Je suis très heureux de vous accueillir, devant cette commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat et vous souhaite, au nom de l'ensemble de mes collègues, une cordiale bienvenue.
Vous avez été nommé il y a un peu plus d'un an chef d'état-major de l'armée de terre et je me souviens du titre d'un quotidien commentant votre nomination en vous décrivant comme « un diplomate à la tête d'une armée de terre en mutation ». Votre action s'inscrit aujourd'hui dans le contexte du redressement des finances publiques, des travaux du Livre blanc et dans la perspective d'une loi de programmation militaire nouvelle en 2013. Vous nous direz si la diplomatie est toujours d'actualité mais j'ai observé aussi, au fil de nos rencontres, que vous savez parler clair.
Pour notre part, nous avons manifesté nos inquiétudes dans une série de rapports préparatoires au Livre blanc. Je n'y reviens pas. Les décisions se prendront au plus haut niveau de l'Etat au début de l'année prochaine. J'observe simplement que le monde dans lequel nous évoluons n'est pas plus apaisé aujourd'hui qu'hier. Il se complexifie même et les menaces nouvelles et anciennes perdurent. Pour y faire face, pour assurer la sécurité de notre pays et de l'ensemble de ses secteurs d'activité, nous avons besoin d'une armée forte, bien équipée et bien entraînée. Diminuer nos moyens militaires, c'est diminuer notre place dans le monde, c'est perdre en crédibilité internationale.
Cette constatation évidente se heurte à la réalité budgétaire et nous pouvons en déduire les effets au regard de la loi de programmation des finances publiques 2013-2015 qui gèle les crédits de la mission défense aux environs de 30 milliards d'euros. Nous le savons règle d'évolution dite « zéro valeur » sur la triennale entraîne une perte de l'ordre de 10 milliards d'euros par rapport à la trajectoire actuelle. C'est à peu près une annuité des crédits de nos programmes d'armement. C'est évidemment considérable sans compter l'impact sur un format que nous avons qualifié de « juste insuffisant ».
Devrons-nous renoncer à nos engagements à venir ? Nous nous désengageons d'Afghanistan, et je suis sûr que vous nous ferez un point de situation sur cette question, mais nous demeurons engagés dans bien d'autres opérations extérieures tandis que d'autres, au Mali, demain, sous une forme à déterminer peut être en Syrie, se profilent.
Dans ce contexte, et bien sûr dans un contexte d'interventions interarmées évident, l'armée de terre joue un rôle majeur puisque, sans être stratège, on ne peut qu'adhérer à la règle selon laquelle « tout commence et se termine à terre ». Aurons-nous demain les moyens d'intervention terrestre suffisants en hommes ? Pourrons-nous nous appuyer sur les forces locales ou régionales, et dans quelles conditions ? Cela pose aussi des questions d'éthique du soldat que nous ne maitrisons pas chez les autres. De ce point de vue, quelles leçons peut-on tirer de des expériences afghane et irakienne pour une intervention au Mali ?
Je vais à présent vous passer la parole pour nous présenter votre vision de l'impact de la loi de finances pour 2013 sur l'armée de terre avant de laisser les rapporteurs vous interroger sur les équipements, la formation, la manoeuvre RH ou les bases de défense.
Général Bertrand Ract-Madoux, chef d'état-major de l'armée de terre - Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres de la commission, je vous remercie de m'offrir cette opportunité de pouvoir, une nouvelle fois, m'adresser à la représentation nationale.
En mai dernier, ma précédente intervention m'avait amené, dans le cadre du groupe de travail sur le format et l'emploi des forces armées post 2014, à vous présenter les enjeux et défis de l'armée de Terre ainsi que sa perception du proche avenir. Il s'agissait d'éclairer la démarche et les choix qui pourraient être faits au-delà de l'échéance de l'actuelle loi de programmation militaire. Je partagerai cette fois avec vous mon appréciation sur le projet de loi de finances 2013.
J'ai pu constater que ce budget avait été, à juste titre, qualifié de budget d'attente ou de transition par le ministre de la défense et le chef d'état-major des armées. Cette attente ne sera pas sans conséquence pour une armée de terre qui représente, comme j'ai coutume de le dire, 20 % du programme 146, de la préparation opérationnelle hors titre 2 (personnel) des armées et de l'entretien programmé des matériels (EPM) des armées. Pourtant, dans ce processus de recherche d'économies de court terme, elle assumera, en 2013, une grande part des efforts du ministère.
L'armée de terre supportera ces efforts, tout d'abord, dans le domaine des équipements dans la mesure où, sur les années 2012 et 2013, elle devra contribuer à hauteur d'environ 40 % du total des reports ou annulations en autorisations d'engagement ainsi que des crédits de paiement. Cela s'explique par ses nombreux petits programmes, notamment les programmes d'environnement, particulièrement propices aux économies de court terme et par le fait que plusieurs programmes majeurs tels SCORPION et le porteur polyvalent terrestre (PPT), n'ayant pas encore été notifiés, pouvaient donc être décalés. Vous me permettrez de rebondir sur l'actualité en évoquant la priorité invoquée par le rapport Gallois dans le soutien aux PME, aux exportations ou au développement de technologies innovantes. Dans chacun de ces volets, l'armée de Terre est une cliente de référence pour de nombreuses nouveautés qu'il s'agisse, par exemple, de micro drones, de tissus innovants ou de détection acoustique. L'écrasement de nos ressources pourrait ultérieurement avoir un effet certain sur la viabilité des projets de nombreuses PME, lesquelles sont d'ailleurs très vulnérables aux difficultés de paiement que rencontre l'Etat en ces temps de réforme.
Le plan des autorisations d'engagement pour 2013 devrait ainsi maintenir les seuls investissements prévus les années précédentes et geler toutes les commandes initialement prévues en 2013, pour un montant de 546 millions d'euros.
Déjà, après les dernières grosses commandes de 2009, les années 2010 et 2011 ont été des années d'étiage. La reprise devait être amorcée en 2012 avec le NH-90 CAÏMAN et le missile moyenne portée, pour augmenter plus nettement en 2013 avec le lancement des programmes majeurs indispensables au renouvellement des équipements les plus anciens : SCORPION, armement individuel du fantassin, roquette de nouvelle génération. En raison des mesures d'attente, 2012 a finalement été moins ambitieuse que prévue et l'année 2013 ne reprendra donc que certaines commandes prévues en 2012.
Certes il n'y a pas eu d'annulation de programme majeur. Mais, si le décalage à l'été 2013 de la notification des travaux complémentaires d'architecture pour le programme SCORPION est surtout emblématique, d'autres pourraient avoir des conséquences capacitaires plus importantes telles qu'une limitation pour projeter plus les hélicoptères CAÏMAN jusqu'à fin 2016, voire une possible rupture capacitaire sur le segment des porteurs logistiques terrestres à partir de 2015.
Ces restrictions ne remettront pas en cause le modèle capacitaire de façon irréversible et permettront de ne pas préempter les décisions du Livre blanc et de la loi de programmation militaire à venir. Elles représentent, en revanche, une rupture dans la trajectoire des ressources qui menace à moyen terme la modernisation et donc la cohérence de certaines fonctions opérationnelles. Cela pourrait imposer, à terme, un niveau de dépendance dépassant l'acceptable, fragilisant le socle de souveraineté irréfragable et, au de-là, l'ambition de la France.
Quelle que soit l'issue des travaux du Livre blanc et les options qui seront retenues, l'effort budgétaire devra être rétabli dès 2014 et prolongé dans la prochaine loi de programmation militaire, afin de garantir l'indispensable modernisation des forces terrestres, quelles que soient les options choisies. Une grande partie des commandes et livraisons d'équipements futurs de l'armée de terre y sont, en effet, prévues :
- commandes du véhicule blindé multirôle (VBMR) et de l'engin blindé de reconnaissance et de combat (EBRC) pour remplacer un parc de blindés à bout de souffle, utilisé dans toutes les crises et conflits (VAB, AMX10-RC, ERC-90 SAGAIE) depuis 30 à 40 ans. C'est, avec le SICS, le système d'information du combat SCORPION, le coeur de l'armée de Terre qui est en jeu ;
- livraison promise des 68 hélicoptères NH-90 d'ici à 2020 pour consolider l'aérocombat et éviter une rupture capacitaire imminente ;
- acquisition d'une capacité missile de moyenne portée (MMP) pérenne et moderne, de fabrication française et permettant d'engager tout type d'adversaire, en remplacement des vieux MILAN ;
- acquisition effective et rapide d'une capacité de drone tactique. Le programme Watchkeeper correspond bien au besoin de l'armée de terre. Il offre, outre les perspectives de coopération franco-britannique, une optimisation des coûts d'acquisition, de soutien, de formation et d'entraînement des utilisateurs ;
- enfin, acquisition d'une capacité de frappe à distance, priorité de la LPM 2009-2014 mais en partie remise en cause par le décalage du programme lance-roquette unitaire (LRU). Ce dernier était pourtant la condition à la réduction du nombre de pièces dans l'artillerie qu'elle a pourtant bien été effectuée ...
L'armée de terre supportera également une part importante des efforts du ministère dans le domaine des effectifs.
Sa contribution en 2013 ira ainsi au-delà de l'objectif fixé par la loi de programmation militaire, environ 2 700 postes à supprimer ou transférer, en raison d'une accentuation de la pente de déflation, consécutive aux décisions contenues dans la lettre plafond de cet été.
Certes, cet effort supplémentaire et ponctuel a été qualifié d'avance sur les déflations prévues en 2014 et 2015. Mais, j'avais pu vous préciser, comme mon prédécesseur l'avait fait avant moi, que les dernières années de la réforme seraient les plus difficiles à réaliser.
L'armée de terre doit en effet prendre en compte un certain nombre d'obstacles à la réalisation de sa cible que sont les mesures imposées aux armées postérieurement au Livre blanc de 2008 : maintien de telle unité ou de telle garnison, ouverture de chantiers nouveaux tels que l'OTAN, cyberdéfense. Ces mesures n'ont malheureusement pas été accompagnées des effectifs supplémentaires correspondants et ont donc in fine un impact sur la réalisation de la cible 2015. L'effort supplémentaire demandé en 2013 portera ainsi sur plusieurs fonctions opérationnelles mais de façon répartie, notamment sur l'infanterie. J'ai en effet refusé, en l'état, et dans l'attente des conclusions des travaux du Livre blanc, de proposer la dissolution d'un nouveau régiment, en plus du huitième régiment d'artillerie de Commercy. Mais il s'agit d'une perspective que je ne pourrai pas écarter en cas d'éventuel effort supplémentaire.
Enfin, s'agissant du titre 2, je regrette la clause d'auto-assurance qui a été assortie à la mesure de « resoclage » de la masse salariale en 2012. Cette mise sous condition impliquera, à l'avenir, que toute mesure imposée et non programmée en gestion, à l'image des mesures sur les bas salaires, par ailleurs manifestement positives, se traduise par des mesures correctrices sur la masse salariale, voire sur les emplois.
Cette approche est dangereuse car les effectifs des armées répondent à des contrats opérationnels définis par le pouvoir exécutif, sous le contrôle de la représentation nationale et traduisent l'ambition de la France. Ce ne sont pas les variables d'ajustement de mesures sociales.
Récemment pointée du doigt sur les questions de masse salariale et d'avancement, souvent à tort, l'armée de terre saura, néanmoins, prendre les mesures qui s'imposeront pour maîtriser sa masse salariale. Mais il va sans dire que les révélations de l'été 2012, par médias interposés, ont été un choc. D'autant que ce sujet d'inquiétude préoccupe bien évidemment toutes les catégories de personnel, comme la restriction de l'avancement, dont je rappelle qu'il se fait presque essentiellement au mérite, aura un impact sur « l'escalier social » qui est la force des armées et qui permet, à chacun, selon ses capacités, d'accéder à des responsabilités supérieures. Je vous rappellerai une nouvelle fois que, chaque année, 70 % des sous-officiers sont issus des militaires du rang et que 70 % des officiers sont de recrutement interne. L'avancement n'est donc pas un système de récompense à l'ancienneté.
Je m'inquiète donc de ces polémiques qui, en pointant telle ou telle catégorie ou grade, distillent injustement ressentiments et tensions inter-catégorielles qui n'ont pas lieu d'être dans notre institution. Je me dois ainsi de rappeler que toutes les catégories de personnel ont bénéficié, à partir de 2008, comme c'était prévu dans la Loi de programmation militaire, d'un indispensable mouvement de rattrapage des soldes par rapport à d'autres corps de la fonction publique et notamment aux autres corps régaliens. Souhaité par le Haut Comité d'évaluation de la condition militaire dans son premier rapport de février 2007, ce mouvement a débuté au bas de l'échelle, par les militaires du rang dès 2008, puis les sous-officiers, pour s'achever en 2011 avec les officiers supérieurs.
La préparation opérationnelle et l'entretien programmé des matériels de nouvelle génération sont, en revanche, relativement préservés, pour l'année 2013. Je tiens à saluer l'action résolue du ministre de la défense qui a permis de garantir l'essentiel dans ce domaine qui était, par ailleurs, l'une des préoccupations majeures que je partageais avec les parlementaires. Mais cet effort en faveur de la préparation opérationnelle a été effectué sous enveloppe, au prix d'efforts significatifs sur le fonctionnement, certaines réalisations d'entretien programmé du personnel (EPP) et des matériels (EPM) plus anciens.
D'ailleurs, la tendance à la baisse des journées de préparations et d'activité opérationnelle n'a pu être infléchie et leur objectif est maintenu sur sa cible initiale de 105 jours fixée par le projet annuel de performances pour 2013, au lieu de 120, chiffre retenu par mes prédécesseurs et de 150, chiffre prévu en LPM. Mais je sais également que, dans la recherche d'économies, les travaux préliminaires auraient considérablement dégradé cette cible, aux environs de 85 jours, ce que n'a pas voulu le ministre.
Il n'empêche qu'avec cette diminution de 111 à 105 jours, la préparation opérationnelle globale de l'armée de terre sera néanmoins affectée. Elle sera ainsi amenée à renforcer son modèle de préparation opérationnelle différenciée qui fait un effort ponctuel et cyclique, le plus souvent lié à un engagement opérationnel, sur certaines unités pour les amener aux standards les plus exigeants. Je dois, en revanche, saluer la reconnaissance des 200 heures de vol par pilote d'hélicoptères comme cible future, à l'image de ce qui se pratique déjà dans l'armée de l'air.
Vous l'avez bien compris, au-delà de ces perspectives chiffrées, c'est la garantie de l'excellence opérationnelle de l'armée de terre qui est en jeu.
Je souhaite également qu'à l'avenir certaines lignes budgétaires soient mieux discriminées pour éviter des coupes « aveugles » dans des domaines qui, à l'image de la communication, ne relèvent pas uniquement du fonctionnement au sens de la LOLF. Je regrette aussi une lecture parfois trop technique, parcellaire et analytique qui est faite du budget. Cette approche nuit à la cohérence globale. Quel sens y aurait-il à préserver des journées d'activités opérationnelles si les crédits EPM n'étaient pas abondés en conséquence pour permettre un entraînement suffisant ? Et quand bien même le serait-il, ce qui n'est, aujourd'hui, malheureusement pas le cas, si les indemnités liées aux exercices hors garnison en particulier l'ISC : indemnité de service en campagne, étaient amputées ?
Puis-je vous rappeler qu'avec 85 millions d'euros, seuls 26 jours d'activités sont aujourd'hui indemnisés contre 29 en 2011. Ces jours correspondent pourtant aux absences en exercice loin des familles et de la garnison. Cela sera d'autant plus important que la part des opérations est, comme vous le savez, en nette diminution et que ce sont les seules primes auxquelles ont droit nos engagés volontaires.
En Afghanistan le retrait se poursuit, en effet, selon le calendrier programmé. Nos troupes auront définitivement quitté la Kapisa en fin d'année et seront regroupées à Kaboul. Il restera environ 1 200 hommes de l'armée de terre à Noël. Ce mouvement de retrait s'effectue en très bon ordre. Je répète à l'envie que nos soldats peuvent ainsi sortir la tête haute de cette opération. Ils ont rempli leurs deux missions principales : contenir les Talibans dans la zone d'action qui leur était attribuée - et c'est ce qu'ils ont fait - et former l'armée afghane pour prendre la relève et c'est également ce qui a été fait. Le calme règne en Surobi. Quant à la vallée de la Kapisa, elle reste une zone dangereuse, mais les talibans y sont fixés et les Afghans y ont pris la relève.
Début 2013, le territoire national deviendra de facto le plus important des théâtres d'opérations de l'armée de terre. Elle y a toujours été présente mais peu de nos concitoyens s'en doutent. Il s'agit, à mes yeux, d'un « théâtre » essentiel pour lequel elle mène, actuellement, une réflexion approfondie sur les moyens qu'elle serait capable de déployer en cas de nécessité, en étroite coordination avec les forces de sécurité. Avec la gendarmerie nationale et la sécurité civile nous conduisons des travaux intéressants de convergence pour faire le point sur la sécurité de nos concitoyens sur le territoire national en cas de crise et combler les lacunes existantes.
L'armée de terre prend acte de ce désengagement opérationnel, sans état d'âme. J'ai engagé ce mouvement de retour sur les garnisons dès ma prise de fonctions, il y a un an. Les efforts de préparation opérationnelle ont été adaptés en conséquence. Cela est d'autant plus important que l'armée de terre n'a en référence, depuis sa professionnalisation, aucune année sans engagement majeur.
Il s'agit maintenant d'effectuer un travail de fond pour tirer les enseignements de dix ans d'Afghanistan et préparer les engagements futurs qui ne ressembleront pas à cette opération majeure. Car comme j'ai déjà pu le dire, préparer la guerre, ne consiste pas uniquement à s'appuyer sur les conflits passés.
Un certain nombre de parlementaires, avec lesquels j'ai eu l'occasion de m'entretenir, m'ont d'ailleurs fait part de leur inquiétude sur l'impact que pourrait avoir la baisse des opérations en termes de moral, de recrutement et de fidélisation. Il s'agit là effectivement de véritables enjeux. Au-delà de nouvelles opérations qui, dans notre monde instable ne manqueront vraisemblablement de se déclencher, il importe effectivement de pouvoir apporter à des professionnels ce qu'ils sont en droit d'attendre, à savoir les conditions pour effectuer correctement leur métier. Nous avons ainsi l'obligation de conserver un rythme d'activités suffisant. Au regard du budget du ministère, les sommes nécessaires sont d'ailleurs marginales au regard de la totalité de la préparation opérationnelle qui représente 130 millions d'euros seulement pour l'armée de Terre, soit encore 20 % du total. Je pense également qu'à l'avenir une petite partie des actuels budgets OPEX - 630 millions d'euros - pourrait très utilement abonder les budgets consacrés à la préparation opérationnelle. Il n'en faut pas beaucoup pour faire un soldat heureux : de la reconnaissance, de l'équité et les moyens d'exercer normalement son métier. Enfin, ponctuellement, vous savez que la situation budgétaire de 2012 aura un impact majeur pour 2013. C'est pourquoi j'attends absolument - et mes confrères chefs d'état-major aussi - une levée de la réserve de précaution réalisée sur nos crédits 2012 ainsi que le remboursement de nos surcoûts OPEX. C'est indispensable.
Vous l'avez bien compris, il y a derrière mes propos l'inquiétude de voir la cohérence d'un outil efficace et aguerri, affaiblie par des mesures budgétaires de court terme et de voir les données budgétaires préempter les débats stratégiques en cours.
Or, je ne saurai vous rappeler combien le combat moderne est complexe et qu'il faut du temps pour acquérir expérience et légitimité, combien avec des équipements de plus en plus sophistiqués l'entraînement doit être exigeant.
La France possède aujourd'hui avec l'armée de terre un outil remarquable qui malgré les réformes lourdes, n'a jamais fait défaut pour répondre à ses engagements opérationnels. Mais elle est dans une situation d'équilibre particulièrement délicate. Son format est tout « juste insuffisant » comme le soulignait, dans un trait désormais célèbre, votre rapport d'information dont je voudrais, d'ailleurs, saluer la qualité et la pertinence de l'analyse. Il ne faut, en effet, pas oublier qu'en 2009, l'armée de terre, avec le même format, était en situation de « surchauffe » opérationnelle. Je pense donc qu'elle a effectivement atteint un seuil plancher au-dessous duquel elle ne pourra descendre sans renoncements capacitaires, renoncements qui lui feront perdre sa cohérence et son efficacité et pourrait affecter la place de la France, et par voie de conséquence, celle de l'Europe.
Car c'est bien avec le volume de la force terrestre projetable (aujourd'hui 73 000 hommes) que doivent se raisonner les contrats opérationnels et non avec les effectifs de l'armée de terre au sens large (135 000 militaires et civils), effectifs qui comprennent notamment 11 000 hommes servant au sein des ministères de l'intérieur (pompiers, sécurité-civile) et de l'outre-mer (SMA) et 23 000 hommes au sein des services et directions interarmées du ministère de la défense.
Or, le monde dans lequel nous vivons, qualifié d'instable et d'incertain par le Président de la République doit, je pense, nous inciter à la plus grande prudence quant à nos choix d'avenir. Prudence quant aux choix stratégiques qui seront pris, prudence dans le suivisme trop rapide de nouveaux concepts stratégiques restrictifs et séduisants financièrement qui pourraient, à l'image du mythe de la campagne sans homme au sol, dont les récentes opérations ont montré les limites, amener les armées françaises dans une impasse. Ils viendraient amoindrir le large éventail d'actions prônées par le Président de la République dont il a notamment pu mesurer l'importance de sa fonction stabilisatrice lors de son récent déplacement au Liban. De même que laisser la question de la dette à nos enfants est irresponsable, les laisser sans Défense crédible le serait tout autant.
Mais je ne manque heureusement pas de motifs de satisfaction. Je voudrais ainsi mettre en avant, devant vous, le comportement exemplaire de nos soldats en opérations dans une période de désengagement qui n'a pas été facile. Ces circonstances auront permis à l'armée de terre d'asseoir sa confiance en elle, confiance qu'elle avait pu gagner en montrant notamment sa capacité à affronter des opérations de combat particulièrement dures. C'est également le résultat de l'excellent niveau opérationnel atteint par les différentes unités au terme du long processus de professionnalisation initié en 1996. L'armée de terre pourra ainsi répondre « présent » lorsque notre pays sera confronté à des scénarii plus durs que ceux des dernières années.
Mais au-delà de ces opérations, je voudrais souligner la qualité et la disponibilité de ces hommes et de ces femmes -auxquels j'ai rendu plus de cent visites en un an - qui servent notre armée de terre avec conviction, et d'un point de vue plus général, mettre en exergue leur très fort degré de mobilisation pour honorer les missions, de toutes natures, qui leur sont confiées. Ils n'ont jamais fait défaut et nos concitoyens savent qu'ils peuvent compter sur eux.
L'affection de ces concitoyens trouve son pendant dans le crève-coeur que constitue la dissolution d'un régiment ou la fermeture d'une garnison. J'ai pu le mesurer, avant l'été, à Châteauroux, puis à Chalons en Champagne et Laon-Couvron. Je comprends combien cette perspective est difficile pour une ville comme Commercy, comme elle le serait dans le cadre des nouvelles restructurations auxquelles pourrait aboutir le futur Livre blanc.
Je souhaite enfin saluer la remarquable capacité qu'ont les militaires de l'armée de terre à s'adapter aux évolutions de leur environnement. Peu de corps constitués de la fonction publique ont vécu des transformations de leur quotidien aussi importantes et aussi denses. Ces difficultés n'ont, jusqu'à présent, pas eu d'impact sur le taux de fidélisation. Ce qui traduit leur attachement à notre institution, attachement dont la plus belle preuve est la reconnaissance de nos blessés pour le soutien et la prise en charge que l'institution leur prodigue.
J'estime donc de mon devoir de tout faire pour faciliter leur quotidien. C'est en ce sens que j'ai proposé à l'état-major des armées l'expérimentation, sur des bases de défense où l'armée de terre est prédominante, d'une meilleure cohérence locale en plaçant chacune d'elle sous l'autorité d'un chef unique comme ont su le mettre en oeuvre l'armée de l'air et la marine dans leurs zones de responsabilité. Cela concerne, dès à présent, les bases d'Angoulême, Grenoble, Draguignan et Strasbourg, les quatre ayant été choisies pour leur profil différent. J'ambitionne une extension de ce système à l'été 2013.
Inversement, vous pouvez légitimement comprendre mon désarroi lorsque je ne peux, seul, apporter de solutions aux difficultés que rencontrent mes subordonnés comme c'est aujourd'hui le cas avec le nouveau système de solde dont les dysfonctionnements sont générateurs d'exaspération. Je ne doute pas que la mobilisation générale enfin initiée par le ministre de la défense sur ce dossier sensible permette une amélioration rapide et très attendue de la situation.
En conclusion, je vous ai dressé, pour reprendre l'expression du chef d'état-major des armées, un panorama de l'armée de Terre parfois sombre mais sans concession. Je ne peux vous cacher, non plus, que l'adhésion aux réformes s'érode sensiblement. En l'absence de perspective d'améliorations rapides, la lassitude commence à gagner les esprits.
L'annonce, par médias interposés, d'une réduction des volumes de l'avancement pour 2013 a cristallisé la crise de confiance des militaires envers leurs hauts responsables. Les comparaisons avec le traitement différent dans d'autres ministères suscitent également de l'amertume.
Mais malgré les difficultés induites par les restrictions budgétaires, tous estiment normal que l'armée de terre prenne sa part à l'effort de redressement des finances publiques. « Pas plus, pas moins ». Ils espèrent également tous qu'elle ne sera pas oubliée lorsque sera venu le moment de bénéficier du redressement de l'économie française. Après avoir accepté tous ces efforts, l'armée de Terre de 2012 n'est plus celle de 2008. Je pense qu'il en est de même pour son environnement local, fatigué et inquiet par tant de sacrifices. Cet état d'esprit partagé par civils et militaires devra être pris en compte dans le processus de décision à venir.
Comme promis, je vous renouvelle mon invitation à venir approfondir votre connaissance de l'armée de terre. A la fin du mois, je vous propose de venir à Sissonne découvrir, dans une démonstration du combat futur en zone urbaine, le programme SCORPION, programme clef pour l'armée de terre qui se met progressivement en ordre de bataille dans l'attente de son expérimentation.
Nous sommes d'accord pour que la défense prenne sa part dans le redressement des finances publiques, mais sa juste part, ni plus ni moins. Nous allons donc mener un combat afin que l'effort de défense de la nation ne diminue pas en dessous du raisonnable.