Madame la secrétaire d’État, le financement des allocations individuelles de solidarité – RMI-RSA, APA et PCH – est une question majeure, qui a déjà fait l’objet de débats dans cette assemblée. Nous poursuivons aujourd’hui cette discussion sur la base de trois propositions de loi qui ont le mérite d’apporter une solution globale au travers d’une réforme structurelle et pérenne.
Tous, quelles que soient nos convictions, nous adhérons aux principes qui sont à l’origine de la création de ces allocations. Elles sont la traduction concrète de l’aide que notre société peut offrir à la personne âgée dépendante, à la personne handicapée, à celle qui a subi un accident de la vie, qui a connu des difficultés de couple ou perdu son emploi.
Face aux imprévus qui jettent des femmes et des hommes dans la détresse et la souffrance, elles ont permis de traiter plus dignement les processus d’exclusion. Elles ont aussi conforté le caractère républicain de notre pays, en affirmant que tout individu a le droit à un minimum de ressources, attribué par la collectivité, pour vivre et parfois même pour survivre.
Cette conception de la solidarité a pris tout son sens dans le cadre de la décentralisation. Chacun s’accorde d’ailleurs à reconnaître que la gestion par les départements du RMI, devenu RSA, de l’APA et de la PCH a facilité une prise en charge au plus près des bénéficiaires.
Cela a incontestablement été facteur de lisibilité et d’efficacité.
La mise en place de ces dispositifs de solidarité ne s’est pas faite au détriment du rôle de l’État ; au contraire, elle a renforcé sa légitimité, dans le respect de deux principes fondamentaux : l’égalité de traitement de tous, quelles que soient les inégalités de situation des territoires, et l’autonomie financière des collectivités.
Aujourd'hui, cependant, ces principes sont mis à mal.
En effet, le décalage entre les dépenses effectuées par les départements pour payer ces allocations et les recettes transférées par l’État pour les lui rembourser s’accentue chaque jour davantage. Vous connaissez, mes chers collègues, les chiffres de ce différentiel, que l’Assemblée des départements de France a rendus publics. Ils sont accablants.
Permettez-moi, pour illustrer mon propos, de vous donner simplement ceux du département que j’ai l’honneur de présider, le Lot.
Ainsi, sur la base d’un taux de couverture par l’État de 90 % pour l’APA, de 100 % pour la PCH depuis sa création en 2006 et pour le RMI-RSA depuis 2004, la dette totale de l’État à l’égard du conseil général dépassera 19, 9 millions d’euros pour la seule année 2010.
En outre, dans le contexte de crise que nous traversons, une aggravation de ce déficit est à craindre, les dépenses sociales connaissant une progression globale forte et régulière.
Circonstance aggravante : l’impact sur les finances départementales est plus accentué dans les territoires les plus fragiles sur le plan social et dans ceux où le vieillissement de la population est le plus marqué.
Les départements ont assumé ces transferts de charges décidés par l’État, tout en dénonçant la méthode employée. Ils l’ont fait sans rechigner, car ils savent d’expérience que le citoyen a tout intérêt à une gestion de proximité des services publics. Ils ont assuré la mise en œuvre de l’accueil et l’accompagnement des personnes. Ils ont surtout intégré la montée en charge des dépenses sociales, en usant de la panoplie des mesures leur permettant de présenter, comme la loi l’exige, un budget en équilibre : réduction des dépenses, baisse de l’investissement, recours accru à l’emprunt, augmentation de la fiscalité.
Aujourd’hui, ils n’en peuvent plus. La hausse continue des dépenses d’allocations, couplée à la suppression de la taxe professionnelle et à la chute des droits de mutation, leur ôte désormais toute marge de manœuvre. L’effet de ciseaux – des dépenses plus importantes que les recettes –, dangereusement, se fait de plus en plus sentir.
Dans ces conditions, que faire ? Réduire encore, voire supprimer l’aide aux communes, aux intercommunalités, au monde associatif ? Imposer davantage le contribuable local ? Baisser le montant des allocations ? Laisser la responsabilité aux départements d’en fixer le montant ?
Aucune de ces propositions n’est acceptable pour l’élu local, le citoyen impliqué dans la vie locale, le contribuable ou le bénéficiaire d’une aide sociale. Toutes portent atteinte au pacte républicain, lequel repose sur la responsabilité des acteurs sociaux, la solidarité collective et l’égalité des droits, quel que soit le lieu de résidence des allocataires.
Il ne reste que la solution du financement. Affirmons d’emblée qu’il n’est pas envisageable de laisser chaque département résoudre seul une équation impossible.
Le Gouvernement lui-même a enfin admis en juin dernier, lors d’une audience accordée par le Premier ministre au président de l’ADF, que la situation était intenable pour les finances départementales. Pourtant, force est de constater que les propositions faites depuis lors ne sont pas à la hauteur des enjeux.
Tout d’abord, l’octroi d’avances remboursables se révèle largement insuffisant. Ces avances sont par ailleurs conditionnées à un engagement des départements de stabiliser certains postes budgétaires. Les termes de cet échange sont détestables, car ils donnent à penser que les départements en difficulté seraient de mauvais gestionnaires. Les conseils généraux ne se sont pas laissé tromper par ce marché de dupes qui à la fois les rend responsables du déficit causé par l’État et les met de facto sous tutelle.
Ensuite, après plusieurs reports, le Gouvernement renvoie habilement l’examen de la réforme de la dépendance promise par le Président de la République à l’année prochaine. À l’évidence, le règlement de la question de la dépendance ne permettra pas de résoudre, à lui seul, le problème global qui est posé. Aussi convient-il, sans attendre, d’aller au-delà et de s’atteler à cette réforme urgente.
Réunis à Avignon en octobre dernier à l’occasion de leur congrès annuel, les présidents de conseil général, toutes sensibilités politiques confondues, ont élaboré une proposition de loi visant à garantir une prise en charge par la solidarité nationale des trois allocations, dans la droite ligne des principes de solidarité hérités du Conseil national de la Résistance.
Les trois textes qui vous sont aujourd’hui soumis vont dans la même direction : il s’agit de revenir au bon sens républicain et de renouer avec l’esprit qui prévaut dans notre pays depuis la création de la sécurité sociale à la Libération. En 1945, il était évident que le financement de la solidarité collective trouvait sa source dans l’impôt national.
Le RSA, l’APA et la PCH visent également à sécuriser les parcours de ceux qui sont bousculés par les aléas de la vie. Leur financement doit donc désormais être assuré à l’échelon national, par des ressources reposant sur l’ensemble des revenus du pays, ceux du travail comme ceux du capital.
Madame la secrétaire d’État, la CNSA et le ministère des solidarités et de la cohésion sociale viennent d’annoncer la signature d’une convention avec ADHAP Services, société détenue majoritairement par le groupe AXA assurance. Sur un montant de 4, 4 millions d’euros, la CNSA contribue à hauteur de 2, 7 millions d’euros.
Cette décision traduit votre volonté, madame la secrétaire d’État, de privatiser les services à la personne et le manque de confiance du Gouvernement envers les conseils généraux, qui sont, eux, chargés de ce dossier et en capacité d’organiser sur leur territoire un service public d’aide à la personne aux mêmes conditions sur tout le territoire.
Vous nous faites une nouvelle fois la démonstration de votre volonté de privatiser les profits et de collectiviser les pertes. En effet, les pertes des zones à faible densité de population devront être assumées par les collectivités.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la décentralisation a constitué l’une des grandes avancées de notre démocratie au cours des trente dernières années. Elle a été à l’origine d’un formidable élan de libération des énergies locales. Elle a permis de donner un souffle nouveau à nos territoires, demeurés trop longtemps dans l’ombre de la capitale. Elle est désormais inscrite dans notre patrimoine commun. Nous avons le devoir de la préserver et de creuser ce sillon.
La réussite de la nouvelle étape de la décentralisation, que nous appelons de nos vœux, suppose au préalable une confiance réciproque entre l’État et les collectivités territoriales. Or, face aux coups de boutoir du Gouvernement, cette confiance a été largement écornée. À croire que, à l’instar de MM. Balladur et Attali, le gouvernement auquel vous appartenez n’aime pas les départements !