Intervention de Yves Naudin

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 9 novembre 2011 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2012 — Audition des représentants des syndicats des personnels civils de défense

Yves Naudin, de la Fédération CFTC du personnel du ministère de la défense et des établissements et structures connexes :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, c'est une première d'être reçus ainsi en audience au sein de cette honorable commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées ! Nous vous en remercions très sincèrement car lorsque notre congrès fédéral nous a confié la gouvernance de notre fédération CFTC Défense, en 2007/2008, notre président, Monsieur Douspis et moi-même, trouvions pour le moins bizarre et inélégant d'être reçus chaque année par nos députés à l'occasion notamment des PLF, et jamais par nos sénateurs. Nous nous en étions ouverts plusieurs fois au président Larcher et à votre prédécesseur, M. Josselin de Rohan. Mais rien n'avait bougé !

Pourtant, nous les OS, si nous répondons habituellement et volontiers à toute invitation parlementaire, vous savez bien, ou vous allez l'apprendre, que nous constatons que nos propositions sont rarement reprises et viennent trop rarement modifier les projets de textes sur lesquels vous êtes appelés à délibérer !

Avant de rentrer dans le vif du sujet, pouvons-nous nous permettre, Monsieur le président, de vous poser une simple question de citoyen néophyte de cette institution sénatoriale ? Pourquoi votre commission porte-t-elle un nom fort différent de celui de la commission homologue de l'Assemblée nationale ? Pourquoi une telle association de mots et redondance ?

L'exercice d'aujourd'hui est un peu particulier pour nous : comment vous donner notre opinion sur le PLF 2012 sans qu'elle soit rigoureusement identique à celle qui figure sur le site de la commission de défense nationale en compte rendu de notre dernière audience du 18 octobre ? Nous pensons que l'actualité hélas va nous y aider.

Situons d'abord votre mission d'élu aujourd'hui. Vous avez à peine commencé à examiner le projet de loi de finances 2012, que la sincérité avec laquelle le gouvernement l'avait préparée est remise en question par les annonces de rigueur budgétaire faites avant hier par le Premier ministre, François Fillon. Non, vous n'avez pas la tâche facile cette année dans vos travaux parlementaires !

S'il y a ce plan d'austérité, c'est qu'il s'inscrit dans la nécessité de contrer la crise financière, née en 2007/2008 par l'activité de certains malfrats voire délinquants américains de la finance internationale, et qui a crucialement mis à jour l'endettement excessif de nos Etats !

Le sommet du G20 à Cannes des 3-4 novembre dernier a eu en trame de fond la crise eurogrecque, la réforme du système monétaire international et le renforcement de la régulation financière. Au-delà de cette tragédie grecque à coups de milliards d'euros, est ce que la baisse de la croissance, la crise morale, les diktats des agences internationales de notation financière (instances non démocratiques), la défiance toujours latente dans le système bancaire, la fragilité des monnaies, la crise de la dette vont s'estomper comme par enchantement ? Non bien sûr !

Vous pourriez nous dire, que la bientôt centenaire CFTC en a connu d'autres, des crises, depuis 1919, celle de 1929 entre autres ! Les citoyens, les syndicalistes CFTC que nous sommes ont constamment défendu des solutions...comme celle notamment de jeter les bases d'une véritable et équitable économie au service des hommes et femmes et de l'environnement, de redonner un sens à nos vies et à nos comportements économiques, de re-réglementer les conduites financières et de renouer avec certaines missions régaliennes de l'État au nom du bien commun dont il est le garant.

Honorables parlementaires que vous êtes, aidez-nous à réinstaller ces valeurs dans notre gouvernance nationale et internationale ! Nos mandants CFTC ont en effet l'impression que le monde marche sur la tête !

Que vaut ce projet de budget Défense 2012 ? Est-il crédible encore dans un tel contexte international ? La CFTC Défense a t-elle le droit d'être mécontente du PLF 2012, sur lequel avant même que vous ne le votiez, l'épée de Damoclès d'un 3e tour de vis budgétaire (annoncé par M. Hollande) est suspendue et qu'il va être soumis aux aléas des incertitudes électorales de l'an prochain ?

Notre président confédéral, Jacques Voisin, commentait ainsi le projet de budget général gouvernemental, première mouture, le 28 septembre 2011 :

« Budget 2012 : entre méthode Coué et déni de réalité.

Imaginer réduire le déficit budgétaire à 3 % en 2012/2013 avec un taux de croissance de 2 % relève, au mieux, de la méthode Coué, au pire, du déni de réalité. Ce sont pourtant les prévisions du gouvernement présentées ce matin à l'issue du conseil des ministres.

La CFTC estime que ces objectifs ne sont pas atteignables, essentiellement parce que l'austérité pèsera sur la croissance [...]. Il existe d'autres moyens de réduire les déficits que par l'austérité.

La CFTC regrette que le gouvernement soit plus enclin à « convaincre les marchés » et les agences de notation que de protéger les Français des méfaits de la crise financière : cela relève du déni de démocratie [...].

La CFTC s'inquiète également des conséquences que ne manquera pas d'avoir l'austérité sur des services publics essentiels : la RGPP a aujourd'hui atteint ses limites [...]. »

Le Premier ministre, avant hier, vient de justifier hélas les craintes que nous avions.

Peut-on encore maîtriser ce système monétaire, ces dérives pseudo-libérales ? Il va falloir rompre avec ce mauvais, très et trop mauvais capitalisme financier ! Il est pour nous en phase terminale et il convient d'en changer rapidement sous peine de plonger le monde dans le chaos. Car, pour la CFTC, avant d'être économique et financière, cette crise est d'abord politique : elle résulte de la décision des États au début des années 80, de s'en remettre à la stricte loi du marché. De la sphère politique, la crise s'est propagée aux sphères sociales puis économiques ! Où est passé le rôle de l'État régulateur, garant du bien commun, cher à notre CFTC ?

Et nous revoilà sur un des budgets régaliens, par excellence, celui de notre défense nationale ! Cela aurait pu être pire, comme nous le disions devant les députés, ce qui a provoqué chez certains une commissure aux lèvres.

Quelques points de satisfaction parmi d'autres donc :

- le projet s'inscrit bien dans la lignée du budget triennal et respecte la loi de programmation militaire 2009/2014 ! Compte tenu d'une inflation prévue à 1,7 %, ce budget est stable en volume et affiche 39,37 milliards d'euros, soit 1,9 % du PIB (31,72 milliards d'euros, hors pensions) ;

- les économies générées par les réductions d'effectifs et la rationalisation des soutiens sont, semble-t-il, redéployées au profit de l'équipement de nos forces et de la condition du personnel, civil et militaire : équipements : 16,5 milliards d'euros au lieu de 16 milliards d'euros en 2011, l'amélioration de la condition du personnel civil maintenu à un bon niveau : 24,15 millions d'euros, effort soutenu pour la seconde année budgétaire (bien qu'il manque les mesures spécifiques concernant les OE)...

- le maintien en condition opérationnelle (MCO), qui accompagne le développement des équipements, enregistre une progression de 200 millions d'euros, soit 7,5 %, pour atteindre un montant de 2,75 milliards d'euros ;

- le montant des provisions pour les OPEX maintenu....

Plusieurs points d'insatisfaction et d'inquiétude aussi, en sus de ce que nous avons dit en introduction à propos du contexte :

- les dissolutions et les transferts de formations et d'unités vont continuer à un rythme élevé en 2012 avec près de 184 mouvements, lit-on dans les propos des autorités ministérielles qui nous ont précédés, avant de décroître significativement en 2013 ;

- le plafond ministériel d'emplois autorisé (PMEA) du ministère de la défense et des anciens combattants s'élève, en 2012, à 293 198 personnes équivalents temps plein travaillés (ETPT), soit 224 595 militaires et 68 603 civils, pour la première fois ce PMEA des PC passe en dessous de la barre des 70 000 !

- le gel du salaire de ces personnels va perdurer ici comme dans toute la fonction publique !

- inquiétude et désaccord quand certains de vos orateurs vous disent que, par exemple, pour les majors de soutien de la défense (EMSD) et les 60 BDD, le ministère de la défense dispose ainsi d'un dispositif de soutien modernisé et pleinement opérationnel, non pas pleinement opérationnel et « modernisé ». A quel prix ? Rappelons que la DGA traîne les pieds pour rejoindre ce dispositif !

- le bon élève « Défense » dont nous avons parlé dans nos précédentes audiences devant vos collègues députés se traduit par une sorte d'avance de phase dans les déflations, signalée par MM. les députés Cornut-Gentille et Cazeneuve, dans leur 3e rapport relatif au suivi de la modernisation en cours, à sortir à la fin de cette année ;

- en ce qui concerne la manoeuvre RH, relevons devant vous le fait, qu'en ce qui concerne le plan d'accompagnement des restructurations (PAR), qu'aucun parlementaire ne nous ait écoutés sur notre proposition de défiscaliser aussi les indemnités de départ volontaire (IDV) des agents fonctionnaires et contractuels, alors que vous aviez voté cette même mesure pour nos collègues Ouvriers d'État et personnels militaires !

Notons aussi, en matière de restructuration, la faible solidarité de certains ministères et de la Fonction publique territoriale et hospitalière quand il s'agit de reclasser une ressource humaine compétente de la défense. D'ailleurs, ne serait-il pas intéressant de connaître le nombre des personnels Défense restructurés que les honorables parlementaires de cette commission ont pu recruter au titre de leurs divers autres mandats locaux ?

- Relevons enfin la trop faible et trop lente civilianisation des postes dédiés à l'administration générale et au soutien commun, métiers de prédilection pour notre Personnel civil, dixit aussi le Livre blanc en sa page 237.

Avant de conclure, Monsieur le président, voici quelques idées de la CFTC Défense que vous pourriez reprendre à votre actif -je précise qu'elles ont été exposées aussi aux députés.

Afin de donner du travail dans le bassin d'emploi de Toulon, pourrait-on reprendre l'idée d'un entretien des SNA américains dans le seul port méditerranéen à pouvoir assurer cette sécurité nucléaire, plutôt que de voir ces navires mouiller trop souvent à Cannes ou ailleurs ? Le député et vice-président de la commission de la défense nationale Vitel, approché par notre syndicat toulonnais et notre fédération dès 2007, ainsi que l'EMM, DCNs trouvent tous l'idée très bonne. Pourquoi ne pas l'avoir reprise dans la LPM ? Peut-être que M. le sénateur-maire Falco voudrait nous faire partager son sentiment ?

Nous souhaiterions voir repris le cadre législatif et réglementaire du télétravail qui pourrait permettre à des personnels handicapés de la fonction publique, qui ne peuvent pas forcément muter géographiquement, suite aux restructurations, sur certains sites, car malcommodes pour leurs déplacements, d'exercer leur fonctions à distance dans certaines conditions.

Une nouvelle idée aussi est à rappeler vis à vis de notre endettement européen : la France investit grandement dans sa défense et ses forces armées aux lieu et place de tous les autres États européens. Peut-être faudrait-il que les agences de notation en tiennent compte aussi dans leurs critères ?

Conclusion en deux temps :

- retour pour le premier sur le plan d'austérité du gouvernement : il vient de proposer de geler les salaires de ses ministres et de notre chef des armées ; les citoyens que nous sommes disent que c'est un signe qui montre un début de solidarité, comme le réclament d'ailleurs les citoyens grecs vis-à-vis de leur propres gouvernants et élus ! Et vous, nos élus, est-ce que cela vous interroge aussi ? Est ce que ce serait indécent de notre part, représentants des salariés auxquels on demande toujours plus d'efforts, est ce que ce serait passer pour des « antiparlementaires primaires » que de vous demander quel effort vous pourriez vous aussi produire pour montrer une solidarité sénatoriale d'une institution que l'on dit parmi les plus prestigieuses ?

Deuxième temps, concernant les 7 séminaires sur les réformes qu'entreprend notre ministre en région, puissent-ils, au-delà d'une opération de communication avérée, l'aider à mieux prendre en compte les fortes inquiétudes et souffrances du personnel civil de la défense.

Le pire n'est jamais sûr ! C'est le souhait que formule la CFTC Défense quant à ce PLF 2012, dans le contexte très spécial de crise et après les importantes élections du 20 octobre 2011, qui ont permis à notre fédération de rester représentative, et ce sans alliance !

Dans cette société, aidez-nous enfin à passer de l'étalon-dollar à l'étalon-homme ! Je vous remercie de votre attention.

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