Intervention de Luc Scappini

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 9 novembre 2011 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2012 — Audition des représentants des syndicats des personnels civils de défense

Luc Scappini, de la CFDT - Fédération des établissements et arsenaux de l'Etat :

Monsieur le président, mesdames et messieurs, c'est avec grand intérêt que nous nous adressons aujourd'hui à la commission des affaires étrangères de la défense et des forces armées du Sénat. Le contexte extraordinaire, provoqué par la crise et ses rebonds, est en train de connaître un nouvel épisode et n'accordera sans doute pas de répit à la défense, pourtant premier élève de la classe pour le gouvernement, à chaque fois qu'il s'agit de réduire les dépenses.

Je ne m'étendrai pas sur ce que pense la CFDT des mesures gouvernementales, des plans de rigueur en réponse à la crise, que la CFDT juge inadaptés, sans parler du fait qu'il est parfaitement inacceptable qu'un sommet social ait été refusé aux syndicats avant que le gouvernement fasse ses annonces.

Il faudra pourtant savoir tirer les leçons de ce qui vient de se passer en Grèce, c'est-à-dire du manque de débat démocratique.

La CFDT Défense souhaite aujourd'hui vous sensibiliser et attirer votre attention, mesdames et messieurs les parlementaires, sur les graves inquiétudes générées par la réforme en cours, réforme qui s'est appuyée sur deux principes, celui de la RGPP et celui des conclusions du Livre blanc dans son volet opérationnel.

Je précise ici que la CFDT s'est toujours intéressée au cadre et à l'environnement des personnels de la défense, parce que lorsque l'on réduit la voilure des missions, des matériels et des armées, c'est l'emploi même des personnels civils, chargés du soutien, qui se retrouve menacé.

Le Livre blanc sur la défense et la sécurité intérieure s'est retrouvé dépassé par les événements quelques mois à peine après sa sortie officielle. Je pourrais citer de nombreux exemples que vous connaissez, mais n'aborderai que la non-anticipation du véritable arc de crise, le développement des guerres asymétriques ou encore le phénomène de piraterie au large de la Somalie. Nos armées ont été confrontées à plus de six théâtres d'opération sans parler des missions pour les forces pré-positionnées. Le Livre blanc a donc explosé en vol devant le principe de réalité. Il est prévu une actualisation de son contenu avant la fin de l'année 2012.

Le Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale doit produire un document interministériel d'évaluation stratégique qui sera présenté aux commissions compétentes du Parlement puis validé par le Conseil de défense et de sécurité nationale à la fin de l'année 2011. Pour la CFDT, il serait logique et cohérent de procéder à un arrêt des restructurations et réorganisations en cours puisqu'elles sont appuyées sur un livre blanc en cours de refonte.

La RGPP, dénoncée par la CFDT comme étant une démarche à seule visée comptable, avait prévu 54 000 suppressions d'emploi à la défense entre 2008 et 2014. Pour la CFDT, ce chiffre doit être reconsidéré.

Le CEMA, l'Amiral Guillaud ou le DGA Laurent Collet-Billon ont expliqué ici même que les 10 000 suppressions restantes seront extrêmement périlleuses à réaliser, à moins de renoncer à certaines capacités.

L'accompagnement social des personnels, déclaré comme important par le ministère, afin que l'intégralité des agents puisse trouver une solution positive, pourrait connaître des lendemains difficiles. Pour 2011, 30 % des cas restent encore à régler, du fait de la raréfaction des possibilités de reclassement du personnel dans des structures de défense susceptibles de les accueillir. Quid des 115 millions d'euros prévus pour 2012 en faveur de cet accompagnement social des restructurations au regard du nouveau plan de rigueur ?

Le projet de budget 2012 avait été présenté par le ministre de la défense aux organisations syndicales, comme un budget à la hausse, tel un défi, en cette période de crise et d'austérité, alors qu'il se traduit par une suppression de 7 432 postes.

La CFDT rappelle qu'un budget s'apprécie au terme de son exécution.

En témoigne celui de 2011, raboté par le biais d'une LFR de 200 millions d'euros, arrivant d'ailleurs en tête des réductions budgétaires publiques.

Les budgets Défense depuis 2008 ne sont que le miroir des décisions politiques inspirées par la RGPP et les conclusions du Livre blanc.

A ce sujet et en lien avec l'annonce d'un nouveau plan de rigueur par le premier ministre, M. Gérard Longuet a précisé hier soir, devant la commission de la défense de l'Assemblée nationale, que le budget 2012 sera réduit de près de 285 millions d'euros.

Les économies porteront sur les écoles. On prépare l'avenir sur les fonds « restructuration » des territoires -les élus locaux apprécieront-, et sur le maintien en condition opérationnelle des matériels, alors que les armées s'inquiètent déjà du budget consacré face aux matériels vieillissants.

Pour la CFDT, il est temps de faire une pause et redéfinir les contours des besoins en défense de la Nation, en tenant compte, certes, des nécessaires économies et modernisations, mais sans poser des initiatives seulement à vocation comptable et sans avoir mesuré les effets sur les femmes et les hommes de la communauté défense, qu'ils soient civils ou militaires ; ou encore sur les programmes, qui impacteront le rang même de la France, que ce soit au sein de l'Europe ou de l'Otan.

Le chef d'état-major des armées (CEMA) n'a-t-il pas déclaré lui-même devant vous : « Pour ce qui est des économies, dites-moi de quel montant vous souhaitez réduire le financement des armées et je vous dirai ce que nous devrons enlever... Cela pourra alors aller jusqu'à l'abandon de certaines capacités. Mais un jour nos diplomates ne pourront plus s'appuyer sur l'outil militaire pour porter la voix de la France. En 2011, les dépenses de défense sont tombées à 1,56 % du PIB. »

Quelques mots sur la Gendarmerie, puisque vous entendrez demain le général Mignaux, directeur général de la Gendarmerie nationale. Sachez, monsieur le président, que les déclarations du général devant la commission de la défense de l'Assemblée nationale, sur le moral des gendarmes, jugé bon selon lui, ont choqué la communauté civile et militaire de la Gendarmerie. La réalité est toute autre. Effectifs réduits, congés maladie masquant le malaise, demandes de mutation, de départ anticipé à la retraite ou pour une reconversion, sans parler des tentatives de suicide. Les personnels ne voient plus leur avenir au sein de l'institution. Il est temps que la chape du silence soit levée.

Sur la question des externalisations et des partenariats public-privé, malgré les annonces du ministre d'un ralentissement, nous ne pouvons que constater que, malgré les remarques et les recommandations de la Cour des comptes, la démarche se poursuit avec l'attribution à un groupement de sociétés conduit par Alcatel-Lucent, d'un contrat de 350 millions d'euros, portant sur la rénovation, la modernisation et l'exploitation des réseaux informatiques et de communication, des bases de l'armée de l'air pour une durée de 16 ans. Il en est de même avec le projet « Erable » qui concerne la bureautique informatique des armées, même si les décisions ne sont pas encore prises.

Plus inquiétant, voire choquant, en ces temps de crise et de rigueur, le projet Balard, projet pharaonique qui engagera les dépenses pour 30 ans alors qu'on se mord les doigts du côté des Britanniques qui sont engagés dans ces expériences de partenariat public-privé. C'est donc avec du benchmarking aveugle qu'on s'inspire à la défense alors que, plus près de nous, le naufrage de l'hôpital sud-francilien, avec ses 500 millions d'euros de surcoût, ses 130 défauts majeurs, des factures qui s'envolent et des délais qui s'étirent, démontre les limites du partenariat public-privé.

Ne joue-t-on pas aux apprentis sorciers avec les questions régaliennes ? Les sociétés privées assumeront-elles demain les tâches dévolues aux militaires et aux personnels civils de la défense ?

La question peut se poser au vu de l'extension sans fin des domaines externalisés depuis près de dix ans.

Si les externalisations ont touché jusqu'à présent de nombreux services périphériques, comme les cantines ou l'entretien des locaux, elles concernent aujourd'hui des missions de sécurité et de gardiennage ou les télécommunications de plus en plus pointues.

Et ce au gré d'une lecture souple et fluctuante de la notion de «coeur de métier», qui permet au ministère de justifier ces externalisations.

La transition est faite pour aborder le phénomène des sociétés militaires privées qui se développent là où nos armées en manque d'hommes et de moyens se retirent.

Sur les mers, par exemple, ces sociétés privées, a priori et par définition en recherche de contrats, pourraient provoquer une escalade de violence au large de la Somalie selon de nombreux experts.

La CFDT, qui tire le signal d'alarme depuis de nombreux mois, ne peut que constater que ce phénomène se développe alors que les moyens de la Marine nationale sont considérablement réduits par les budgets successifs.

Après avoir nié l'existence des sociétés militaires privées, le ministre de la défense semble vouloir en encadrer leur utilisation, contraint par les arbitrages budgétaires et les mesures d'économie.

La défense va mal. Restructurations et réorganisations ont bousculé les équilibres de l'outil défense. La désertification des unités de la défense sur les territoires met un peu plus en péril le lien armées-nation. Il y a aujourd'hui à peine un militaire pour 600 Français.

La fin de la conscription et la professionnalisation des armées ont également provoqué un éloignement d'année en année, à tel point que le chef d'état-major des armées s'est ému de l'indifférence, selon lui, des citoyens et de la Nation, pour nos soldats tombés en Afghanistan.

Si la CFDT demande une pause, elle demande également l'organisation d'états généraux de la défense, avec l'ensemble des composantes de la société civile autour de la table, à même de recréer l'indispensable lien Armées-Nation, pour définir la défense que nous voulons et les besoins pour la réaliser.

Et parce que c'est l'actualité très récente, sachez mesdames et messieurs les sénateurs, que DCNS, fleuron de la navale militaire en Europe, à 75 % capitaux d'Etat, vient d'annoncer un plan de départs volontaires, avec prime et inscription au chômage à la clé, au lendemain de l'annonce par François Fillon de mesures de rigueur qui porteront sur le passage de la retraite à 62 ans. L'adage « faites ce que je dis et non ce que je fais » est une fois de plus à mettre sur le compte des décisions du gouvernement.

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