devenus hors de portée pour le budget de l’État ou des collectivités territoriales en période de crise. La politique du logement est, en vérité, de plus en plus complexe, au croisement de multiples enjeux.

Maire d’une commune moyenne, j’ai eu à gérer à mon arrivée une situation mêlant dépeuplement du centre, absence de frange périurbaine, quartiers urbains contraints à la rénovation et à la requalification. Parce que l’offre y était inadaptée et insuffisante, les parcours résidentiels des populations fragiles autant que des classes moyennes étaient bloqués.

L’urbanisme et le logement en France ont plus souffert de l’empilement des normes que bénéficié d’un souffle libérateur des initiatives.

La multiplication des objectifs assignés au secteur du logement et les difficultés de hiérarchisation entre ces derniers soulèvent un problème d’intelligibilité et d’efficacité socio-économique du droit. Et c’est encore plus vrai en période de sortie de crise. Une importante production normative peut rendre le droit inaccessible aux ménages, ou inapplicable pour les professionnels. En outre, elle complexifie son évaluation par les acteurs administratifs et politiques.

Dans son rapport relatif à la mise en œuvre de la loi portant engagement national pour le logement de 2006, ou loi ENL, l’Assemblée nationale, après avoir remarqué que « l’on peut s’interroger sur la sécurité juridique de dispositifs législatifs modifiés tous les deux ans, voire tous les ans », concluait à l’impossibilité d’en évaluer les effets. Alors même que l’objectif de 500 000 constructions annuelles n’est actuellement pas atteint, les normes augmentent le coût unitaire du logement. Ce surcoût menace la politique de l’accession au logement.

Loin de venir casser cette dynamique, la loi Duflot n’a fait qu’amplifier ce mouvement, sans que la loi rectificative défendue par vous-même, madame la ministre, vienne rétablir un équilibre brisé depuis bien longtemps.

Le plan de relance pour le logement annoncé le 29 août 2014 est ensuite venu bouleverser la politique menée jusqu’alors par le Gouvernement. Une fois de plus, une énième loi-cadre est détricotée, en un temps record cette fois-ci. Nous pouvons seulement regretter le temps perdu à débattre de dispositions aujourd’hui mises sur la touche et l’occasion manquée d’engager un vrai dialogue avec les territoires.

Malgré l’adoption de diverses lois et mesures de décentralisation depuis vingt-cinq ans, la conduite des politiques du logement est restée en France une responsabilité de l’État. Aujourd’hui encore, malgré un contexte national et européen en pleine transformation, la France demeure l’un des pays les plus centralisés en ce qui concerne la conduite des politiques du logement.

Après vingt-cinq ans de ces politiques de transfert, l’État cherche aujourd’hui encore à garder un rôle de programmation et d’évaluation, laissant la responsabilité de l’exécution et de la gestion des fonds aux collectivités locales. Il continue à fixer le montant des enveloppes d’aides financières allouées au logement et à décider de leur répartition territoriale.

De même, la politique des « agences » va dans le sens inverse de l’autonomie et de la définition locale des politiques. L’Agence nationale pour la rénovation urbaine n’accorde en effet des fonds aux collectivités que si leurs projets concordent avec l’esprit des plans mis en œuvre.

Par ailleurs, la part croissante des aides fiscales à la construction a une influence croissante sur les marchés locaux du logement. Or ces aides, nationales et déterritorialisées, constituent un facteur de plus sur lequel les collectivités locales n’ont pas de prise. En outre, ces aides, qui ne prennent pas en compte les programmes locaux de l’habitat et qui n’ont que très peu de contrepartie sociale, sont aujourd’hui très critiquées dans un marché de l’habitat en crise.

La crise de la production de logements révèle une crise de la décision entre le national et le local.

C’est pourquoi il me paraît urgent d’envisager de nouvelles mesures qui permettraient d’impulser une vision du logement au plus proche des réalités locales, rationalisant l’existant et décentralisant le possible.

Ainsi que je m’en suis déjà ouvert, je considère que certains dispositifs sont encore décentralisables, à l’instar du récent transfert par contractualisation des « aides à la pierre ». La « participation des employeurs », collectée localement, pourrait aussi être mutualisée entre les autorités organisatrices, sous l’égide de la métropole ou des EPCI, l’Agence nationale de contrôle du logement social, établissement public à caractère administratif institué par la loi ALUR, pouvant, quant à elle, être responsable de la collecte de ces fonds et du contrôle de leur utilisation. Il s’agirait ainsi d’élargir le champ de la convention de délégation introduite par la loi ALUR, pour aboutir à une véritable décentralisation de la participation des employeurs à l’effort de construction – l’ancien « 1 % logement » –, selon un processus proche de la délégation du dispositif « d’aide à la pierre » aux mêmes EPCI. Ce serait un premier pas qui permettrait ensuite d’aller plus loin dans la décentralisation des aides à la personne.

Un second objectif est de favoriser la cohérence entre les différents outils de planification, en cherchant à s’appuyer sur des secteurs pertinents à l’échelle de véritables bassins de vie.

À ce jour, les objectifs qualitatifs en matière de construction de logements sont insuffisamment pris en considération, de même que leur adaptation aux spécificités territoriales.

Pour nos territoires, il convient aussi de réorganiser et de renforcer l’ingénierie territoriale au service du logement. Les démarches d’ingénierie sont de plus en plus complexes : pluridisciplinarité des sujets, acteurs multiples, échelles qui s’entrecroisent, technicité accrue, etc. Les mécanismes d’ingénierie doivent donc être reconfigurés.

Enfin, comme l’ont conclu le président Gérard Larcher et les présidents respectifs de l’Association des maires de France, François Baroin, de l’Assemblée des départements de France, Claudy Lebreton, et de l’Association des régions de France, Alain Rousset, en constituant la conférence des collectivités territoriales, le Gouvernement doit faire évoluer la relation de l’État aux collectivités vers plus de confiance, plus de responsabilité et plus de liberté, à un moment où la France a besoin de libérer l’initiative et de rapprocher la décision publique des citoyens.

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