Intervention de Philippe Bonnecarrere

Réunion du 5 février 2015 à 15h00
Modernisation du secteur de la presse — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié, amendement 4

Photo de Philippe BonnecarrerePhilippe Bonnecarrere, rapporteur :

Le texte qui nous est proposé ne mérite donc ni louanges ni excès de critiques. Il constitue une étape, qui vise d’abord à résoudre des problèmes ponctuels. C’est en ayant à l’esprit cette caractéristique que la commission de la culture l’a examiné, faisant le choix de ne pas en modifier le périmètre. Si le délai de trois semaines dont nous avons disposé ne nous permettait pas d’envisager un texte plus ambitieux, nous avons apporté des améliorations réelles et favorisé la recherche d’un accord avec l’Assemblée nationale.

Nous avons suivi deux axes : nous avons d’abord effectué un travail de synthèse entre les acteurs et la rédaction issue de l’Assemblée nationale ; nous avons ensuite réalisé un travail d’approfondissement de ce texte, nous attachant, conformément au souci bien connu du Sénat, à une bonne qualité d’écriture du texte de loi.

Je ne reprendrai pas, après que Mme la ministre l’a fort bien fait, l’exposé de la proposition de loi. Je rappellerai simplement que ce texte est lié aux engagements pris par le Gouvernement de mettre en conformité le statut de l’Agence France-Presse avec le droit européen avant le 27 mars 2015. C’est cette date butoir qui explique la brièveté du temps qui nous a été imparti pour l’examiner.

Je profite de cette occasion pour donner acte au Gouvernement de la qualité de ses échanges intervenus avec la Commission européenne. Dans l’approche du dossier de l’AFP, la Commission européenne a fait preuve de beaucoup de tact, de mesure et de pondération. La réponse donnée par le Gouvernement, les engagements qu’il a pris au nom de notre pays me paraissent parfaitement adaptés – je le dis après avoir pris une connaissance aussi approfondie que possible des documents fort longs qui nous ont été transmis.

Les autres dispositions de la proposition de loi ont été ajoutées afin de profiter de la fenêtre législative. C’est le cas, par exemple, des dispositions relatives à la modernisation de la gouvernance de l’AFP. Ces dispositions, qui ont fait l’objet d’un rapport du député Michel Françaix remis au Premier ministre, sont reprises d’une proposition de loi déposée en mai 2011 par notre collègue Jacques Legendre, que je salue ; il s’était beaucoup investi dans la rédaction de ce texte, et David Assouline y avait également apporté sa contribution.

Si je rappelle cette antériorité de notre commission, c’est pour mieux justifier le fait que la proposition de loi que nous examinons comprend des mesures devenues, me semble-t-il, largement consensuelles, sauf sur un ou deux points. La commission s’en est d’ailleurs fait l’écho, puisque la quasi-totalité de ces dispositions ont été adoptées, sinon à l’unanimité, tout du moins à une très large majorité, émanant de tous les groupes.

Les propositions de la commission concernant l’AFP se limitent à deux aspects.

Le premier est relatif au profil des cinq personnalités qualifiées. Nous sommes restés raisonnables : nous ne proposons aucune modification des dispositions adoptées à l’Assemblée nationale. Nous souhaiterions cependant que ces cinq personnalités puissent justifier d’une véritable expérience au niveau européen ou international. Il est en effet paradoxal que le conseil d’administration d’une agence de presse mondiale soit à 100 % franco-français ! Nous proposons donc qu’au moins trois de ces personnalités soient de nationalité étrangère, ou bien, si elles sont françaises, qu’elles puissent justifier d’une expérience au niveau européen – l’AFP a un grand rôle à jouer pour rendre compte aux citoyens du monde entier des discussions menées à Bruxelles ou à Strasbourg ! – ou international.

Le second aspect vise à constituer un véritable contre-pouvoir, dont je soulignerai le caractère indispensable, au sein de l’entreprise, face au conseil d’administration et à son président. L’objectif est de mieux distinguer ce qui relève des fonctions de direction de ce qui incombe normalement aux organes chargés de la supervision et de la définition de la stratégie.

L’APF est une maison qui n’est dotée d’aucune supervision. J’ai été étonné, je dois l’avouer, par la faiblesse de ses instances de direction. Ainsi, son conseil d’administration se réunit seulement deux fois par an. Quant au conseil supérieur, il se réunit une fois par an – peut-être s’est-il déjà réuni deux fois au cours d’une année, mais personne n’en a gardé le souvenir – pour examiner, tout au plus, une plainte déposée par un « usager », mot qui désigne non pas un usager de l’information, mais un client de l’AFP. Or si un client de l’AFP n’est pas d’accord, il se désabonne, ce qui ne s’est produit qu’à cinq reprises depuis 2010.

Vous l’avez compris, mes chers collègues, cette situation ne peut plus durer. Il n’est pas possible que cette maison ne dispose d’aucun lieu où sa stratégie serait exposée, examinée et contrôlée.

Le financement du plan d’investissement, lequel s’élève à 30 millions d’euros, via la création d’une filiale de moyens qui pourra emprunter à hauteur de 26 millions d’euros, aura pour conséquence de porter l’endettement de la société à un niveau jamais atteint par le passé. Parallèlement, les choix d’investissement de l’AFP ne feront l’objet d’aucun examen contradictoire. J’ajoute que, selon les propres dires du président de sa commission financière, la situation de l’Agence n’est pas bonne et son résultat sera négatif en 2014.

J’y insiste : il faut bien avoir à l’esprit que l’AFP, qui est endettée et dont les fonds propres sont négatifs, pourra, grâce à la création de cette filiale de moyens, emprunter 26 millions d’euros supplémentaires. C’est de la déconsolidation pure et simple de dette, mais cette dette pèsera tout de même sur l’Agence, qui aura l’honneur et l’avantage de la rembourser en acquittant des redevances à sa filiale de moyens ainsi que de la TVA, ce qui représente une majoration de la charge d’intérêts.

On se souvient que, pour trouver de la trésorerie, l’Agence a déjà recouru à un crédit-bail immobilier, dit aussi lease-back, sur son siège. Mis à part le partenariat public-privé, je n’ai pas trouvé de moyen connu de déconsolidation de dette que n’aurait pas utilisé l’AFP !

En faisant ce constat, votre commission souhaite vous alerter, mes chers collègues, ainsi que le Gouvernement, sur le fait que l’AFP a besoin non pas tant d’une nouvelle gouvernance que d’une gouvernance « véritable », qui permette de nouvelles pratiques dans la gestion de la société.

Nous savons que les personnels sont très attachés à leur entreprise et conscients de la nécessité de faire évoluer la situation tout en garantissant l’indépendance de l’Agence. Votre commission propose donc de fusionner le conseil supérieur et la commission financière, afin de créer une véritable « commission de surveillance » de l’AFP. Cette commission reprendra les missions relatives à la déontologie et au contrôle financier des deux structures fusionnées, car il conviendra de respecter les engagements pris par la Commission européenne. Elle pourra surtout, sur le modèle de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations, ou encore de l’instance chargée de la gestion au sein des centres hospitaliers, discuter de la stratégie de l’Agence.

J’ai bien entendu la réserve que vous avez exprimée, madame la ministre : selon vous, expertiser ce dispositif prendra du temps. Or, du temps, je ne crois pas que vous en disposiez. En effet, si le programme d’investissement de 30 millions d’euros – lequel nécessitera, je le rappelle, un emprunt supplémentaire de 26 millions d’euros – devait se solder par un échec, vous seriez privée de toute autre solution : les moyens destinés aux missions d’information générale que l’État peut financer ont été dépensés, sous le contrôle de la Commission européenne, et nous n’avons pas la possibilité de faire un apport en capital au bénéfice de l’Agence.

Vous n’avez donc aucun droit à l’échec. Seules deux solutions s’offrent à vous : soit le modèle de gouvernance choisi comprend un président et un conseil d’administration, soit il comprend un directoire et un conseil de surveillance. D’aucuns pourront me rétorquer que le conseil de surveillance n’est pas la bonne solution. Si celle-ci n’était pas retenue, il faudrait mettre en place un véritable conseil d’administration. Or ce conseil d’administration n’existe pas et n’existera jamais !

Tout d’abord, le pouvoir de nomination des présidents de l’AFP ne revient pas au conseil d’administration, sinon sur un plan purement juridique. Chacun sait, en effet, que ce pouvoir relève d’instances politiques.

Ensuite, le conseil d’administration n’a aucun pouvoir de révocation.

Quant à l’actionnaire principal – permettez-moi d’employer ces termes, bien que l’AFP ne dispose pas d’un capital –, c’est-à-dire l’État, il ne siège pas au sein du conseil d’administration. La situation de l’Agence ne sera donc jamais celle de la SNCF ou d’EDF, entreprises auprès desquelles l’État prend ses responsabilités.

Il n’y aura donc pas de véritable conseil d’administration au sein de cette entreprise, pour la raison de principe suivante : l’AFP est une agence d’information mondiale. Qui, de par le monde, achèterait les informations diffusées par l’AFP – et c’est ce que nous souhaitons tous – si celle-ci devait ressembler à l’agence Tass ou à l’agence Chine nouvelle, avec, à ses côtés, un État l’assistant, organisant, et siégeant à son conseil d’administration ?

Le principe, légitime, de l’indépendance de l’AFP, a donc pour corollaires les principes suivants : son actionnaire ne peut siéger au sein de son conseil d’administration ; ledit conseil est lui-même très faible ; la gouvernance de l’Agence est inexistante.

La commission a donc convenu, à la quasi-unanimité, que le conseil de surveillance était la solution à retenir. J’espère également vous en convaincre, madame la ministre.

Je précise que le président du conseil supérieur de l’Agence, le conseiller d’État Thierry Lefort, ainsi que celui de la commission financière, le conseiller maître à la Cour des comptes Daniel Houri, ont donné leur plein accord pour cette solution. La société des journalistes, la SDJ, qui représente la majorité des journalistes de la société, a fait part de son enthousiasme et le SNJ-AFP soutient également cette proposition. Même les syndicats d’employés dits « non-journalistes » de l’AFP, qui expriment quelquefois des positions divergentes, n’y sont pas opposés. Je remercie, encore une fois, les membres de la commission de nous avoir très largement soutenus. J’ai bien noté, en particulier, la forte approbation de nos collègues socialistes.

Concernant les dispositions relatives à la distribution de la presse, l’état des lieux n’est guère plus réjouissant. C’est pourquoi nous devons être vigilants afin de préserver l’indépendance de la presse et des journalistes, laquelle passe également par une modernisation de sa distribution et par une migration réussie, un basculement, vers le numérique. Je vous donne volontiers acte, madame la ministre, des indications fort pertinentes dont vous nous avez fait part sur ce sujet.

Je ne m’étendrai ni sur la diffusion de la presse « papier », qui est en chute libre, ni sur la situation économique pour le moins complexe de Presstalis et des Messageries lyonnaises de presse, les MLP. Ces deux entreprises, dont les relations sont apaisées, ont fait de gros efforts et restructuré leur activité. Les MLP ont aussi renouvelé leur gouvernance. Les deux groupes ont, par ailleurs, entamé un processus destiné à déployer une solution informatique commune. Le décroisement des flux logistiques est également en cours.

Dans le même temps, ces deux messageries connaissent une situation fort tendue en termes de trésorerie, bien que l’une déclare s’approcher de l’équilibre et l’autre d’un exercice bénéficiaire. Quoi qu’il en soit, sans les aides publiques, aucune ne serait en mesure de poursuivre son activité, toutes deux affichant des fonds propres négatifs, à hauteur de 8, 6 millions d’euros pour les MLP et de 181, 2 millions d’euros pour Presstalis.

En réalité, l’ensemble de la filière de distribution est en sursis. Ainsi, les kiosquiers disparaissent progressivement à force de paupérisation. Le montant moyen des commissions que leur reversent les messageries s’élève à 11 000 euros bruts annuels. Par ce chiffre, il faut comprendre non pas le revenu, mais le chiffre d’affaires avant paiement des charges et des rémunérations ! Je vous laisse juges, mes chers collègues, des difficultés de ce secteur...

À défaut du « grand soir », c’est-à-dire d’un texte plus large qui répondrait aux enjeux de l’évolution du modèle économique de la distribution, cette proposition de loi prévoit des évolutions utiles du modèle de régulation des messageries de presse. Je ne développerai pas ces évolutions, mais j’indique que nous avons salué l’article 1er en commission, qui donne une traduction législative au principe de la péréquation. Nous avons également soutenu la position de M. Françaix et du Gouvernement sur l’article 7, en prévoyant une mutualisation intelligente des moyens de distribution. Il est en effet proposé de dénouer les contrats d’exclusivité entre la presse quotidienne nationale et Presstalis, c’est-à-dire, concrètement, de permettre à la PQN d’utiliser les moyens de distribution de la PQR.

Il s’agit ici d’aider la presse quotidienne régionale, via l’amortissement de ses coûts de distribution et d’offrir à la PQN des possibilités nouvelles de bénéficier d’une distribution de qualité. Nous avons essentiellement proposé deux modifications, qui ont fait l’objet d’une approbation générale.

Nous avons modifié l’article 1er en vue de transférer à l’Autorité de régulation le soin d’homologuer les barèmes et prévu, en jouant sur les durées, quelques modalités complémentaires relatives au pouvoir de réformation. Je vous remercie, madame la ministre, de nous avoir donné acte du travail ainsi réalisé.

Lors de l’examen des articles, j’évoquerai différents sujets, notamment les questions que soulève l’article 15, celles qui sont relatives au comité d’entreprise, au pluralisme, la possibilité de défiscaliser des souscriptions au bénéfice des entreprises de presse lors de la discussion de l’amendement n° 4 de David Assouline, sous-amendé par le Gouvernement. Sur ces points, la commission a déjà donné son accord, et j’ai indiqué à nos collègues qu’ils pourraient compter sur mon soutien.

Au final, mes chers collègues, vous aurez compris que notre démarche a consisté à améliorer cette proposition de loi plutôt qu’à en contester le bien-fondé. Nous avons cherché à apporter une valeur ajoutée sénatoriale forte. Vous apprécierez si elle est bien à la hauteur de l’espérance et de la confiance que vous mettez traditionnellement dans le travail de la Haute Assemblée.

Nous souhaitons qu’un accord global puisse être trouvé sur ce texte au-delà des clivages politiques ; tel a d’ailleurs été le sens de la mission qui m’a été confiée. L’avenir de la presse le justifie, sans pour autant que celle-ci soit dispensée de son effort de modernisation.

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