Depuis bientôt un an les printemps arabes dominent les thématiques abordées à l'ONU, que ce soit à l'Assemblée générale ou au Conseil de sécurité. Cette question a été abordée lors de tous nos entretiens. Par ses conséquences et le remodelage de la carte des équilibres mondiaux, il recouvre également le conflit israélo palestinien et l'Iran.
Redisons-le, personne n'avait anticipé ces événements, que ce soit dans les diplomaties de tous les pays ou à l'ONU. Ceci est assez caractéristique du conservatisme naturel des politiques internationales, obsédées par l'idée de stabilité. Celle-ci est évidemment essentielle. Nous savons tous que la stabilité des frontières en Europe, en Afrique ou partout ailleurs est un primat diplomatique que nous devons préserver, même si cette année a vu naître un nouvel Etat en Afrique avec le Soudan du sud. Néanmoins, au nom de cette stabilité, et parce que les diplomaties ne reconnaissent que les Etats, parce que l'ONU est une assemblée d'Etats où, comme l'ont dit certains de nos interlocuteurs, le nationalisme est consubstantiel. Pour ma part je dirai plutôt que l'ONU est une organisation où les identités nationales jouent un rôle central. Quoi qu'il en soit, il est évident que nous avons attaché trop de crédit - chacun comprend que c'est un euphémisme - à des régimes qui apparaissaient comme le meilleur rempart contre l'extrémisme et contre le terrorisme. Les peuples ont démenti ce conservatisme et les politiques des Etats en ont pris acte, mais à des degrés divers que l'on mesure bien à l'ONU.
Avant de traiter de la Libye, de la question palestinienne et de l'Iran, l'impression générale de nos interlocuteurs est que, si les printemps arabes constituent une avancée démocratique importante, la phase qui s'annonce est extrêmement délicate. Tout en tenant compte de la diversité de chacun des pays, les processus électoraux et la mise en place de nouvelles institutions font entrer ces pays dans une zone très sensible. Au centre des incertitudes des six mois à venir la question de l'évolution de l'Algérie est celle de ce « ventre mou » de l'Afrique qui va de la Mauritanie au Soudan a été soulignée.
Les questions économiques seront particulièrement importantes puisqu'un effondrement économique réduirait à néant les avancées des révoltes arabes. Dans ce contexte, les aides à la reconstruction, que ce soit à travers le partenariat de Deauville, les aides bilatérales ou l'action du PNUD en matière de développement, revêtent un caractère central.
Il faut aussi nuancer le caractère « démocratique » de certains de ces mouvements, parfois qualifié de « science-fiction » par l'un de nos interlocuteurs. Il est évident que la situation en Tunisie, au Maroc ou en Jordanie n'est sans doute pas généralisable à tous les pays touchés par ces « printemps ». Les incertitudes sur les évolutions vers une certaine forme de démocratie le sont encore plus. Le phénomène est éminemment fragile, fragilité qui justifie totalement l'investissement de la communauté internationale.
Il a également été souligné que, la révolte passée, ce que recherchent les populations, c'est un minimum de stabilité et de visibilité. Les attentes de la population sont modestes et raisonnables : la reconnaissance de leur dignité, un minimum de justice sociale et une meilleure répartition des fruits de la croissance.
Interrogés sur une généralisation de la charia, nos interlocuteurs ont rappelé que celle-ci s'inspire du Coran et du comportement du Prophète, ce qui permet de l'interpréter de manière très différenciée entre les pays. Un pays comme le Maroc, par exemple, s'inspire de la charia mais sa législation est euro-compatible à 95 %, nous disait son ambassadeur à New York.
Toutefois, et en particulier s'agissant de l'Égypte, plusieurs de nos interlocuteurs se sont interrogés sur la montée en puissance des islamistes et, en l'occurrence, des frères musulmans. Ils ont souligné l'existence d'une stratégie indirecte de prise de contrôle à long terme par une infiltration progressive des institutions. Le parti Ennahda, qui a remporté 89 des 217 sièges de l'Assemblée constituante tunisienne, fera l'objet d'une attention soutenue pour la mise en oeuvre de ces engagements en faveur de la démocratie.