Intervention de Serge Guitard

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 9 novembre 2011 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2012 — Audition des représentants des syndicats des personnels civils de défense

Serge Guitard, de la Fédération syndicaliste FO de la défense, des industries de l'armement et des secteurs assimilés :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, tout d'abord, nous vous remercions de nous recevoir afin d'entendre nos analyses et nos revendications sur un budget qui, c'est le moins que l'on puisse dire, n'est pas fait pour rassurer les personnels. Nous soulignons que, pour la première fois, votre commission et, à travers elle, le Sénat, porte un intérêt aux personnels civils du ministère de la défense et à leurs organisations syndicales.

Force Ouvrière a toujours considéré que la politique de défense de la France ne relevait pas de sa responsabilité. Notre rôle n'est pas ici de dénoncer la présence de la France dans quelque théâtre d'opération quel qu'il soit (ce qui en l'occurrence serait faire injure aux soldats qui combattent actuellement hors de France) ou d'apporter un quelconque jugement sur la pertinence de la dissuasion nucléaire.

Nous nous permettrons cependant de considérer que le projet de budget de la défense pour 2012 est loin de répondre aux objectifs et ambitions assignés par le Président de la République. Ceci n'est pas un fait nouveau et traduit une mauvaise habitude des garants de nos institutions qui, depuis de nombreuses années, traitent la défense comme une variable d'ajustement budgétaire. En cela, on peut faire le constat que ce gouvernement ne se distingue pas des précédents quelle qu'en soit leur couleur politique.

Certains chiffres parlent d'eux-mêmes : alors que le Président de la République vante de façon quasi permanente la règle du non-remplacement d'un agent de l'Etat partant en retraite sur deux, le ministère de la défense va bien au-delà puisque ce sont 79 % des effectifs qui ne sont pas remplacés (quasiment 8 sur 10). C'est la RGPP mais en quatre fois plus brutale !

Dans le même ordre d'idées, sur les 460 millions d'euros d'annulation de crédits sur le budget général de I'Etat au second semestre 2011, 211 M€, soit 46 %, seront supportés par le seul ministère de la défense, une majorité de ces suppressions portant sur les autorisations d'engagement du programme 146 « équipement des forces ».

Il va devenir compliqué de nous expliquer que la réforme actuelle qui vise essentiellement les fonctions de soutien, et par voie de conséquence les personnels civils, doit permettre de dégager des marges financières pour mieux équiper nos armées.

Toujours le même contraste entre l'ambition qu'on affiche et les moyens qu'on y consacre. Comment porter le moindre crédit à un budget dont le ministre de l'économie lui-même dit qu'il fera vraisemblablement l'objet d'un réajustement en 2012 et que nous venons de vivre cette semaine une deuxième vague de mesures d'austérité.

Si le budget de la défense est la variable d'ajustement du budget de l'État, les personnels civils sont pour leur part la variable d'ajustement interne au sein du ministère. En effet, loin des engagements pris par M. Hervé Morin, alors ministre de la défense, un peu plus de 11 % des effectifs civils ont été supprimés depuis 2008 contre 9 % des effectifs militaires.

Faut-il rappeler ici que nous sommes passés de 145 000 personnels civils il y a à peine 15 ans à quelque 68 000 aujourd'hui ? En l'occurrence, quand nous disons « personnels civils », nous ne pouvons faire l'impasse sur la précarisation de l'emploi avec le recours accru à des personnels contractuels en lieu et place d'agents sous statut.

La réforme actuelle mise en place depuis 2008 devait, selon le ministre de l'époque, s'accompagner d'un rééquilibrage des effectifs militaires-civils dans les fonctions de soutien. Nous connaissons le discours, mais il y a encore cette fois-ci très loin des paroles aux actes.

Force Ouvrière est et reste attachée à la complémentarité entre les militaires et les civils, mais encore faut-il que cet attachement soit partagé par tous les échelons du ministère jusqu'à son plus haut niveau. Alors que nous attendons toujours les Référentiels en Organisation (REO) 2012 des Groupements de Soutien de Base de Défense (GSBdD), aucun signe tangible de rééquilibrage sur les fonctions de soutien n'apparaît.

Les prévisions de recrutement de personnels civils en 2012 s'élèvent à 1 200, contre 21 000 militaires, sans que vous soyez en mesure de nous dire sur ces 21 000 militaires, combien seront employés sur des fonctions opérationnelles et combien sur des fonctions de soutien.

Cela fait maintenant des années que nous revendiquons notre juste place sans que quiconque nous écoute, ni même nous entende. Les mois et les années passent, et les armées continuent de se réserver les postes à responsabilité, y compris sur des fonctions sans aucun caractère opérationnel.

Est-ce qu'enfin quelqu'un pourrait nous expliquer pourquoi le corps des commissaires, tous officiers avec la masse salariale correspondante, se réserve les postes de chefs de GSBdD sans que personne ne trouve à y redire ?

Pourquoi, lorsqu'un personnel civil est transféré vers un GSBdD, il faut deux, voire trois sous-officiers pour remplir la même fonction ? Faut-il donner des exemples, des noms, de sous-officiers chefs de restauration ou de secrétariat, contrôleurs de gestion qui ne partent jamais en opérations extérieures (OPEX), ou alors vers des destinations considérées OPEX dont le seul danger réside dans la température extérieure ?

Tout cela devient fatigant, usant, de devoir inlassablement répéter les mêmes discours, devant les mêmes interlocuteurs, avec l'étrange sentiment que ceux qui sont censés être aux ordres de la République, appliquent une réforme en prenant soin d'en tirer le meilleur parti pour eux-mêmes en taxant les organisations syndicales de corporatisme.

Il nous faut batailler becs et ongles pour arracher un poste de niveau 1 et, quand nous y parvenons, l'heureux élu est bien souvent victime de suspicion, même s'il justifie de 20 ou 25 ans de carrière et est lauréat de plusieurs concours de la fonction publique. Qu'il ne commette surtout aucune faute, ou c'est toute la composante civile sur laquelle on jette l'opprobre.

La situation ne s'améliore pas, loin s'en faut, et ce ne sont pas les éléments budgétaires pour 2012 qui nous rendront optimistes sur cet aspect des choses.

Et comme si cela ne suffisait pas, on en rajoute en présentant aux agents de l'État la facture d'une crise dont ils ne sont en rien responsables en gelant leur traitement en 2011 et 2012. Allez expliquer à une catégorie C rémunérée à 1.200 € par mois qu'elle ne bénéficiera d'aucune augmentation de salaire pendant au moins deux ans. Il y a même, dans le projet de budget 2012, une catégorie complètement oubliée et qui compte tout de même quelque 28 000 agents : je veux parler des ouvriers de l'État.

Leurs décrets salariaux sont suspendus et ils ne font pas l'objet de la moindre ligne budgétaire sur les 24 millions d'euros alloués à la revalorisation de la condition des personnels civils. Montrés du doigt depuis des années, traités comme d'affreux privilégiés par les conseillers ministériels et hauts fonctionnaires de Bercy qui, pourtant, ne crachent pas sur les largesses qui leur sont octroyées et qui proviennent des mêmes deniers publics, ils sont purement et simplement passés par pertes et profits dans le budget à venir. Et nous ne sommes pas sûrs que ces 24 millions d'euros seront dépensés dans la mesure où nous n'avons aucune lisibilité sur la réalisation des mesures envisagées.

Alors que les besoins en effectifs d'ouvriers de l'Etat se font criants dans des domaines sensibles comme le maintien en condition opérationnelle (MCO), aéronautique ou terrestre, nos décideurs refusent tout recrutement, portés qu'ils sont par leur vision de ce qu'est un ouvrier de l'Etat et qui confine aujourd'hui à la haine. Et on s'étonnera après cela que des militaires occupent des fonctions normalement dévolues aux personnels civils ou que l'on en soit réduit à externaliser par manque d'effectifs.

Les personnels civils sont confrontés à des vagues successives de restructurations depuis maintenant plus de quinze ans. Certains agents ont été restructurés deux ou trois fois et on leur explique que ce n'est peut-être pas fini. En effet, alors que nombre de personnels civils ont subi une mobilité vers des GSBdD lors de la fermeture de leur établissement, ils découvrent que leur poste sera peut-être menacé à partir 2012 lorsque passera la deuxième lame de la révision générale des politiques publiques (RGPP) sur les GSBdD au titre des réorganisations.

Cette réforme en deviendrait absurde si ce n'était pas aussi dramatique. Alors que le ministre de la défense se déplace actuellement et organise des séminaires en région pour faire un bilan de la mise en place des bases de défense (BdD), nous sommes confrontés à des mises en scène pathétiques dans lesquelles la plupart des participants ont sans aucun doute ordre de dire « tout va bien monsieur le ministre » et des groupes de travail où on évite soigneusement d'inviter des personnels civils. Tout ceci n'est pas sérieux et relève plus de l'autosatisfaction que d'une réelle volonté d'établir un bilan de la mise en place d'une politique.

Mesdames et messieurs les sénateurs, les personnels civils de la défense souffrent : ils souffrent de travailler dans un ministère désorganisé, où la création des BdD est davantage source de dysfonctionnements que de progrès ; ils souffrent de ne pas se voir confier de postes à responsabilité ; ils souffrent d'être déconsidérés par un pouvoir qui n'aime pas ses fonctionnaires et qui l'annonce.

Mesdames et messieurs les sénateurs, nous ne savons pas si nos déclarations d'aujourd'hui auront un quelconque effet sur un budget qui n'est pas de nature à envisager l'avenir des personnels civils au sein de ce ministère avec sérénité, mais, à Force Ouvrière, nous sommes profondément et viscéralement républicains et, à ce titre, nous osons croire que la représentation nationale ne peut pas se désintéresser de nos analyses et revendications.

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