Intervention de Pascal Allizard

Réunion du 5 février 2015 à 9h00
Débat sur la transparence dans le transport aérien

Photo de Pascal AllizardPascal Allizard :

En effet, chaque pilote doit créer une société à son nom. Il va de soi que les conditions d’embauche, si l’on peut utiliser ce terme, sont à prendre ou à laisser. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que le taux de renouvellement du personnel navigant soit très élevé.

Faut-il y voir une sorte de garde-fou contre les abus de dumping social ? Pas du tout, car cet « employeur » réussit même à gagner de l’argent sur le dos de ses employés, là où tous ses concurrents subiraient des coûts supplémentaires. Comment fait-il ? La solution est simple : il suffisait de penser à leur faire supporter le coût de leur formation ! Le statut permet non seulement de faire des économies, mais aussi d’encaisser des recettes. Tout pilote de Ryanair verse chaque année plus de 4 000 euros à la compagnie pour maintenir sa qualification. Ce sont au total 8 millions d’euros que les employés paient ainsi à l’employeur.

Qu’en est-il des quelque 5 200 hôtesses et stewards de la compagnie ? La formation professionnelle leur coûte en moyenne 3 000 euros, versés à Ryanair ! L’attractivité des emplois étant ce qu’elle est, les intéressés ne restent guère plus d’un an, mais, moyennant des conditions de travail totalement exorbitantes du droit commun, le recrutement devient une affaire assez rentable.

Que la société ait été condamnée à Marseille le 2 octobre 2013 pour travail illicite n’a rien changé. Une seule conséquence a été tirée de cette condamnation : aucune base de Ryanair ne sera ouverte en France. Dont acte.

Le véritable sésame du bénéfice dégagé par Ryanair paraît être son premier commandement : « Des subventions publiques toujours tu moissonneras ». La récolte obtenue a transmuté l’économie libérale en entreprise assistée !

Jugez-en plutôt : avec un montant total estimé à 800 millions d’euros en 2012, soit 25 % de son chiffre d’affaires, les aides publiques attribuées à cette compagnie étaient supérieures à son bénéfice, qui s’est établi à 569 millions d’euros. Il est vrai que cette société est l’entreprise privée la plus généreusement subventionnée au monde.

En clair, la plus grande société low cost de la planète, celle qui s’est le plus développée au cours de la dernière décennie dans le ciel de l’Union européenne et ailleurs, celle qui se veut emblématique du futur de l’aviation civile dans une économie de marché sans frontières, est portée à bout de bras par les finances publiques des États qu’elle dessert, ou, plutôt, des États où elle se sert dans les poches des contribuables ! À défaut, elle devrait abandonner quasiment toute activité, pour en revenir à sa taille d’avant la collecte systématique de subventions.

Cette situation trouve son origine dans l’un des éléments qui formaient le modèle de la première compagnie low cost : utiliser des aéroports que les grandes compagnies délaissent. Adopté par Southwest pour réduire ses prix de revient, ce positionnement est détourné en stratégie pour capter des aides publiques. Ces aides forment aujourd’hui la totalité du bénéfice de Ryanair, un bénéfice que cette société destine exclusivement à ses actionnaires, puisqu’elle a porté l’évaporation fiscale à une sorte de plénitude.

Nous arrivons ainsi au deuxième commandement de Ryanair : « Aux recettes publiques jamais tu ne contribueras ». De la délocalisation fiscale des subventions en passant par de prétendus frais de location, tout y passe !

Commençons par la « masse maximum au décollage » des avions, un problème repéré par les autorités allemandes en décembre 2012. Les redevances dues aux aéroports par les compagnies aériennes prennent notamment en compte ce critère. Modifier à grande échelle ce paramètre permet d’économiser plusieurs millions d’euros chaque année. Autant de millions qui devront être acquittés par les autres compagnies aériennes ou qui pèseront indirectement sur les finances des collectivités publiques équilibrant les comptes de la plateforme aéroportuaire.

Le fisc italien, de son côté, a révélé en janvier 2013 une fraude à la comptabilisation de la valeur ajoutée, donc à la TVA. Finalement, Ryanair a accepté de payer les taxes en Italie. Fort bien pour ce pays, mais qu’en est-il en France ? A-t-on vérifié que les écritures comptables étaient au moins correctement passées ?

Au demeurant, les pratiques comptables de Ryanair prennent des libertés avec la vérité économique, puisque cette compagnie enregistre des « charges de location » pour les avions qu’elle possède, via des filiales dont la localisation ne doit pas grand-chose aux lignes utilisées.

En effet, ces filiales se trouvent sur l’île de Man, dans l’État du Delaware ou à Chypre. Une filiale est créée pour chaque avion. La localisation favorite est constituée par l’État du Delaware, dont la particularité semble extrêmement séduisante : une société n’y est pas imposable pour les activités qu’elle assume à l’extérieur de ses frontières.

Ainsi, le prétendu coût des prétendues locations permet de diminuer la valeur ajoutée calculée ici, de même que l’assiette très résiduelle d’un hypothétique impôt sur les sociétés, alors que les produits très réels, eux, sont encaissés par des filiales que le choix d’adresses fiscalement agréables met là aussi à l’abri de toute contribution aux finances publiques de quelque pays que ce soit !

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