La question des printemps arabes et de leurs conséquences a donc été centrale tout au long de cette 66e Assemblée générale. Il nous a paru intéressant, dans ce contexte, de voir comment la voix de l'Europe était entendue à l'ONU.
Lors du précédent déplacement de la commission à New York, en novembre 2010, l'Union européenne, et à travers elle chacun des Etats membres, venait de connaître un grave échec politique.
En effet, le 14 septembre 2010, l'adoption d'une motion de non action, consistant à renvoyer l'examen d'un projet de résolution présenté et élaboré par les 27 pour changer son statut avait une claire signification : l'Union européenne, premier contributeur au budget de l'ONU (40 %), premier donateur d'aide au développement, n'est pas perçue comme une puissance et ne suscite pas le respect. Si la faiblesse du poids politique de l'Europe et de ses principaux représentants n'est pas une nouveauté, le vote de l'Assemblée générale l'avait révélé de manière particulièrement crue.
On peut distinguer deux causes principales de ce fiasco :
La raison de fond est politique : c'est sans aucun doute la réticence des Etats à ce qu'une entité sui generis obtienne des droits dévolus à des Etats, en particulier le droit de s'exprimer d'égal à égal avec d'autres Etats. Il ne faut en effet pas oublier que l'ONU est une organisation d'Etats et que, par définition, le nationalisme y est une sorte de raison d'être.
De plus, de nombreux Etats n'ont pas voulu, en créant ce précédent, ouvrir la boîte de Pandore d'une multiplication de demandes d'autres groupes ou ensembles régionaux. Cela explique le vote négatif de pays comme la Russie ou la Chine mais aussi sans doute l'abstention-trahison d'alliés comme le Canada, la Nouvelle-Zélande et l'Australie. Beaucoup de pays ont voulu éviter une logique d'affrontement entre les blocs au sein de l'ONU. Les petits Etats craignaient de perdre tout poids si les groupes régionaux se renforçaient. De grands pays émergents comme le Brésil ou l'Inde souhaitaient également préserver leur autonomie par rapport à leur groupe régional.
L'Union européenne a repris les négociations et l'Assemblée générale a décidé, le 3 mai 2011, de lui accorder le statut d'observateur, créant ainsi une nouvelle catégorie de membres non étatiques des Nations unies.
Selon les termes du texte, l'Assemblée générale décide « d'adopter les modalités » pour la participation des représentants de l'Union européenne, « en qualité d'observatrice », à ses sessions et travaux et à ceux de ses commissions et groupes de travail, aux réunions et conférences internationales organisées sous son égide, ainsi qu'aux conférences des Nations unies.
Il est intéressant de noter que dans ce texte, l'Assemblée générale réaffirme qu'elle est un organe intergouvernemental dont le statut de membre à part entière est limité aux États Membres de l'Organisation des Nations unies.
Depuis cette date l'Union européenne peut être inscrite sur la liste des orateurs prenant part aux travaux de l'Assemblée, avec les représentants des grands groupes, pour faire des interventions, et peut participer au débat général de l'Assemblée générale selon le précédent établi pour les observateurs. Elle peut également exercer un droit de réponse au sujet de positions de l'Union européenne.
En tant qu'observatrice, l'Union européenne n'a, en revanche, ni le droit de vote, ni celui de présenter des candidats. Elle ne peut pas non plus se porter coauteur de résolutions ou de décisions, ni présenter de motion d'ordre.
Cette position nouvelle fait toujours l'objet d'une guérilla des petits groupes, notamment de la communauté des Caraïbes (CARICOM), qui interprète le dispositif de la résolution de manière très fermée, précisant notamment que l'Union européenne aura le droit de s'exprimer, mais sans qu'elle n'ait de préséance sur les autres grands groupes régionaux. Vis-à-vis des Etats, l'Union européenne est aussi impopulaire que les autres groupes régionaux sans toutefois en avoir les moyens de pression.
De plus, l'Europe qui a deux de ses membres en tant que membres permanents du Conseil de sécurité auxquels s'ajoutent l'Allemagne et le Portugal comme non permanents, est considérée par les autres groupes régionaux comme surreprésentée au Conseil. C'est du reste ce qui explique l'échec de la Slovénie à laquelle l'Azerbaidjan a été préféré lors du renouvellement des membres non permanents.
Au sein même de l'Union européenne, le Royaume-Uni interprète de manière très littérale le dispositif du traité de Lisbonne, allant jusqu'à paralyser l'expression des 27. L'explication de cette attitude « théologique », juridiquement valide quant à la lettre du traité, est à rechercher dans la politique intérieure britannique. Selon cette analyse, l'Union s'exprime quand elle a une compétence unique, mais ce sont, en fonction de l'efficacité recherchée, soit les Etats, soit l'Union qui parlent quand il s'agit d'une compétence partagée, et seulement les Etats quant l'Union n'a pas compétence. Cette politique de détermination au cas par cas complique indiscutablement les choses et ne contribue pas à donner à l'Europe la place que nous souhaiterions la voir occuper.
Enfin, sur un certain nombre de sujets « le drapeau européen est déchiré ». l'exemple le plus frappant est celui du conflit Israélo-palestinien, mais il en est bien d'autres.
Au-delà de cette crise un peu artificielle, il est frappant de constater que l'image de l'Union européenne à l'ONU n'est pas bonne. Cette image est d'autant plus critiquée que la crise économique et financière qui frappe l'Europe, étale ses divisions et qu'un certain nombre d'Etats rendent l'Europe responsable de la crise mondiale et de ses répercussions sur eux. Les émergents critiquent la répartition des pouvoirs au sein des organisations financières internationales, où les « chaises » ont été rééquilibrées à leur profit et l'influence au sein du G8 et du G20. Sans trop caricaturer, l'Europe est perçue comme une grande ONG qui donne des leçons et qui paye. Surtout, la réalité qu'est l'Europe n'est pas comprise, peut être parce que mal ou insuffisamment expliquée.
Pourtant, il nous paraît évident qu'il n'y a pas d'autre voie qu'une Union européenne plus présente, plus soudée et plus active aux Nations unies. Elle en est le principal bailleur de fonds. Ce sont ses valeurs qui progressent au sein de l'organisation. Les 27 doivent passer moins de temps à se concerter entre eux et consacrer leur énergie à convaincre les 166 autres Etats membres. Nous pouvons espérer que l'un des effets bénéfiques de la crise que nous traversons amène l'Europe sur le chemin d'une plus grande intégration politique, vers une sorte de fédéralisme dont le ministre d'Etat s'est fait l'écho.