Intervention de Alain Le Cornec

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 9 novembre 2011 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2012 — Audition des représentants des syndicats des personnels civils de défense

Alain Le Cornec, de la Fédération des travailleurs de l'Etat - FNTE-CGT :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, mesdames et messieurs, le changement de majorité n'est certainement pas étranger à cette invitation au sein de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat. Cela constitue une première.

Monsieur le président, la CGT prend acte de cette invitation, toutefois nous espérons que le traitement que vous nous réservez ne sera pas à l'image de votre homologue de l'Assemblée nationale qui, lors de notre audition du 19 octobre, a envoyé les affaires courantes en ne daignant nous accorder au mieux que 10 minutes de débat.

Que retenir de ce nouveau budget du gouvernement Sarkozy/Fillon suite à l'annonce récente de son deuxième plan d'austérité et des implications pour la défense ?

En premier lieu, le gouvernement souhaite tenir dans les abîmes la revalorisation des salaires de l'ensemble des agents civils du ministère par le maintien du blocage du point d'indice de la fonction publique et le blocage de la revalorisation des bordereaux de salaire des agents à statut ouvrier de l'Etat par la suspension des décrets salariaux.

A l'heure où les milliards d'euros pleuvent pour sauver un système libéral et boursier en déroute, les salariés civils du ministère sont très amers quant à la diminution de leur pouvoir d'achat.

Le gouvernement préfère donc répondre aux injonctions de la financiarisation plutôt que de répondre aux besoins sociaux urgents de ses propres agents.

Le gouvernement nous explique que le surcoût des OPEX (600 millions d'euros) serait partagé en interministériel comme s'y est engagé le Premier ministre.

Pourquoi ne pas se poser la question sur le financement de la dissuasion nucléaire qui, chaque année, engloutit 3,4 milliards d'euros ?

L'addition ne se mesure pas uniquement par le blocage des salaires des agents. Au titre de multiples réductions de budgets, le ministère a engagé une vaste politique de vente des bijoux de familles, espérant pouvoir réaliser les fameuses recettes exceptionnelles. C'est irréaliste, mais ce même gouvernement vient de confirmer lundi 7 novembre son intention d'accroître les ventes des biens d'Etat et plus particulièrement les surfaces occupées. Une fois de plus, les visionnaires de l'hôtel de Brienne sont atteints d'une cécité sans limite. Dans un contexte de crise, les rentrées financières ne sont pas au rendez-vous et de facto le budget prévisionnel devient compliqué à tenir. En témoigne la 2ème loi de finances rectificative, et comment ne pas citer les 1,35 million d'euros manquant dans les mesures catégorielles votées par le Parlement dont les personnels civils ne verront jamais la couleur.

Au même titre des fameuses économies à venir par le biais de l'inter-armisation, la CGT reste très dubitative quant aux éventuelles économies générées par les externalisations.

En 2008, la Cour des comptes avait validé, dans un rapport, le montant de 1,7 milliard d'euros pour le coût annuel des externalisations. Qu'en est-il exactement des sommes dépensées depuis 2008 pour le coût de ces externalisations ?

Le gouvernement vient d'annoncer une réduction des finances de l'ordre de 500 millions d'euros sur le budget de l'Etat. Ce mardi 8 novembre, le ministre de la défense a été convoqué de toute urgence devant la commission de la défense de l'Assemblée nationale afin de s'expliquer sur les conséquences directes pour le ministère. Monsieur le président, nous souhaitons connaître la teneur de cet entretien.

De déficit de vision de gestion en déficit financier en passant par le trou béant du futur Balardgone qui, pour le moment ne se rebouche pas, il y a de quoi être pessimiste pour notre avenir. Ce pessimisme se traduit dans l'ensemble du ministère pour les personnels civils par un mal-être croissant qui, hélas, se traduit parfois par une fin dramatique. A l'heure actuelle le ministère compte lui aussi de multiples cas de suicides depuis le début de cette réforme.

Pour la CGT, les membres de la majorité gouvernementale actuelle, de par leurs décisions politiques, sont responsables de ces disparitions tragiques de personnels civils.

Les restructurations voulues par la majorité actuelle ont engendré une désorganisation permanente des services du ministère, avec à la clé un mensonge permanent des autorités auprès des personnels civils afin de les rassurer sur le bien-fondé de la disparition de leur activité, emploi, régiment, établissement, etc...

Au sujet des disparitions d'emplois, un récent rapport parlementaire est assez critique sur la notion de non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux qui semble avoir atteint ses limites. Le sous-dimensionnement des équipes et le manque de recrutement placent les agents dans des conditions de travail inadmissibles, et mettent en danger la pérennité de nos missions, comme l'ont rappelé très récemment, ici même, le délégué général pour l'armement (DGA), le chef d'état-major des armées (CEMA) et le chef d'état-major de l'armée de terre (CEMAT).

Mais le gouvernement veut continuer dans ce sens en indiquant, dans la présentation du budget, la diminution des effectifs de 2 000 emplois supplémentaires pour 2012. Parlementaires de la majorité gouvernementale, vous continuez dans votre politique anti-sociale et destructrice d'hommes et de femmes.

Cette restructuration est porteuse de l'éclatement de la communauté de travail qui faisait la force d'un établissement ou d'un régiment. Ce recentrage sur le « coeur de métier » engendre une incompréhension sur le travail que les agents doivent faire. Dorénavant, le travail ne se conçoit que par le biais de contrats de service entre collègues.

Cette refonte du ministère est comme une pelote de laine que l'on déroule sans fin, de restructuration en restructuration. Nous sommes dans la tourmente d'une gestion par le chaos ou plus personne n'est responsable de rien.

Tout semble être fait pour que le ministère ne fonctionne plus et, de surcroît, cela alimente l'idée pour la majorité : puisque l'étatique ne fonctionne pas, on va privatiser.

Le but de cette réforme est bien de vendre aux entreprises privées les prestations rentables et de facto de privatiser dans leur quasi-totalité les entreprises et missions de défense. Alors il faut, de la part du gouvernement, sectoriser, pour ne pas dire filialiser, les multiples fonctions de soutiens et autres.

Le seul dilemme pour le ministre est de savoir s'il doit s'orienter vers des acquisitions patrimoniales ou plutôt préférer des fumeux partenariats public-privé. A ce sujet, l'exemple de l'hôpital sud francilien de l'Essonne est un exemple à ne pas suivre.

Cette limite très floue entre l'étatique et le privé est criante sur le cas du Maintien en Condition Opérationnelle. La bataille qui est engagée par les industriels afin de récupérer les charges de travail de la maintenance des matériels des armées est symptomatique d'une envie de privatisation de l'ensemble du soutien par le gouvernement.

Il est un fait avéré que, sur un coût global de possession d'un matériel, le maintien en condition opérationnelle représente 70 % de ce coût global. A l'heure de l'aveuglement du tout financier, les appétits s'aiguisent.

Mais quel avenir pour nos régiments de soutien, pour nos Ateliers Industriels Aéronautiques, pour notre Service de Soutien à la Flotte ? Pour la CGT, cette maîtrise du soutien doit rester sous maîtrise étatique. A ce titre, il convient de relancer le recrutement de personnels à statut afin de pouvoir assurer la transmission des savoirs.

La CGT rappelle sa proposition d'édification d'un Pôle Public National de Défense qui assurerait la pérennité de nos établissements sous maîtrise étatique. Afin de totalement sortir notre industrie de défense du joug de la financiarisation, ce Pôle Public serait adossé à un Pôle Financier Public.

Concernant particulièrement le secteur industriel, le gouvernement aurait tout intérêt à respecter les engagements qu'il a formulés lors du Grenelle de l'environnement. Durant ce Grenelle, la CGT a été force de proposition quant à l'édification d'une filière de déconstruction des navires en fin de vie, mais aussi pour le matériel terrestre et aéronautique.

Force est de constater que, hélas, ces projets ne sont pas assez portés par le gouvernement qui s'en remet aux préfets de régions pour des propositions. Quoiqu'il en soit, il est inscrit dans le budget 2012 que les maîtres d'ouvrage ont été retenus ainsi qu'une programmation financière. Nous formulons ici officiellement dans cette assemblée une demande afin de connaître la liste des maîtres d'ouvrage ainsi que le montant de la programmation budgétaire.

A l'heure où l'hexagone, et surtout les salariés, vivent des heures très sombres suite aux fermetures de différents sites industriels, il nous apparaîtrait incompréhensible d'abandonner de tels engagements.

Nous sommes face à un manque cruel et crucial de politique industrielle en France.

Le seul axe de réflexion des décideurs est l'impérieuse nécessité de marier les entreprises, tant sur le champ national qu'européen afin de construire un EADS de la navale et un de l'armement terrestre, avec comme ambition d'inonder le marché mondial de l'armement sans aucune réflexion sur la stabilité des équilibres régionaux.

Les récents massacres perpétrés par l'armée libyenne sur les populations civiles, par l'intermédiaire d'armements français, doivent faire réfléchir sur notre politique d'exportation à tout crin.

A l'heure où l'Europe et les apôtres de la concurrence libre et non faussée veulent faire entendre leur voix, la CGT rappelle et affirme que les armes ne sont pas des marchandises comme les autres.

Dans ce no man's land de réflexion stratégique, quel avenir réserve le gouvernement aux entreprises dans lesquelles il est un actionnaire majoritaire ? Nous voulons parler de Nexter, DCNS et SNPE. Ces entreprises doivent rester dans le giron étatique et nous refusons par avance toute forme de restructuration capitalistique ou fusion avec d'autres entreprises.

Ce dont ont besoin ces entreprises, mais surtout les salariés, ce sont des carnets de commande qui permettent de garantir l'emploi et la stabilité, de garantir les besoins en équipements de nos forces armées pour une défense nationale non agressive.

Les femmes et les hommes de ces entreprises sont les garants de notre souveraineté et de notre indépendance industrielle et militaire. C'est pourquoi il convient de doter ces entreprises de plans d'investissement à la hauteur de l'enjeu industriel à venir.

A ce jour, un point commun de ces deux entreprises vient de leurs PDG qui ont un sens du partage des bénéfices très très très restrictif ! ! !

450 € de prime Sarkozy à Nexter après mobilisation des personnels, 150 € à DCNS de prime Sarkozy (pour un coût global de 3 millions d'euros) avec une fin de non recevoir du PDG pour de vraies négociations. Mais il est vrai que le PDG préfère donner 37 millions d'euros à l'actionnaire majoritaire, donc l'Etat, plutôt que de rémunérer à sa juste valeur la force de travail, donc les salariés.

Mesdames et messieurs les sénateurs, prenez la mesure de l'oeuvre de destruction mise en place depuis les annonces du 24 juillet 2008 : suppression des 54 000 emplois, fermeture de multiples établissements et de régiments, destructions de nos savoir-faire et de nos compétences, mise en dépendance de notre industrie à l'égard des fourches caudines du monde de la finance et des industries étrangères, retour dans le commandement intégré de l'OTAN et de facto inféodation aux tentations guerrières des Etats-Unis ; invocations explicites du ministère pour avoir la peau des décrets salariaux et mise en place de statuts précaires pour les personnels.

Tous ces plans dévastateurs, qui plus est en période de grave crise économique, doivent être abandonnés.

Quoiqu'il en soit, les salariés du ministère et des sociétés nationales sont debout face à la tempête. Ils résistent et font oeuvre de propositions revendicatives. La CGT est et restera à leurs côtés afin de promouvoir une défense souveraine et indépendante, une politique d'emplois qualifiés et bien rémunérés.

C'est cet engagement sans faille des salariés pour le maintien de leur emploi, statut et rémunération, dont nous tenons à témoigner devant vous ce jour. La CGT continuera d'interpeller la représentation nationale afin que les attentes légitimes des personnels soient enfin prises en compte.

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