Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’image que nous avons du transport aérien ne reflète pas sa contribution réelle à l’économie française. Celui-ci représente plus de 2 % du produit intérieur brut français et emploie 78 000 personnes – 150 000 même si l’on inclut dans le périmètre les fournisseurs de premier rang.
Dans le « ciel mondial », la France possède d’importants atouts grâce à son « triple A » : un grand constructeur d’avions, une grande compagnie nationale et le plus grand groupe aéroportuaire du monde. Pourtant, si le trafic aérien de passagers touchant la France a connu une croissance soutenue ces dix dernières années, de quelque 41 %, force est de constater que celle-ci profite avant tout aux transporteurs étrangers.
Mes chers collègues, en décembre dernier, en tant que rapporteur pour avis de la commission du développement durable sur les crédits relatifs aux transports aériens, j’avais déjà eu l’occasion de vous faire part de certains des dangers qui pèsent sur le transport aérien européen, en particulier français, ainsi que de mes interrogations sur les conditions dans lesquelles s’exerce la concurrence dans ce secteur.
S’agissant de cette concurrence, on peut dire qu’elle s’est fortement développée, au fil des années, tant sur le court et le moyen-courrier, à l’échelle des continents, que sur le long-courrier, à travers le monde. « Par le bas », avec les compagnies low cost, puis « par le haut », avec les compagnies du Golfe. Dans ce contexte, on voit bien qu’il est primordial d’assurer des conditions de concurrence équitables entre les acteurs, tant à l’intérieur de l’espace européen qu’entre compagnies européennes et non européennes.
Alors que la Commission européenne devrait veiller au respect des règles, on peut déplorer que le champ de son contrôle ne couvre qu’une partie seulement des conditions de la concurrence et que, même à l’intérieur de ce champ, son contrôle n’apparaisse pas suffisamment exigeant pour lutter contre la concurrence déloyale et le dumping social.
Ainsi, en février dernier, la Commission européenne adoptait de nouvelles lignes directrices sur les aides publiques en faveur des aéroports et des compagnies aériennes. En se montrant globalement ouverte aux aides publiques en faveur des aéroports régionaux, y compris les plus petits, elle avait pour ambition de garantir les connexions entre les régions et la mobilité des citoyens européens, tout en réduisant le plus possible les distorsions de concurrence.
Pourtant, elle n’a pas mesuré combien des compagnies abusent de leur position dominante sur certains aéroports régionaux en vue d’obtenir moult facilités qui améliorent artificiellement leur position concurrentielle. Elle n’a pas pris la mesure non plus de la situation de dépendance dans laquelle se trouvent les aéroports confrontés à une augmentation progressive du niveau des aides demandées par les compagnies, avec chantage à la suspension du service, sans parler d’autres pratiques abusives, comme la mise en concurrence des territoires.
De même, la Commission européenne n’a pas souhaité prévoir de contrepartie à l’octroi de ces aides publiques, pas même en matière de respect des règles sociales, alors que cette question sociale est centrale lorsque l’on parle de transparence et d’équité dans le secteur du transport aérien.
En 2013, une étude de la DGAC révélait que le coût horaire d’un personnel navigant français, après correction des écarts de niveaux de vie, est plus élevé de 20 % à 60 % en France que dans les autres pays européens. Cette distorsion de concurrence a entraîné une décroissance de 1 % à 2 % par an depuis dix ans de la part de marché du transport aérien français, y compris sur les liaisons entièrement domestiques.
L’impact d’une telle situation sur l’emploi en France est immédiat : une compagnie qui n’est pas basée sur notre territoire engendre deux fois moins d’emplois qu’une compagnie installée en France. On le voit, lorsque les conditions de la concurrence ne sont pas équitables, les conséquences économiques et sociales peuvent se révéler très lourdes.
L’équité suppose que les compagnies n’évoluent pas dans des contextes fiscaux et sociaux si éloignés que la concurrence s’en retrouve faussée. Pourtant, avec la libéralisation progressive du secteur, et plus particulièrement l’émergence des compagnies low cost, c’est un dumping social à grande échelle qui s’est organisé.
En effet, afin de contourner la réglementation européenne et les incidences salariales de la notion de base d’affectation, certaines compagnies, principalement low cost, ont généralisé le recrutement de faux travailleurs indépendants pour composer leurs équipages. De la même manière, certaines utilisent le mécanisme des faux détachements et des fausses bases d’affectation pour frauder la sécurité sociale.
Face à de tels agissements, il apparaît indispensable d’interdire toute aide publique aux compagnies ne respectant pas la réglementation européenne, sauf à tolérer que de telles subventions puissent financer la concurrence déloyale et le dumping social.
Mes chers collèges, on apprenait la semaine dernière que Dubaï s’était imposé comme le premier aéroport au monde devant Londres, avec plus de 70 millions de passagers internationaux en transit en 2014, ce qui m’amène à évoquer les compagnies du Golfe.
Grâce à leur situation géographique idéale, au carrefour de l’Europe, de l’Afrique et de l’Asie, ces compagnies ont réussi à « siphonner » une grande part de trafic des autres compagnies. Là encore, nous sommes face à un cas de concurrence déloyale, tant les compagnies du Golfe sont mues par une stratégie d’État, grâce à laquelle elles bénéficient d’infrastructures facturées à un coût marginal, d’un environnement fiscal, social et réglementaire totalement différent de celui qui prévaut en Europe, ainsi que d’aides directes considérables.
En effet, les compagnies du Golfe ne semblent soumises à aucune obligation de rentabilité, leur seul objectif étant le rayonnement de l’image de leur pays. Elles sont très largement subventionnées par leurs États : infrastructures pharaoniques gratuites, taxes et redevances réduites à un niveau purement symbolique, financement des achats d’avions à des conditions exceptionnelles...
À proximité des champs pétrolifères, elles bénéficient, en outre, de carburant dans de très bonnes conditions tarifaires. S’y ajoutent l’absence de charges sociales et les conditions très éloignées de nos standards sociaux dans lesquelles travaillent certains de leurs employés. Pour toutes ces raisons, il est tout à fait essentiel que les autorités françaises n’accordent pas de droits de trafic supplémentaires aux transporteurs subventionnés du Golfe.
La transparence, mes chers collègues, c’est aussi la bonne information des consommateurs-passagers et l’assurance que ces derniers voyagent en toute sécurité.
Sur la question de la sécurité des passagers, on sait, par exemple, que toutes les compagnies font attention au carburant qu’elles emportent : plus l’avion est lourd, plus il consomme. Cela dit, le cost killing de certaines compagnies low cost peut les conduire à s’aventurer aux confins du territoire sacré de la sécurité. Nous nous souvenons tous de ces avions de compagnies low cost contraints d’atterrir d’urgence, faute de carburant. Là aussi, une plus grande transparence et une meilleure information sur le sujet permettraient de dissiper les craintes légitimes qui s’expriment depuis plusieurs années.
S’agissant de la nécessaire bonne information des consommateurs-passagers, je souhaiterais évoquer la question de l’opacité dans l’affichage tarifaire des comparateurs de prix.
Ces comparateurs créent non seulement une distorsion de concurrence à l’encontre des compagnies aériennes et des distributeurs qui respectent la réglementation, mais aussi, et surtout, un préjudice pour les consommateurs, ces derniers n’étant pas réellement en mesure de comparer les prix des billets d’avion en ligne et d’obtenir, le cas échéant, le meilleur prix.
Pourtant, depuis 2008, un règlement communautaire fixe des règles précises en matière d’affichage tarifaire dans le transport aérien. Toutefois, en pratique, l’affichage tarifaire dans les comparateurs de prix se révèle bien souvent trompeur.
Il conviendrait vraiment de mettre un terme aux mauvaises pratiques, telles que la dissimulation de frais de service, comme les frais de gestion, d’émission et de réservation, l’ajout de frais pour paiement par carte de crédit en fin de processus de réservation ou encore la présélection d’options payantes, telles les assurances voyage.
Enfin, j’aborderai le sujet de la privatisation programmée de nos aéroports.
Les aéroports sont des infrastructures de transport essentielles à l’aménagement du territoire et au développement économique. Au même titre que celles de l’énergie, ces infrastructures sont stratégiques, parce qu’elles constituent un facteur majeur de l’attractivité de la France, donc de sa compétitivité, et qu’elles sont au cœur de la souveraineté du pays.
Monsieur le secrétaire d'État, j’avais déjà, en fin d’année, fait part de mes vives inquiétudes lorsque l’État a cédé à deux investisseurs chinois aidés du canadien SNC-Lavalin une participation de 49, 9 % sur les 60 % qu’il détient au total dans le capital de la société d’exploitation de l’aéroport Toulouse-Blagnac. Cette cession est assortie d’une option sur les 10, 1 % restants à valoir dans les trois ans. Car, même en occultant la proximité du siège d’Airbus et le risque d’espionnage industriel, même en évacuant la polémique autour de la domiciliation fiscale des investisseurs chinois, je ne pouvais que m’interroger sur l’opportunité de privatiser nos aéroports, qui sont des monopoles naturels.
Aujourd’hui, par l’article 49 du projet de loi pour la croissance et l’activité, actuellement en discussion à l’Assemblée nationale, le Gouvernement prévoit la privatisation des sociétés Aéroports de Côte d’Azur et de Lyon, respectivement deuxième et quatrième société aéroportuaire française.
Ces sociétés sont, par leur poids stratégique, un enjeu majeur pour la nation. Lyon est l’un des principaux carrefours commerciaux du pays et la Côte d’Azur une destination touristique de premier plan national et mondial. Dotés d’infrastructures au service de leur efficacité, ces aéroports sont rentables et constituent un bien précieux pour l’État et, de fait, pour le peuple français.
Nous sommes en train de céder progressivement des infrastructures critiques, qui ont une valeur inestimable pour la compétitivité et l’attractivité de nos territoires, bien au-delà des quelques centaines de millions d’euros qu’elles permettront à l’État, à court terme, de récupérer. Veillons à ce que tout cela n’aboutisse pas à brader notre patrimoine, réduire le service public, maximiser les profits des sociétés bénéficiaires de ces privatisations et, in fine, aggraver le déficit public. Le précédent des privatisations autoroutières devrait conduire le législateur à la plus grande prudence en la matière…
Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, prenons garde à ne pas envoyer le signal d’une capitulation des intérêts économiques de la France !