La séance, suspendue à dix-huit heures trente-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Guy Fischer.
La séance est reprise.
En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution et des lois organiques n° 2010-837 et n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale a émis à l’unanimité – 12 voix pour, 0 contre – un vote favorable à la nomination de M. Éric Molinié aux fonctions de président de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité.
Acte est donné de cette communication.
Monsieur le président, je souhaite, au nom de mon groupe, faire une mise au point concernant le scrutin n° 129 du mercredi 8 décembre portant sur l’amendement n°16 rectifié sexies présenté par M. Pierre Martin et plusieurs de ses collègues. En effet, M. Jean-Marie Vanlerenberghe souhaitait bien voter pour cet amendement.
Monsieur le président, je vous remercie de veiller à ce que cette mise au point figure au Journal Officiel.
Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
L’ordre du jour appelle le débat d’orientation sur la défense antimissile dans le cadre de l’OTAN, organisé à la demande du groupe socialiste.
La parole est tout d’abord à l’orateur du groupe qui a demandé ce débat, M. Daniel Reiner.
Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, le débat sur la défense antimissile balistique, demandé en octobre par lettre du président du groupe socialiste, M. Jean-Pierre Bel, semble arriver aujourd’hui tel Grouchy à Waterloo, c’est-à-dire un peu tard !
En effet, cette lettre faisait suite à la publication, le 15 octobre dernier, par le service de presse de la présidence de la République, d’une déclaration sur le sujet.
On y rappelait « le soutien de principe de la France à la nouvelle approche de la défense antimissile proposée par le Président des États-Unis et actuellement débattue à l’OTAN », ce qui est, il faut l’avouer, fort différent de l’avis exprimé ici même, au Sénat, par le ministre de la défense de l’époque, Hervé Morin, en réponse à une question que je lui avais posée en commission, le ministre assimilant alors la défense antimissile balistique, la DAMB, à une « nouvelle ligne Maginot ».
Le 19 novembre à Lisbonne, au sommet de l’OTAN, le nouveau concept stratégique est adopté par les chefs d’État et de Gouvernement. Il prévoit que les membres de l’Alliance « développeront leur capacité à protéger leurs populations et leurs territoires contre une attaque de missiles balistiques, et en feront un des éléments centraux de la défense collective ».
Si vous m’autorisez l’expression, la messe est dite ! Du moins, cette messe-là…
Nous regrettons, dans ces conditions, que le Gouvernement n’ait pas organisé un débat sur cette question au Parlement avant de décider ; le calendrier ne nous a pas permis de le faire. Certes, rien ne nous empêchait de nous saisir de cette question. C’est du reste ce que le Sénat a fait, et je remercie le président de notre commission, Josselin de Rohan, d’avoir engagé un cycle d’auditions l’été dernier, cycle auquel nous avons participé, et d’avoir pris les devants en publiant un rapport d’information destiné à préparer le débat de ce soir.
Mais tout de même : s’informer n’est pas débattre ! Cette décision engage l’avenir de notre pays ; sa délibération méritait mieux qu’un simple communiqué de presse.
Faisons en sorte que le débat d’aujourd’hui soit à la hauteur des enjeux.
Ces remarques préliminaires étant faites, il y a plusieurs façons de s’intéresser à la décision d’adhérer à la défense antimissile de territoire ; j’en retiendrai deux.
La première façon consiste à considérer cette décision en soi, dans ses implications militaires, économiques, technologiques. J’y reviendrai.
La seconde consiste à la replacer dans la série de décisions touchant à la politique de défense qui la précèdent et l’accompagnent. Je commencerai par cette approche.
De ce point de vue, et ce sera ma première série d’observations, la défense antimissile balistique s’inscrit dans une série de décisions qui tournent le dos à la politique diplomatique de la France depuis les débuts de la Ve République.
De quelles décisions s’agit-il ?
Première décision : la réintégration pleine et entière de la France dans l’OTAN. Aujourd’hui, on voit mal comment les conditions qui assortissaient cette décision – à savoir le renforcement de l’Europe de la défense – pourraient être remplies ou en voie de l’être.
Deuxième décision : la signature des accords de Londres avec le Royaume-Uni, en novembre dernier, dont on peine à voir comment ils vont s’articuler avec la construction de cette même Europe de la défense.
Troisième décision : la participation de la France à la défense antimissile de territoire de l’OTAN.
Aucune de ces décisions n’a été délibérée préalablement devant le Parlement. Certes, chacune a sa logique propre, et on peut comprendre les arguments qui les sous-tendent individuellement.
Il n’en reste pas moins que, mises bout à bout, elles dessinent une vision stratégique très différente de celle qui prévalait depuis le général de Gaulle et qui a été déclinée par tous les Présidents de la République qui lui ont succédé, chacun à sa manière. C’est ce que l’on appelait le consensus national en matière de défense et de sécurité.
Cette nouvelle stratégie du Président de la République, en rupture avec ce consensus, ressemble à s’y méprendre à un alignement sur les États-Unis et soulève de multiples questions auxquelles je souhaite que nous nous efforcions d’apporter des réponses, ensemble, si possible.
Première question : que devient le partenariat franco-allemand ?
Est-il si mal en point qu’on le dit ? Quelles en sont les raisons ? Serait-ce irréversible ?
Nous avons bien compris qu’il y avait entre nos deux gouvernements, voire entre nos deux peuples, une forte différence d’appréciation quant à la place accordée au nucléaire. Cette opposition s’est retrouvée dans le débat sur la défense antimissile. Cette défense doit-elle être, comme nous le pensons, un complément de la dissuasion nucléaire, …
… ou bien pourra-t-elle un jour s’y substituer, comme on semble le croire outre-Rhin ?
Il s’agit là d’une question de fond, car la défense d’un pays ne se conçoit pas de la même façon avec ou sans l’arme nucléaire. Pour la France, la dissuasion nucléaire est le cœur de la politique de défense, le garant ultime de sa souveraineté.
Un autre point de désaccord réside dans le fait que l’Allemagne a considérablement diminué son effort de défense. Elle a pris la décision, comme nous, de mettre fin à la conscription, mais les raisons pour lesquelles elle l’a fait semblent surtout dictées par des considérations budgétaires.
La question se pose, et nous devrions en discuter plus franchement avec nos amis allemands : l’Allemagne a-t-elle décidé de s’en remettre uniquement à l’OTAN ? Considère-t-elle que toute menace a disparu ? Quelle est sa stratégie ? S’agit-il simplement d’une politique d’autodéfense, ou bien d’une approche guidée par des préoccupations commerciales, comme on peut le penser en lisant les déclarations des dirigeants de Thyssen Krupp Marine Systems, TKMS, le principal constructeur naval allemand, qui a préféré l’alliance avec un groupe émirati – j’en ai parlé ici même, voilà une dizaine de jours – plutôt qu’avec le français DCNS, considérant que cette alliance était « autrement plus solide que la perspective d’un groupe naval européen ».
Il nous faut poser ces questions et nous en expliquer avec nos amis allemands.
Deuxième question : quelles sont les chances réelles de faire prospérer le partenariat franco-britannique ?
Nous sommes prêts à y travailler.
Tout le monde sait que les forces armées britanniques ont tissé des liens étroits avec les forces américaines, en particulier dans le domaine de la dissuasion nucléaire.
Tout le monde sait que les industries de défense britanniques sont étroitement liées avec leurs homologues américains, au point que l’on peut se demander si BAE, encore anglais par son capital, n’est pas devenu complètement américain par ses parts de marché.
Cette entreprise, qui se classe aux tout premiers rangs mondiaux en matière de défense, poursuit depuis 2004 une stratégie d’expansion aux États-Unis. Elle est, du reste, sortie de l’actionnariat d’Airbus, en 2006, et a vendu ses participations navales à l’allemand TKMS la même année.
De nombreuses rumeurs circulent sur le fait que le gouvernement britannique et les forces britanniques auraient été déçus de la façon dont ils ont été traités par leurs homologues américains ces dernières années, en particulier dans l’aventure irakienne et la guerre en Afghanistan. Pour autant, personne ne pense que le Royaume-Uni va défaire les liens traditionnels qui l’unissent aux États-Unis, pour leur substituer de nouveaux liens avec nous.
Dans ces conditions, que peut-on espérer concrètement des accords de Londres ?
M. le président de la commission a bien mis en place un groupe de travail réunissant les quatre commissions parlementaires intéressées ; la première réunion s’est tenue hier. Nous verrons dans le temps s’il peut apporter une contribution utile. C’est en tout cas ce que je souhaite.
Troisième question : à supposer que ce partenariat franco-britannique prospère, est-il de nature à constituer un « noyau dur » auquel d’autres pays pourront s’agréger ? Il s’agit d’une question importante, que nous avons d’ailleurs posée à nos collègues britanniques.
En supposant que, d’ici à dix ans, le partenariat franco-britannique ait prospéré, que nous fabriquions ensemble des drones, que nous ayons des projets communs d’avions de combat, que nos satellites soient communs, que les avions de la Navy atterrissent sur le Charles-de-Gaulle et ceux de l’Aéronavale sur le Queen Elisabeth, comment cela s’articulera-t-il avec les aspirations légitimes de nos amis allemands, italiens, espagnols et suédois ? Les Britanniques les laisseront-ils entrer dans un tel partenariat ?
Après tout, l’Europe monétaire s’est faite autour de l’Allemagne et de la France, et a ensuite agrégé les autres pays. L’Europe de la défense ne pourrait-elle pas se construire autour du Royaume-Uni et de la France ? Mais est-ce vraiment l’esprit des accords de Londres ?
Quatrième question : quel jeu jouent les États-Unis ?
On dit les dirigeants américains, et plus encore l’opinion publique de ce pays, fatigués de payer pour la défense de l’Europe. Cela peut se concevoir. Le « partage du fardeau » est une revendication ancienne et légitime de nos amis américains. Je dis cela à l’intention de ceux de nos amis européens qui penseraient que l’on peut avoir la sécurité sans en payer le prix.
On dit également les dirigeants américains, et en particulier l’actuel Président Barack Obama, plus préoccupés par l’évolution des puissances en Asie et la question coréenne que par l’Europe.
Dans ces conditions, on peut comprendre que les dirigeants américains appellent à l’émergence d’un « pilier européen de l’OTAN ». Ce n’est du reste pas une nouveauté, puisque les termes mêmes ont été forgés par le Président Kennedy. Mais cela n’est pas l’Europe de la défense.
Les dirigeants américains sont-ils prêts à admettre l’émergence d’une « Europe puissance », certes alliée, mais néanmoins autonome sur la scène internationale ? Rien n’est moins sûr.
Enfin, cinquième et dernière question : quelle Europe voulons-nous ?
On ne peut pas sans cesse rejeter les responsabilités sur les autres, et quand je constate le choix qui a été fait par les leaders européens pour les représenter sur la scène internationale, je me dis que nos dirigeants ne veulent pas vraiment d’une « Europe puissance » capable de parler d’une voix ferme et résolue.
Indépendamment de la forme, nous sommes incapables de nous accorder sur le fond. Au Moyen-Orient, dont je reviens, et pour ne prendre que ce seul exemple, l’Europe paye mais ne décide de rien ! Seule la diplomatie américaine est à la manœuvre, et nous n’avons même pas droit à un strapontin dans la pièce des négociations !
Vous le voyez, la défense antimissile a cette vertu intéressante qu’elle permet de diffracter cette nouvelle lumière stratégique et d’éclairer d’un jour différent nos propres contradictions. Elle nous force à nous poser les questions de fond : qui s’agit-il de défendre ? de quelle menace ? avec quels moyens et avec quels alliés ?
Ce qui m’amène à ma seconde série d’observations, concernant l’appréciation de la défense antimissile balistique en soi.
Premièrement, il ne s’agit pas de construire une défense pour répondre à une menace immédiate du territoire national. En effet, on ne peut pas laisser croire à nos concitoyens qu’un pays proliférant – n’en nommons aucun, c’est préférable –, soit actuellement en capacité de lancer sur le territoire européen des missiles intercontinentaux équipés d’ogives nucléaires.
À supposer qu’un gouvernement aux intentions belliqueuses ait à sa disposition de telles armes, il est peu probable qu’il s’en prenne à l’Europe en général et à notre pays en particulier, car, si tel était le cas, ses dirigeants savent avec une certitude absolue qu’ils n’échapperaient pas à des représailles massives. De ce point de vue, rien ne remplacera la force de dissuasion nucléaire.
Bien sûr, il n’est pas gravé dans le marbre qu’une telle menace n’existera pas dans un futur plus ou moins proche. Mais nous n’en sommes pas là.
Deuxièmement, si menace il y a, elle concerne pour l’heure non pas le territoire national ni même le territoire européen, mais celui de nos alliés, au Moyen-Orient, par exemple, et nos forces qui pourraient y être déployées.
Une telle menace est alors de type classique. Il s’agirait vraisemblablement de charges conventionnelles, avec des missiles « rustiques », c’est-à-dire non manœuvrants et à rayon d’action limité, de l’ordre de 600 ou 700 kilomètres au maximum.
Dans une telle hypothèse, disposer d’une capacité de défense antimissile balistique de théâtre étendu pourrait se révéler utile. C’est du reste ce que nous avons commencé à faire au travers du programme sol-air moyenne portée/terrestre, ou SAMP/T, pour l’armée de terre, et Principal Anti Air Missile System, ou PAAMS, pour la marine nationale. Cela était d’ailleurs inscrit dans le Livre blanc.
Ces systèmes sont opérants et ont commencé à être déployés, mais il faudra aller au-delà, notamment pour ce qui concerne les radars de conduite de tir.
Troisièmement, la défense antimissile est moins un outil militaire qu’une locomotive technologique.
Les technologies nécessaires à la défense antimissile sont des technologies de rupture. Qu’il s’agisse des radars à très longue portée pour l’alerte avancée, des radars de conduite de tir pour les missiles, des systèmes de calcul de trajectoire chargés de l’interception ou des missiles eux-mêmes, ou encore du « command and control » – ce que l’on appelle le C2 –, les avancées technologiques qui sont nécessaires pour rendre ces systèmes opérants seront déclinées dans différents domaines et conféreront à ceux qui les détiendront un avantage stratégique et commercial décisif sur tous les autres.
Selon un schéma éprouvé en matière de recherche militaire, les innovations de rupture d’aujourd’hui feront les systèmes d’armes de demain et les équipements génériques d’après-demain.
C’est sans doute la perspective de détenir cet avantage technologique qui contribue à justifier l’effort financier colossal consenti par les États-Unis depuis le début de cette affaire, soit de l’ordre de 160 milliards de dollars pour ne citer que les quinze dernières années, alors même que la menace d’une attaque balistique directe contre le territoire des États-Unis n’a jamais été aussi faible.
Naturellement, l’Europe et la France au premier chef ont des industries d’armement qui disposent de ces compétences et ne peuvent ni ne veulent rester à l’écart de ces avancées de technologies clefs.
Quatrièmement, la défense antimissile balistique donne à celui qui la possède un levier stratégique considérable.
De nombreux commentateurs ont fait le lien entre la capacité qu’ont les États-Unis d’offrir une protection grâce à cette défense et le contrat d’armement du siècle – 130 milliards de dollars – avec l’Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis et le sultanat d’Oman.
En effet, la défense antimissile offre une garantie de sécurité comparable à celle qu’offrait jadis le « parapluie nucléaire américain », et structure les relations diplomatiques entre, d’un côté, les protégés et, de l’autre, les protecteurs. Mais, bien entendu, il ne s’agit pas d’une garantie totale, car, à ce stade, l’interception de missiles n’est pas infaillible, comme chacun le sait.
La question est donc de savoir si l’Europe veut conserver voire développer son autonomie stratégique.
Il est légitime que certains pays nouvellement entrés dans l’OTAN se sentent tout à fait à l’aise dans la situation des protégés, mais, pour notre pays, et dans le respect de nos alliances, je veux espérer que nous ayons encore la volonté d’être souverains.
En conclusion, je vous livrerai un constat et un souhait.
Le constat est qu’il est important de pouvoir répondre aux menaces réelles, de participer à une aventure technologique déterminante et de disposer de cet outil diplomatique puissant. Voilà de bonnes raisons qui peuvent justifier notre participation à cette défense antimissile balistique. À titre personnel, j’y souscris volontiers.
Mon souhait est que cet engagement soit bien mesuré, que l’on en pèse le pour et le contre, en un mot que l’on en délibère.
Premièrement, l’engagement doit être mesuré dans ses implications financières. Or nous savons déjà que, hors défense antimissile balistique, il sera difficile voire impossible de respecter l’actuelle loi de programmation militaire. Le coût actuel annoncé par le secrétaire général de l’OTAN, M. Rasmussen – nous l’avons rencontré au mois de juin dernier – est de 200 millions de dollars pour le seul C2. Tout le monde sait que cela ne suffira pas. Il faut néanmoins que l’effort financier que nous serions amenés à consentir reste raisonnable, je pèse le mot, et compatible avec nos moyens.
Deuxièmement, cet engagement doit être mesuré dans ses conséquences industrielles. La contribution française doit se faire en nature, et pas en espèces. La décision prise à Lisbonne, à laquelle nous n’avons pas pris part, doit se traduire, en clair, par le financement d’études amont susceptibles d’éclairer les choix définitifs.
Troisièmement, cet engagement doit être mesuré dans ses conséquences stratégiques. Il ne doit pas effrayer nos voisins, je pense à la Russie. Il doit être conciliable avec les exigences de nos alliés, je pense à la Turquie. Surtout, il doit être conciliable avec une approche européenne, ce qui suppose de lever certaines hypothèques sur les modalités de décision et les règles d’engagement.
Quatrièmement, enfin, cet engagement doit être replacé dans le cadre de notre volonté de promouvoir en permanence un désarmement concerté et généralisé. Le développement du bouclier antimissile ne doit pas stopper nos efforts en faveur de la non-prolifération et du respect du traité.
Monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, toutes ces questions méritaient bien un débat !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du groupe CRC-SPG.
La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, le sommet de Lisbonne vient de marquer une étape importante pour l’Alliance atlantique, en statuant sur plusieurs sujets majeurs : les conditions d’une transition en Afghanistan ; l’adoption du nouveau concept stratégique, remplaçant celui de 1999 ; la réforme, plus que jamais nécessaire, des structures civiles et militaires de l’OTAN et de la gouvernance financière de l’Organisation ; la défense antimissile des pays européens, sur laquelle une décision de principe a été prise.
Depuis plusieurs mois, la commission des affaires étrangères et de la défense suit attentivement chacune de ces questions. Nous y avons régulièrement consacré nos réunions. Plusieurs d’entre nous en débattent aussi à l’Assemblée parlementaire de l’OTAN.
Il s’agit de questions fondamentales pour l’Alliance et pour notre pays. Nous nous devons, sur chacun de ces sujets, d’établir une vision claire de nos intérêts et des intérêts de l’Alliance puis, bien entendu, de défendre cette vision auprès de nos partenaires.
Je crois que c’est bien ainsi que la France agit, avec beaucoup de détermination, depuis plusieurs mois.
La France a en effet exprimé très fermement ses positions lors de l’élaboration du nouveau concept stratégique. Le document adopté à Lisbonne prend largement en compte ses préoccupations.
L’OTAN est d’abord et doit rester une alliance militaire, structurée par la mission de défense collective. Le rôle de la dissuasion nucléaire demeure fondamental dans la stratégie de l’Alliance, tant que subsistent dans le monde des arsenaux nucléaires. La contribution des forces nucléaires françaises tout comme leur indépendance sont réaffirmées.
L’OTAN ne doit pas dériver vers une organisation globale, une sorte d’« ONU bis », qui se diluerait en renonçant à toute limite géographique ou en s’engageant dans des missions de nature civile.
De ce point de vue, le nouveau concept stratégique rappelle la nature euro-atlantique de l’Organisation. Il prend en compte le nouvel environnement de sécurité sans élargir à l’excès le champ fonctionnel de l’OTAN.
Enfin, et cela est très important pour la France, la capacité des Européens à prendre des responsabilités croissantes dans le domaine de la sécurité, y compris de manière autonome dans le cadre de l’Union européenne, est clairement reconnue comme une plus-value de l’Alliance.
La France s’est aussi engagée très activement, avec d’autres pays qui partagent le même objectif, en faveur d’une profonde réforme des structures et du fonctionnement de l’Organisation. Ainsi, je me réjouis qu’il ait été décidé à Lisbonne de réduire de 35 % le format de la structure de commandement, de rationaliser les quartiers généraux et de lancer la réforme des agences.
En définitive, ce que nous pouvons constater depuis deux ans, c’est que la France n’a rien abdiqué en rejoignant les dernières structures de l’OTAN auxquelles elle ne participait pas, exception faite du groupe des plans nucléaires. Bien au contraire, elle agit en force de proposition et occupe toute la place qui doit lui revenir.
Notre pays est un contributeur important, en troupes, en capacités militaires, en financements. Pourquoi aurait-il dû rester – seul parmi les vingt-huit pays membres - absent des structures où se préparent et se mettent en œuvre toutes les décisions ? Sur ce plan, je crois que l’on peut se réjouir, après l’attribution de l’un des deux commandements stratégiques, de voir désormais l’un de nos compatriotes, depuis cet automne, chargé des investissements de défense de l’OTAN, en qualité de secrétaire général adjoint. Je pense que ce n’est pas indifférent par rapport au sujet qui nous occupe ce soir.
Pour autant, il semble indispensable de maintenir notre volonté de développer une politique européenne de sécurité et de défense.
Le mémorandum déposé par l’Allemagne et la Suède recommandant une mutualisation des ressources et des commandes groupées dans le domaine de l’armement ainsi qu’un renforcement des pouvoirs de l’Agence européenne de défense, est peut-être l’amorce d’une réaction de nos partenaires devant l’atonie de la politique de sécurité et de défense commune, ou PESDC.
Nous devons encourager cette évolution et éviter d’opposer OTAN et PESDC. Vouloir contraindre nos partenaires à choisir entre l’Union Européenne et l’OTAN serait le meilleur moyen de tuer dans l’œuf toute velléité de défense européenne, car la majorité, pour ne pas dire la quasi-unanimité des pays européens se refuseraient toujours à affaiblir l’Alliance atlantique tant qu’elle subsistera.
Je crois au contraire qu’en clarifiant notre position, en écartant toute suspicion sur nos intentions, nous pouvons dialoguer avec nos alliés européens sur des bases plus solides.
À Londres, le 2 novembre dernier, je l’ai vérifié auprès des responsables britanniques. Les traités que nous avons signés ce jour-là, les coopérations que nous avons lancées, démontrent une volonté commune des deux premières puissances militaires européennes d’agir étroitement en commun pour maintenir, en Europe, des capacités de défense et une base industrielle significatives.
Le fait que nous réalisions ensemble des installations d’expérimentation liées à la dissuasion ou que nous souhaitions développer des équipements et des technologies pour les sous-marins nucléaires, atteste un très haut degré de confiance. Et je suis convaincu que cette confiance n’aurait pas été établie si nous avions eu, vis-à-vis de l’OTAN, une attitude hostile ou ambiguë.
J’en viens maintenant au sujet qui a justifié notre débat de ce soir : la défense antimissile balistique. Il s’agit d’un sujet stratégique mais complexe. Il mérite d’être étudié avec soin, sans idées préconçues, qu’elles soient favorables ou hostiles.
C’est pourquoi nous avons voulu en débattre, en commission, avec de hauts responsables de la défense, des experts, et aussi des industriels, puisqu’il y a, en la matière, une forte dimension technologique.
Nous avons publié le mois dernier un rapport d’information qui restitue ces débats, et j’ai présenté les principaux enseignements que l’on pouvait en tirer.
Nous continuerons ce travail, puisque trois de nos collègues, notamment notre excellent collègue Daniel Reiner, sont chargés d’une mission d’information qui permettra d’approfondir le sujet et d’en suivre les développements.
À Lisbonne, l’OTAN a pris la décision de développer un système capable de protéger les territoires et les populations des pays européens contre les missiles balistiques.
Ce système s’appuiera sur l’outil de commandement et de contrôle que l’OTAN est déjà en train de constituer pour la défense antimissile de théâtre. Nous ne connaissons pas aujourd’hui la configuration que prendra cette défense antimissile des territoires, mais il est certain qu’elle intégrera les moyens de détection et d’interception que les États-Unis veulent déployer graduellement en Europe, dans le cadre des décisions prises par le Président Obama et présentées sous l’appellation d’« approche adaptative phasée ».
La France a donné son soutien de principe à cette nouvelle approche dans le cadre de l’OTAN.
Déjà en 2006, à l’Île Longue, le Président Chirac avait estimé que la défense antimissile pouvait compléter la dissuasion en diminuant nos vulnérabilités, et il avait marqué la volonté de la France de participer aux réflexions menées à ce sujet au sein de l’Alliance atlantique. Le Président Sarkozy, à Cherbourg, en mars 2008, a confirmé cette conception et indiqué que la France disposait « de solides compétences techniques dans ce domaine qui pourraient être mises à profit le moment venu ».
Le moment semble en tout cas venu, pour notre pays, de se demander comment et à quelles conditions il peut s’engager dans cette voie.
Le premier constat que j’effectuerai à partir des éléments que notre commission a recueillis, c’est que la défense antimissile balistique va se trouver au cœur d’enjeux militaires, économiques et stratégiques de plus en plus importants.
Les enjeux militaires tiennent à la possession, par un cercle toujours plus large de pays, de missiles balistiques dont les performances sont en amélioration constante, plus rapide même qu’on l’estimait il y a deux ans à peine, lors de la rédaction du Livre blanc. C’est un élément que nous ne pouvons ignorer et que nous devons intégrer dans notre stratégie de défense.
Nous avons commencé à le faire en développant une capacité de défense antimissile de théâtre, car, dès aujourd’hui, nos forces déployées en opérations extérieures, nos points d’appui au Moyen-Orient et en Afrique et nos alliés dans cette région du monde peuvent être menacés.
Mais nous devons également prendre en compte une autre menace, qui actuellement est faible, mais qui ne pourra plus être écartée dans un proche avenir : l’hypothèse dans laquelle un adversaire potentiel utiliserait des capacités balistiques à moyenne ou longue portée pour frapper directement le territoire national.
Dans ce cas, c’est bien évidemment la dissuasion nucléaire qui constitue notre garantie fondamentale, et qui doit le rester.
Une défense antimissile capable de protéger les territoires et les populations peut néanmoins la compléter utilement.
Nous avons déjà, dans le Livre blanc, reconnu l’intérêt de l’alerte avancée, pour surveiller la prolifération, en évaluer précisément la menace et, surtout, identifier l’agresseur avec certitude, et donc donner plus de force à la dissuasion.
Quant à la capacité d’interception, même si elle ne vise qu’à contrer une frappe limitée, elle concourt indiscutablement à la protection générale des populations.
On fait souvent observer qu’aucun système ne peut garantir une protection à 100 %, ce qui est vrai. Mais est-ce une raison pour renoncer à toute protection ?
Je voudrais aussi écarter l’idée selon laquelle vouloir se protéger des missiles balistiques révélerait un doute sur la stratégie de dissuasion et l’affaiblirait. La protection est bien l’une des cinq grandes fonctions stratégiques, et il n’y a pas lieu de l’opposer à la dissuasion. Nous nous protégeons de la menace aérienne. Au nom de quoi ne devrait-t-on pas se protéger de la menace balistique ?
Le deuxième grand enjeu de ce débat est d’ordre technologique.
La défense antimissile sera un puissant vecteur de progression des technologies de défense.
La sophistication des équipements requis – satellites d’alerte, radars, intercepteurs, systèmes de commandement et de contrôle – va « tirer vers le haut » les compétences des industries impliquées. Celles-ci pourront acquérir des technologies génériques qui irrigueront l’ensemble de leurs fabrications.
Il s’agit là d’un élément important pour la France, en raison de la place de l’industrie de défense dans notre économie nationale, bien sûr, mais aussi parce que ces technologies intéressent directement notre dissuasion. Pour rester crédible, notre dissuasion doit tenir compte du développement des défenses antimissiles et nous devons donc maîtriser un certain nombre de technologies qui y contribuent.
Enfin, la défense antimissile devient un élément très visible du paysage stratégique. Elle prend une part croissante dans la stratégie des puissances établies ou émergentes, les États-Unis, bien sûr, mais pas seulement eux.
On oublie souvent que le seul système de défense antimissile opérationnel sur le continent européen se trouve en Russie, et la Russie modernise ce système, qu’elle a hérité de l’Union soviétique.
La Chine a réussi en janvier 2010 une interception d’un missile dans sa phase de vol exo-atmosphérique.
L’Inde s’est engagée récemment dans un programme national d’intercepteurs balistiques.
Le Japon et Israël ont acquis « sur étagères » et également codéveloppé avec les États-Unis des systèmes de défense antimissile.
Nous ne pouvons pas ignorer cet environnement.
Nous voyons aussi que la défense antimissile joue un rôle de plus en plus important dans les partenariats de défense. Elle est devenue un outil diplomatique au service d’une stratégie d’influence, comme le fut le « parapluie nucléaire » au temps de la guerre froide. Les États-Unis n’en font pas mystère. Dans leur Ballistic Missile Defense Review de 2010, ils présentent très clairement la défense antimissile comme l’élément clef des garanties de sécurité qu’ils accordent à leurs alliés, aussi bien en Asie de l’Est qu’au Moyen-Orient ou en Europe.
Face aux différents enjeux que je viens d’énumérer, la France ne peut rester dans l’expectative. Elle doit définir une stratégie.
Très objectivement, il faut reconnaître que cela n’est pas facile. La participation comme la non-participation comportent des risques qu’il faut évaluer. C’est ce que j’ai résumé dans le rapport en disant que nous sommes pris entre le Charybde budgétaire et le Scylla stratégique !
Le premier risque est d’ordre budgétaire.
Le niveau d’ambition et l’architecture d’ensemble d’un système de défense antimissile balistique assurant une couverture du territoire européen restent à définir. Quelle sera la part des moyens financés en commun au sein de l’OTAN et de ceux qui seront mis à disposition par les États-Unis ou pris en charge par les autres nations ?
La question des coûts est loin d’être clarifiée. La sophistication des technologies requises, la tentation de surenchères sur les spécifications du système pour en accroître les performances, ainsi que les déconvenues déjà constatées dans la gestion de certains programmes multinationaux sont autant de facteurs de dérives financières potentielles.
Dans le contexte budgétaire actuel, et alors que le déficit capacitaire des pays européens dans le domaine conventionnel perdure, il faut éviter que des ambitions excessives ne conduisent à se lancer dans des investissements hors de portée, au détriment de besoins essentiels.
À cela s’ajoutent les doutes sur le retour industriel possible d’un investissement européen. L’expérience du programme JSF, Joint Strike Fighter, nous incite à la vigilance contre un risque de siphonnage des budgets de défense européens.
À ce possible effet d’éviction budgétaire s’ajoute un deuxième risque. Certains de nos partenaires à l’OTAN se sont placés dans une logique de substitution par rapport à la dissuasion nucléaire, alors que celle-ci demeure essentielle face à une menace sur notre territoire et nos populations. La dissuasion ne saurait être délaissée au profit d’une protection imparfaite, qui ne saurait être plus qu’un outil complémentaire. De même, la défense antimissile balistique ne doit pas entretenir un sentiment illusoire de sécurité qui accentuerait le désengagement des nations européennes dans la défense.
À l’inverse, on discerne très bien les risques auxquels s’exposerait notre pays en s’abstenant, en premier lieu celui d’un effacement stratégique.
J’ai indiqué voilà un instant que les progrès réalisés dans les technologies de l’interception auraient immanquablement, à terme, des incidences sur la crédibilité de notre dissuasion. Faire l’impasse sur les développements à venir en matière de défense antimissile balistique pourrait compromettre l’autonomie stratégique que nous souhaitons conserver avec notre force de dissuasion.
En restant à l’écart de ce projet, la France prendrait également le risque de rater plusieurs marches technologiques déterminantes pour d’autres domaines que la dissuasion.
Enfin, il s’agit de savoir si la France et plus largement l’Europe veulent accéder à une certaine maîtrise de ces outils de défense qui, hors d’Europe, iront en se développant.
La démarche multilatérale initiée par les États-Unis au sein de l’OTAN évite à l’Europe d’être impliquée à son corps défendant dans la défense antimissile, par le biais d’accords bilatéraux. Toutefois, si la défense antimissile de l’OTAN devait se résumer à une simple couverture de l’Europe par des moyens et un système de commandement exclusivement américains, sans réelle contribution européenne à la décision, cela reviendrait pour l’Europe à renoncer à assurer par elle-même une part de sa propre défense. A fortiori, elle ne pourrait apporter la moindre contribution aux besoins de protection de ses alliés.
La France est certainement en Europe le pays le mieux placé pour favoriser cette contribution européenne qui nous éviterait un total effacement stratégique. Nous développons, avec le démonstrateur Spirale, une capacité d’alerte avancée. Nous mettons en service le missile de défense de théâtre Aster 30. Nous possédons un savoir-faire unique en Europe en matière balistique. Notre industrie participe à l’élaboration du système de commandement et de contrôle de l’espace aérien de l’OTAN, dont la fonction sera élargie à la défense du territoire européen contre les missiles balistiques.
Toutefois, la plupart de ces programmes ou de ces compétences ne sont pas financés à la hauteur nécessaire pour garantir la synchronisation avec le calendrier envisagé à l’OTAN. La mise en œuvre autonome du système sol-air moyenne portée, avec l’Aster, supposerait de disposer d’un radar de poursuite M3R dont l’entrée en service n’est pas prévue avant le début de la prochaine décennie. Les programmes liés à l’alerte avancée sont encore au stade de démonstrateurs. Les compétences en matière d’interception sont sous-financées et leur pérennité n’est pas assurée.
Dans ce contexte, trois orientations doivent, à mon sens, être privilégiées.
Tout d’abord, nous devons définir clairement les conditions de notre engagement.
La première de ces conditions est la réaffirmation du rôle central de la dissuasion dans la protection des territoires et des populations contre la menace balistique. Nous avions là une différence d’appréciation importante avec l’Allemagne, mais nous avons eu raison de maintenir une position extrêmement ferme et de nous opposer à ce que, d’une manière ou d’une autre, les documents de Lisbonne laissent apparaître la défense antimissile comme un substitut possible à la dissuasion, alors qu’elle ne doit constituer, à notre sens, qu’un complément.
Nous devons aussi encourager l’association de la Russie afin de faire de la défense antimissile un domaine de coopération et non de confrontation avec l’OTAN. De ce point de vue encore, le sommet de Lisbonne marque une avancée notable. Certes, il ne faut pas méconnaître les difficultés soulevées par une telle coopération, mais il était indispensable que l’intérêt en soit reconnu par les deux parties.
Nous devons particulièrement veiller, dans la définition du système de commandement et de contrôle, aux règles d’engagement et aux conditions de raccordement de nos propres moyens nationaux.
Enfin, nous devons insister pour que les ambitions assignées à la défense antimissile de l’OTAN demeurent réalistes – ce ne pourra pas être un bouclier sans faille – et adaptées à l’évolution de la menace. Le financement commun devra se limiter au système de commandement.
Sur ce plan, la déclaration de Lisbonne se réfère explicitement au niveau de la menace, à la soutenabilité financière et à la faisabilité technique. Elle prévoit également l’élaboration, d’ici à juin 2011, d’un plan d’action sur les étapes de mise en œuvre de la défense antimissile, qui devra être adopté par les ministres de la défense. Je considère, monsieur le ministre d’État, que, dans ce cadre, nous devrons particulièrement veiller à promouvoir une approche graduelle et raisonnable, fondée sur une appréciation précise et réaliste des coûts.
La deuxième orientation à privilégier est d’accentuer notre investissement national.
Notre système de défense antimissile de théâtre doit pouvoir être mis en œuvre de manière autonome à une échéance plus rapprochée. Il faut donc accélérer la réalisation du radar de poursuite, afin de consolider la contribution française au programme de défense antimissile de théâtre de l’OTAN.
L’effort visant à acquérir une capacité d’alerte spatiale dans la seconde moitié de la décennie doit être maintenu et, si possible, accéléré. C’est une capacité stratégique qui constituera un apport précieux pour le système de défense antimissile de l’OTAN.
La France doit également développer ses compétences dans les technologies de l’interception, ne serait-ce que pour assurer la crédibilité de la dissuasion. L’enveloppe consacrée aux études amont devrait être majorée, par rapport aux dotations prévues dans la loi de programmation militaire, pour permettre l’acquisition des briques technologiques nécessaires. Un volume annuel supplémentaire de l’ordre de 50 millions d’euros de crédits de recherche et technologie serait de nature à répondre à cet objectif.
Enfin, troisième orientation, il nous faut travailler à une réponse spécifiquement européenne, même si nous voyons bien la difficulté de la tâche. L’Italie est déjà notre partenaire sur la défense de théâtre. La défense antimissile pourrait également être traitée dans le cadre de notre partenariat stratégique avec le Royaume-Uni.
L’alerte avancée, étant donné sa contribution essentielle à l’autonomie stratégique, apparaît comme un domaine prioritaire de coopération.
Une coopération européenne devrait également être recherchée dans le domaine de l’interception, afin d’être en mesure de fournir une contribution européenne à la défense contre les missiles balistiques de portée moyenne et intermédiaire.
Telles sont, mes chers collègues, les conclusions que j’ai tirées de notre travail sur ce dossier.
Qu’on le regrette ou que l’on s’en félicite, la question ne se pose plus de savoir si la défense antimissile de l’OTAN se fera : elle se fera, et je serai tenté de dire, avec ou sans nous.
Dans ces conditions, et sauf à accepter l’effacement stratégique de la France, la question pour nous est non plus de savoir si nous devons nous engager, mais comment nous devons le faire.
C’est un défi que la France doit relever.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.
La conférence des présidents n’ayant pas organisé ce débat, les dispositions de l’article 29 ter, alinéa 3, du règlement s’appliquent.
Il est donc attribué un temps de deux heures réparti de la manière suivante :
Groupe Union pour un mouvement populaire : 39 minutes ;
Groupe socialiste : 32 minutes ;
Groupe Union centriste : 16 minutes ;
Groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche : 15 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen : 13 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe : 5 minutes.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.
Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, le retard avec lequel ce débat intervient - non pas à la veille, mais au lendemain du sommet de l’OTAN à Lisbonne -, nous place devant le fait accompli.
Nous sommes pris dans un engrenage.
La déclaration du sommet de Lisbonne entérine à travers le prétendu « nouveau concept stratégique de l’OTAN » la transformation de celle-ci en une alliance globale et multifonctionnelle, à la fois militaire et civile, contre une gamme de menaces aussi diverses qu’imprécises, à l’intérieur des frontières de l’OTAN comme à l’extérieur, doublonnant l’ONU et réduisant l’Union européenne à une fonction complémentaire et subordonnée. Voilà la vérité !
La décision a été prise à Lisbonne de développer une capacité de défense antimissile « pour protéger les populations, le territoire et les forces de tous les pays européens de l’OTAN ». C’est la doctrine américaine de défense des territoires.
Cette nouvelle mission ne correspond pas à notre doctrine de défense, qui repose d’abord sur la dissuasion.
La déclaration de Lisbonne s’inscrit pleinement dans les perspectives fixées par le Président Obama d’un « monde sans armes nucléaires » – bien loin de devoir se concrétiser d’ailleurs, il y a la diplomatie déclarative et la réalité de ce que l’on fait – et « d’une réduction de notre dépendance, dans la stratégie de l’OTAN, à l’égard des armes nucléaires ». « La défense antimissile deviendra partie intégrante de notre posture générale de défense ». C’est le texte de la déclaration de Lisbonne.
Il est fait allusion à « une combinaison appropriée de forces conventionnelles, nucléaires et de défense antimissile ». C’est exactement la doctrine américaine, si vous vous référez à la Nuclear Posture Review parue en avril 2010. Nous y sommes, monsieur le ministre d’État. §La réduction de la place du nucléaire a son envers, que chacun connaît bien : c’est tout simplement l’augmentation de la possibilité des guerres conventionnelles.
Vive la prolifération !
Le concept américain repose sur une triade : les armes nucléaires, dont les États-Unis déclarent vouloir réduire le rôle, les armes conventionnelles de nouvelle génération, Prompt Global Strike, dont le rôle serait appelé à s’étendreet, enfin, la défense antimissile balistique, qui permet aux États-Unis avec un budget représentant, à lui seul, l’équivalent de tous les autres, d’arroser leurs industries de haute technologie. M. Daniel Reiner l’a très bien expliqué, je n’y reviens pas.
C’est en même temps pour les États-Unis le moyen de se subordonner leurs alliés, si tant est qu’ils font l’objet d’une menace : le Japon et la Corée du Sud sans doute par rapport à la Corée du Nord ; Taïwan et les pays du Sud-Est asiatique par rapport à la Chine ; les pays du Golfe par rapport à l’Iran ; l’Europe par rapport à l’Iran…
Nous savons très bien que les missiles iraniens n’ont pas la portée qui leur permettrait d’atteindre le territoire européen, sauf si, comme un certain nombre d’éléments l’ont révélé récemment – je vous demande, de nous le confirmer, monsieur le ministre d’État – la Corée du Nord avait vendu des missiles longue portée à l’Iran. Cela demande à être vérifié et, à l’évidence, cette menace pour réelle qu’elle puisse être à terme n’est pas immédiate.
La Russie n’est plus considérée comme une menace, bien que l’on ne sache pas ce que seront demain les relations américano-russes.
Par conséquent, nous avons une défense antimissile qui correspond à la volonté des États-Unis de soumettre les alliés à leur hégémonie.
Les États-Unis jouent le rôle du réassureur en dernier ressort, ce qui ne va pas sans quelques contreparties, le fameux burden sharing, le « partage du fardeau ». Cela peut ne pas se traduire sous forme de budget militaire, mais le rôle du dollar, par exemple, la planche à billets, le financement du déficit américain grâce à des bons du Trésor que nous sommes aussi heureux que d’autres d’acheter, n’est-ce pas une forme de vassalisation subtile ?
Il ne faut pas se faire d’illusions sur ce qui est en train de se passer. La France avait toujours été réservée, pour ne pas dire hostile, au bouclier spatial américain, et ce dès 1984. Son langage a évolué. Le Président de la République, dans son discours de Cherbourg, a admis que la défense antimissile pouvait être un « complément » de la dissuasion nucléaire française, mais en aucun cas un substitut. L’argument est connu : la possession d’un glaive ne dispense pas de se donner la protection d’un bouclier.
M. de Rohan a rappelé qu’il y avait bien une défense antiaérienne, pourquoi pas une défense antimissile ? Sauf que là, on se place par rapport à une menace qui toucherait nos intérêts vitaux. Mais, à mon sens, la dissuasion est un bouclier aussi, dans la mesure où elle dissuade l’agresseur de passer à l’acte. Nous avons donc deux boucliers, dont l’un évidemment répond à un concept différent de l’autre : une arme de non-emploi, d’un côté, une arme de défense classique, de l’autre.
Dans la lutte entre le glaive et le bouclier, il n’y a pas d’exemple que le glaive ne l’ait pas, en définitive, emporté. On sait par des renseignements puisés aux meilleures sources – M. le président de la commission ne me démentira pas – que les interceptions réalisées par les États-Unis, dans des conditions d’exercice, ne réussissent qu’à 80 % seulement. L’étanchéité du bouclier spatial n’est donc pas parfaite.
L’argument selon lequel la défense antimissile permettrait de rester en dessous du seuil nucléaire est quelque peu spécieux : ne pourrait-il passer pour un encouragement à l’agression ?
Autre argument : cette défense répondrait à la demande de protection des populations. Un responsable de votre ministère a évoqué, monsieur le ministre d’État, la chute d’un missile classique sur Aix-en-Provence.
Sourires.
Par ailleurs, on évoque le souci de sécurité exprimé par nos alliés en Europe. Encore faudrait-il que ceux-ci commencent par renoncer à contester le principe même de la dissuasion nucléaire, alors qu’ils ne disposent d’aucune garantie fiable en dehors de celle-ci.
Loin d’être complémentaire de la dissuasion, la défense antimissile pourrait se révéler contradictoire, par le coût financier prohibitif qu’elle représente potentiellement et par le sentiment de fausse sécurité qu’elle ne manquerait pas d’entraîner dans l’opinion, en créant un syndrome « ligne Maginot ». Il suffit d’ailleurs pour s’en convaincre de voir que les pays partisans de la défense antimissile en Europe sont ceux qui consacrent le moins d’efforts à leur défense.
Quels sont les faits nouveaux qui pourraient justifier l’adhésion de la France à la défense antimissile ?
Le premier fait nouveau est l’évolution de la menace, du fait de la prolifération balistique. Loin de moi la volonté de contester que la Corée du Nord et l’Iran ont fait un certain nombre de progrès dans les domaines, notamment, de la séparation des étages et du carburant solide. D’autres pays vendent des missiles et, par conséquent, contribuent à une certaine menace, bien que, à mon sens, le territoire national ne soit pas aujourd’hui menacé.
Le deuxième fait nouveau concerne nos industries de défense, et tout a été dit sur ce sujet. Elles veulent, bien sûr, rester dans la course, mais à quel prix ? Nous ne pouvons pas payer le même prix que les États-Unis. Et pour quoi faire ? Il faut trouver un bon équilibre entre le souci de notre sécurité et les dépenses faramineuses qu’il faudrait engager pour « rester dans la course ».
Le troisième fait nouveau, c’est la volonté du Président de la République de réintégrer l’OTAN, devenue l’instance d’élaboration et de mise en œuvre de la politique de défense des pays de l’Union européenne.
Nous sommes coincés !
Nous allons payer 200 millions de dollars – c’est que l’on nous dit - pour l’accès au système de commandement et de contrôle, dit C2. Cela fait 25 millions pour la France, si mes calculs sont bons.
En fait, le coût est évidemment sous-évalué. La seule défense de théâtre pourrait coûter 833 millions d’euros, ce à quoi il faudrait ajouter le coût des phases 3 et 4, qui, lui, sera tout à fait exorbitant, et il n’est pas chiffré.
Rappelons que l’OTAN accuse cette année un déficit de 650 millions d’euros, qui pourrait atteindre 1, 4 milliard d’euros en 2011. L’étude de faisabilité d’un système de défense antimissile commandée au sommet de Strasbourg-Kehl n’est pas achevée ; l’architecture n’est pas définie ; le contrôle politique pas davantage, et personne ne se fait d’illusion, monsieur le ministre d’État : la décision sera, bien évidemment, américaine, qu’elle soit celle du Président des États-Unis ou celle du Commandant suprême des forces alliées en Europe, le SACEUR.
Compte tenu des implications financières prévisibles et de la crise des finances publiques, il y a là une certaine responsabilité : elle sera la vôtre et vous allez devoir l’assumer, monsieur le ministre d’État. Je me permets de vous le dire très franchement.
Nous n’avons pas à légitimer ni même à cautionner un projet d’extension au territoire de l’Europe de la défense antimissile américaine. Nous n’en avons pas les moyens, les autres pays européens non plus. Nous vous faisons confiance, si je puis dire, pour appuyer sur la pédale de frein !
Par ailleurs, quelles que soient les précautions oratoires – l’OTAN alliance nucléaire, tant qu’il y aura des armes nucléaires – nous n’avons pas réussi à faire inscrire dans la déclaration finale du sommet de Lisbonne le fait que la défense antimissile était un complément et, en aucun cas, un substitut à la dissuasion. La réalité est à l’inverse : le ralliement au principe de la défense antimissile contribuera à l’érosion politique de la dissuasion française, en France, dans l’opinion publique, et en Europe, où le sentiment d’une fausse sécurité venue d’ailleurs sapera ce qui reste d’esprit de défense.
J’ajoute les risques d’une course aux armements, rappelée par le Président Medvedev et le Premier ministre Poutine. Il faut écouter ce que disent les responsables d’un grand pays comme la Russie, monsieur le ministre d’État.
Je ne veux pas être négatif par principe, une défense de théâtre correspond certainement à un besoin de protection de nos forces, voire de sites sensibles. Nous disposons d’un savoir-faire certain avec le système de défense antimissile SAMP/T. Il est donc envisageable d’accélérer la réalisation du radar M3R, si nous en avons les moyens, afin de pouvoir nous acquitter en nature, si c’est possible, de notre contribution au programme ALTBMD, Active Layered Theater Ballistic Missile Defence, de l’OTAN, qui correspond à une défense de théâtre, c’est-à-dire à un autre concept. Mais il n’y a pas de raison de s’engager plus avant.
J’incline à partager l’avis du président de la commission des affaires étrangères quant à l’acquisition d’une capacité d’alerte spatiale dans la seconde moitié de la décennie, à condition qu’on ne se laisse pas entraîner dans des projets d’interception dans l’exo-atmosphérique, où les Américains ont englouti des moyens sans commune mesure avec les nôtres.
Enfin, nous pouvons continuer à développer nos capacités d’interception dans les couches moyennes-hautes de l’atmosphère.
Un projet a été élaboré par les industriels de défense. Mesurons-le à l’aune de nos besoins de sécurité. Nous devons rester performants sans nous laisser happer par l’engrenage d’une course aux armements.
Je passe sur la coopération européenne évidemment souhaitable et je conclus en disant que vous devez veiller, monsieur le ministre d’État, à ce que la France ne se laisse pas entraîner dans un engrenage non maîtrisable. Le monde sans armes nucléaires, dont le Président Obama avait dessiné la perspective à Prague, ne s’est pas rapproché. Il sera très difficile au Président Obama, vous le savez, de faire ratifier le traité d’interdiction des essais nucléaires, compte tenu de la très faible majorité dont il dispose au Sénat. Les pays d’Asie continuent de développer leurs arsenaux. La sagesse populaire nous rappelle qu’il ne faut jamais lâcher la proie pour l’ombre.
Dans une période d’austérité où nos finances publiques sont mises à rude épreuve, si la France s’engageait dans cette doctrine plus avant que je ne l’ai dit, monsieur le ministre d’État, ce serait totalement incompréhensible pour l’opinion et vous saperiez ainsi le consensus national sur la défense que nous avons eu beaucoup de peine à réunir, et à maintenir.
Nous jugerons donc, monsieur le ministre d’État, la politique du Gouvernement sur les actes, sur votre capacité à ne pas nous laisser entraîner sur la voie dangereuse qui a été ouverte à Lisbonne.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG ainsi que sur quelques travées de l ’ UMP.
Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord me féliciter de la tenue de ce débat, dû à une demande de nos collègues socialistes, sur la défense antimissile balistique.
Mais nous débattons après coup, après que la décision a été prise il y a quinze jours, au sommet de l’OTAN, à Lisbonne.
Je sais bien, monsieur le ministre d’État, qu’un concours de circonstances indépendant de votre volonté explique cette situation, mais, dans ces conditions, je suis sans illusion sur la portée du débat que nous consacrons aujourd’hui aux orientations de notre politique de défense.
Je le regrette d’autant plus vivement que votre ralliement et celui du Président de la République au système de défense anti-missile constitue une inflexion majeure, voire un revirement stratégique, sur certains aspects de notre politique de défense. Ce ralliement marque aussi l’abandon de l’ambition d’une défense européenne.
Cette évolution de doctrine aurait dû être démocratiquement précédée d’un débat parlementaire. En effet, avec cette décision, vous remettez en cause deux importants concepts stratégiques de votre politique de sécurité et de défense : la doctrine française de la dissuasion nucléaire et la construction d’une Europe de la défense. Je pense qu’il n’est pas excessif de parler de revirement sur cette question, puisque, jusqu’à une date récente, la France manifestait de sérieuses réticences à l’égard d’un système de défense hérité de la « guerre des étoiles » du président Reagan. Pendant longtemps, notre pays a pourtant estimé que la dissuasion nucléaire et la défense anti-missile étaient incompatibles parce qu’elles reposaient sur deux logiques différentes.
Quelques semaines avant le sommet de Lisbonne, votre prédécesseur, Hervé Morin, parlait encore de « ligne Maginot », doutait de l’efficacité du bouclier anti-missile et critiquait la répartition des coûts ainsi que la maîtrise d’emploi de ce système d’armes. Il estimait peut-être implicitement que contribuer au développement de ce projet aggraverait la dépendance des pays européens à l’égard des États-Unis en les mettant de nouveau sous le parapluie nucléaire américain, alors qu’ils réduisent, dans le même temps, leurs budgets militaires en raison de la crise financière. Peut-être considérait-il aussi qu’un tel bouclier mettrait inévitablement en question l’utilité et la crédibilité de la dissuasion nucléaire française. Il posait de vraies questions.
À Lisbonne, vous n’avez pas obtenu de réponses claires, car accepter de contribuer à ce projet comporte de graves inconvénients et aura de lourdes conséquences sur notre politique de défense. Sa fiabilité est incertaine et les experts en la matière ne l’estiment efficace qu’à hauteur de 80 % des tirs. La doctrine d’emploi est encore mal définie. Vous n’avez aucune garantie sur la chaîne de commandement et de contrôle de ce bouclier, ainsi que sur les règles d’engagement.
Il est pourtant vraisemblable que seuls les États-Unis seront maîtres des tirs, puisqu’il est prévu que le système soit raccordé, sous un commandement unique, à la défense aérienne de l’OTAN et au système anti-missile américain. Le coût sera certainement bien supérieur aux 200 millions d’euros annoncés par le secrétaire général de l’OTAN. En tout état de cause, les sommes qui lui seront consacrées représenteront autant de moyens en moins pour financer des coopérations européennes sur des programmes d’armement.
En ce qui concerne notre pays, une participation à hauteur de 12 % du montant total estimé freinera considérablement notre effort de défense et mettra certainement en cause quelques-uns de nos programmes d’équipement. Les pays européens contribueront financièrement, mais n’ont absolument aucune garantie de retombées industrielles propres. Connaissant la puissance de l’industrie américaine de défense, on peut, là aussi, légitimement craindre qu’elle soit seule à tirer le bénéfice de la réalisation de ce projet, laissant la sous-traitance à nos industries.
Ces données objectives conduiront presque automatiquement à entraver davantage encore la construction d’une défense européenne commune. La perspective d’une Europe de la défense émancipée de l’influence pesante de l’OTAN s’éloignera d’autant. La conséquence négative de tout cela sera une accentuation de la dépendance stratégique, technologique, industrielle et politique des pays européens, en particulier le nôtre, à l’égard des États-Unis, dont l’influence reste prépondérante au sein de l’OTAN.
Le bouclier anti-missile est, par ailleurs, en totale contradiction avec votre conception de la dissuasion nucléaire. La dissuasion repose, en effet, sur une doctrine de non-emploi de l’arme nucléaire. Le bouclier anti-missile s’inscrit, quant à lui, dans une logique stratégique différente, qui vise à se prémunir contre des adversaires potentiels en détruisant en vol des missiles. Ces deux options sont difficilement conciliables.
À Lisbonne, l’ensemble des pays membres de l’OTAN ont accepté, pour diverses raisons, de contribuer à la réalisation de ce projet. Le plus grand nombre d’entre eux, en particulier les pays ayant appartenu au pacte de Varsovie, estiment que cela leur permettrait de bénéficier de la protection nucléaire américaine et de réduire ainsi leur budget de défense. L’Allemagne et les pays nordiques y voient, pour leur part, un moyen de dénucléariser l’Europe en substituant le système de défense anti-missile à l’arme nucléaire et de rendre, par là même, inutiles les forces nucléaires britanniques et françaises.
On envisage donc mal comment pourra s’articuler la coexistence de ces deux systèmes de défense, qui sont bien loin d’être complémentaires. En voulant concilier des options divergentes, vous avez aussi abouti, à Lisbonne, à un compromis qui rend votre politique de défense floue et ambiguë.
Enfin, tel qu’il est actuellement envisagé, le bouclier risque de relancer la course aux armements. On le mesure bien, d’ailleurs, à la réaction des Russes, qui, faute d’obtenir des garanties suffisantes en matière de coopération et de contrôle du système et de sa chaîne de commandement, menacent de déployer de nouvelles armes offensives. Ils doutent de la volonté des États-Unis de réellement contribuer au désarmement et font de la ratification des accords START un test. La réaction prévisible de tous les pays s’estimant visés par ce système d’armes contribuera donc à alimenter la course aux armements dans le monde.
Tous ces reculs, ces revirements, révélés par notre ralliement au bouclier anti-missile, sont la suite logique de notre pleine réintégration dans le commandement militaire de l’OTAN. Le Président de la République avait justifié sa décision, prise au prix de la perte de nos atouts et de notre autonomie stratégique, en prétendant regagner la confiance de nos alliés et faire avancer l’Europe de la défense. Pour ne pas déplaire à ceux-ci, vous vous sentez maintenant tenus d’accepter un système de défense qui, malgré vos subtilités sémantiques sur le « complément » ou le « substitut » et vos acrobaties stratégiques, est pourtant antinomique de la dissuasion nucléaire. Nous payons ainsi le prix d’évolutions successives de nos doctrines de défense vers un alignement atlantiste qui nous placera dans une dépendance accrue à l’égard des États-Unis. Ces inflexions, par petites touches, de la doctrine de la dissuasion nucléaire doivent être clarifiées.
Derrière tout cela s’ébauche, en effet, une nouvelle doctrine en matière de défense dont nous condamnons à la fois les orientations et l’imprécision. Monsieur le ministre d’État, vous savez que notre opposition à l’arme nucléaire est essentiellement motivée par le fait que nous contestons sa pertinence pour répondre militairement aux menaces et aux défis de notre époque. Elle n’est plus non plus un moyen efficace de garantir la paix et d’assurer un système de sécurité collective.
Ce sont ces raisons qui font craindre que votre décision n’entraîne des répercussions négatives. Il serait dommageable que l’image positive que nous avons acquise auprès de nombreux pays émergents, grâce à notre attitude exemplaire, en matière tant de ratification des traités que d’efforts de réduction de notre arsenal nucléaire, soit à nouveau ternie par la position que vous avez adoptée à Lisbonne.
Ce soutien paraît contradictoire avec la volonté, encore affichée lors de la dernière conférence de révision du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, le TNP, de prendre des initiatives en faveur d’un processus de désarmement nucléaire.
Pour ma part, je considère que, pour sortir de ce dilemme et clarifier les choses, notre pays devrait concrétiser par des actes sa volonté de progresser sur la voie du désarmement nucléaire. Pour montrer les dangers pour la paix de ce bouclier, proposons solennellement à tous les États possédant l’arme nucléaire de s’engager à mettre fin à la modernisation de leurs armes et de leurs vecteurs.
Plus généralement, montrons à nouveau l’exemple par une réduction significative de notre arsenal nucléaire, en interrompant notre programme de missiles stratégiques M 51, qui est davantage un héritage de la guerre froide qu’un instrument de défense adapté aux menaces d’aujourd’hui. Nous respecterions en cela l’un des engagements pris au travers de la signature du TNP de ne pas procéder à la recherche de nouveaux systèmes d’armes nucléaires.
Proposons enfin, pour tous les pays, des doctrines de dissuasion strictement limitées au non-emploi des armes nucléaires, comme l’était la nôtre avant les inflexions décidées par les présidents Chirac et Sarkozy dans leurs discours respectifs de l’Île Longue et de Cherbourg.
Telles sont, monsieur le ministre d’État, les réflexions que nous inspirent les récentes évolutions de votre politique de défense.
M. André Vantomme applaudit.
Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, les 19 et 20 novembre derniers, un sommet de l’OTAN important s’est tenu à Lisbonne. Les vingt-huit chefs d’État et de Gouvernement des pays membres ont approuvé un nouveau concept stratégique. Ils ont exprimé leur volonté de se doter de tout l’éventail des capacités nécessaires pour s’adapter aux mutations internationales des dix dernières années. Pour cela, ils ont notamment décidé de développer une capacité de défense anti-missile et ils ont invité la Russie à coopérer avec l’OTAN dans ce domaine.
Une impulsion politique forte a donc été donnée à Lisbonne. En revanche, l’architecture du système, les concepts opérationnels, le coût du dispositif, les conditions de participation et de décision des pays européens devront être examinés dans les mois à venir.
Je salue l’organisation du présent débat au Sénat à un moment opportun, lorsque l’orientation est connue mais que le chemin doit encore être tracé. Le débat de ce soir ne consiste pas à nous interroger sur le point de savoir si, oui ou non, la France doit prendre une part active au système anti-missile que l’OTAN a décidé de bâtir. Comme le président de Rohan, je dis que la réponse à cette question est « oui ».
Premièrement, il s’agit de nous doter d’un nouvel outil militaire. En dehors du cercle des puissances majeures, on observe le développement rapide de capacités balistiques. Les technologies maîtrisées par certains pays dans le domaine de la courte et de la moyenne portées sont plus avancées que le Livre blanc de 2008 ne le prévoyait. À Lisbonne, le Président de la République a explicitement évoqué la menace iranienne. Sur ce point, je tiens à dire qu’il faut veiller à ne pas diaboliser l’Iran. Ce pays a, à sa tête, des dirigeants dangereusement caricaturaux, mais une partie de la société civile et de la classe politique iraniennes souhaite apaiser les relations avec les pays occidentaux. Aujourd’hui, l’Iran ne fait pas peser de menace imminente et sérieuse sur la France et ses alliés ; il faut le souligner. C’est la voie du dialogue ferme qui doit être privilégiée, pour que l’Iran ne reste pas à l’écart de la communauté internationale.
Cependant, pour être forte, une armée doit anticiper et se prémunir contre des risques futurs. À l’horizon 2020, il faut nous prémunir contre une attaque balistique sur le territoire national. Depuis de nombreuses années déjà, les États-Unis considèrent que la dissuasion nucléaire n’offre plus une garantie suffisante. Nous pouvons ne pas partager cet avis, mais nous ne pouvons pas l’ignorer.
Le Président de la République a indiqué quelle était la position française : « la défense anti-missile peut être un complément utile à la dissuasion nucléaire mais ne saurait s’y substituer ». Cette formulation est satisfaisante. Elle clôt un débat d’arrière-garde sur le sujet : arrêtons de nous interroger pour savoir si la défense anti-missile va remplacer la dissuasion nucléaire ! Cette question est résolue : la réponse est « non », toute idée de substitution est exclue.
L’Amérique de Reagan a nourri le fantasme de l’invulnérabilité. Elle a rêvé d’un bouclier impénétrable ; c’était il y a bientôt trente ans, aux États-Unis. Avec sa géographie étriquée et son histoire jalonnée de guerres, l’Europe n’a jamais entretenu ce fantasme. Il n’est pas question de renoncer à la dissuasion nucléaire. La défense anti-missile doit être « un complément utile ».
Deuxièmement, il faut prendre part à la défense anti-missile de l’OTAN pour en tirer des bénéfices technologiques. La mise au point d’une défense anti-missile est un puissant facteur de développement technologique. Elle implique de maîtriser les satellites et les radars d’alerte avancée, les radars de poursuite, les intercepteurs et les systèmes de commandement et de contrôle.
L’acquisition de ces technologies peut engendrer des avancées concernant l’ensemble des équipements aéronautiques, spatiaux et électroniques. La France ne peut pas passer à côté de ces progrès. L’investissement dans la défense anti-missile balistique doit permettre d’améliorer la compétitivité de notre industrie de défense et, au-delà, celle de notre industrie civile.
Enfin, la troisième raison qui doit nous inciter à prendre une part active à la défense anti-missile de l’OTAN est diplomatique. La capacité des grandes puissances à proposer à leurs alliés une défense anti-missile balistique « clés en main » devient un outil diplomatique. La France doit développer les technologies nécessaires pour proposer ces services à ses alliés et à ses partenaires.
Pour résumer, la France doit prendre une part active à ce projet parce que c’est un outil de puissance.
Comme vous l’avez rappelé, monsieur le président de la commission, les États-Unis ont ouvert la voie dès 1983 ; ils ont investi plus de 160 milliards de dollars dans leur « initiative de défense stratégique » ; la Russie modernise l’ancien système de l’Union soviétique ; en janvier dernier, la Chine a réussi son premier test d’interception d’un missile dans sa phase de vol exo-atmosphérique ; l’Inde a démarré récemment un programme national d’intercepteurs balistiques ; le Japon et Israël ont acquis depuis longtemps des systèmes de défense anti-missile.
Pour projeter sa puissance, un État doit toujours avancer sur la voie du progrès technologique. La France ne peut pas se soustraire à cette règle des relations internationales modernes.
La question soulevée par ce débat est la suivante : comment faire ? Comment notre pays peut-il et doit-il participer au projet de l’OTAN ? Quelle contribution pouvons-nous y apporter ? Quelle place dans le commandement et le contrôle du système pouvons-nous occuper ? Quel sera le coût réel de sa mise en place ? Quelles contreparties industrielles pouvons-nous espérer ? Quelles retombées technologiques et économiques pouvons-nous attendre ?
Très rapidement, j’évoquerai trois enjeux, que je considère déterminants.
Premièrement, nous devons être très attentifs aux enjeux industriels. Lorsqu’ils ont mis en place l’initiative de défense stratégique, le premier bouclier anti-missile, les États-Unis ont consacré seulement 1 % du budget à des entreprises non américaines. Aujourd'hui, le déclin industriel américain n’offre pas un contexte favorable à des revendications européennes de partage des techniques. Mais la France a des compétences à faire valoir, et elle doit les faire valoir. Des entreprises françaises développent non seulement des capacités d’interception des missiles intercontinentaux dans l’espace – je regrette d’ailleurs que l’on ait pris deux ans de retard dans le développement du démonstrateur spatial Spirale –, mais aussi des capacités d’interception des missiles à courte et à moyenne portées dans l’atmosphère.
La contribution française pourrait prendre la forme de « briques », s’insérant dans l’édifice collectif de l’OTAN. Ces briques doivent être conçues et construites en France ou en partenariat avec les Britanniques. Ce serait une avancée concrète, dans l’esprit du traité de coopération en matière de défense et de sécurité que nous venons de conclure avec la Grande-Bretagne. À l’article 2 de ce traité, il est prévu que les parties développent « en interdépendance les bases industrielles et techniques de défense et les centres d’excellences autour de technologies clefs ».
Le développement de projets communs fait cruellement défaut à la défense européenne. Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2011, j’ai rappelé que les pays de l’Union européenne comptent quatre-vingt-neuf programmes d’armement différents, contre vingt-sept seulement pour les États-Unis. La fragmentation des marchés de la défense européens coûte cher. Il est urgent de renforcer la coopération, la mutualisation et l’intégration des moyens européens. Si les conditions industrielles sont réunies, la mise en place du bouclier anti-missile peut y contribuer. À cet égard, le défi majeur est l’absence non pas de réalisations techniques, mais d’expérimentations communes. Pour développer les capacités européennes, il faudra veiller à faciliter les essais et le développement intégrés.
Deuxièmement, nous devons être extrêmement attentifs au rôle des États européens dans la prise de décision. Les accords dits « Berlin plus », conclus lors du sommet de Washington en 1999, régissent la mise à disposition de l’Union européenne des moyens et des capacités de l’OTAN. Ces accords, mais aussi la Politique de sécurité et de défense commune, doivent permettre le partage avec les forces de l’Union européenne de la défense anti-missile créée pour l’OTAN.
Les dispositions des accords « Berlin plus » fixent les conditions d’accès et de participation des moyens de l’Union européenne et la nature de l’influence politique qui pourrait être exercée. Ces accords garantissent l’accès de l’Union européenne aux capacités et aux moyens pré-identifiés de l’OTAN. Mais l’Union européenne et l’OTAN ont des vues divergentes sur les conditions posées par les accords « Berlin plus » pour déterminer si les pays qui ne sont membres que de l’OTAN ou de l’Union européenne peuvent utiliser les moyens en question. Le règlement de ces désaccords est particulièrement crucial s’agissant de la Norvège et de la Turquie, étant donné leur importance stratégique pour la défense anti-missile.
Troisièmement – et c’est peut-être l’enjeu le plus important –, il faut rechercher activement la pleine coopération de la Russie, et prendre la pleine mesure de ce que cela implique.
Le développement d’un système anti-missile constitue une évolution majeure du dispositif de protection du territoire européen par l’OTAN. L’alternative est claire : soit ce projet sera vécu par la Russie comme une menace contre sa propre dissuasion nucléaire, et une nouvelle course à l’armement commencera, soit la Fédération de Russie y sera associée, et cela ouvrira une nouvelle page dans l’histoire de la défense du continent européen.
Dans un entretien diffusé mercredi 1er décembre sur CNN, le Premier ministre Vladimir Poutine a agité la menace d’une nouvelle course aux armements en cas de non-coopération entre la Russie et l’OTAN sur ce dossier. Il reprenait quasiment les propos tenus la veille par le Président Medvedev devant les parlementaires russes. Il a été chaudement applaudi lorsqu’il a affirmé que « sans accord constructif, une nouvelle course à l’armement commencera ».
Cette tonalité guerrière, contraire à l’esprit qui a manifestement prévalu au sommet de Deauville, cache peut-être le souhait de la Russie d’être mieux intégrée dans le concert des nations de l’OTAN. Si l’on parvient à une vraie coopération avec la Russie, la place de l’État russe dans l’architecture de sécurité de l’Europe pourrait changer radicalement la donne. Une association de la Russie supposerait un partage d’informations sensibles sur des zones d’intérêts communs, la mise en commun de technologies militaires et duales de très haute qualité, la définition d’un spectre de menaces identifiables pour les deux parties, l’instauration d’un régime de complémentarité militaire entre elles. À terme, il s’agirait de mettre en place un modèle dissuasif partagé. Techniquement, cela impliquerait un partage des matériels et des données sensibles, mais peut-être aussi une association au système de décision, sans angélisme de notre part : les Russes restent les Russes !
Sur ce point, monsieur le ministre d’État, pouvez-nous nous indiquer où en sont les échanges entre l’OTAN et la Russie ? Le Conseil OTAN-Russie est-il le bon cadre pour faire avancer les discussions ? La délicatesse de nos amis Américains a-t-elle encore frappé ? Si l’on parvient à mettre en place une véritable coopération avec la Russie sur ce dossier, la Fédération russe sera arrimée au continent européen. Cela pourrait faciliter les relations mutuellement bénéfiques que l’Union européenne et la Russie essaient de mettre en place en tenant des réunions trimestrielles.
Voilà, monsieur le ministre d’État, la contribution que je voulais apporter à ce débat et les enjeux sur lesquels je souhaiterais connaître votre avis.
Je terminerai en insistant sur trois risques qu’il nous faudra éviter, car le projet n’est pas sans risques.
La France court d’abord un risque budgétaire, avec un possible effet d’éviction des autres programmes de défense. Pour cette raison, la question du coût financier du projet est cruciale et appelle des réponses. Le montant évoqué de 200 millions d’euros sur dix ans semble largement sous-évalué. Le chiffre de 1 milliard d’euros sur la même durée paraît plus crédible, mais j’espère que vous pourrez nous apporter des indications plus détaillées sur ce sujet, monsieur le ministre d’État.
La France court également un risque stratégique. Si nous n’avons pas notre mot à dire dans le futur système de commandement, nous ne maîtriserons pas ce qui est devenu un « complément utile » à notre dissuasion. Cela marquerait un recul de notre souveraineté.
Le projet n’est pas sans risques pour l’Union européenne. Si l’on ne prévoit pas une vraie place institutionnelle pour l’Union européenne, si ce projet procure à nos partenaires un faux sentiment d’invulnérabilité, si l’on délaisse l’Europe de la défense au profit du bouclier, l’Union européenne sera perdante.
Enfin, le projet n’est pas sans risques pour l’ordre international. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la stabilité de l’ordre international repose sur l’équilibre des puissances. Si la mise en place du bouclier anti-missile est vécue comme une rupture de cet équilibre, si d’autres grandes puissances, comme la Chine, considèrent que leur projection de puissance est affaiblie, l’ordre international pourrait être perturbé. Ce risque ne doit pas être ignoré.
Ce projet est une avancée considérable pour la protection de l’Europe. La France gagnera à s’y engager activement, en faisant valoir ses atouts industriels et technologiques, mais veillons à éviter les fantasmes de menaces et d’invulnérabilité et à progresser en se conformant à une éthique de responsabilité et de dialogue.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, nous y voici : enfin, allais-je dire ! Car ce débat sur la défense anti-missile, nous aurions tant aimé qu’il ait eu lieu au Parlement français avant que notre pays ne se soit engagé dans cette voie par la seule décision du Président de la République, lors du sommet de l’OTAN à Lisbonne, les 19 et 20 novembre derniers.
Monsieur le ministre d’État, je voudrais intervenir ce soir à la fois en tant que sénateur et en tant que membre de la délégation française à l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, où je siège depuis près de quinze ans, y représentant aujourd’hui le Sénat, après y avoir été envoyé par l’Assemblée nationale. C’est le lieu d’échanges nombreux et fréquents entre parlementaires des pays membres de l’Alliance atlantique. Avec le temps, nous nous connaissons bien et les relations y sont franches et cordiales et, pourquoi ne pas le dire, très souvent amicales. Cela permet à un parlementaire français de mieux juger de la place et de l’action de notre pays, telles qu’elles sont ressenties à l’étranger. Beaucoup de nos grands décideurs seraient bien inspirés de se forger une telle expérience !
Je n’ai donc pas manqué, au cours des semaines écoulées, à plusieurs reprises et encore tout récemment, au début de la semaine, lors du Forum transatlantique qui s’est tenu à Washington, dont l’un des thèmes de discussion était précisément le bilan du sommet de Lisbonne, de m’enquérir auprès de collègues des autres pays membres de l’OTAN de la manière dont avait été abordée dans leur parlement la préparation du sommet de Lisbonne, en ce qui concerne tant la réforme du concept stratégique que la défense anti-missile.
Tous, à de très rares exceptions près, ont pu en débattre avec leur Gouvernement. Cela paraît tellement évident qu’ils ont été très surpris d’apprendre que la France, qui s’affiche aux yeux du monde comme une démocratie exemplaire et souvent donneuse de conseils, …
… membre de premier rang de l’Alliance atlantique, avait jugé opportun de se dispenser d’une telle discussion parlementaire. J’ai de plus en plus l’impression qu’ils découvrent chez nous des pratiques politiques que nous leur masquons soigneusement. Je ne dirai pas qu’ils s’en amusent ou s’en réjouissent, mais ils s’en étonnent ; c’est le moins que l’on puisse dire !
En effet, s’il est un sommet de l’OTAN, dans l’histoire de l’Alliance atlantique, qui méritait que le Parlement y fût associé et eût pu en débattre avant qu’il ne se déroule, c’est bien celui de Lisbonne. Car, outre les deux sujets que je viens d’évoquer, y ont été également abordés la réforme de la structure de l’OTAN, la situation en Afghanistan et le partenariat stratégique avec la Russie. Excusez du peu !
Eh bien, monsieur le ministre d’État, de tous ces sujets, à la différence de la plupart des parlements des autres pays membres de l’Alliance atlantique, le Parlement français n’en a jamais parlé ou, pour certains d’entre eux, il y a très longtemps, souvent à la sauvette. Vous me direz que la France n’est jamais que le troisième ou quatrième contributeur en termes financiers ou d’engagement de troupes. Alors, au diable l’avarice !
Je voudrais tout de même mettre un léger bémol à mon propos et dire que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la houlette de son président, que je remercie, a, malgré tout, au cours des derniers mois, tenté de ne pas se laisser déposséder totalement, en organisant des auditions ou en rédigeant quelques rapports sur certains des sujets évoqués. Mais de débat en séance publique en présence de l’exécutif, que nenni !
Avec le Gouvernement, celui d’hier en particulier –l’avenir nous dira ce qu’il en sera du nouveau ! –, ce fut la belle Arlésienne. C’était d’ailleurs peut-être mieux ainsi, pour lui en tout cas, afin que les ministres ne se trouvent pas en permanence en porte-à-faux avec le seul réel décideur, en l’occurrence l’Élysée.
Je me souviens des contorsions du ministre Hervé Morin sur la réintégration de la France dans le commandement intégré de l’OTAN. Après nous avoir dit en commission qu’il n’y était pas favorable, il a dû, comme on dit, avaler la couleuvre. Et quelle couleuvre ! Je l’imaginais déjà, le pauvre, en train de promouvoir la défense anti-missile, après l’avoir comparée à la ligne Maginot !
Quant à l’Afghanistan, nous avons eu l’heur de voir et d’entendre le même ministre, ainsi que son collègue des affaires étrangères, en rivalité sémantique dans cet hémicycle afin de se départager pour savoir si c’était d’une guerre qu’il s’agissait ou d’une simple opération de maintien de la paix. Monsieur le ministre d’État, nous espérons que, avec votre arrivée à la tête de ce ministère, les pantalonnades vont prendre fin et que l’on va enfin débattre sérieusement !
Votre action reconnue en tant que ministre des affaires étrangères, dont se félicitait le président Mitterrand lui-même –c’est le Nivernais que je suis qui en porte témoignage !
Sourires
Mais revenons à la défense anti-missile, puisque c’est le sujet qui nous occupe aujourd’hui.
Beaucoup de choses ont déjà été dites excellemment par mon collègue Daniel Reiner, qui s’est fait une spécialité de cette question, notamment sur le plan technique ; ce n’est pas le moindre des défis.
Je m’en tiendrai donc aux aspects plus politiques du sujet, aux conséquences qui en découleront pour notre pays, à la place de la France dans le concert des nations dotées de l’arme nucléaire, aux aspects qui touchent à la propre sécurité de notre pays et aussi à son indépendance, notamment à sa liberté d’appréciation de la situation internationale et à sa capacité à décider lui-même de son action, sans oublier d’évoquer rapidement au passage, bien sûr, la problématique de l’Europe de la défense, si tant est que l’on puisse encore y faire référence : ce n’est pas là la moindre de nos inquiétudes.
En effet, cet accord sur le système anti-missile, qui est à bien des égards un succès américain, suscite des motifs de préoccupation plus que sérieux pour les Européens. Dans son mode de fonctionnement prévisible, il présente un triple risque de contrôle politique des États-Unis sur les alliés, de marginalisation des industries de défense européenne et de captage de crédits au détriment des projets visant à construire l’Europe de la défense.
Monsieur le ministre d’État, ma première question sera très directe : êtes-vous en mesure de nous confirmer les propos tenus très récemment par votre prédécesseur devant nos collègues députés, lorsqu’il leur a expliqué que « la défense anti-missile, pour séduisante qu’elle paraisse à l’opinion publique, n’en constitue pas moins une erreur », alors que notre pays vient justement de donner le feu vert à sa mise en œuvre ?
Le très récent ralliement du Président Sarkozy à la défense anti-missile proposée par les États-Unis et son docile missus dominici, M. Rasmussen, secrétaire général de l’OTAN, mérite à tout le moins quelques explications, quand bien même la France a, semble-t-il, mis en œuvre de multiples manœuvres de retardement ou de ralentissement du processus, lesquelles, il faut bien l’admettre, ont échoué.
Notre conviction est faite : l’affaire a été amorcée dès le processus de réintégration du commandement intégré de l’OTAN. Alors, qu’avons-nous réellement obtenu en échange ? Vous ne nous redirez pas, j’ose le croire, que nous avons gagné de nombreuses étoiles, dont, je le crains, la plus en vue est déjà en train de pâlir sérieusement, hélas : c’est désormais un secret de polichinelle.
Il n’était pas anormal que les alliés aient tiré les conclusions qui s’imposaient de notre alignement et que nous ayons été de facto embarqués dans les projets de l’OTAN que nous refusions jusqu’alors. Le Président de la République avait expliqué que notre réintégration serait irrévocablement liée à deux conditions : la redéfinition du concept stratégique de l’Alliance et la mise en route sérieuse de l’Europe de la défense. J’imagine que vous saurez nous convaincre que ces deux conditions sont remplies…
Maintenant, nous y sommes ! Voilà pourquoi les contorsions se multiplient. On nous explique que l’on accepte le principe de la défense anti-missile de territoire – le principe seulement ! –, en ajoutant que celle-ci n’est que le complément de la dissuasion nucléaire. Telle n’est pas notre conviction. Selon nous, il y a, à terme, de vrais risques d’affaiblissement de notre capacité de dissuasion et de décision. Qu’en pensez-vous vraiment, j’allais dire sincèrement ? Sotto voce, on nous dit que, de toute façon, ce n’est pas pour demain et que nos industriels tireront des bénéfices de cette aventure technologique. Ces bénéfices, nous aimerions les connaître : nos industriels seront-ils acteurs ou sous-traitants ?
Comme je le disais à l’instant, le président de Rohan a courageusement tenté de sauvegarder la parole de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées au travers d’une communication sur laquelle nous n’avons pas trouvé grand-chose à redire. Pour notre part, nous avons tenté d’analyser sa pensée, dont nous avons d’abord considéré qu’elle visait à ne pas froisser le Gouvernement. On ne saurait lui en faire reproche, en raison de son appartenance à la majorité présidentielle.
Mais nous avons aussi perçu chez lui les mêmes réticences que les nôtres. Sur la défense anti-missile de théâtre, il faut continuer ; nous sommes d’accord. Sur la défense anti-missile de territoire, nous avons ressenti quelques réserves et une ferme volonté de préserver le rôle de la dissuasion ; nous partageons cette volonté. Sur le coût du système, le risque de dérive suscite beaucoup d’interrogations ; elles sont aussi nôtres, car l’état de nos finances, dont la majorité est en grande partie responsable, elle qui gouverne depuis 2002, ne nous permet pas de faire tout et n’importe quoi. S’ajoute à cela le fait que, les moyens financiers de l’OTAN étant ce qu’ils sont, la mise ne place d’un tel bouclier anti-missile hypothéquera à coup sûr les autres capacités de l’Alliance, alors que celle-ci est durablement embourbée en Afghanistan, malgré les annonces incertaines de début de retrait : 2011, 2014, 2016, maintien de forces au-delà ? Plus personne ne sait vraiment qui croire ! C’était bien le sentiment des parlementaires lundi et mardi à Washington.
Enfin, nous avons perçu très distinctement, au travers du rapport du président de Rohan, qu’il ne faudrait pas se mettre entre les mains des Américains. Or, monsieur le ministre d’État, comment pourrait-il en être autrement quant à la décision ultime de mise en route du système si le besoin s’en faisait sentir face à une agression quelconque ? Qui peut croire sérieusement que la décision pourra être partagée par les Américains ?
En résumé, ce que nous avons lu au travers de ce rapport fort bien fait, c’est qu’il faut y être, parce que de toute façon cela peut se faire sans nous ; mais nous avons lu aussi que la France est dans l’OTAN, que la défense anti-missile se fera dans l’OTAN et donc que la France fera partie de la défense anti-missile : curieux syllogisme, qui nous permet de mieux apprécier les conséquences d’une décision unilatérale et à contre-courant de la décision du Président Sarkozy de retourner dans le commandement intégré de l’OTAN, ainsi que de constater, avec une réelle amertume, quelle place est laissée aux choix politiques de la France.
Monsieur le ministre d’État, nous voudrions que la représentation nationale soit éclairée devant ce risque de perte d’autonomie dans la décision pour la France. Qu’en est-il de la mise en place d’un outil de commandement et de contrôle – le fameux C 2 – pour cette nouvelle défense ? Qui commandera réellement le système ?
On nous dit que la décision est prise sur la base d’un projet réaliste, adapté à l’évolution de la menace balistique que font peser certains programmes mis en œuvre au Moyen-Orient. Pouvez-vous nous dire quelle est la réalité de l’évolution de cette menace ? À mots mal couverts, tout le monde semble comprendre que c’est de l’Iran qu’il s’agit. Sans nul doute pourrez-vous nous éclairer sur l’urgence qu’il y a à décider.
Nous attendons de vous, cela va de soi, des réponses précises, et non les mêmes explications que celles que nous fournissent à longueur de colonnes les quotidiens. Nous sommes devenus prudents quant à l’affirmation de ce genre de menaces, dont l’une des premières vertus est d’abord d’entretenir l’inquiétude chez nos concitoyens et de justifier – je fais ici allusion aux propos à peine voilés et souriants que nous a tenus au mois d’octobre, à New York, l’ambassadeur de Russie auprès des Nations-Unies – l’extraordinaire effort d’équipement militaire de tous les pays de la région. L’ambassadeur de Russie nous a d’ailleurs demandé, l’air un peu narquois, si nous n’aurions pas une petite idée sur le nom du pays qui avait bénéficié de ces juteux marchés…
Voyez-vous, monsieur le ministre d’État, je suis devenu extrêmement prudent depuis que, dans cette maison, j’ai eu avec d’autres collègues ici présents le privilège d’entendre, voilà quelques années, l’une de nos soi-disant spécialistes en matière de prolifération nucléaire affirmer qu’il y avait des armes de destruction massive en Irak. Cette affirmation n’était donc pas l’apanage de George Bush : c’était du Bush à la française ! On sait ce qu’il est advenu de ces fameuses armes et, pour ma part, je ne remercierai jamais assez le président Chirac de ne pas s’être laissé enfumer – pardonnez moi l’expression ! – par ces beaux esprits.
M. Robert del Picchia applaudit.
J’aimerais être convaincu que la même vigilance est encore d’actualité au plus haut sommet de l’État. J’ai parfois quelques doutes à cet égard quand je vois l’allant que la France met, dans le dossier iranien, à se placer en première ligne ; elle est parfois même plus allante que les Américains, qui, si je suis bien informé, semblent d’ailleurs en marquer quelque étonnement. Il serait sans doute dommageable de découvrir dans quelque temps, malgré notre empressement à les devancer, que les Américains ont, de leur côté, entamé en secret et de façon bilatérale des discussions avec les Iraniens qui pourraient nous laisser sur le bord du chemin.
Je ne suis, bien sûr, ni sourd ni insensible aux propos malveillants du président iranien. Mais, me semble-t-il, ceux qui passent leur temps à montrer du doigt le régime iranien manifestent une faible connaissance de la complexité du pouvoir iranien en laissant à penser qu’un seul homme, fût-il le président, détient à lui seul les clefs de la politique de ce grand pays, de cette grande civilisation qui n’ignore nullement les risques qu’elle encourrait en cas de dérapage fatal. La subtilité persane semble, elle aussi, échapper à quelques faucons de par le monde, dont nous devrions un peu plus nous méfier.
Monsieur le ministre d’État, je dois conclure, hélas ! sur un sujet qui mériterait encore de longs développements. Mais le temps m’est compté.
J’ai essayé de démontrer pourquoi il nous paraît indispensable que le Gouvernement joue cartes sur table, qu’il dissipe toutes les ambiguïtés et qu’il apporte enfin toutes les réponses nécessaires face à ce qui apparaît clairement comme un revirement de la politique de sécurité, de défense et, surtout, d’indépendance de notre pays.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
Je n’ai nullement l’intention de réfuter les arguments des uns et des autres. Le ministre répondra aux questions qui lui ont été posées ; il ne m’appartient pas de le faire.
Je voudrais simplement faire une mise au point à la suite des interventions de MM. Daniel Reiner et Didier Boulaud.
Si je l’ai bien compris, M. Reiner a regretté que la réintégration de la France dans l’OTAN n’ait pas été discutée par le Parlement. Je dois lui rappeler qu’un débat a eu lieu dans les deux assemblées et que le Premier ministre a engagé la responsabilité du Gouvernement sur cette question. Par conséquent, on ne peut pas dire que le débat a été escamoté.
Quant à M. Boulaud, il est beaucoup trop intelligent pour être vraiment de bonne foi !
Sourires.
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Certes, ce débat intervient après coup, mais les explications que nous donnera M. le ministre d’État nous permettront de mieux comprendre ce qui s’est décidé à Lisbonne. Comme cela a été dit tout à l’heure, il s’agit du début d’un processus. Nous avons émis un certain nombre de réserves sur son déroulement, nous ne savons pas du tout s’il sera mené jusqu’à son terme : peut-être faut-il laisser du temps au temps…
Applaudissementssur les travées de l’UMP.
Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, je me réjouis de ce débat sur la défense anti-missile, sujet d’actualité, puisqu’il a été abordé, voilà quelques jours, au sommet de Lisbonne et doit faire l’objet d’études complémentaires au sein de l’OTAN au cours de l’année 2011. C’est un sujet dont l’importance, à mon sens, ne fera que s’accentuer dans les années à venir.
Nous devons ce débat à l’initiative du groupe socialiste, mais permettez-moi, mes chers collègues, de remercier avant tout le président de Rohan d’avoir inscrit l’examen de la question de la défense anti-missile balistique à l’ordre du jour de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées voilà déjà plusieurs mois. Cela nous permet aujourd’hui d’être beaucoup mieux informés sur un sujet parfois complexe, dans ses dimensions tant techniques que stratégiques.
Nous avons entendu et questionné, en commission, des personnalités comptant parmi les plus qualifiées, notamment le général Abrial, le directeur des affaires stratégiques du ministère de la défense, le directeur de la Fondation pour la recherche stratégique et les présidents des quatre sociétés industrielles françaises concernées.
Le rapport qu’a publié la commission fournit une base de réflexion très riche à tous ceux qui s’interrogent sur les enjeux de la défense anti-missile. Nous pouvons donc aborder la discussion avec un haut degré d’information, et je me félicite de ce que la commission ait décidé de poursuivre et d’approfondir ce travail dans les mois à venir.
Je souhaiterais formuler trois remarques.
Tout d’abord, pendant longtemps, en France, la question de la défense anti-missile balistique a suscité de vives réactions, ainsi que des prises de position très tranchées. Le débat s’en est souvent trouvé faussé. On peut même dire qu’il a longtemps été occulté. En revanche, j’ai pu constater, à l’occasion des échanges que nous avons avec des collègues étrangers, que l’approche de ce sujet est moins idéologique, beaucoup plus pragmatique et dépassionnée ailleurs dans le monde.
Nombreux sont ceux aujourd’hui – et pas seulement aux États-Unis – qui se préoccupent des conséquences de la possession par un plus grand nombre de pays de missiles balistiques toujours plus perfectionnés. Il ne s’agit plus que de quelques puissances majeures : les équilibres stratégiques de régions entières sont affectés par cette prolifération ! C’est dans ce contexte que l’idée d’une protection contre les missiles balistiques fait son chemin.
Certes, pour le moment, les technologies de l’interception ne sont pas totalement maîtrisées. Très peu de pays sont en mesure de relever ce défi. Les obstacles techniques et financiers sont évidents, et il ne faut surtout pas les sous-estimer…
Mais la conclusion qu’en tirent généralement nos partenaires, ce n’est pas qu’il faut renoncer à toute idée de protection ; c’est, au contraire, qu’il faut améliorer les technologies, avec l’objectif de rendre un jour accessibles des systèmes d’interception procurant un niveau de protection significatif. Je ne fais là que relever une opinion répandue dans de nombreux pays, mais dont le bien-fondé est encore contesté en France.
L’une des caractéristiques du débat français est aussi que l’on a longtemps voulu opposer défense anti-missile et dissuasion nucléaire. Envisager de se protéger des missiles balistiques serait, pour certains, contradictoire avec la stratégie de dissuasion. D’aucuns envisagent même la défense anti-missile comme un substitut à la dissuasion nucléaire. C’est là, à mon sens, une grave erreur.
En effet, je défends, en tant que rapporteur pour avis des crédits d’équipement, le rôle fondamental de la dissuasion dans notre stratégie de défense. Mais j’observe, ici encore, qu’en dehors de notre pays cet antagonisme entre défense anti-missile et dissuasion n’est pratiquement jamais mis en avant. Les États-Unis ne voient pas de contradiction particulière entre les deux. Des pays comme la Russie, la Chine ou l’Inde sont engagés à des degrés divers dans des programmes de défense anti-missile. Ce sont pourtant des puissances nucléaires, et qui entendent bien le rester. On pourrait peut-être également citer le cas d’Israël.
La défense anti-missile ne doit pas, bien entendu, se substituer à la dissuasion. La dissuasion n’est pas exclusive de la défense anti-missile.
En outre, comme l’a mis en exergue le rapport du président de Rohan, il y a certainement un lien entre la crédibilité de la dissuasion et la maîtrise des technologies anti-missiles. En d’autres termes, se désintéresser de la défense anti-missile, « décrocher » par rapport à d’autres puissances qui s’investissent dans ce domaine, ce serait sans doute prendre un risque quant au maintien du niveau de crédibilité de notre dissuasion.
En résumé, si la défense anti-missile soulève beaucoup de questions, il faut éviter, à mon sens, d’en faire un sujet de querelle « théologique » et l’aborder de manière objective et pragmatique.
Deuxième remarque, le débat est aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, devant nous.
Comme l’a indiqué devant la commission le commandant suprême allié de l’OTAN pour la transformation, le général Abrial : « Pour les États-Unis, la nécessité d’une défense contre les missiles balistiques ne se discute pas. Donc, la défense anti-missile se fera. »
L’administration Obama a profondément modifié les options qui avaient été arrêtées par l’administration Bush, mais on aurait tort d’y voir un repli ou un renoncement. Au contraire, la défense anti-missile, y compris dans son extension aux alliés d’Europe, d’Asie et du Moyen-Orient, apparaît avec plus de force encore dans tous les documents stratégiques publiés cette année par les Américains.
Les États-Unis privilégient une approche graduelle, progressive, fondée sur l’amélioration de technologies éprouvées – le missile SM 3 et les systèmes navals Aegis –, alors qu’il y avait quelques doutes sur les performances des intercepteurs GBI – ground-based interceptors –, que l’administration Bush voulait implanter en Pologne.
Parce qu’elle est plus réaliste, la démarche américaine est plus crédible aujourd’hui et elle a donc plus de chances de prospérer. Les États-Unis se sont désormais placés dans le cadre de l’OTAN. On ne peut à la fois dénoncer leur unilatéralisme et ne rien avoir à proposer lorsqu’ils s’engagent dans la voie multilatérale. Nous ne pouvons donc pas échapper à ce débat.
Je ne reviendrai pas sur l’ensemble des enjeux, qui ont été soulignés par le président de Rohan.
S’agissant de l’intérêt militaire de la défense anti-missile, je crois moi aussi qu’il faut insister sur le rôle premier de notre dissuasion. Mais il me semble difficile de tenir, à l’égard des opinions publiques, une position selon laquelle, parce que nous avons la dissuasion et parce que nous riposterions si nous étions agressés, nous devrions renoncer, par principe, à toute idée de protection des territoires et des populations.
Il ne s’agit pas de prétendre à une protection absolue. Rien n’est plus inapproprié d’ailleurs que le terme de « bouclier », car il ne correspond pas au degré de performance recherché. En revanche, on ne peut pas écarter d’un revers de la main la contribution de la défense anti-missile à un volet « protection » complétant notre stratégie de défense.
Je voudrais également souligner qu’à mon sens les enjeux technologiques et stratégiques sont étroitement liés.
Si nous ne sommes pas capables de développer un minimum de technologies et de capacités proprement européennes en la matière, l’Europe risque tout simplement le décrochage capacitaire ou l’effacement stratégique. De facto, avec ou sans nous, l’Europe sera couverte par un système exclusivement américain et assistera en spectatrice aux développements de la défense anti-missile dans les autres régions du monde.
Ce déclassement serait particulièrement grave pour l’industrie de la défense française, car, cela a été dit, la défense anti-missile sera un vecteur de développement et de diffusion des technologies, avec de nombreuses retombées, en particulier dans les domaines de l’aéronautique, du spatial, de l’électronique de défense. L’industrie européenne des missiles est concernée au premier chef. Elle est aujourd’hui performante ; le sera-t-elle toujours demain si, faute d’investissements, elle reste à l’écart des développements les plus innovants ?
Pourtant, dans ce domaine, la France n’est pas démunie, tant s’en faut. Nous avons décidé d’être présents dans l’alerte avancée, avec Spirale puis un satellite opérationnel, ainsi qu’avec un radar à très longue portée dont le démonstrateur doit être lancé l’an prochain. Nous sommes les seuls en Europe à disposer d’une industrie balistique. Nous sommes engagés dans la défense anti-missile de théâtre, avec l’Aster. Nous pouvons participer à la construction du futur système de commandement et de contrôle d’une défense anti-missile balistique des territoires, puisque celle-ci se grefferait sur le système en cours de réalisation pour la défense de théâtre par l’un de nos industriels.
Je voudrais également mentionner le centre d’essais de Biscarrosse, en Aquitaine.
M. le ministre d’État sourit.
Il n’y a donc pas de fatalité du déclassement technologique et stratégique, à condition que nous sachions valoriser nos atouts, bien cibler nos objectifs et réaliser un effort supplémentaire qui ne me paraît pas totalement hors de portée pour un pays comme le nôtre, s’il en a réellement la volonté.
Enfin, dernière remarque, je souhaiterais plaider, au nom du groupe UMP, en faveur d’une approche objective, mesurée et pragmatique. C’est celle qui est préconisée par le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Quelles sont véritablement les options qui s’offrent à nous ?
D’abord, je constate qu’il aurait été politiquement très difficile de vouloir faire obstacle à une décision au sein de l’OTAN. Cela aurait également remis en question l’approche multilatérale des États-Unis. Pour mener à bien leur démarche, ceux-ci n’auraient eu alors d’autre solution que de contourner l’OTAN en cas de refus et de traiter bilatéralement avec certains pays. Ce ne serait pas une bonne chose pour l’Europe dans son ensemble, une partie de sa défense lui échappant.
Il y a aussi l’option du « soutien sans participation ». Dans ce cas, nous devrions tout de même contribuer aux coûts communs, tout en renonçant à un quelconque droit de regard sur la décision, ainsi qu’à une présence dans les technologies de la défense anti-missile.
Je crois que la seule option raisonnable est de viser deux objectifs.
Le premier consiste à continuer de travailler, dans le cadre de l’OTAN, pour préciser, clarifier et encadrer ce que pourraient être l’architecture et le fonctionnement d’une future défense anti-missile des territoires de l’Alliance. À cet égard, deux échéances importantes ont été fixées au sommet de Lisbonne : la clarification, d’ici au mois de mars 2011, des questions liées au commandement et au contrôle, et l’élaboration, d’ici au mois de juin 2011, d’un plan d’action sur les étapes de la mise en œuvre de la défense anti-missile.
Le second objectif est de se mettre en position d’apporter, à partir de nos compétences existantes, des « briques » qui nous permettront de participer au système autrement qu’en simple financeur. Autrement dit, il s’agit d’être un acteur de cette défense anti-missile qui va influer sur le paysage stratégique international dans les décennies à venir.
Comme l’indique le rapport de la commission, il faut que nous posions très clairement les conditions de notre engagement.
Au plan stratégique, tout d’abord, la défense anti-missile balistique n’est pas une protection absolue ; elle ne peut pas être non plus un substitut à la dissuasion, dont elle est seulement un complément.
Notre excellent collègue Jean-Pierre Chevènement vient une nouvelle fois de nous rappeler que, dans l’histoire du monde et des guerres, le glaive a toujours vaincu le bouclier. Je crois, mes chers collègues, qu’il nous faut aujourd'hui disposer à la fois du glaive et du bouclier. À mon sens, dissuasion et défense anti-missile sont complémentaires.
Toutefois, il nous faudra impérativement trouver un terrain d’entente avec la Russie, en d’autres termes éviter que le dossier de la défense anti-missile n’altère la relation entre l’OTAN et la Russie. Pour cela, dès maintenant, il est nécessaire d’engager des échanges concrets entre les deux parties.
La France dispose aussi, me semble-t-il, d’une expertise lui permettant de discuter activement du niveau d’ambition du système, du partage de l’information et des règles d’engagement, qui sont des points cruciaux.
Enfin, il faudra veiller à la maîtrise financière de ce projet. Ces dernières années, l’OTAN a accumulé un déficit colossal au titre de ses programmes d’investissement. Nos partenaires doivent être bien conscients de ce risque.
Sur tous ces sujets, la France doit bien définir ses objectifs et les faire valoir, non pas dans l’idée d’entraver la réalisation du projet, mais dans celle de clarifier celui-ci, de le rendre plus compatible avec les moyens de l’Alliance et plus utile au regard de ses priorités.
Je pense qu’il faudrait aussi discuter de manière très approfondie avec nos partenaires européens. Il serait tout de même souhaitable qu’émerge une vision européenne commune, ou du moins un certain nombre d’objectifs communs aux principaux pays européens, puisqu’il s’agira de la défense du continent. Au même titre que la France, je crois que nos partenaires doivent bien mesurer tous les enjeux de ce débat.
Pour conclure, je voudrais soutenir les propositions faites par le président de Rohan pour donner de la substance à ce qui pourrait être une contribution française à la défense anti-missile de l’OTAN.
Nous savons bien que la situation budgétaire est difficile : c’est une contrainte très forte. Cependant, nous ne parlons pas de milliards d’euros ; nous parlons d’investissements très ciblés, beaucoup plus accessibles.
Je pense par exemple au radar de poursuite M3R de Thales, qui permettrait à l’Aster 30 de fonctionner de manière autonome en anti-missile. Son acquisition pourrait être accélérée sans bouleverser les équilibres de notre programmation financière. Nous serions alors pleinement au rendez-vous du programme de défense de théâtre de l’OTAN.
Je pense à la constitution d’une véritable capacité d’alerte avancée. C’est l’une des pièces les plus essentielles du dispositif, puisqu’elle fournit le renseignement. Le démonstrateur spatial Spirale donne des résultats excellents et le démonstrateur de radar à très longue portée doit être lancé l’an prochain. Il faudra faire au plus vite pour que ces réalisations expérimentales débouchent sur des capacités opérationnelles, c’est-à-dire le satellite et le radar d’alerte qui sont prévus par le Livre blanc.
Enfin, l’acquisition de compétences dans le domaine de l’interception nécessiterait un budget d’études amont approprié.
Des chiffres ont été cités par les différents experts devant la commission : il s’agit de quelques dizaines de millions d’euros par an, alors que l’enveloppe annuelle, pour les études amont, est de l’ordre de 700 millions d’euros. Certes, cela n’est pas négligeable, mais, étant donné l’importance de l’enjeu, ne faudrait-il pas envisager de majorer quelque peu cette enveloppe ? À défaut, nous renoncerions définitivement à participer aux développements liés aux technologies de l’interception.
En résumé, je crois, monsieur le ministre d’État, qu’il faut être présents sur quelques créneaux et pleinement valoriser des investissements qui sont déjà en cours ou déjà programmés, afin d’avoir voix au chapitre. Cet objectif ne paraît pas hors de portée pour la France.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, les conclusions que nous pouvons tirer à ce stade de la réflexion. Le dossier de la défense anti-missile n’est pas facile, car, on le sait, nos moyens financiers sont limités, mais il me semble que nous sommes les seuls, en Europe, à avoir autant d’atouts à valoriser. Il dépend de notre volonté de ne pas entièrement laisser à d’autres ce nouveau champ de la défense et des relations stratégiques.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.
Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mes chers collègues, à ce stade du débat, mon intervention recoupera forcément celles de mes prédécesseurs, dont je partage de nombreuses analyses, notamment celles de MM. Josselin de Rohan et Xavier Pintat. Je vous prie donc d’excuser le caractère redondant de certains de mes propos.
La défense anti-missile balistique, ou DAMB, vise à se protéger des attaques par missiles balistiques, que ces attaques menacent des troupes déployées sur des théâtres d’opérations ou des populations à l’échelle d’un territoire.
Depuis des mois, partisans et opposants d’un tel système de défense placent le débat sur un plan théorique, dans le droit fil de l’éternel débat entre l’épée et le bouclier.
En France, les opposants à la DAMB font, en outre, valoir deux arguments : d’une part, sa mise en place coûterait extrêmement cher et induirait donc l’éviction des autres programmes ; d’autre part, la DAMB affaiblirait la dissuasion nucléaire.
Or, aujourd’hui, je pourrais dire, presque de façon provocatrice, que la question n’est que marginalement budgétaire.
En effet, le développement et le déploiement d’un système complet seraient totalement hors de portée de nos moyens financiers.
Nos collègues députés Patricia Adam et Yves Fromion rappelaient que « le Japon, pour disposer en 2011 d’une architecture anti-missile à couches multiples, pourtant limitée et reliée au système américain, a investi en cinq ans 10 milliards de dollars ». Il ne s’agit donc pas de choisir cette voie, d’autant qu’il est hautement improbable que le territoire national soit à court terme menacé par une attaque saturante de missiles.
En revanche, dès à présent, nos forces positionnées hors de nos frontières et nos points d’appui, notamment au Moyen-Orient, pourraient, comme le rappelait le président de Rohan, être pris dans l’engrenage d’une attaque de missiles de type SCUD ou dérivés. L’acquisition d’une capacité de défense anti-missile de théâtre est donc une nécessité.
La France l’a compris, comme le montre le développement du programme « sol-air moyenne portée terrestre », qui se poursuit, notamment avec une interception réussie par un missile Aster 30 de MBDA.
Mais, pour les États-Unis, la DAMB de territoire, avant d’être un instrument militaire, est un formidable atout en termes de puissance diplomatique, ainsi qu’un puissant sujet de recherche, permettant potentiellement de nombreuses retombées technologiques et économiques. Nous Français et Européens devrions partager cette vision. Je m’en explique.
La DAMB constitue, par son principe même, un parapluie non nucléaire, donc plus facilement acceptable, permettant d’offrir une protection à des alliés qui s’estiment menacés, et ce en échange de retours industriels ou politiques.
Dans le Golfe persique, les États-Unis sont en train d’étendre leur projet de parapluie DAMB, y compris à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, dans l’espoir de contrats importants. Dans les pays de l’Est, comme la Pologne, l’alignement systématique sur les États-Unis et l’achat de matériels militaires américains ne sont sans doute pas étrangers au déploiement d’un bouclier anti-missile promis par l’administration de George Bush.
La DAMB fait donc bien désormais partie des instruments de puissance, au même titre que la dissuasion nucléaire.
De plus, la recherche aéronautique et spatiale concentre nombre de technologies stratégiques essentielles. Les Américains considèrent qu’elle regroupe dix-sept des vingt-trois filières leur permettant de maintenir leur avance technologique sur le reste du monde.
De fait, nous le savons, un très grand nombre d’avancées technologiques sont des retombées de la course à l’espace et de la « guerre des étoiles ». Aux États-Unis, près des deux tiers de la recherche et technologie et de la recherche et développement dans le domaine des missiles sont consacrés à la DAMB, qui tire donc vers le haut toute l’industrie, en creusant l’écart avec l’industrie européenne.
Ne pas participer à cette course, alors que nous avons relevé les principaux défis technologiques de la puissance – la dissuasion nucléaire, les lanceurs spatiaux, les sous-marins nucléaires, les satellites de communication et de renseignement, l’aviation de combat –, réduirait encore notre rang par rapport aux États-Unis et surtout nous conduirait à être rapidement dépendants de leur politique et de leur industrie.
Les technologies de la DAMB sont les technologies génériques des futures générations de réseaux de commandement, de satellites et de radars à longue distance, de missiles d’interception.
En tout état de cause, que soient ou non développés des missiles antibalistiques haute altitude, maîtriser ces technologies est nécessaire pour garantir la pérennité d’une partie importante de l’industrie de défense en France et en Europe.
L’OTAN a lancé en 2005 un programme d’équipements communs, dont le coût est estimé à 800 millions d’euros et qui vise uniquement à intégrer les capacités européennes dans la boucle de commandement des opérations de défense aérienne.
Lors du sommet de Lisbonne, les États-Unis ont obtenu une avancée sur la DAMB et plaidé pour un « partage du fardeau » de la défense occidentale. Le secrétaire général de l’’OTAN a rappelé qu’il avait sa propre recette pour remédier au « blues » transatlantique : la mise en place d’une DAMB européenne.
Il est clair que l’éventuelle capacité de défense anti-missile européenne soulève des questions politiques, notamment à l’égard de la Russie, mais aussi opérationnelles, compte tenu de la diversité de nos moyens et du degré d’exposition de chacun à une menace balistique.
Mais si les pays Européens sont soumis de façon disparate à cette menace, ils subissent tous la rigueur budgétaire et la réduction de leur budget de défense. Ils doivent donc répondre, si possible de façon coordonnée, à la demande américaine via l’OTAN.
À partir du moment où nous devrons contribuer à la DAMB au titre de l’Alliance, mieux vaut le faire par des apports en nature sur des « briques » technologiques que nous aurons choisies – cela permettra à notre recherche et à nos entreprises de dégager de la valeur ajoutée –, et non par des concours financiers ou en sous-traitance. Les Américains nous referaient alors le « coup » de l’avion de combat JSF – Joint Strike Fighter –, qui a eu pour effet, sinon pour objet, d’assécher, par la sous-traitance et des coopérations limitées, les budgets militaires européens et de marginaliser l’industrie européenne d’avions de combat.
La France peut et doit animer une réflexion européenne, car elle possède un savoir-faire unique en matière balistique. Elle développe le démonstrateur Spirale, dont tous les spécialistes reconnaissent le potentiel. Elle participe déjà au système de commandement et de contrôle de l’espace aérien de l’OTAN, qui serait en fait élargi à la DAMB.
Mais comme l’indique M. le président de la commission dans son rapport, nos programmes ne sont pas financés à la hauteur suffisante, notamment pour respecter le calendrier de l’OTAN. Il faut donc, si nécessaire, dans un cadre bilatéral ou multilatéral – je pense aux Britanniques et aux Italiens, mais pas seulement à eux –, abonder les budgets de recherche et de développement correspondants, définir les « briques » prioritaires pour lesquelles nous pouvons apporter des plus-values et nous assurer de la compatibilité de nos systèmes avec ceux de l’OTAN.
Comme je le mentionnais en introduction, et contrairement à ce que certains affirment, le « ticket d’entrée », dans ces conditions, resterait financièrement supportable : le président de Rohan a évoqué la somme de 50 millions d’euros par an.
En outre, la DAMB n’affaiblit pas la dissuasion nucléaire. Elle ne se substitue pas à elle, mais la complète. En effet, la protection, même partielle, contre des missiles balistiques, notamment de théâtre, ouvre plus d’options au pouvoir politique et permet, en élevant le seuil nucléaire, de renforcer la dissuasion. Celle-ci reste en revanche essentielle et déterminante dans le cas d’une attaque massive contre le territoire national, car l’attaquant sait qu’il sera identifié, que la trajectoire de ses missiles sera suivie et donc que la réponse sera apocalyptique.
Enfin, pour conserver un effet de dissuasion nucléaire maximal, il faut travailler sur l’interception de missiles balistiques, ce qui permettra d’améliorer, et donc de rendre plus crédibles, nos propres missiles nucléaires, au fur et à mesure des progrès réalisés dans le domaine du bouclier.
Vous l’avez compris, monsieur le ministre d’État, la question est non plus de savoir s’il faut s’engager avec l’OTAN dans la DAMB, mais de définir avec qui, avec quelles « briques » technologiques et dans quelles conditions nous devons le faire, afin d’assurer la préservation de nos capacités de recherche et d’innovation, ainsi que la survie de nos industries de défense, outils de notre souveraineté.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs, nous sommes réunis ce soir sur l’initiative du groupe socialiste afin de débattre du projet de défense anti-missile de l’OTAN.
Malheureusement, ce débat se tient alors même que les décisions ont déjà été prises, au sommet de Lisbonne, voilà trois semaines, sommet qui a permis l’adoption du nouveau concept stratégique de l’Alliance et l’officialisation du ralliement de la France au projet de bouclier anti-missile. D’une certaine façon, le présent débat a été, voilà trois semaines, la première victime du remaniement ; il se déroule aujourd'hui alors que les dés sont jetés. Je ne puis que le déplorer à mon tour.
Le ralliement de la France au projet de bouclier anti-missile est pour le moins surprenant, monsieur le ministre, si l’on prend en compte les déclarations faites par votre prédécesseur, M. Hervé Morin, le 12 octobre dernier : « La défense anti-missile ne me semble un projet judicieux que pour les pays qui consacrent un effort important à la défense et possèdent une certaine capacité de résilience. En Europe, je crains qu’un tel dispositif ne soit conçu comme une ligne Maginot… »
Ces propos complétaient admirablement ceux qu’il avait tenus le 27 avril 2010, quand il affirmait que « la défense anti-missile, pour séduisante qu’elle paraisse à l’opinion publique, n’en constitue pas moins une erreur ».
Que penser des propos de M. Hervé Morin ? S’agit-il d’un avis trop personnel, d’un dérapage isolé ? Évidemment non : cette opinion était, et reste, largement partagée, à gauche bien sûr, mais aussi à droite.
N’avez-vous pas vous-même, monsieur le ministre, mis en doute la pertinence d’un retour de la France au sein du commandement intégré de l’OTAN ? Je rappelle par ailleurs que vous avez cosigné avec Michel Rocard une tribune dans le quotidien Libération, dans laquelle vous appeliez à un « désarmement nucléaire mondial ». Nous sommes nombreux à y avoir alors accordé du crédit et à y avoir vu des traces de la vérité d’un homme, de la vérité d’une nation aussi, tant cette tribune amplifiait un certain nombre d’idées qui circulaient depuis le discours de Barack Obama à Prague.
Bien sûr, certains ont considéré que ce discours était purement tactique, qu’il était adapté à sa cible et qu’il ne fallait pas le prendre au sérieux. D’autres, et j’en étais, ont pensé qu’il fallait prendre au mot le président américain.
Dans ces conditions, comment ne pas comprendre notre étonnement devant ce changement de pied brutal, cette volte-face abrupte du Gouvernement, entérinant une décision de principe qui n’a été discutée nulle part, ni dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale ni dans la loi de programmation militaire, et encore moins dans le cadre des institutions parlementaires ?
La décision étant prise, il est sans doute moins utile d’en débattre. Il me paraît en revanche nécessaire de revenir sur cette curieuse gymnastique qui conduit des parlementaires s’étant battus, parfois pendant des décennies, pour défendre l’idée de souveraineté nationale et contre l’idée même d’un retour de la France au sein du commandement militaire de l’Alliance, à se contorsionner pour expliquer, avec des accents de sincérité, qu’ils ont changé d’avis, qu’ils ont été mal compris et que c’est maintenant qu’il faut les écouter !
On a le droit d’en sourire ; nous l’avons fait au moment du retour au sein du commandement intégré de l’Alliance. Faut-il aller au-delà et dénoncer l’absence de sincérité de certains intervenants, qui auraient réaffirmé avec la même bonne foi et la même apparence de sincérité l’autonomie stratégique et la souveraineté sans réserve de la France ?
Notre pays souhaiterait donc s’engager sur la voie d’une politique de défense anti-missile à travers la mise en place d’un bouclier de défense du territoire, conçu pour être complémentaire, nous dit-on, de la dissuasion nucléaire.
J’ai eu l’occasion de dire, lors du débat budgétaire, que cette approche me paraît contradictoire avec la définition même de la dissuasion et que l’affirmation d’une complémentarité semble même miner les fondements de la dissuasion.
Il est en tout cas intéressant de noter que cette posture est le complet contre-pied de celle qui était défendue auparavant, quand la défense anti-missile était présentée comme incompatible avec la dissuasion. Il faut également prendre acte du fait que l’OTAN se réaffirme comme une alliance nucléaire.
Certains d’entre vous objecteront que la mise en place d’un bouclier de défense anti-missile pourrait contribuer au désarmement. Je pense qu’il n’en est rien. Face à ce bouclier, grande sera en effet la tentation, pour les États non protégés, de se lancer dans une course aux armements, et, pour les États proliférants, d’améliorer leurs armes en conséquence. En définitive, la militarisation de l’espace est à redouter.
La question la plus importante ici est celle de l’efficacité et de l’utilité d’une telle défense anti-missile.
Un bouclier infranchissable est bien sûr une utopie, et ce malgré les 200 milliards de dollars investis par les États-Unis ces quarante dernières années, dont 80 milliards depuis 2002. Ce bouclier n’offrirait qu’une protection partielle, non hermétique. Contre quoi, contre qui ? La menace est limitée à quelques dizaines de missiles peu évolués et d’une portée inférieure à 3 000 kilomètres, basés dans des pays proliférants tels l’Iran, la Corée du Nord, la Syrie, le Soudan, la Lybie.
Parmi ces pays, dont on voit mal pourquoi ils s’en prendraient à l’Europe, seul l’Iran, délicatement pointé du doigt par le Président de la République à Lisbonne, possède les moyens de représenter, à terme, une certaine menace. Or, il ne semble pas avoir les capacités de développer seul les segments technologiques nécessaires à la mise en orbite d’un satellite géostationnaire. Nous sommes donc face à un adversaire quasiment virtuel, peu enclin, semble-t-il, à se manifester par ce biais.
Les États-Unis, eu égard à leur avance technologique et aux moyens alloués à leur secteur de la défense, bénéficient de facto d'un poids démesuré. Cela amène à s’interroger sur la place des autres pays, notamment européens, dans une feuille de route déjà prête et qui ne leur laissera qu'une influence minime dans la prise de décision. Ils seront sans doute invités à financer un programme qui profitera presque totalement aux industriels américains, peu enclins à partager leurs technologies les plus sensibles, et ignorera les priorités européennes en termes de menaces. Le danger de suprématie américaine est donc manifeste.
À cela s'ajoute un véritable problème démocratique : la prise de décision devant se faire en quelques minutes, on voit mal comment la concilier avec les procédures de l'OTAN ou comment respecter un temps de décision relevant du politique.
Quelle serait la part d'autonomie nationale dans le cadre d'une défense anti-missile otanienne ? Voilà une question qui a traversé la plupart des interventions ce soir, qu’elle soit formulée de manière explicite par ceux qui sont hostiles à une quasi-tutelle américaine ou de façon plus prudente et plus subliminale par ceux qui font mine aujourd’hui de défendre ou de comprendre la décision du Président de la République.
Enfin, les aspects financiers du projet ne sont évidemment pas à négliger. Celui-ci aurait un coût exorbitant pour le contribuable, au détriment de la coopération civile et militaire ou des équipements. Votre prédécesseur, M. Hervé Morin, rappelait à juste titre qu' « avant d'investir dans un système anti-missile, il faudrait s'assurer que nous disposons des équipements de base ». La contribution de la France à l'OTAN, suite à son intégration au commandement militaire intégré, va déjà passer de 140 millions d’euros à 240 millions d'euros. Où donc aller chercher les 100 millions d’euros supplémentaires ? Cet effort ne pourra être consenti qu’au détriment des équipements militaires, entraînant l'abandon ou la remise en question du développement de certains projets. Pour l'Alliance même, investir dans la défense anti-missile hypothéquerait sans doute ses autres capacités.
L'Europe a-t-elle vraiment intérêt à ce que la défense de son territoire passe par l’OTAN ? Un tel bouclier anti-missile ne servirait-il pas uniquement les intérêts américains ? N’est-il pas temps de développer enfin une réelle politique européenne de défense permettant aux pays de l'est de l'Europe de s’affranchir progressivement de la tutelle américaine, sans craindre une éventuelle volonté expansionniste de leur grand voisin ?
Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs, ce débat arrive beaucoup trop tard et ne sera pas suivi d'un vote, mais j’aurais bien évidemment voté contre s’il y en avait eu un : contre un projet inutile et dispendieux, qui ne fait que repousser, une fois de plus, la mise en place d'une unité européenne en matière de défense. Je ne vois pas en une telle unité un simple instrument technique, mais aussi un projet politique, complémentaire des efforts déployés pour construire l’Europe solidaire et unie que nous sommes nombreux à attendre sur ce continent. Je regrette de devoir constater que, une nouvelle fois, il faudra s’en passer.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.
Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, nous aurions aimé pouvoir aborder ces sujets avant que la France ne se soit engagée dans cette nouvelle voie, bien balisée par l’OTAN et somme toute très contraignante pour l'organisation de notre défense, de la sécurité de nos populations et de nos territoires.
Monsieur le président de la commission, nous vous reconnaissons le mérite d’avoir fait vivre ce débat au sein de la commission. Vous n’avez pas réussi à obtenir qu’il se tienne en séance plénière, c’est pourquoi le groupe socialiste a souhaité l’inscrire à son ordre du jour réservé.Par conséquent, ne soyez pas trop sévère avec notre collègue Didier Boulaud : si vous aviez vraiment voulu ce débat, peut-être auriez-vous pu l’imposer.
Quoi qu’il en soit, des engagements, que nous constatons sans les approuver, ont été pris par le Président de la République ; ils seront très difficiles à défaire plus tard. Nous dérivons d'une façon telle que tout retour en arrière deviendra, dans deux ou trois ans, complexe, voire impossible.
Le sommet de l'OTAN qui s'est achevé par un accord sur la mise en place d'une défense anti-missile en Europe est un grand succès pour l'organisation atlantique et pour les États-Unis, puisque la France, longtemps circonspecte, méfiante même, face à ce projet, le soutient désormais.
Le nouveau concept stratégique apparaît comme le produit d'un compromis destiné à ne fâcher personne : opération réussie, puisqu'il a été adopté à l'unanimité. Il paie alors un tribut : il est assez vague pour masquer les désaccords et assez ambigu pour permettre les interprétations.
Voici quelques réflexions et quelques interrogations sur les décisions prises à Lisbonne et sur la nouvelle position française.
La défense anti-missile de l’OTAN constitue-t-elle un renforcement ou une fragilisation de la dissuasion ? Cette défense anti-missile peut-elle être un complément de la dissuasion ? La réponse est non pas technique, mais politique.
D'abord, en laissant à d'autres le soin de choisir à notre place la stratégie de défense de la France, de l'Europe, nous affaiblissons notre dissuasion nucléaire. Dans le sillage atlantiste, notre posture stratégique perd son autonomie de décision.
Nous aurions préféré la création d'un concept nouveau, intégrant une défense anti-missile de théâtre à la panoplie défensive, mais gardant la dissuasion nucléaire au cœur du dispositif. Nous aurions voulu un concept qui cherche à rassembler les pays européens autour d'une défense européenne autonome, susceptible de préconiser à l'Alliance une position commune à partir d'un pilier européen qui soit force de proposition, et non pas d'absorption.
M. Sarkozy n'a pas eu cette volonté politique, et nous nous trouverons donc embrigadés sous le parapluie nucléaire américain, assorti d’une hypothétique défense anti-missile. Alliés, et donc alignés ! C'est un enterrement de première classe pour la défense européenne…
Le très récent ralliement du Président Sarkozy à la défense anti-missile proposée par les États-Unis et l'OTAN mérite quelques explications de votre part, monsieur le ministre d’État. Vous-même étiez naguère réticent face à la réintégration pleine et entière de la France dans l'OTAN, n'est-ce pas ?
Or, le 15 octobre, l'Élysée a rappelé le soutien de principe de la France à la nouvelle approche de la défense anti-missile proposée par le Président des États-Unis. C'était un brutal changement de position, d’autant que, quelques jours plus tôt, le 12 octobre, au Sénat, le ministre de la défense, M. Morin, s’était déclaré réticent devant la construction d'une nouvelle « ligne Maginot » en Europe.
Maintenant, il s'agit d'un nouveau tour de vis. En effet, avec le processus de réintégration au sein du commandement intégré de l'OTAN, le Gouvernement et le Président de la République ont mis le doigt dans l'engrenage. Il est normal que nos alliés tirent toutes les conséquences de ce geste originel et que la France soit par suite embarquée dans des projets « otaniens » qu'elle refusait il y a encore quelque temps.
Nous constatons donc un revirement, un glissement atlantiste inquiétant, guidé, ce n’est pas une surprise, par le plus proaméricain des présidents de la Ve République. Ce n'est pas moi qui le dis, mais le département d'État américain…
Pourtant, le Livre blanc de 2007, rédigé sous la haute main de l'Élysée, n'avait pas retenu l'option d'une défense anti-missile des territoires. En revanche, il avait ébauché une démarche intéressante, qui consistait à compléter notre panoplie de défense par des systèmes d'alerte avancée. Pour cela, bien sûr, il fallait disposer de nos propres moyens d'observation et de nos propres systèmes.
C'était logique : la meilleure des préventions consiste à déceler rapidement l'origine de la menace et les intentions d'un État présumé hostile. Sur ce point au moins, le Livre blanc était dans le vrai. Dans ce domaine, des crédits et des programmes existent.
Faut-il développer plus vite ces programmes ? Faut-il approfondir certaines recherches ? Est-ce financièrement possible ? Tout cela méritait réflexion et action, parce que les technologies développées pour l'alerte avancée serviront directement à la protection contre les missiles. Il fallait sans doute explorer encore plus avant cette piste et, dans ce cadre, tenter de favoriser les industries européennes d'abord. Toutefois, l'alerte avancée, sorte de vigie de la dissuasion nucléaire, ce n'est pas la même chose que la défense anti-missile américaine adoptée à Lisbonne.
La menace balistique et nucléaire iranienne justifie-t-elle la mise en place d’un système de missiles anti-missiles ? Il y a sur ce sujet aussi une inflexion. Jusqu'ici, on disait qu'un Iran nucléaire était inacceptable ; aujourd'hui, on admet implicitement que c'est envisageable.
Mais c'est le rôle de la dissuasion de faire échec à une telle menace, le jour où elle existera. Un seul missile iranien sur l'Europe et les pays occidentaux seraient habilités, y compris d'un point de vue juridique, à riposter de la façon la plus sévère sur le territoire iranien. Voilà la doctrine française, qui n'a pas besoin de définir avec précision l'ennemi ou la cible, puisqu'elle se doit, pour être vraiment dissuasive, d'être tous azimuts.
Par ailleurs, et c'est paradoxal, la prévention et la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs marquent le pas. Au même moment, on lance une nouvelle course aux armements, qui emporte des conséquences sur la militarisation de l'espace ; c'est comme si on acceptait, de facto, la prolifération balistique et ses conséquences. C'est un aveu d'impuissance et une faute stratégique !
Entre l’OTAN et la Russie, les relations ont toujours été complexes et malaisées, à cause du poids de l'histoire, sans doute, mais aussi du fait que les relations entre l’OTAN et la Russie sont, pour le meilleur et pour le pire, étroitement liées aux rapports entre les États-Unis et l’OTAN. Aujourd'hui, après le sommet de Lisbonne, il en va de même : l'Europe a encore perdu l'occasion d'être l'auteur et l'acteur d'une politique originale, européenne, à l'égard de la Russie. La main passe, et les Européens auront donc à se mettre au diapason de la relation entre les États-Unis et la Russie, marquée par le traité START, la défense anti-missile, etc.
Pourquoi la Russie, farouchement hostile aux défenses anti-missiles, semble aujourd'hui disposée à entrer dans le jeu ? D'abord parce que le projet n'est plus celui que Bush dressait contre Moscou, l’OTAN assurant que l'ennemi n'est plus en Russie. Ensuite parce que la Russie se place ainsi de nouveau, en quelque sorte, à la hauteur des États-Unis : ces deux pays négocieront ensemble les conditions du futur réseau anti-missile. Illusion ou réalité ? Les Russes discuteront de la sécurité continentale avec l'OTAN, et non pas avec l'Union européenne. Hélas, voilà encore une pelletée de terre jetée sur la politique étrangère et de sécurité de l'Europe…
Après avoir longtemps voulu élargir son espace géographique, avec des velléités opérationnelles quasiment planétaires, l'Alliance semble revenue à des options moins ambitieuses. Peut-être le bourbier afghan lui rend-il une raison stratégique perdue…
Toutefois, son nouveau cheval de bataille paraît être non pas l'élargissement géographique, mais la recherche d'une défense « globale » qui puisse inclure des aspects civils et militaires : nouvelle dérive, nouveau défi lancé à l'Union européenne, qui a, de son côté, bien avancé en matière de gestion des crises et d'action civile d'urgence.
Dans la praxis, il faudra rapidement éclaircir un point important : l’OTAN veut-elle se lancer dans une concurrence acharnée avec l'Union européenne dans des domaines comme l'action civile de crise, l'action humanitaire ou les actions militaires de basse intensité, contre la piraterie maritime par exemple ? Quel serait le sens d'une telle concurrence ? Affaiblir encore plus l'Union européenne ? Assécher ses budgets pour que l’OTAN soit la seule ressource possible ?
Récemment, l’OTAN s'est proposée pour coordonner l'aide envoyée en Israël à l'occasion de graves incendies. Est-ce bien raisonnable ? Est-ce bien le rôle d'une organisation militaire de coordonner des moyens civils dans la gestion d'une crise non militaire ? Il va falloir bien définir, à l'avenir, les relations entre l'Union européenne et l’OTAN post-Lisbonne, faute de quoi des concurrences stériles et des doublons inutiles se feront jour.
L’état de nos finances, dont vous êtes grandement responsables, monsieur le ministre d’État, chers collègues de la majorité, puisque vous gouvernez depuis 2002, ne nous permet plus de tout faire, notamment de faire tout ce qui est inscrit dans la loi de programmation militaire. Et vous voulez maintenant ajouter de nouvelles dépenses, via l’OTAN !
Il est possible de tirer des plans sur la comète sans financement réel ; la dernière et déjà caduque loi de programmation militaire en est une illustration. En revanche, il n’est pas possible de les concrétiser : voyez le projet de loi de finances pour 2011 !
Or si la France s’associe au programme américain, il faudra en assumer le coût, aujourd’hui et surtout demain !
De plus, compte tenu des moyens financiers de l’OTAN, la mise en place d’un tel bouclier anti-missile hypothéquerait les autres capacités de l’Alliance. Quel sera le coût financier du projet ? Dans cette affaire, quelle sera la part laissée par les industriels américains à leurs homologues européens ? Dans le système dont M. Rasmussen s’est fait le VRP, nous avons du mal à trouver la place des industries européennes. Seront-elles de simples sous-traitants ?
Ne soyons pas trop naïfs en ce qui concerne les bénéfices attendus par nos industriels ! Nous connaissons tous l’acharnement des Américains, et même de nos amis Britanniques, quand il s’agit de défendre leurs intérêts en matière de technologies militaires !
Selon le très complet rapport du président de notre commission, le projet de défense anti-missile américain et « otanien » nous oblige à un choix douloureux : soit la France participe, et elle risque une dérive budgétaire ; soit elle ne participe pas, et elle risque à la fois l’effacement stratégique et la perte d’un marché pour son industrie de la défense. Entre le Charybde budgétaire et le Scylla stratégique, nous sommes, je le crains, devant un marché de dupes : nous aurons Charybde et Scylla !
Maintenant que le principe du bouclier anti-missile est accepté, des réponses doivent être apportées aux questions essentielles : faut-il prendre acte du projet américain et s’insérer directement dans le dispositif préconçu ? Peut-on demander que ce projet devienne américano-européen, c’est-à-dire que les Européens participent pleinement à la conception, à la réalisation, au fonctionnement et au commandement du système ? Quelle sera la participation des industriels français et européens ? Quelles sont vos réponses à ces questions, monsieur le ministre d’État ?
En définitive, nous sommes devant un projet défensif militaire qui cache une nouvelle forme de mainmise sur la défense européenne et qui nous éloigne d’une politique de sécurité et de défense autonome. Je vous le concède, cela se produit avec le consentement d’une bonne partie de nos partenaires européens…
Il n’en demeure pas moins que nous sommes en train de perdre notre autonomie stratégique, acquise au prix de grands sacrifices depuis les années soixante. Une page se tourne ; j’espère que nous n’aurons pas à le regretter !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d’abord de me réjouir d’être parmi vous pour faire le point ce soir sur une des questions majeures de notre politique de défense : la défense anti-missile balistique.
Vous auriez tous souhaité que ce débat se tienne plus tôt, voilà quelques semaines, au lendemain de la publication de l’excellent rapport de M. le président de la commission, intitulé « Les conditions d’un engagement de la France dans la défense anti-missile balistique de l’OTAN ».
Comme l’a expliqué le président de Rohan, l’actualité politique en a décidé autrement. Le débat a lieu aujourd'hui ; je me félicite de la qualité des interventions que je viens d’entendre.
Avant d’aborder la question de la défense anti-missile à proprement parler, je voudrais formuler quelques remarques plus générales, en réponse aux questions qui m’ont été adressées.
Je me doutais bien que, dans un débat comme celui-ci, on invoquerait les mânes du général de Gaulle.
M. Daniel Reiner l’a fait, dans une intervention très argumentée.
Pour ma part, je serai beaucoup plus modeste ; je n’ai aucune idée de ce que dirait aujourd'hui le général de Gaulle… En revanche, ce que je sais, c’est qu’il est tout à fait inexact d’affirmer que nous tournons le dos à la politique de défense menée depuis les origines de la Ve République.
Dois-je rappeler que, en 1995, le président Jacques Chirac et mon gouvernement ont amorcé un retour dans les structures intégrées de l’Alliance atlantique ? C’était il y a quinze ans !
À l’époque, nous avions fixé deux conditions : d’une part, un rééquilibrage des responsabilités entre Américains et Européens au sein de l’Alliance ; d’autre part, l’affirmation de la volonté de l’Europe de se doter de ses propres capacités de défense. Aucune de ces deux conditions n’était alors remplie, et nous avons donc renoncé à ce processus de réintégration.
Depuis, les choses ont évolué. Un tournant historique est intervenu en 1998, lorsque le Royaume-Uni a pour la première fois reconnu que l’Europe était fondée à se doter de sa propre capacité de défense, et ce pas forcément au sein de l’Alliance atlantique. Je ne reviendrai pas sur les conseils européens successifs qui ont permis de dessiner l’architecture de la défense européenne et qui ont également donné la possibilité à l’Union, au cours des dernières années, d’intervenir sous son drapeau sur une bonne vingtaine de théâtres d’opérations extérieurs. Certaines de ces interventions sont d’ailleurs encore en cours ; nous en parlions ce matin à Bruxelles, à l’occasion de la réunion des ministres de la défense de l’Union européenne : je pense à la mission Atalante, au large des côtes de la Somalie.
Quelle est la situation aujourd'hui ? C’est un général français qui assume l’un des deux grands commandements stratégiques de l’Alliance, celui qui est voué à la transformation, dont le siège est à Norfolk. Nous tenons d’autres postes de responsabilité importants au sein de l’Alliance. À Lisbonne, comme à Bruxelles ce matin, j’ai réaffirmé avec beaucoup de netteté la volonté d’instaurer entre l’Alliance atlantique et l’Union européenne une relation qui respecte l’autonomie de chacune de ces institutions. Je reprends ici les termes mêmes qu’a utilisés M. Rasmussen ce matin à Bruxelles. N’est-ce pas là que se situe le véritable changement dans l’attitude de nos partenaires au sein de l’Union européenne ?
Ce changement a déjà permis des avancées très significatives.
Ainsi, le traité franco-britannique n’est pas une simple déclaration d’intentions. C’est un ensemble d’engagements extrêmement précis et détaillés, qui portent – c’est une innovation intéressante – sur la dissuasion nucléaire. Nous travaillons à la mise en œuvre de ses dispositions, qui seront, j’en suis persuadé, suivies d’effet très rapidement.
Cette démarche a été saluée tant à Lisbonne qu’à Bruxelles aujourd'hui comme une avancée dont profiteront non seulement l’Alliance atlantique, mais également l’Union européenne. Nombre de mes homologues européens ont même souhaité qu’elle serve d’exemple à d’autres coopérations.
S’agissant du partenariat franco-allemand, on dit périodiquement qu’il se porte mal. Depuis les premiers temps de la réconciliation entre nos deux pays, nos intérêts ne sont pas toujours convergents, mais je constate que nous parvenons toujours à trouver des solutions de compromis.
Demain, je serai à Fribourg. Le Président de la République présidera avec Angela Merkel le sommet franco-allemand. Dans la foulée, je me rendrai à Illkirch, près de Strasbourg, pour accueillir un bataillon de soldats allemands qui va s’installer sur le territoire français dans le cadre de la brigade franco-allemande. Ce symbole fort témoigne que notre partenariat avance.
De manière plus prospective, nous sommes en train de préparer, dans le cadre de ce que l’on appelle le triangle de Weimar, une initiative commune à la France, à la Pologne et à l’Allemagne pour faire progresser la politique européenne de sécurité et de défense. Vous le voyez, nous ne renonçons pas, bien au contraire.
En ce qui concerne le jeu des États-Unis, je ne lis pas dans les cœurs ou dans les esprits. Je me contente de lire les textes : selon le concept stratégique de l’Alliance tel qu’il a été adopté à Lisbonne, le cœur de la responsabilité de l’OTAN demeure la sécurité collective, conformément à l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord, aux termes duquel toute attaque contre l’un des membres de l’Alliance est une attaque contre l’ensemble des membres de l’Alliance. C’est le cœur de la vocation de l’OTAN.
J’ai été un peu surpris que M. Chevènement, dont je sais qu’il est en général un lecteur attentif, ait fait une lecture aussi approximative du concept stratégique. Il est écrit noir sur blanc que l’Alliance est une alliance nucléaire tant qu’il y a des armes nucléaires. On ne peut donc pas considérer que ce qui a été décidé à Lisbonne, c’est la liquidation de la dissuasion nucléaire ; bien au contraire !
Mme Voynet m’a rappelé mes déclarations en faveur du désarmement. Oui, madame Voynet, je souhaite, comme tout un chacun, un monde sans armes nucléaires. Mais quand on veut mettre quelqu’un en difficulté en rappelant ses propos, il faut les citer jusqu’au bout. Je me suis exprimé en ces termes dans la Revue de la défense nationale : « Je souhaite que la France tire les conséquences du processus souhaitable de désarmement, “le moment venu”, quant à ses propres capacités. Je considère que le moment n’est pas venu. » Je ne me sens donc pas du tout en contradiction avec ce que j’ai pu déclarer. De même, je me sens parfaitement à l’aise avec le processus de réintégration de la France dans les structures intégrées de l’Alliance atlantique.
J’en viens maintenant à l’objet plus précis de notre débat, c'est-à-dire la défense anti-missile.
À la suite du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, la France a décidé, dans le cadre de l’Union européenne et de l’Alliance atlantique, de prendre part aux efforts collectifs pouvant conduire, à terme, à une capacité de défense active contre les missiles.
Là encore, je ne crois pas que l’on puisse parler de « volte-face », comme en témoigne une note au bas de la page 5 de l’excellent rapport de M. le président de la commission des affaires étrangères : « Un tel outil – la défense anti-missile balistique – ne peut donc être considéré comme un substitut de la dissuasion. Mais il peut la compléter en diminuant nos vulnérabilités. C’est pourquoi la France s’est résolument engagée dans une réflexion commune, au sein de l’Alliance atlantique, et développe son propre programme d’autoprotection des forces déployées. » Ces propos ont été tenus par Jacques Chirac lors d’un discours prononcé à l’Île Longue, le 19 janvier 2006.
En cohérence avec un tel objectif, la loi de programmation militaire prévoit le financement d’une capacité autonome d’alerte avancée et d’une capacité autonome de défense anti-missile de théâtre destinée à protéger nos forces déployées.
La future capacité d’alerte avancée reposera sur un radar de très longue portée, dont la capacité opérationnelle est attendue pour 2018, et sur une composante spatiale fondée sur un satellite géostationnaire à capteur infrarouge, dont le lancement est prévu en 2020. Cela étant, nous bénéficions d’ores et déjà des acquis d’un démonstrateur, Spirale, lancé en 2009, qui place la France au petit nombre des pays disposant d’une compétence d’alerte avancée spatiale.
En matière de capacité de défense anti-missile de théâtre, nous disposons déjà d’un premier élément avec le système sol-air moyenne portée terrestre, ou SAMP-T, qui commence à être mis en œuvre par l’armée de l’air. Mais, dans l’état actuel de la programmation, il faudra attendre l’horizon 2020, avec la mise en service du radar de détection et de poursuite et du système de commandement et de contrôle associé, pour que la France dispose d’une capacité anti-missile autonome. Tel est bien notre objectif.
Pour financer ces projets, 1 milliard d’euros de crédits de paiement a été prévu en programmation sur la période allant jusqu’à 2020. À ce montant s’ajoutent environ 55 millions d’euros en matière d’études amont sur la période 2011-2014 pour la préparation du programme d’alerte avancée. J’ai bien noté que le président de Rohan trouvait cette somme insuffisante ; nous tiendrons le plus grand compte de son avis.
Ces efforts commencent à porter leurs fruits. Le 18 octobre dernier, avec le succès du premier tir de qualification du système SAMP-T face à une menace de type « missile balistique de théâtre », la France est entrée dans le club très fermé des puissances ayant démontré une capacité d’interception dans ce domaine.
Lors du sommet de Lisbonne, les 19 et 20 novembre derniers, les alliés ont décidé du principe de l’extension de la défense anti-missile de théâtre à une défense des territoires et des populations.
Vous le savez, notre environnement stratégique évolue de plus en plus vite.
La prolifération balistique au Moyen-Orient, en particulier en Iran, fait peser une menace croissante sur le territoire de certains de nos alliés, qu’il s’agisse de l’Union européenne, de l’Alliance atlantique ou des pays liés à la France par des accords de défense, ou sur nos forces déployées, notamment aux Émirats arabes unis, au Liban ou en Afghanistan.
À moyen terme, à l’horizon 2015-2025, la question de la vulnérabilité de notre propre territoire national peut aussi se poser. Dans ce contexte, nous avons donc donné notre accord au développement d’une capacité de défense anti-missile des territoires et des populations de l’Alliance, tout en restant vigilants sur deux points essentiels.
Nous avons d’abord obtenu que seul le système de commandement et de contrôle, qui permettra le raccordement et le fonctionnement, au sein d’une architecture intégrée, des systèmes d’interception et des capteurs apportés librement par les nations, soit financé en commun. C’est à ce projet que sera affectée la somme de 150 millions à 200 millions d’euros qui a été mentionnée. Le coût de l’extension de ce système de la défense des théâtres à la défense des territoires fait l’objet d’une première estimation de l’Alliance qui correspond à peu près à ce montant. La France contribuera à ces financements via sa contribution annuelle au budget commun de l’Alliance atlantique dédié aux infrastructures, selon la clef de répartition habituelle d’environ 12 %, ce qui paraît à notre portée et correspond en tout cas à nos ambitions.
Nous avons également obtenu que la défense anti-missile soit clairement définie comme un renforcement et non comme un substitut de la dissuasion nucléaire. Sur ce point, je voudrais m’inscrire en faux contre les propos tenus ce soir par certains orateurs dénonçant une ambiguïté. Non, il n’y a aucune ambiguïté, car la formulation du concept stratégique et de la déclaration finale est parfaitement claire sur ce point !
La déclaration du sommet de Lisbonne énonce en effet que l’Alliance atlantique « dispose de tout l’éventail des capacités nécessaires pour assurer la dissuasion et la défense contre toute menace pesant sur la sûreté de nos populations », que « nous maintiendrons une combinaison appropriée de forces conventionnelles, nucléaires et de défense anti-missile », que « la défense anti-missile deviendra partie intégrante de notre posture générale de défense » et que « notre objectif est de renforcer la dissuasion en tant qu’un des éléments centraux de notre défense collective ». Une phrase capitale de cette déclaration finale est gravée dans ma mémoire : « la défense anti-missile renforce la dissuasion – missile defence bolsters deterrence ». Il est en outre prévu, dans le même texte, que la souveraineté de la France sur sa force de dissuasion nucléaire est totalement garantie par les accords que nous avons conclus.
La dissuasion nucléaire française indépendante conserve donc son rôle national propre de garantie ultime de nos intérêts vitaux, tout en concourant à la dissuasion globale de l’Alliance. Rien ne change sur ce point.
Pour aller plus loin, nous devons aujourd’hui prendre en compte cinq enjeux : un enjeu stratégique, lié au besoin de garantir à terme notre dissuasion et de consolider notre relation avec la Russie ; un enjeu de souveraineté, lié à la nécessité de préserver un accès et une participation de la France aux systèmes de commandement et de contrôle ; un enjeu industriel, compte tenu du risque de marginalisation de notre industrie de défense face aux entreprises américaines ; un enjeu financier, au regard des moyens que nous consacrerons à la défense anti-missile et des risques d’éviction qu’elle pourrait faire peser sur notre programmation militaire ou sur celle de l’Alliance ; enfin, un enjeu d’interopérabilité, car nous devons veiller à ce que les systèmes concourant à la défense anti-missile balistique au niveau national – systèmes de veille, d’acquisition et de tir – soient compatibles avec des architectures et des standards retenus dans le cadre de l’Alliance atlantique.
Au regard de ces différents enjeux, nous agirons en conformité avec trois principes de base.
Le premier principe est le maintien de notre autonomie stratégique.
Cela suppose de rester vigilants et de développer une stratégie de pédagogie envers nos alliés européens sur l’intérêt de la dissuasion nucléaire française et britannique, pour faire valoir la complémentarité réelle de celle-ci avec la défense anti-missile balistique.
Cela suppose ensuite de préserver notre souveraineté, notamment sur le segment de commandement et de contrôle, et de valoriser la contribution de nos capacités et de notre industrie de défense.
Cela suppose enfin d’accompagner la coopération de l’Alliance avec la Russie comme nous l’avons décidé lors du sommet de Lisbonne. À cette occasion, le dialogue avec le Président Medvedev a été un moment extrêmement fort. Cette décision est importante, car elle crée de la confiance et montre que nos intérêts en matière de sécurité sont communs. Nous devons donc trouver un juste équilibre entre les besoins de l’Alliance et la volonté de la Russie de participer à la protection du territoire européen. Le Président Medvedev a évoqué l’idée d’un système de défense anti-missile conjoint reposant sur des zones de responsabilités en Europe, le Premier ministre Poutine ayant ensuite expliqué que, si l’on ne progressait pas sur ce terrain, une course aux armements pourrait se déclencher à nouveau. Mais je veux accorder une importance prioritaire aux déclarations faites à Lisbonne par le Président Medvedev. La suggestion russe doit être étudiée plus en détail dans les mois prochains, afin d’en évaluer la faisabilité technique et financière.
Le deuxième principe est le réalisme.
À la suite du sommet de Lisbonne, de nombreux travaux vont s’engager – notre débat ne s’achève donc pas ce soir, car nous aurons l’occasion d’évoquer ce sujet en de nombreuses circonstances –, qu’il s’agisse de scénarios opérationnels ou d’études techniques et d’ingénierie. Nous devons veiller à ce que ces travaux répondent bien aux ambitions de l’Alliance en termes de couverture géographique, de menaces prioritaires et de critères d’emploi, tout en évitant de succomber à la tentation de la surenchère. Nous devons également lancer les études nous permettant d’évaluer les propositions discutées dans le cadre de l’Alliance, d’analyser la pertinence des solutions qui existent déjà et de défendre nos positions au sein des groupes de travail techniques.
Enfin, le troisième principe est le pragmatisme.
Nous devons prendre en compte l’approche « phasée » proposée désormais par les Américains, afin d’intégrer nos réflexions dans un calendrier cohérent ; sur ce point, j’ai bien noté les conseils de prudence et de réalisme qui nous ont été dispensés, notamment par le président de Rohan.
Comme vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, à court terme, notre vision est claire : notre priorité est de développer des moyens de défense anti-missile de théâtre, pour répondre aux besoins opérationnels de nos forces et préserver notre base industrielle de défense. Cette stratégie nationale nous donne une vraie crédibilité pour peser dans le débat qui s’est engagé au sein de l’Alliance atlantique, qu’il s’agisse de la question de l’extension de la défense anti-missile de théâtre aux territoires ou de la relation entre l’Alliance et la Russie.
À plus long terme, les orientations que nous prendrons dépendront des retours d’expérience de ces premières étapes. Nous disposons donc de tous les atouts pour relever ce défi du xxie siècle.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au lundi 13 décembre 2010 :
À quatorze heures trente et le soir :
1. Débat préalable au Conseil européen des 16 et 17 décembre 2010.
2. Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, de simplification et d’amélioration de la qualité du droit (n° 130, 2009-2010).
Rapport de M. Bernard Saugey, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale (n° 20, 2010-2011).
Texte de la commission (n° 21, 2010-2011).
Avis de Mme Françoise Henneron, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 3, 2010-2011).
Avis de M. Pierre Bordier, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (n° 5, 2010-2011).
Avis de M. Hervé Maurey, fait au nom de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire (n° 6, 2010-2011).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée le vendredi 10 décembre 2010, à zéro heure vingt-cinq.