Intervention de Son Exc. M. Tomasz Orlowski

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 30 janvier 2013 : 1ère réunion
Europe de la défense — Audition de se. M. Tomasz Orlowski ambassadeur de la république de pologne

Son Exc. M. Tomasz Orlowski, ambassadeur de la République de Pologne :

Je voudrais tout d'abord répondre à M. Jean-Pierre Leleux qui m'a interrogé sur le rôle du « triangle de Weimar » concernant l'Europe de la défense. Comme le montre le processus d'intégration européenne, c'était la réconciliation franco-allemande qui a joué un rôle majeur. Toutefois, pour gérer l'Europe au XXIe siècle, ainsi que dans une Europe à vingt-sept aujourd'hui, vingt-huit demain, nous avons besoin des assises politiques fortes et il nous faut plus qu'un bimoteur. A cet égard, j'ai été frappé, à la lecture des déclarations officielles marquant la célébration du cinquantième anniversaire du traité de l'Elysée qu'un troisième pays, la Pologne, était mentionné à plusieurs reprises. C'est la première fois, me semble-t-il, que des dirigeants français et allemands reconnaissent au plus haut niveau qu'ils ont besoin de la Pologne pour porter les projets politiques de l'Europe de XXIe siècle.

En matière d'Europe de la défense, le « triangle de Weimar », qui associe l'Allemagne, la France et la Pologne, présente un réel intérêt.

C'est grâce à une lettre commune des ministres des affaires étrangères et de la défense des pays du « triangle de Weimar » adressée à la Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Mme Catherine Ashton, ensuite élargi à l'Espagne et à l'Italie, dans le cadre de « Weimar plus », que nous sommes parvenus à réaliser des avancées sur la politique de sécurité et de défense commune. Il est vrai qu'en raison des réticences de nos amis britanniques nous ne sommes pas parvenus à créer un quartier général permanent européen (OHQ), mais nous avons néanmoins réussi à renforcer les capacités européennes de planification et de conduite des opérations, grâce à l'activation du centre d'opérations de l'Union européenne pour les missions et l'opération PSDC se déroulant dans la Corne de l'Afrique.

Par ailleurs, le seul groupement tactique européen est actuellement le groupement tactique « Weimar », qui est commandé par un général polonais, avec des militaires français, allemands et polonais, et un état-major situé au Mont Valérien. On déplore souvent que les groupements tactiques n'aient à ce jour jamais été utilisés pour une opération. En conséquence, alors qu'en principe il devrait y avoir au moins deux groupements tactiques opérationnels, un seul, celui de « Weimar » assure actuellement la permanence. Se pose naturellement la question de son envoi au Mali. Toutefois, la sécurité au Mali est déjà assuré par les contingents français, aidé par les forces maliennes et africaines et bientôt une mission européenne. Il faudrait aussi réfléchir, à ce qui se passerait si, dans l'urgence, l'Union européenne était appelée à mettre en place une opération, par exemple pour rapatrier les ressortissants européens présents en Syrie ? Dans ce cas, si jamais nous avions à faire à une aggravation de la situation, nous avons des troupes prêtes à intervenir. Notre souhait est de pérenniser la coopération que nous avons engagée dans le cadre de groupement tactique de Weimar avec nos partenaires français et allemands.

De même, l'Eurocorps, que la Pologne a intégrée récemment, constitue une capacité qui n'a jamais trouvé une expression de l'ambition qui était à la base de son lancement.

Vous m'avez interrogé, M. Daniel Reiner, sur les freins à l'Europe de la défense. J'en vois essentiellement trois.

Le premier est d'ordre psychologique. Il tient au sentiment, très répandu en Europe, qu'il n'existe pas de risques immédiats pour notre sécurité. Dès lors, la défense n'est pas considérée comme un domaine prioritaire, en particulier en période de crise budgétaire. C'est quelque chose qui nous fait de la peine et qui nous inquiète. Il faut bien admettre que de nombreux pays en Europe ne considèrent pas l'Europe de la défense comme une priorité, comme l'illustre l'absence de deuxième groupement tactique.

La deuxième raison est liée à l'OTAN. Pour de nombreux Européens, la garantie de l'article 5 équivaut à une défense gratuite. Ce n'est pas le cas, même si l'article 5 reste la clef de voûte de la défense du continent européen pour tous les alliés, y compris la France. Mais cela peut avoir un effet démobilisateur sur notre énergie et nos efforts. La sécurité européenne ne se résume pas à la garantie de l'article 5 de l'OTAN car l'Europe peut être confrontée à une série de conflits de moyenne intensité à son voisinage immédiat.

Une autre difficulté, souvent mise en avant par nos amis britanniques, tient au risque que l'émergence de l'Europe de la défense se traduise par un affaiblissement de la relation transatlantique et par une duplication avec l'OTAN. Cet argument pouvait trouver un certain écho en Europe avec la position particulière de la France au sein de l'OTAN, mais il a perdu beaucoup de sa pertinence avec la réintégration pleine et entière de la France au sein du commandement militaire intégré de l'OTAN en 2009.

A nos yeux, il n'existe pas de concurrence entre l'OTAN et l'Union européenne. Certes, on ne peut pas exclure le risque de doublons ou de duplications entre les deux organisations, et c'est précisément la raison pour laquelle nous plaidons pour un renforcement de la coopération entre l'OTAN et l'Union européenne et pour une levée des blocages politiques à ce rapprochement. Ainsi, le Secrétaire général de l'OTAN devrait se rendre régulièrement aux réunions du Conseil des ministres de la défense de l'Union européenne et le Haut représentant de l'UE, au Conseil atlantique.

Avons-nous la capacité de dépasser l'OTAN au profit d'une défense européenne ?

Il faut prendre garde aux mots que l'on emploie. La « défense européenne » n'est pas la « défense de l'Europe ». Ainsi, la « défense européenne » ne couvre pas le territoire européen, il ne s'agit pas de défendre l'Europe par nos propres moyens, mais elle vise plutôt la stabilité et la sécurité dans le voisinage immédiat de l'Europe, dans les régions les plus proches.

Aujourd'hui, il s'agit d'une question théorique. Comment l'Europe pourrait-elle prétendre assurer sa propre défense si elle ne dispose pas des capacités nécessaires ? Tant que les Européens ne voudront pas prendre leurs responsabilités pour assurer leur propre défense, la défense de l'Europe ne pourra pas être remplacée par l'OTAN.

Pour autant - et il s'agit là d'une inflexion majeure - la Pologne est favorable à l'émergence d'une « Europe puissance », pour reprendre les mots du ministre polonais des affaires étrangères, d'une Europe qui a besoin des moyens pour se faire entendre dans le monde - telle est l'ambition polonaise de l'Europe de la Défense.

Concernant la modernisation de l'armée polonaise et la place des industriels européens, notre procédure est entièrement fondée sur la transparence avec un appel d'offres et une procédure de sélection qui repose sur le meilleur choix. Plusieurs groupes français ont d'ailleurs fait part de leur intérêt pour certains contrats.

Comme l'a indiqué le Premier ministre polonais au Président de la République française, la France aura certainement une part dans ces contrats dans ses domaines d'excellence.

J'attire toutefois votre attention sur le fait que l'un des critères déterminants sera la « polonisation » de la production, afin de consolider la base industrielle polonaise de défense. Nous souhaitons faire émerger plus de coopération entre l'industrie de défense polonaise et celle d'autres partenaires européens.

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