Intervention de Michel Vaspart

Réunion du 5 février 2015 à 9h00
Débat sur la transparence dans le transport aérien

Photo de Michel VaspartMichel Vaspart :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les grandes compagnies aériennes européennes sont aujourd’hui confrontées à de multiples défis.

L’environnement institutionnel est en pleine mutation, par l’effet de la mondialisation des échanges et de l’essor des puissances émergentes. La concurrence se développe, tant sur le court et le moyen-courrier, à l’échelle des continents, que sur le long-courrier à travers le monde. Les besoins de financement sont considérables dans une activité fortement capitalistique, où tout retard dans la modernisation de la flotte se traduit par une perte de compétitivité.

La redistribution des cartes entre compagnies aériennes a débuté aux États-Unis avec la déréglementation et s’est étendue à l’Europe. Aujourd’hui, de nouveaux acteurs émergent, venant de zones géographiques en pleine croissance. Parmi les géants actuels, certains sont de création récente et ont connu une progression fulgurante.

L’époque où l’avion était le moyen de transport d’une élite, pionnière et aisée, est révolue. Le transport aérien s’est démocratisé, et nous ne pouvons que nous en féliciter. Cependant, les termes de la concurrence ont également changé : le moyen-courrier est devenu low cost et le long-courrier est un marché que les compagnies aériennes du Golfe veulent conquérir et conquièrent par des offres commerciales agressives.

Plusieurs de nos voisins ont vu leur compagnie porte-drapeau perdre son autonomie, voire disparaître. Trois pays, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont réussi jusqu’à présent à conserver leur compagnie historique. Chacune des compagnies de ces pays s’est renforcée et a construit une alliance avec des partenaires du monde entier. Cependant, leurs difficultés, notamment financières, sont réelles.

Monsieur le secrétaire d’État, le choix de nos politiques publiques aura un impact incontestable sur leur avenir. Nous devons donc nous assurer que les conditions de cette concurrence soient équitables, tant à l’intérieur de l’espace européen qu’entre compagnies européennes ou extraeuropéennes. Tel n’est, malheureusement, pas le cas.

La déréglementation et l’ouverture à la concurrence ont donc conduit certaines compagnies porte-drapeaux à faire faillite ou à se regrouper. Ce mouvement de concentration se poursuit aujourd’hui, sous l’effet de la conjoncture économique défavorable. De plus, la pression concurrentielle est exercée par des compagnies à bas coût, mais également par des compagnies non européennes, qui peuvent tirer parti de subventions déguisées ou de pratiques déloyales.

L’exemple des compagnies du Golfe illustre parfaitement ce point. Ces compagnies sont mues par une stratégie d’État qui les fait bénéficier d’infrastructures facturées à un coût marginal et d’un environnement fiscal, social et réglementaire totalement différent de celui qui prévaut en Europe. De plus, certaines d’entre elles bénéficient d’aides directes considérables.

Les compagnies Delta Airlines, United Airlines et American Airlines indiquent ainsi avoir identifié près de 40 milliards de dollars d’aides directes de la part des Émirats arabes unis et du Qatar à leurs transporteurs.

Nous pouvons estimer que les compagnies aériennes européennes auront perdu près de 30 millions de passagers, soit l’équivalent de l’activité correspondant à l’utilisation de trente Airbus A380, qui auraient pu être basés en Europe.

Ces développements, monsieur le secrétaire d'État, conduiront à la destruction de 30 000 emplois en France et de plus d’un milliard d’euros de charges sociales non perçues si nous ne faisons rien.

J’évoquerai ici le cas de Ryanair. Cette compagnie low cost est aujourd’hui un acteur majeur du ciel européen. Alors que le secteur aérien connaît une crise sans précédent, ses résultats contrastent avec ceux des grandes compagnies européennes en perte de vitesse.

En réalité, lorsqu’on s’intéresse de plus près à ses chiffres, on constate que Ryanair est bien plus qu’une simple compagnie : en effet, la vente de billets ne représente qu’une part assez réduite de ses recettes. L’essentiel de son business repose aujourd’hui sur des financements publics, le non-respect de la législation sociale applicable en Europe et une large optimisation fiscale qui lui confèrent un avantage concurrentiel déloyal indéniable.

Je ne veux pas revenir sur le détail des méthodes de Ryanair, qu’a exposé mon excellent collègue Pascal Allizard, mais j’ai envie de vous demander, monsieur le secrétaire d'État : que fait l’Europe ? Est-ce une concurrence loyale et acceptable ? La réponse est évidemment non ! Il nous paraît urgent de dénoncer ces pratiques pour que l’ensemble des acteurs de l’aérien soit sur un même pied d’égalité.

Enfin, je souhaite aborder la question des taxes et redevances aéronautiques.

Les compagnies aériennes versent des taxes et des redevances aéronautiques destinées au financement du contrôle aérien, des infrastructures, de la sécurité et des services aéroportuaires. Ces services ont la particularité de faire l’objet d’une régulation : leur coût, ainsi que le choix du fournisseur sont imposés à la compagnie.

Or, dans les aéroports parisiens – Orly et Roissy –, les redevances ont augmenté deux fois plus vite qu’à Amsterdam entre 2005 et 2013. Pour Air France, cette situation est handicapante, car elle dégrade la position concurrentielle de son hub. Au total, le groupe Air France-KLM a versé, en 2013, quelque 4, 2 milliards d’euros de taxes et redevances pour un chiffre d’affaires de 25, 5 milliards d’euros.

C’est en Europe que le coût d’accès à l’infrastructure est le plus élevé. Ces dix dernières années, l’augmentation a été supérieure à l’inflation, ce qui a fragilisé l’équilibre économique et la croissance de nos compagnies européennes. Dans certains pays du Moyen-Orient, les infrastructures sont alors financées par l’État, et les redevances sont deux à trois fois plus faibles.

Aujourd’hui, le transport aérien a la rentabilité la plus faible dans la chaîne de valeur, bien en deçà des constructeurs et des aéroports. Pourquoi ? Nous ne pouvons pas pénaliser plus longtemps les transporteurs, alors même que ce sont eux qui permettent aux infrastructures d’exister. Il en est de même pour les constructeurs aéronautiques et leurs sous-traitants.

Les redevances aéroportuaires font généralement l’objet d’un contrat de régulation économique signé entre l’exploitant et l’État.

Selon ce dispositif, les charges ont augmenté à Paris de 30 % en huit ans. Au même moment, les résultats d’ADP, Aéroports de Paris, sont en constante augmentation depuis 2011, car les redevances sont régulées non plus selon le principe de la caisse unique, mais selon le principe de la caisse aménagée. Pourtant, il y aurait à dire sur la qualité de la prestation d’ADP, notamment à Roissy ! Mais nous sommes dans une situation de monopole et de répartition des marges totalement injustes.

En d’autres termes, les activités très rentables de commerce et de restauration – dégageant une marge de plus de 50 % – ne participent plus à la détermination du niveau des redevances. Ce modèle conduit mécaniquement à des augmentations de l’ordre de 3 % par an.

Une réintroduction des activités non aéroportuaires dans le périmètre régulé ou simplement une contribution des activités commerciales au financement des infrastructures permettrait de ne plus faire peser la totalité des charges sur les compagnies.

Certaines taxes sont supérieures aux coûts réels du service, comme la taxe de l’aviation civile, dont 19 % sont réinjectés au budget de l’État, soit près de 80 millions d'euros par an.

D’autres taxes, du fait de leur spécificité française ou européenne, sont assimilables à un impôt qui fragilise les compagnies face à la concurrence mondiale. C’est le cas de la taxe sur les nuisances sonores et de la taxe de solidarité, qui rapporte 165 millions d’euros par an. Le tiers des recettes provient de la seule compagnie Air France-KLM !

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