Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, le débat sur la défense antimissile balistique, demandé en octobre par lettre du président du groupe socialiste, M. Jean-Pierre Bel, semble arriver aujourd’hui tel Grouchy à Waterloo, c’est-à-dire un peu tard !
En effet, cette lettre faisait suite à la publication, le 15 octobre dernier, par le service de presse de la présidence de la République, d’une déclaration sur le sujet.
On y rappelait « le soutien de principe de la France à la nouvelle approche de la défense antimissile proposée par le Président des États-Unis et actuellement débattue à l’OTAN », ce qui est, il faut l’avouer, fort différent de l’avis exprimé ici même, au Sénat, par le ministre de la défense de l’époque, Hervé Morin, en réponse à une question que je lui avais posée en commission, le ministre assimilant alors la défense antimissile balistique, la DAMB, à une « nouvelle ligne Maginot ».
Le 19 novembre à Lisbonne, au sommet de l’OTAN, le nouveau concept stratégique est adopté par les chefs d’État et de Gouvernement. Il prévoit que les membres de l’Alliance « développeront leur capacité à protéger leurs populations et leurs territoires contre une attaque de missiles balistiques, et en feront un des éléments centraux de la défense collective ».
Si vous m’autorisez l’expression, la messe est dite ! Du moins, cette messe-là…
Nous regrettons, dans ces conditions, que le Gouvernement n’ait pas organisé un débat sur cette question au Parlement avant de décider ; le calendrier ne nous a pas permis de le faire. Certes, rien ne nous empêchait de nous saisir de cette question. C’est du reste ce que le Sénat a fait, et je remercie le président de notre commission, Josselin de Rohan, d’avoir engagé un cycle d’auditions l’été dernier, cycle auquel nous avons participé, et d’avoir pris les devants en publiant un rapport d’information destiné à préparer le débat de ce soir.
Mais tout de même : s’informer n’est pas débattre ! Cette décision engage l’avenir de notre pays ; sa délibération méritait mieux qu’un simple communiqué de presse.
Faisons en sorte que le débat d’aujourd’hui soit à la hauteur des enjeux.
Ces remarques préliminaires étant faites, il y a plusieurs façons de s’intéresser à la décision d’adhérer à la défense antimissile de territoire ; j’en retiendrai deux.
La première façon consiste à considérer cette décision en soi, dans ses implications militaires, économiques, technologiques. J’y reviendrai.
La seconde consiste à la replacer dans la série de décisions touchant à la politique de défense qui la précèdent et l’accompagnent. Je commencerai par cette approche.
De ce point de vue, et ce sera ma première série d’observations, la défense antimissile balistique s’inscrit dans une série de décisions qui tournent le dos à la politique diplomatique de la France depuis les débuts de la Ve République.
De quelles décisions s’agit-il ?
Première décision : la réintégration pleine et entière de la France dans l’OTAN. Aujourd’hui, on voit mal comment les conditions qui assortissaient cette décision – à savoir le renforcement de l’Europe de la défense – pourraient être remplies ou en voie de l’être.
Deuxième décision : la signature des accords de Londres avec le Royaume-Uni, en novembre dernier, dont on peine à voir comment ils vont s’articuler avec la construction de cette même Europe de la défense.
Troisième décision : la participation de la France à la défense antimissile de territoire de l’OTAN.
Aucune de ces décisions n’a été délibérée préalablement devant le Parlement. Certes, chacune a sa logique propre, et on peut comprendre les arguments qui les sous-tendent individuellement.
Il n’en reste pas moins que, mises bout à bout, elles dessinent une vision stratégique très différente de celle qui prévalait depuis le général de Gaulle et qui a été déclinée par tous les Présidents de la République qui lui ont succédé, chacun à sa manière. C’est ce que l’on appelait le consensus national en matière de défense et de sécurité.
Cette nouvelle stratégie du Président de la République, en rupture avec ce consensus, ressemble à s’y méprendre à un alignement sur les États-Unis et soulève de multiples questions auxquelles je souhaite que nous nous efforcions d’apporter des réponses, ensemble, si possible.
Première question : que devient le partenariat franco-allemand ?
Est-il si mal en point qu’on le dit ? Quelles en sont les raisons ? Serait-ce irréversible ?
Nous avons bien compris qu’il y avait entre nos deux gouvernements, voire entre nos deux peuples, une forte différence d’appréciation quant à la place accordée au nucléaire. Cette opposition s’est retrouvée dans le débat sur la défense antimissile. Cette défense doit-elle être, comme nous le pensons, un complément de la dissuasion nucléaire, …