Intervention de Laurent Collet-Billon

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 15 octobre 2013 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2014 — Audition de M. Laurent Collet-billon délégué général pour l'armement programme 146 « équipement des forces » de la mission défense

Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement :

Pour ce qui est tout d'abord de l'impact de la LPM, je dirais que le précédent Livre blanc surestimait l'effort financier qui pouvait être consenti pour les équipements sur la période de la future LPM, puisqu'il l'établissait à 9 milliards d'euros pour les seuls équipements classiques - hors nucléaire et autres opérations d'armement (AOA). Pour les équipements classiques, ce montant était, en moyenne par an, supérieur de plus de 3 milliards d'euros par rapport à ce qui sera alloué dans la prochaine LPM. Cependant, ce montant s'établissait en forte hausse par rapport à la période 2009 2012 et l'impact réel n'est pas été aussi destructeur que les chiffres pourraient le laisser penser.

Pour ce qui est de l'actuelle LPM, la DGA a défini neuf agrégats industriels pour lesquels nous avons cherché à préserver un niveau minimal pour les bureaux d'études et la chaîne logistique. Cette nomenclature des neuf agrégats s'est imposée dans les discussions préparant le projet de loi de programmation militaire. Elle a permis des négociations « par bloc » avec l'industrie, comme par exemple dans le cas des missiles avec MBDA avec une cohérence entre la charge du bureau d'études et les quantités de missiles commandées. Cela se traduit par un engagement réciproque très fort entre l'Etat et l'industrie, engagement qu'il conviendra d'honorer par la bonne exécution de la LPM. Le ministre en est très conscient. Les modèles de rupture qui auraient pu sacrifier un secteur ont ainsi été écartés.

Néanmoins, des ajustements sur l'outil industriel seront nécessaires et il faudra notamment redoubler d'efforts pour conquérir de nouveaux marchés à l'export afin d'assurer des plans de charge plus confortables. J'y reviendrai.

Votre deuxième question portait sur la consolidation de la Base industrielle et technologique de défense européenne (BITD-E). Cette notion est un élément clé. Elle est toutefois assez disparate puisqu'il existe d'une part des grands groupes industriels européens, comme par exemple Airbus, et d'autre part des groupes strictement nationaux. Par ailleurs, la conception entre les Etats n'est pas la même. Nous soutenons la BITD-E comme une extension du principe de la BITD inscrit dans le Livre blanc, c'est-à-dire comme contribuant à la souveraineté de l'Europe, et nous estimons qu'elle doit être conservée comme telle par tous les pays de l'Union européenne, en reconnaissant que dans un certain nombre de cas, elle doit être appréhendée à un niveau plus global. Mais avant tout, il nous faut mieux circonscrire le périmètre de la BITD-E si nous voulons y rallier nos partenaires. Sans cela, les axes de soutien efficace, en particulier les mesures de « protection », dans le respect de la règlementation européenne, seront difficiles à élaborer. Cela prend du temps car les avis sur la définition de ce périmètre sont nombreux et souvent divergents au sein de l'Union européenne.

Dans la perspective de Conseil européen de décembre 2013, la France propose de circonscrire le périmètre de la BITD-E notamment par ses constituants, en leur conférant par exemple un statut particulier, celui d'opérateur économique de défense en Europe (OEDE), visant à déterminer la valeur ajoutée que les opérateurs apportent réellement en Europe tant d'un point de vue technologique que socio-économique. Sans aller jusqu'à parler de « préférence européenne », il serait alors possible d'optimiser le plein développement et la compétitivité de la BITD-E en donnant à ces OEDE un accès prioritaire aux crédits de Défense européens. C'est d'autant plus important pour les PME/ETI. Cela ne remettrait pas en cause la possibilité de passer par une compétition hors de l'Union européenne lorsque les matériels souhaités ne sont pas disponibles en Europe ou lorsque qu'une situation monopolistique en Europe conduirait à une acquisition non économiquement intéressante.

Concernant la consolidation de cette BITD-E qui est un sujet qui concerne essentiellement les grands maîtres d'oeuvre industriels (MOI), je dirais qu'il s'agit d'un processus complexe. La plupart du temps, la consolidation se perd dans des considérations de mécano industriel plutôt que de réelle stratégie industrielle. La France postule que les consolidations supposent un accompagnement des Etats - les dépendances mutuelles - pour dégager les synergies industrielles et étatiques qui justifient les consolidations ; comme actionnaire, l'Etat essaie de favoriser de tels rapprochements.

Il faut accepter les dépendances mutuelles, mais on ne peut les avoir qu'avec des pays ayant les mêmes ambitions, comme par exemple le Royaume-Uni avec lequel nous partageons la même vision sur l'importance de la Défense et les opérations extérieures.

Je vous dirais également bien volontiers qu'il n'est de politique industrielle que de politique contractuelle. Ce sont en effet les contrats, notamment en matière de R&D, qui créent de la valeur et de la compétence. L'Etat doit être présent chez certains acteurs industriels tant que la stratégie n'est pas stable dans la durée. A l'inverse, certains groupes ont des partenariats stables notamment dans le domaine civil et la question de la nécessité de maintenir une participation forte de l'Etat dans ces sociétés peut se poser. Il faut donc donner du grain à moudre à nos industriels, sur un projet commun, et il s'agit alors souvent d'opérations bilatérales, beaucoup plus qu'européennes. C'est donc le pragmatisme qui prime et je suis partisan des avancées dites du « petit train », avec un leader pour tirer la coopération.

Les programmes et coopérations doivent venir en soutien des approches de consolidation. Mais là aussi, nous privilégions les avancées concrètes en créant des noyaux durs formés par quelques nations partageant la même ambition, même si elles ne sont que deux, trois ou quatre ; ne nous interdisons pas d'avancer à quelques-uns seulement, une fois les objectifs clairement définis.

Pour le secteur naval par exemple, la problématique actuelle est essentiellement liée au fait qu'il s'agit de développer et produire des équipements à haute valeur ajoutée mais en série très limitée.

La taille du marché à l'export favorise la demande (les clients) plutôt que l'offre (les MOI) ; on voit donc des compétitions mortifères, pour des contrats avec des niveaux de marges qui se resserrent et des transferts de technologie qui seront un jour un vrai problème.

La situation est similaire dans le domaine terrestre, même s'il s'agit plutôt de grandes séries avec des matériels de moins forte valeur unitaire, avec en supplément le fait que certains pays font l'effort de se constituer une industriel locale, qui a ensuite vocation à partir exporter...

En synthèse, il faut faire preuve de beaucoup d'adaptabilité et d'humilité.

Vous avez posé ensuite une question concernant la coopération entre le Royaume-Uni et la France en matière de Défense. Comme je le disais, nous avons pu constater, dans le cadre du traité de Lancaster House, que nous partagions avec le Royaume-Uni des ambitions de défense, des méthodologies, une approche des programmes d'armement, des objectifs techniques et de déploiement très similaires. Ainsi, nous parlons d'égal à égal, avec la possibilité de s'inscrire dans une dépendance mutuelle puisque nous partageons la même conception des choses. Je vois très régulièrement mes homologues dans le cadre du High Level Working Group (HLWG) - le groupe de travail à haut niveau - ou de rencontre ad hoc, dont la prochaine est prévue mi-décembre.

A l'heure actuelle, nous coopérons sur :

- le missile antinavire léger (ANL), qui contribue à la rationalisation industrielle des missiles des deux côtés de la Manche ;

- le système de lutte anti-mines (SLAMF) qui remplacera nos chasseurs de mines tripartites,

- les drones de combat, avec le programme FCAS DP (Future Combat Air Demonstration Programme) qui prépare le système de combat aérien futur. La négociation sur ce sujet a bien progressé, tant au niveau étatique qu'industriel puisque Dassault et BAé, Safran et Rolls Royce, Thales et Selex UK, ont tous dans leur domaine respectif atteint un consensus, basé sur la compétence industrielle. Un contrat portant sur des travaux technologiques, de design et de simulation doit être notifié en 2014 et permettra de disposer des éléments nécessaires au jalon de décision des Britanniques, prévu après leurs élections. Il ne semble pas opportun d'afficher ce sujet comme une proposition commune franco-britannique pour le futur avion de combat européen, ce qui serait le meilleur moyen de faire fuir les Britanniques. Ce projet peut s'interpréter comme une suite du démonstrateur NEURON, avec la recherche d'une optimisation d'ensemble et un élargissement de la maîtrise d'oeuvre à deux nations, puis une ouverture aux autres partenaires en fonction des savoir-faire.

Enfin, pour ce qui est de l'export vers les pays « émergents », je vais plutôt vous parler de l'Inde et du Brésil qui sont deux partenaires majeurs. Ces deux pays présentent un réel potentiel de débouchés en matière de marché d'armement : leurs ambitions stratégiques, leur croissance économique élevée les conduisent à développer leur outil de défense et parfois à repenser leurs sources d'approvisionnement historiques,

L'Asie est devenue un marché incontournable pour l'industrie de défense française, représentant 50% des prises de commandes en 2012.

- En Inde, les négociations sur le Rafale avancent positivement. Les indiens prennent soin de respecter à la lettre leur règlementation afin de rendre le dossier inattaquable au final, ce qui est sain.

- D'autres pays d'Asie comme la Malaisie ou Singapour, où on vient de remporter une compétition difficile sur les missiles sol-air, sont aussi des pays qui font un effort de Défense important.

La DGA fait également un gros effort en région, auprès des industriels de tous secteurs, pour expliquer le fonctionnement du soutien à l'exportation et les aspects règlementaires.

Le ministre s'investit également personnellement, comme par exemple récemment aux Emirats arabes unis dans le cadre d'un contrat de satellite en concurrence avec les Etats-Unis. Le succès rencontré est important puisqu'il démontre que le produit proposé est techniquement acceptable, financièrement supportable et compétitif vis-à-vis d'une offre américaine. Le principe est qu'il ne faut pas avoir peur de perdre certains prospects et qu'il faut se porter sur tous les marchés.

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