Intervention de Pierre Sellal

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 25 juin 2013 : 1ère réunion
Deuxième rapport d'évaluation de l'expérimentation du rattachement du réseau culturel à l'institut français — Audition de M. Pierre Sellal secrétaire général du ministère des affaires étrangères

Pierre Sellal, secrétaire général du ministère des affaires étrangères :

Je sais l'intérêt et l'attachement du Sénat pour l'action culturelle extérieure en général et cette question plus administrative de l'organisation que nous devons mettre en place pour être aussi efficace et influent que possible dans ce domaine. C'est un sujet que je suis depuis plusieurs années. J'avais eu le privilège, en 2009, de présider la mission de préfiguration de ce qu'est devenu l'Institut français. La loi de 2010 a créée l'Institut français et a posé les bases de cette action culturelle extérieure et de son organisation. Je tiens à souligner que le Ministère des Affaires étrangères n'est pas un ministère normatif, c'est pourquoi le fait même que la seule loi que nous ayons portée dans un passé récent concerne l'action culturelle extérieure témoigne de l'importance du sujet pour notre action, notre image, notre influence et notre politique étrangère. Depuis 2010, tous les ministres des affaires étrangères ont confirmé l'importance qu'ils attachaient à cette action. M. Laurent Fabius considère que notre action culturelle extérieure est au coeur de notre action diplomatique et politique, car la culture est aujourd'hui la première chose qui identifie notre pays dans la compétition internationale et nous devons en jouer pleinement.

Je voudrais insister sur tout ce qui a été réalisé depuis 2010 et que je considère comme des acquis très importants depuis cet acte législatif. Le premier résultat est d'avoir donné une cohésion à l'ensemble de ce réseau culturel à l'étranger grâce aux grands principes d'organisation qui ont été fixés et à la fusion entre les services d'ambassades et les centres culturels pour leur donner à tous une unité et un statut d'établissement à autonomie financière (EAF). Cette fusion des Services de Coopération d'Action Culturelle (SCAC) et des EAF est aujourd'hui quasiment achevée, elle nous aura demandé trois ans. Il y a actuellement un peu moins d'une centaine d'Instituts français dans le monde qui procèdent de cette fusion. C'est un résultat important qui a donné à notre réseau l'unité et la visibilité qui lui manquaient. Il y a ensuite la création de l'Institut français lui-même qui succède à l'Association CulturesFrance. Nous sommes passés d'un statut d'association peu solide à un véritable statut, avec une mission, une tutelle et à lui seul cette promotion juridique de l'ACF en établissement public a constitué un acte très important de nature à consolider notre dispositif.

Troisième acquis, et celui-ci doit beaucoup à votre assemblée, le fait d'avoir conféré une unité de nom et de titre à l'Institut français et aux centres culturels de par le monde. A l'expérience, les bénéfices que vous attendiez de ce nom unique se sont concrétisés. D'une part il y a unicité entre l'opérateur à Paris et les établissements locaux du réseau, d'autre part le nom « Institut français » se traduit bien, il est compréhensible et lisible et je crois qu'il s'agit véritablement là d'un acquis important de cette réforme et de cette loi de 2010.

J'ajoute qu'il existe désormais une relation apaisée entre le réseau des Alliances françaises et le réseau des Instituts français. N'oublions pas que notre réseau culturel compte quatre cents Alliances françaises qui fonctionnent sur un système associatif mais qui sont en relation à la fois organique et fonctionnelle avec le ministère des affaires étrangères et l'Institut français. N'oublions pas que l'Alliance française est présente dans des régions du monde où il n'y a pas d'Institut français, notamment en Amérique latine, et c'est une donnée que nous devons garder à l'esprit lorsque nous pensons à l'unité de notre réseau culturel à l'étranger.

Le dernier acquis est la capacité du système, tel que nous l'avons bâti, à drainer des ressources. Le résultat est assez remarquable puisque ce sont 300 millions d'euros par an (dont une centaine de millions issus des cours de langue) et près de 200 millions au titre des financements levés par les ambassadeurs et les instituts pour le cofinancement des projets et manifestations culturels. Il y a peu de politiques publiques qui parviennent à drainer des ressources propres aussi importantes.

Tous ces résultats, quelle que soit la décision définitive que nous prendrons sur la question du rattachement, constituent des acquis qui devront être préservés et consolidés.

Au sujet de l'expérimentation à présent, j'ai bien noté dans votre propos le soupçon d'une expérimentation inspirée en fonction d'une préférence. Je tiens à préciser que nous avons voulu, au premier chef les ministres successifs, que cette expérimentation soit menée conformément au texte de loi et au cahier des charges et avec la plus grande bonne foi. Le calendrier a été respecté, les rapports d'évaluation ont été rendus dans les délais impartis. Cependant, des problèmes objectifs liés à cette expérimentation et à son cahier des charges peuvent expliquer la réserve de votre part que je décèle. La principale contrainte était celle du principe de réversibilité, posé par le législateur, qui a rendu les choses un peu plus difficiles et un peu moins probantes. Ce principe signifiait qu'il fallait pouvoir revenir au statu quo ante de cette expérimentation quelle que soit la décision prise au terme de celle-ci. Or, une véritable expérimentation aurait voulu que l'on renouvelle tous les contrats de travail, que les centres culturels occupant des locaux appartenant aux ambassades quittent les lieux et trouvent à s'implanter dans la ville concernée etc. Choses qui paraissaient audacieuses à mettre en oeuvre pour une expérimentation durant trois ans et dès lors que le principe de réversibilité présidait à l'expérience. J'ajoute qu'une deuxième difficulté s'est posée : la loi de 2010 ne prend pas clairement parti en faveur du rattachement ou du non rattachement ce qui a créée de par le monde un sentiment d'incertitude et de fragilité dans les esprits. C'est bien parce que cette incertitude demeure, et qu'elle est préjudiciable à la sérénité qui serait souhaitable, que je me permets d'affirmer que le souhait du Ministère des Affaires étrangères et en particulier du Ministre est d'arriver rapidement à une décision sur l'architecture de notre dispositif afin de lever cette hypothèque et de pouvoir travailler sur des bases consolidées.

S'agissant des résultats de l'expérimentation menée dans une douzaine de postes, je précise que sa mise en oeuvre n'a pas porté préjudice aux acquis positifs de la loi de 2010 que j'évoquais tout à l'heure. De ce point de vue, il n'y a pas eu de différence sensible entre les postes d'expérimentation et les autres, parfois qualifiés de « postes miroirs ».

A l'inverse, je me permets d'exprimer une appréciation qui est celle des équipes de la Cour des comptes, qui sont en train d'auditer ce réseau, et constatent que cette expérimentation n'a pas fait apparaitre à ce stade d'avantages décisifs financiers, administratifs ou fonctionnels en faveur du rattachement.

Si il y a des éléments de nature plus critique qui apparaissent dans les deux rapports que nous vous avons soumis c'est parce que toute modification du statu quo ante génère des incertitudes d'autant plus que l'Institut français lui-même s'installait dans le même temps. Nous avons vécu, en quelque sorte une « double expérimentation » : une période de mise en place de l'Institut lui-même et une période de rattachement des 12 postes expérimentateurs à l'Institut français. Je crois donc que les réserves émises correspondent à cette situation de transition inhérente à toute réforme administrative.

Néanmoins, l'expérimentation a confirmé certaines interrogations qui étaient présentes dès 2010. La première porte sur le périmètre de ce rattachement. La loi a créé plusieurs opérateurs et plusieurs agences correspondant à des fonctions qui étaient auparavant confiées au service de coopération de l'ambassade (outre le culturel, le développement, la coopération éducative ou la coopération universitaire par exemple). Or, l'Institut français n'assume qu'une partie de ces missions, les autres étant prises en charge par d'autres agences créées en 2010 ou préexistantes comme l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) ou l'Agence française de développement (AFD). L'Institut français dans un pays donné, dans l'hypothèse du rattachement, n'aurait par définition qu'un champ de compétence correspondant à celui de l'Institut. C'est le principe de la spécialité des compétences des établissements publics qui nous exposerait à devoir recréer des postes pour les fonctions et missions excédant celles de l'Institut français. Peut-être que des solutions juridico-techniques existent, mais elles sont complexes ; on peut imaginer la mise en place de conventions et de délégations entre ces agences ou bien considérer la fusion des établissements publics créés par la loi de 2010, mais ce serait nous exposer à des chantiers très lourds. En revanche ce qui serait très négatif, c'est une solution qui reviendrait sur les acquis de la fusion SCAC/EAF et qui consisterait à recréer des postes pour s'occuper des compétences ne relevant pas de l'Institut français.

Une deuxième interrogation concerne la sécurité de nos instituts. Nous faisons face aujourd'hui à la montée de l'insécurité dans beaucoup de régions du monde. Il nous faut donc assurer la meilleure protection à nos institutions culturelles dans ce contexte. Il semble aujourd'hui qu'il est plus aisé d'obtenir un périmètre de protection de la part des autorités locales s'il s'agit d'activités diplomatiques relevant de l'ambassade plutôt que d'activités exercées sous un autre statut. J'ajoute que lorsque nous voulons accueillir des artistes et des penseurs dans des pays où leur liberté de parole n'est pas toujours reconnue, nous sommes davantage en mesure d'assurer leur protection dans une enceinte que nous pouvons qualifier de diplomatique. En outre le modèle économique de nos instituts bénéficie aujourd'hui d'un régime fiscal favorable. Or cette situation est fragile. La perspective d'un détachement de l'Ambassade et d'un rattachement à l'EPIC la rendrait encore plus fragile. Quant à la possibilité de négocier par pays des conventions d'exonérations, l'époque est moins favorable à la multiplication des conventions fiscales bilatérales avec clause de réciprocité.

De plus, on s'interroge sur la capacité de l'Institut français à prendre en charge la gestion du réseau. La transformation de Culture France en établissement public a consisté en une montée en puissance (40 millions d'euros de dotation au lieu de 28 millions, 150 à 180 salariés au lieu de 80), mais cela n'a pas changé ses missions fondamentales, sa vocation et son organisation. Or, gérer quelques 7000 agents répartis dans 180 pays constituerait un changement radical de l'Institut français. Cela réclamerait une longue période de transition afin de permettre à l'Institut d'assurer cette tâche. Ce ne serait plus le même Institut français, il faut donc se demander si c'est bien la mission que nous voulons lui assigner que de transformer l'Institut en une administration de gestion alors que ces tâches juridiques ou comptables complexes sont assurées aujourd'hui par le ministère.

Enfin, se pose la question des coûts budgétaires d'un rattachement du réseau à l'Institut. Il est difficile de faire une évaluation stricte de cet impact financier. Le changement de statut des personnels entraînera l'assujettissement des salaires aux charges patronales et génèrera un coût supplémentaire. L'autonomie immobilière des instituts français locaux comme bureaux de l'Institut français à l'étranger engendrera des coûts. Il s'agit de plusieurs dizaines de millions d'euros, cette question requière une analyse financière fine. C'est une dépense qu'il faudrait assumer à court terme et qui n'est pas budgétée à ce stade. D'aucuns considèrent que le coût de la transformation de l'Institut Français à court terme serait compensé par la valeur de l'investissement sur le long terme. Toujours est-il qu'il n'existe pas de budgétisation des coûts pour les trois prochains exercices et qu'il faudrait trouver l'équivalent d'un tiers du montant de la subvention du ministère à l'Institut français pour couvrir les coûts de transition.

Voilà les données telles qu'elles apparaissent à partir des deux rapports d'évaluation. Je précise que nous avons essayé de tenir compte de tous les avis, de toutes les contributions, de toutes les analyses. Nous avons tenté de tirer profit des diverses évaluations faites par la Cour des comptes, nous avons interrogé systématiquement nos ambassadeurs sur les leçons qu'ils tirent de cette expérimentation, nous avons mis cette question à l'ordre du jour de toutes les conférences des ambassadeurs depuis deux ans et nous nous efforçons de vous présenter l'analyse la plus objective possible.

Je me permettrai de dire, pour conclure, qu'il est bien clair que la décision finale a une dimension politique qui dépend du choix de philosophie politique en matière d'action de l'État. Estimons-nous que l'État doive se concentrer sur des fonctions stratégiques de pilotage global et faire faire le plus possible par des entités distinctes de lui : des agences, des opérateurs ? La loi de 2010 s'est inscrite dans un moment politique où cette conception était à son apogée, nous avons créée beaucoup d'agences et d'opérateurs durant dix ans. Aujourd'hui, j'ai le sentiment que nous sommes dans un état d'esprit plus prudent. Les mérites des actions confiées à ces agences et ces opérateurs apparaissent moins évidents en termes d'efficacité, de coût, d'emplois mobilisés et je crois que la dernière législature était elle-même arrivée à ce début de conclusion. La deuxième donnée politique concerne plus directement le ministère des affaires étrangères. Voulons-nous affirmer le caractère central, névralgique de l'action culturelle pour la diplomatie ou bien considérons-nous que la politique étrangère doit se concentrer sur un coeur de métier qui serait l'action politique, la gestion de crise, les sujets stratégiques et non l'influence, l'action culturelle, la promotion de la langue, etc... ? C'est un deuxième choix politique. Récemment, les ministres successifs, et au premier chef Laurent Fabius, ont, au contraire, affirmé que la diplomatie culturelle devait être au coeur des affaires étrangères.

Au-delà de cette question du rattachement, qui doit être tranchée mais qui est de l'ordre de l'organisation, nous estimons qu'il est indispensable de travailler sur le contenu de cette diplomatie culturelle. Quels en sont les objectifs ? Nous travaillons depuis quelques mois sur l'élaboration d'une stratégie pour notre action culturelle extérieure. Nous le faisons en auditionnant les milieux professionnels et culturels concernés. La vocation du Quai d'Orsay est d'aider tous ceux qui ont des projets culturels et qui souhaitent les exprimer à l'extérieur. La question des publics est ici essentielle. D'abord, comment mieux appréhender les publics que nous visons ? Nous avons deux objectifs à cet égard : d'abord entretenir notre public de fidèles, ensuite renouveler ces publics. Ces réflexions devraient déboucher sur un nouveau contrat d'objectifs et de moyens pour l'Institut français pour 2014. Nous devons faire en sorte que cette stratégie culturelle rénovée soit articulée avec des stratégies plus sectorielles. Ainsi nous réfléchissons à une rénovation de l'enseignement du français à l'étranger, nous venons de mettre en place un plan d'action pour la francophonie et le français, nous cherchons à redéfinir notre stratégie pour la coopération scientifique. Il faut également veiller à ce que tout ceci s'articule aux objectifs de notre diplomatie économique. Nous essayerons de faire en sorte que notre stratégie culturelle s'inscrive aussi harmonieusement que possible dans ces différents objectifs.

Le deuxième grand exercice que nous menons porte sur la cartographie de nos implantations à l'étranger. Nous essayons d'avoir une réflexion globale, c'est-à-dire en ne raisonnant plus par segment (chancellerie diplomatique, consulats, services économiques réseau culturel ..), mais en pensant à la plus grande complémentarité possible entre nos différents types de présence : chancellerie, ... . L'objectif est clair : ne pas renoncer à l'universalité, viser un maillage aussi serré que possible de la présence française mais selon des principes d'adaptabilité et de fongibilité. Nous pouvons, par exemple, dans les pays à fort enjeux culturel, donner une capacité de rayonnement beaucoup plus importante à un directeur d'Institut français, et donc à la France, en lui conférant le statut de Consul général qui est un sésame dans beaucoup de pays du monde, à la fois sur le plan politique et pour lever des financements.

L'Institut français lui-même, quelle que soit la décision prise sur le rattachement, devra être renforcé, revitalisé et dynamisé. Ce sera l'objectif du contrat d'objectifs et de moyens 2014 avec le souci d'aller le plus loin possible dans la professionnalisation de notre institut et de notre réseau. Faisons en sorte d'avoir dans notre réseau de véritables professionnels du monde culturels qui soient capables d'apporter une valeur ajoutée et un service à nos interlocuteurs. Cela appelle de la formation, des échanges, une capacité à faire circuler les agents entre les instituts locaux, l'Institut à Paris et d'autres instances culturelles. Il s'agira également de faire de l'Institut une véritable tête du réseau capable d'apporter à l'ensemble du réseau (Instituts français, Alliances françaises) les banques de données, les outils numériques, en somme tout ce qui permettra de faire vivre le réseau et de faire circuler la création, les images et les écris français.

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