J'en viens à présent à la situation de l'Iran à l'ONU. L'Iran est un pays dont l'évolution s'inscrit aussi dans le cadre des révoltes arabes. Aucun pays de la zone n'y échappe même si le pouvoir a pu écraser toutes velléités de mouvement populaire de protestation. La déstabilisation de la Syrie, que l'Iran continue de soutenir, y compris très vraisemblablement par des livraisons d'armes, l'éventuelle reprise des négociations entre Palestiniens et Israéliens et leurs conséquences sur le Hezbollah et le Hamas, ne peuvent manquer de se répercuter sur la politique intérieure et extérieure de l'Iran.
Mais l'intérêt que l'ONU porte à l'Iran tient surtout au risque de prolifération que sa politique nucléaire fait courir.
Notre mission a permis de faire un point d'étape sur la mise en oeuvre des sanctions vis-à-vis de l'Iran. Ces sanctions poursuivent trois objectifs : en premier lieu de freiner le programme nucléaire en rendant sa poursuite plus compliquée ; en second lieu faire pression sur le régime pour le pousser à négocier et, enfin ces sanctions ont une valeur d'exemple pour d'autres pays qui envisageraient de prendre la même voie. Il existe de fortes interrogations sur l'effectivité de ces sanctions.
Le rôle régional de l'Iran explique que certains Etats ou groupes d'Etats, comme en Amérique latine par exemple, sont assez peu attentifs à l'application des sanctions et contribuent à leur contournement. Un certain nombre d'informations publiées par la presse font état de violations, d'exportation d'armes et, dans certains cas, de technologies nucléaires. Par ailleurs, un certain nombre de nos interlocuteurs soulignent que l'on n'a pas fait preuve de la même rigueur pour les programmes nucléaires israélien, indien ou pakistanais.
Lors de notre séjour à New York, l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) a annoncé la publication d'un rapport qui démontre de manière claire que le discours iranien sur un programme civil est faux et que les autorités de ce pays développent un programme militaire proche d'aboutir.
Dans ce rapport, publié le 8 novembre, l'AIEA fait état de ses «graves inquiétudes» et détaille des activités iraniennes «spécifiquement liées à l'arme nucléaire».
L'Agence rapporte les activités menées par l'Iran dans tous les secteurs nécessaires pour mettre au point une arme nucléaire : le travail sur des composants en uranium métal, les explosifs, les expériences hydrodynamiques, les codes de calcul, l'initiation neutronique, les préparatifs d'essai nucléaire, l'intégration dans un missile. Elle rappelle que l'Iran a développé clandestinement son programme nucléaire. Le rapport montre que l'Iran n'a jamais réellement coopéré pour répondre aux doutes de l'Agence sur ses activités dans des domaines hautement sensibles, et a rompu tout dialogue en 2008 avec l'Agence sur ces questions.
Par ailleurs, l'Agence rappelle que l'Iran continue ses programmes sensibles à Natanz, Qom et Arak. Toutes ces activités sont en violation des résolutions du Conseil de sécurité et du Conseil des gouverneurs de l'AIEA. Elles n'ont aucun débouché civil crédible.
Les intentions de l'Iran de se doter d'un programme nucléaire militaire ne font donc aucun doute. Nous sommes passés du faisceau d'indices concordants à des preuves. La question qui se pose est donc de savoir quelles mesures vont être prises pour tirer les conséquences de ces révélations ou plutôt de cette confirmation du caractère militaire du programme nucléaire iranien.
Notre pays a une position très ferme sur cette question. Un communiqué du ministère des affaires étrangères précise que : « La France considère qu'il faut franchir un palier dans le renforcement de la pression diplomatique sur l'Iran. Si l'Iran refuse de se conformer aux demandes de la communauté internationale et refuse toute coopération sérieuse, nous nous tenons prêts à adopter, avec tous les pays qui suivront, des sanctions d'une ampleur sans précédent ».
Vis-à-vis de l'Iran, la Chine et la Russie poursuivent des stratégies différentes. La Russie ne veut pas d'un Iran nucléaire qui constituerait une menace à ses frontières et pour ses intérêts. La Russie pourrait se prononcer en faveur d'une politique d'isolement de l'Iran par un accroissement des sanctions, même si ce pays est un partenaire commercial important. Rappelons que la Russie a livré une centrale nucléaire civile à l'Iran. Toutefois, une déstabilisation de l'Iran risquerait de conduire à un raidissement supplémentaire potentiellement dangereux.
La Chine, pour laquelle l'Iran n'est pas une menace, réagit plutôt pour éviter une prolifération nucléaire régionale.
Pour certains de nos interlocuteurs, il ne fait pas de doute que, à terme, le passage à l'acte à un essai nucléaire sera irrésistible pour les autorités iraniennes. Celles-ci penseraient que la politique du fait accompli leur permettrait de connaître le même sort que celui de l'Inde ou du Pakistan, c'est-à-dire celui d'une reconnaissance de facto de leur qualité de puissance militaire disposant de l'arme nucléaire et des vecteurs pour la lancer. La possession de la bombe par l'Iran sanctuariserait le pays et conduirait à un mouvement de prolifération avec ses voisins. Ce « passage à l'acte » n'est cependant pas sûr. S'il est évident que certains extrémistes en Iran y sont favorables, il est douteux que ce soit la ligne de l'ensemble des pouvoirs en raison des risques évidents que constituerait ce pari.
L'une des conséquences immédiates du rapport de l'AIEA a, en effet, été une très vive réaction d'Israël allant jusqu'à envisager une intervention militaire pour la destruction des sites. Pour la première fois de son histoire, Israël définit comme une menace existentielle le programme nucléaire iranien.
Sauf la fuite en avant d'Israël, on peut douter de leurs capacités à détruire un programme qui, au fil des années, a perfectionné ses protections. Par ailleurs, les défenses anti-aériennes iraniennes se sont renforcées et rendraient une intervention coûteuse. Même s'il ne faut pas l'exclure totalement, les conséquences d'une intervention militaire seraient dramatiques pour l'ensemble de la région et pour le monde. L'hypothèse d'une intervention militaire paraît d'autant moins probable que les États-Unis sont en période électorale. Par ailleurs, les structures du pouvoir iranien sont complexes et il faut se rappeler que le président Ahmadinejad dépend totalement du guide suprême l'ayatollah Khamenei.
La question qui est posée à la diplomatie mondiale est donc de savoir comment maintenir l'Iran comme un État du seuil qui lui permet de se voir reconnaître son rôle régional, et le réintégrer progressivement dans le système international pour l'amener à respecter ses engagements de pays signataire du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) et de son protocole additionnel.
Il est frappant de constater que, pour Israël, le but poursuivi par l'Iran est de changer l'environnement stratégique régional dans le cadre d'un conflit, au sein d'une même civilisation, entre chiites et sunnites. Le véritable adversaire des pays arabes sunnites et leur grande inquiétude, ce n'est pas Israël c'est l'Iran. On oublie trop souvent cet aspect fondamental. Au-delà des rodomontades du président Ahmadinejad, il n'est pas certain que le programme nucléaire iranien soit dirigé contre l'Occident ou contre Israël. Il n'en demeure pas moins nécessaire d'éviter un mouvement de prolifération d'autres pays comme la Turquie, l'Arabie Saoudite ou l'Egypte qui se ferait en réaction au programme iranien.