Intervention de Robert Hue

Réunion du 5 février 2015 à 15h00
Modernisation du secteur de la presse — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Robert HueRobert Hue :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la liberté d’expression a été évoquée ce matin, dès le début de sa conférence de presse, par le Président de la République à propos des événements qu’a connus la France au début du mois de janvier avec la tragédie qui s’est produite dans les locaux du journal Charlie Hebdo. En 1789, la liberté de la presse était l’une des doléances les plus fréquentes, après celles qui concernaient les taxes et l’autorité politique des États généraux.

Plus de deux cents ans plus tard, celle qui est aussi appelée le « chien de garde de la démocratie », la presse, est confrontée à une crise majeure, qui touche quasiment tous les fondements de son édifice.

Cette crise est d’abord économique : face à la mutation du lectorat et à l’émergence de nouvelles sources d’accès à l’information, souvent gratuites, la presse écrite traditionnelle a bien du mal à tirer les marrons du feu et à convaincre de son utilité. Et pourtant…

Il s’agit ensuite d’une crise de confiance. Au mois de janvier 2014, une enquête IPSOS soulignait que, alors que seuls 21 % des Français déclarent ne pas avoir confiance dans l’armée ou 32 % dans l’école, ce pourcentage s’élève à 77 % pour ce qui concerne les médias. C’est un signe de défiance envers un traitement de l’information qui est parfois considéré, non sans raison, comme partial. Cette crise de confiance menace notre pacte républicain, puisque, avec la révolution numérique, elle laisse une place béante à la désinformation, voire à l’obscurantisme. Les événements qui ont eu lieu au début du mois dernier en témoignent dramatiquement.

Face à cette crise structurelle, tout l’enjeu réside donc dans la transformation de ce processus de destruction programmée en innovation créatrice. Car la révolution informationnelle, elle, est incontournable.

À ce titre, la proposition de loi soumise à notre examen, enrichie par la commission de la culture, ébauche une réflexion intéressante, bien qu’incomplète, sur la régulation du secteur. La réforme du fonctionnement du Conseil supérieur des messageries de presse ainsi que l’homologation des barèmes par ce dernier doivent permettre un plus grand respect des principes de transparence et de péréquation des coûts de distribution des quotidiens.

À l’heure où la presse écrite subit de plein fouet une baisse drastique de ses ventes, le mécanisme de péréquation inter-coopératives visant le financement de la distribution de la presse quotidienne nationale est plus que jamais en difficulté. Comme l’a fait remarquer le président de l’ARDP, il est largement détourné, dans la mesure où « les éditeurs les plus puissants entrent dans une stratégie de chantage avec les messageries afin d’obtenir les tarifs les plus avantageux, au détriment des éditeurs les plus modestes et les moins influents ».

Dans le même fil, nous saluons la création d’un statut d’entreprise solidaire de presse d’information, qui permettra de développer des modes de gestion à la fois démocratiques et participatifs au sein des organes de presse. Ce statut encouragera l’émergence de nouveaux titres et favorisera leur viabilité en permettant de lever les fonds nécessaires au démarrage et à la pérennisation de leur activité. Il s’agit donc aussi d’une mesure en faveur du pluralisme de la presse

Par ailleurs, la présente proposition de loi encadre strictement l’utilisation des bénéfices : une fraction au moins égale à 20 % des bénéfices de l’exercice est affectée à la constitution d’une réserve statutaire obligatoire consacrée au maintien ou au développement de l’activité de l’entreprise. De plus, une fraction au moins égale à 50 % des bénéfices de l’exercice devra être affectée au report bénéficiaire et à la réserve obligatoire. Cette mesure resterait toutefois lettre morte si le Gouvernement ne s’était pas engagé à l’accompagner d’un volet fiscal destiné à rendre plus attractive la participation des lecteurs à des projets innovants ou la reprise d’entreprises en difficulté par le biais de financements participatifs.

Enfin, le texte réforme la gouvernance de l’AFP issue de la loi de 1957. Forte de plus de 2 000 journalistes et techniciens, d’un chiffre d’affaires de 287, 8 millions d’euros en 2013 dont 40 % proviennent d’abonnements de l’État, l’AFP dispose de l’un des réseaux les plus complets et les plus maillés au monde. Tous les journaux français sont abonnés à l’AFP. Les difficultés de cette agence sont donc aujourd’hui principalement liées à son financement et à son mode de gouvernance. L’ouverture du conseil d’administration à des personnalités qualifiées et à l’international, l’instauration du principe de parité, la création d’une commission de surveillance qui cumulerait les compétences en matière de déontologie du conseil supérieur et la compétence financière de la commission financière engagent une évolution significative de l’AFP, dont les statuts de 1957 ont fait leur temps.

Si nous estimons qu’elle ne va pas assez loin pour permettre de parler de modernisation véritable du secteur de la presse – en particulier, le système d’aides à la presse nous semble aujourd’hui dépassé, et le rôle du numérique dans l’information citoyenne nous paraît incontournable –, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui amorce une politique des petits pas constructive et utile, que les membres du groupe du RDSE approuveront.

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