S'agissant de la Syrie, la position de la Russie pourrait être qualifiée de « légitimiste » : la Russie défend le droit et l'ordre, pas les régimes. Si les autorités syriennes n'ont pas géré la situation au mieux, et si la réaction a été disproportionnée, c'est à ce gouvernement, ce peuple, cette société civile d'aboutir à un accord sans interférence extérieure. Cette position de principe renvoie au rôle du Conseil de sécurité qui, selon la Russie, doit maintenir la paix et la sécurité mais non pas juger de ce qui est bien ou de ce qui est mal, de choisir d'aider certains et d'éliminer les autres, de décider d'un changement de régime. En clair, mesurer la démocratie n'est pas du ressort du Conseil et la révolution n'est pas un moyen légal de changement des régimes. Les mieux à même de contribuer à résoudre ces conflits sont les voisins immédiats et les organisations régionales ou sous-régionales.
La Chine aux Nations unies applique la politique de patience stratégique, définie par Deng Xiaoping, qui s'appuie sur trois adages : attendre son heure, garder un profil bas, ne pas assumer de leadership. Cette politique reste le cap inébranlable de la stratégie chinoise. Elle se considère également comme un pays en développement, ce qui nous a été rappelé trois fois par l'ambassadeur chinois. Au Conseil elle adopte une position souverainiste et souligne la complexité et la sensibilité du problème, ce qui lui permet de militer pour une résolution de la crise dans un autre format (régional, bilatéral ou national). Le Conseil est, dans cette perspective, bon au mieux à gérer des crises mineures qui sont sans impact pour la Chine. Sans le dire clairement, elle a la même analyse critique et la même opposition que les autres BRICS.
Quelles que soient les motivations mises en avant, ces pays craignent que des concepts, comme la responsabilité de protéger et l'extension des champs de compétences du Conseil de sécurité, ouvrent des possibilités à terme d'ingérence dans leurs affaires intérieures.
Vis-à-vis de la Syrie, notre pays et d'autres condamnent cette attitude et militent pour l'imposition de sanctions fortes et par une prise de position du Conseil de sécurité, même si l'hypothèse d'un recours à la force sous chapitre VII de la Charte n'est pas envisagé. Il n'est du reste pas souhaité par les opposants syriens pas plus que par la Ligue arabe. La France dénonce dans des propos très vifs l'inaction du Conseil et le blocage qu'effectuent ces pays, en particulier la Chine et la Russie qui ont opposé un double veto.
Notre ambassadeur déclarait le 24 octobre : « Les membres du Conseil qui se sont opposés à un projet de résolution ou ne l'ont pas voté devront expliquer face à l'histoire, face à l'opinion syrienne, face à l'opinion publique internationale et face à leur propre opinion publique ce qu'ils proposent de concret pour mettre un terme au bain de sang. Le temps n'est plus aux mots que le régime n'écoute pas, il est aux actes. Choisir l'immobilisme du conseil, c'est soutenir le régime d'Assad, c'est choisir son camp, le peuple syrien l'a compris. »
Quelles évolutions sont possibles à l'ONU sur cette question ?
À court terme, la troisième commission de l'Assemblée générale est saisie d'une proposition de résolution présentée par la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni que soutiennent les Etats-Unis. Elle porte sur la question des droits de l'homme en Syrie. Cette résolution a des chances raisonnables d'être adoptée bien que l'ONU soit en général réticente à adopter des textes visant nommément un pays. Pour l'instant, seuls trois pays, l'Iran, la Corée et la Birmanie, sont concernés par de telles résolutions.
L'adoption d'un texte au Conseil de sécurité est, comme nous l'avons vu, beaucoup plus délicat et supposerait une détérioration forte de la situation.
Plusieurs de nos interlocuteurs ont souligné que pour le régime syrien il ne saurait y avoir de marche arrière. Une transition reviendrait pour le président Assad à creuser sa propre tombe. Lors de nos discussions quatre possibilités d'évolution ont été évoquées :
- un coup d'état des militaires qui sont les seuls capables de renverser le régime. Compte tenu du lien entre l'armée et le régime et de la nécessité que cette rébellion soit conduite par un membre influent du clan des Alaouites, cette probabilité est présentée comme faible ;
- une guerre civile et l'intervention éventuelle des deux grandes puissances que sont la Turquie et l'Iran. Les conséquences sur le Liban risquent d'être également considérables avec notamment l'utilisation du Hezbollah de manière directe ou en attaquant Israël pour détourner du sujet syrien. Cette hypothèse n'est pas à exclure ;
- la « prise de la Bastille » par la rue, en particulier à Damas ;
- l'accélération des défections et une meilleure organisation de l'opposition qui conduisent à un basculement progressif des choses.
Ces deux derniers scénarios, ou une combinaison des deux, paraissent les plus probables.