Je me présente devant votre commission pour la cinquième fois afin de me livrer à l'exercice annuel qui doit vous permettre, puisque c'est son but, d'apprécier la cohérence entre les choix budgétaires opérés pour 2012 au sein du programme 144 à partir de la stratégie définie par le ministre de la défense.
La stabilité que je viens de souligner dans ces fonctions de responsable de programme me donne évidemment un certain recul pour apprécier le développement et l'ancrage de cette politique publique, dont les objectifs et les prestations, désormais stabilisées, visent à éclairer le ministère sur l'environnement national et international, présent et futur, en matière de sécurité et de défense.
Ce programme 144 porte quatre des cinq domaines de la fonction stratégique « connaissance et anticipation », sur lesquels l'effort sera résolument maintenu en 2012 en dépit des difficultés liées à la crise financière.
Le projet de budget qui vous est soumis traduit très concrètement cette volonté. Stabilité apparente qui n'empêche pas le programme 144 de s'inscrire résolument dans le mouvement de réforme du ministère, puisque, depuis sa création, d'importantes réorganisations et mesures d'optimisations y sont conduites. Je citerai à titre d'exemples : le réseau diplomatique, le contrôle des armements, la prospective sous toutes ses facettes...
Comme vous le savez, ce programme budgétaire, organisé de manière très originale, suppose, pour son responsable, une démarche continue d'animation, de coordination et d'orientation sur l'ensemble des services et des acteurs institutionnels qui participent à ses missions.
Ce pilotage contribue directement à la gouvernance du ministère et à l'efficacité de son action dans des domaines très divers, mais tous cohérents entre eux : relations internationales, compréhension de l'environnement stratégique, prospective, soutien et contrôle des exportations d'armement, consolidation de la base industrielle et technologique de la défense, lutte contre la prolifération...
J'aborderai successivement les perspectives de fin de gestion 2011 et les grands choix opérés pour le projet de loi de finances pour 2012.
Comme à l'accoutumée, j'esquisserai d'abord un rapide aperçu des conditions dans lesquelles devrait s'achever la fin de l'exercice 2011, compte tenu des éléments prévisionnels dont dispose aujourd'hui le programme.
L'exécution de l'exercice 2011 se réalise, en ce qui concerne le titre 2 (dépenses de personnel), conformément aux règles de gestion prévues par la loi de finances initiale.
Sur le plan budgétaire, et à l'échelle du programme, les ressources financières mises en place seront entièrement consommées et les dépenses ne devraient excéder que d'un peu plus de 1 % la dotation prévue par la loi de finances initiale.
Sur le plan des effectifs, le comparatif entre le plafond ministériel des emplois autorisés, soit 8 672,5 emplois, et l'effectif moyen réalisé, qui retrace la moyenne des effectifs payés pendant les 12 mois de l'exercice, soit 8 635 équivalent temps plein travaillé, est conforme aux règles prévues par la LOLF.
En matière d'effectifs, je signalerai simplement que la DGSE, malgré la situation très tendue que connaît le ministère, a pu réaliser les 162 créations d'emplois prévues dans le cadre de la montée en puissance de la fonction « connaissance et anticipation » et accompagner ainsi l'augmentation de ses capacités opérationnelles telles que prévues par le Livre blanc. Cette priorité fixée au programme est donc strictement respectée.
Pour les autres titres, le programme devrait engager cette année environ 1 181 millions d'euros et payer 1 164 millions d'euros, hors consommation de la réserve de précaution, qui représente à ce jour environ 51,7 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 49,2 millions d'euros en crédits de paiement (CP). Du fait de la technique budgétaire, la bonne tenue de l'objectif d'engagement de 1 181 millions d'euros d'engagement repose sur une levée intégrale de la réserve de précaution en AE.
Comme les années précédentes, au niveau des paiements, l'enjeu de la fin de gestion 2011 réside dans la levée de la réserve organique et l'autorisation du programme à consommer les reports de crédits 2010 (18,1 millions d'euros environ) afin de limiter le report de charges à la fin de l'année 2011. Une levée de la réserve complète associée à une autorisation à consommer les reports donnerait une capacité de paiement de 1 213 millions d'euros.
Le programme 144 va par ailleurs disposer des ressources du compte d'affectation spéciale « Fréquences » pour un montant de 50 millions d'euros, qui, comme vous le savez, sont affectées aux études amont.
Il convient de souligner que la non-levée de la réserve de précaution en CP aurait des incidences sur la « soutenabilité » de ces études amont, dont les paiements s'étalent sur plusieurs années, affectant ainsi l'objectif de stabilisation du périmètre budgétaire de ces études à hauteur de 650-700 millions d'euros par an.
Quoi qu'il en soit, le programme prend à son niveau les mesures nécessaires et mobilise la totalité des acteurs afin de consommer la totalité de la ressource, se fixant pour objectif de limiter le montant des reports de crédits sur 2012 dans les limites autorisées par la loi organique.
J'en viens maintenant au projet de loi de finances pour 2012.
Le détail des demandes de crédits exprimées par le programme 144 figure dans le programme annuel de performance (PAP) qui vient d'être déposé sur le bureau des assemblées. Je vous présenterai la synthèse des points les plus marquants du prochain exercice budgétaire.
En ce qui concerne le titre 2 (dépenses de personnel), les objectifs prioritaires en 2012 sont d'assurer les besoins en personnels des deux services de renseignement. Il s'agit, d'une part, d'assurer la réussite de l'annuité correspondante de montée en puissance de la fonction « connaissance et anticipation » et de parvenir au recrutement d'agents correspondant au volume des postes ouverts par la DGSE, d'autre part, de permettre à la DPSD de recruter les cadres civils et militaires lui permettant d'améliorer ses capacités opérationnelles.
C'est pourquoi, le programme 144 présente une évolution des dépenses de personnel entre 2011 et 2012 de + 5 %. Cette augmentation des crédits, je tiens à le souligner, porte essentiellement sur les catégories de dépenses directement liées à la rémunération.
Examinée action par action, l'évolution des ressources présente les caractéristiques suivantes :
- l'action 2 « Prospective des systèmes de forces » varie peu entre 2011 et 2012 tant au niveau financier qu'à celui du périmètre physique.
La progression sensible du programme en masse salariale et en emplois ouverts est essentiellement rattachable à sa composante « Renseignement extérieur ». L'amélioration des capacités opérationnelles demandées à la DGSE se traduit en effet par une augmentation de 22,86 millions d'euros de masse salariale.
La DPSD bénéficie également d'une augmentation de ses crédits de rémunération de 4 millions d'euros, augmentation destinée à rattraper la sous-dotation budgétaire observée en 2011 et à accompagner ses projets de recrutement de cadres civils et militaires de haut niveau ainsi que l'arrivée de nouveaux officiers brevetés ;
- les actions 4 « Maîtrise des capacités technologiques et industrielles » et 5 « Soutien aux exportations » baissent en valeur du fait des transferts sortants vers le programme 146 dans le cadre de la réorganisation des fonctions de soutien de la DGA.
Enfin, la diplomatie de défense bénéficie, en 2012, d'une variation positive de ses crédits de 3,9 millions d'euros pour couvrir les mesures catégorielles prévues pour les militaires et le poids de dépenses de personnel dans certains postes permanents à l'étranger.
De mon point de vue de responsable budgétaire, toutes les actions du programme 144 doivent donc être considérées comme prioritaires parce qu'elles répondent à l'impératif actuel de connaissance, d'anticipation et de coordination stratégique. La démarche prospective, qui permet notamment, par la détection de signaux précurseurs, d'anticiper les risques et les menaces, mais aussi les opportunités internationales pour les intérêts français et européens, constitue son élément fédérateur, parallèlement à la connaissance des zones d'opérations potentielles. Plus que jamais, en effet, le besoin de vision commune, du partage et de scénarisation de la complexité oblige à cet exercice délicat et risqué.
Comme je vais maintenant le détailler, ce projet de budget, en dépit des difficultés de moment, doit permettre de maintenir ce cap.
Ainsi, les crédits demandés pour 2012 hors titre 2 du programme 144 s'élèvent à 1 315 millions d'euros en AE et 1 201 millions d'euros en CP, soit une augmentation de 44 millions d'euros en AE et une diminution de 20,5 millions d'euros en CP.
Je souligne que ces mouvements touchent la totalité des actions, l'action 2 « Prospective des systèmes de forces » étant concernée de manière marginale.
La légère augmentation des AE (+ 0,83 million d'euros) et des CP (+ 0,40 million d'euros) de l'action 1 « Analyse stratégique » est localisée au niveau des études prospectives et stratégiques (EPS) et des subventions accordées aux publications de recherche stratégique. Elle illustre la priorité donnée à la fonction « connaissance et anticipation » et la poursuite de la politique décidée en 2009 pour les EPS. Les dix principaux axes d'effort retenus en 2011 sont reconduits.
Les grands axes autour desquels s'articuleront les activités de l'action 2, en matière de prospective des systèmes de force, s'inscrivent dans la continuité des réflexions et des orientations issues du Livre blanc et prennent en compte les derniers travaux de prospective et de préparation du futur, en lien direct avec la dernière version de plan prospectif à 30 ans.
L'augmentation des AE (+ 26,2 millions d'euros) de l'action 3 « Recherche et exploitation du renseignement » traduit les orientations du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et la poursuite de la montée en puissance de la fonction « connaissance et anticipation ». Cette hausse concerne la seule DGSE, à hauteur de 26,6 millions d'euros. Les crédits de fonctionnement (titre 3) augmentent de 14,2 millions d'euros et les crédits d'investissement (titre 5) de 12,4 millions d'euros. L'accroissement des crédits de fonctionnement est notamment la conséquence de l'élévation de la consommation électrique liée à la montée en puissance des équipements des nouvelles salles informatiques, de la hausse des coûts des différentes maintenances dédiées au maintien en condition des structures, en raison de l'accroissement des surfaces à entretenir, et à la mise en oeuvre de matériels informatiques supplémentaires, ainsi que de l'augmentation des coûts de communications liés, d'une part, aux évolutions technologiques et à la hausse des débits permettant de rapatrier les interceptions et/ou les liaisons spécialisées et, d'autre part, aux échanges avec les opérationnels sur zone de crise.
De plus, conformément aux décisions gouvernementales, la DGSE poursuit la rationalisation de ses dépenses de fonctionnement. Ces efforts sont toutefois atténués par l'augmentation des effectifs qui engendre, mécaniquement, une hausse des dépenses de fonctionnement afférentes (surfaces d'accueil, entretien, formation, recrutement).
Pour ce qui relève des investissements (titre 5), le renforcement des effectifs de la DGSE, lié à la montée en puissance de la fonction « connaissance et anticipation », impose tout naturellement de prévoir une infrastructure d'accueil des agents, dimensionnée en conséquence et offrant un environnement technique adéquat pour exercer leurs missions.
Par ailleurs, ce service poursuit, sur le plan des équipements techniques, l'acquisition de certains matériels nécessaires au soutien de ses activités.
Globalement, les crédits de paiement concernant les investissements (titre 5), qui représentent 136,4 millions d'euros, diminuent de 17 millions d'euros en 2012, mais cette baisse apparente des ressources est compensée par des financements extérieurs de l'ordre de 63 millions d'euros dans le cadre de deux grands projets interministériels.
Les crédits de la DPSD augmentent de 0,33 million d'euros, malgré des économies réalisées sur les charges de fonctionnement, car cette entité finance le projet « Synergie pour l'optimisation des procédures d'habilitation des industries et de l'administration » (SOPHIA). Le maintien à haut niveau du système d'information et de sécurité du service de renseignement constitue une des priorités du programme.
L'augmentation des AE de l'action 4 « Maîtrise des capacités technologiques et industrielles » (+16,9 millions d'euros) concerne essentiellement les études amont (+25,5 millions d'euros), plus spécifiquement les études amont « nucléaire ». Cette hausse traduit la volonté de maintenir la crédibilité de la dissuasion, qui est une priorité forte inscrite dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. A noter, également que les études amont nucléaires comprennent, depuis le projet de loi de finances pour 2011, en AE et CP, les technologies communes.
Les crédits de paiement des études amont enregistrent une diminution de 12,21 millions d'euros (soit un léger recul de 1,90 % par rapport à 2011). De même que l'année dernière, le projet de loi de finances pour 2012 illustre la priorité accordée aux études amont « classique » et « nucléaire » en l'absence de projet majeur, à proche échéance, sur les études amont « espace », et traduit la volonté de maintenir le niveau des 700 millions d'euros affiché depuis plusieurs années.
La diminution tant en AE qu'en CP (- 9,8 millions d'euros) des crédits des opérateurs (écoles de la DGA et ONERA), dont les crédits passent de 257,6 millions d'euros à 247,8 millions d'euros est principalement causée par la révision à la baisse du montant de la subvention (les contrats d'objectifs et de moyens doivent être renouvelés cette année).
Conformément aux directives du Premier ministre, la subvention à ONERA a été amputée de 8 millions d'euros, à la suite du changement de régime fiscal de cet opérateur. Les dépenses de fonctionnement courant des opérateurs supportent la totalité de la réduction de la subvention pour charge de service public versée en 2012. Par ailleurs, le principe de non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux y est mis en oeuvre.
La diminution des autorisations d'engagement (- 0,95 million d'euros) et des crédits de paiement (-0,51 million d'euros) de l'action 5 « Soutien des exportations » concerne essentiellement la promotion des exportations (le coût des salons Eurosatory et Euronaval sera moindre que celui du Bourget) et les postes permanents à l'étranger auxquels des économies ont été demandés.
Enfin, le réseau de diplomatie de défense, profondément réorganisé depuis 2008, continuera de faire l'objet de mesures d'adaptation nécessaires pour répondre, dans les meilleures conditions, aux actions de relations internationales menées dans le cadre de la gestion des crises.
L'augmentation des crédits de paiement (+ 2,85 millions d'euros) de l'action 6 « Diplomatie de défense » concerne essentiellement la contribution versée au gouvernement de la République de Djibouti, à hauteur de 1,2 million d'euros, et les budgets alloués aux postes permanents à l'étranger (PPE) pour un montant de 1,45 million d'euros.
Après cette présentation du programme 144 dans le cadre du projet de loi de finances pour 2012, je souhaiterais maintenant répondre à votre question, Monsieur le Président, sur les principaux changements stratégiques survenus depuis 2008.
Tout d'abord, je voudrais dire que le ministère de la défense, et la direction des affaires stratégiques en particulier, ont cherché à anticiper l'initiative prise par le Président de la République, le 29 juillet dernier, de lancer une réflexion interministérielle sur l'actualisation de l'analyse stratégique du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008.
Au sein, notamment, du Comité de coordination de la recherche stratégique et de la prospective de défense (CCRP), la direction des affaires stratégiques (DAS), en liaison avec l'état-major des armées, la direction générale pour l'armement (DGA), le secrétariat général de l'administration (SGA) et les autres services concernés du ministère de la défense, se sont livrés, depuis un an, à un exercice de relecture du document élaboré par la commission présidée par Jean-Claude Mallet afin d'en définir les constances mais aussi les impasses ou les oublis.
Vous savez qu'une réflexion interministérielle est aujourd'hui conduite sous l'autorité du secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, qui doit conduire à l'adoption d'un document interministériel d'orientation stratégique, lors d'une réunion du Conseil de défense et de sécurité nationale, qui se tiendra à la fin de l'année 2011. Ce document, qui sera rendu public, devrait structurer aussi largement que possible l'analyse des choix capacitaires qui sera présentée dans l'édition 2012 du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.
Il ne m'appartient pas de m'étendre sur l'état actuel des travaux en cours, sur lesquels le secrétaire général serait sans doute mieux placé que moi pour répondre, mais quelques constats simples de rupture peuvent aisément être d'ores et déjà identifiés.
Parmi ceux-ci, deux me paraissent fondamentaux : la crise économique et financière, d'une part, et l'évolution de la situation au Maghreb et au Moyen-Orient depuis ce qu'il est convenu d'appeler le « printemps arabe » de 2011.
La crise économique et financière, et ses conséquences, notamment pour les pays de la zone euro, n'aura fait qu'accentuer le risque, déjà prégnant dans un contexte de réduction des dépenses publiques, d'une réduction drastique des budgets de la défense chez la plupart de nos partenaires et alliés européens. Les appels à maintenir l'effort de défense de l'ancien secrétaire d'Etat américain Robert Gates et, aujourd'hui, les avertissements de son successeur, Leon Panetta, n'auront eu, au fond, aucun impact. Déjà peu élevé, l'effort de défense des pays européens est en voie de s'effondrer chez nombre de nos partenaires, incapables, dans le contexte actuel de crise de l'endettement public, de faire face à leurs obligations. Plus que jamais, seuls, la France et le Royaume-Uni en Europe paraissent encore animés, malgré les difficultés, par le souci de maintenir leur effort de défense, alors même que c'est à une accélération du processus de contraction des crédits de fonctionnement comme d'investissement que l'on assiste en Europe centrale ou chez nos partenaires d'Europe occidentale.
Certes, cette tendance forte à la diminution de l'effort de défense en Europe, contrairement à la situation constatée en Asie, existait déjà avant 2008. Ce phénomène s'est accéléré avec la crise financière, dans des conditions insoupçonnées, avec pour conséquence la question des moyens dont pourront bénéficier l'Alliance ou la défense européenne et donc la réalité de leurs futures capacités opérationnelles, sans parler de leur volonté politique à intervenir, comme l'a amplement souligné le dossier libyen.
Alors qu'au cours des dernières années, seule l'Europe apparaissait contrainte par ces perspectives, la période qui s'annonce pourrait bien être très directement marquée par l'incertitude qui pèse aujourd'hui sur l'ampleur réelle de la réduction annoncée de l'effort militaire des Etats-Unis entre 2012 et 2020. Il s'agit là, à bien des égards, d'un point fondamental, si l'on considère que la diminution par deux, en moins de dix ans, du budget du Pentagone, c'est-à-dire à hauteur des niveaux budgétaires dont bénéficiaient les armées américaines avant les conflits irakien et afghan, n'est, semble-t-il, et de loin, que la fourchette basse de la purge budgétaire qui s'annonce pour le budget de la défense américain, sous la contrainte de l'effort de réduction de la dette des Etats-Unis.
Les chiffres avancés par certains experts concernant la réduction de cet effort, qui vont de 450 à 700 milliards de dollars sur la période, soulignent d'ores et déjà l'ampleur que pourrait avoir cette éventuelle diminution des dépenses militaires américaines. Certains scenarios de centres de recherche américains, proches du Pentagone, comme le CSBA, évoquent même des économies supérieures à 1 000 milliards de dollars sur la période.
Une diminution d'une telle ampleur des dépenses militaires américaines, on le comprend, risque d'avoir de lourdes conséquences en termes de capacités opérationnelles, y compris dans les zones traditionnelles de présence américaine, de renouvellement des équipements et de soutien aux alliances.
Face à une réduction d'une telle ampleur de leur effort de défense, les Etats-Unis devront faire des choix. Quels seront-ils ? Il est encore trop tôt pour le dire mais il est difficile d'imaginer que l'Europe demeure, à l'avenir, l'une des priorités de Washington, face au caractère plus prégnant des menaces pesant sur le golfe arabo-persique ou sur l'Asie du Nord ou du Sud, dans un contexte marqué par l'affirmation continue et de plus en plus autoritaire d'une puissance chinoise chaque année un peu plus crédible (développement des capacités sous-marines du missiles DF21D...). Dans un contexte de réduction drastique des budgets, le concept « Air/See battle » développé par l'armée américaine sera-t-il toujours susceptible d'être mis en oeuvre face aux tentatives de stratégie de déni d'accès développées (et c'est bien là aussi une évolution depuis 2008) par certains Etats ? Face à ce constat, l'effondrement des capacités militaires conventionnelles russes, nonobstant l'effort de modernisation et de professionnalisation mené, risque de peser lourd dans les choix de Washington, posant la question de la crédibilité de la présence, dans un avenir plus ou moins proche, de quatre brigades américaines en Europe.
Cette réduction des dépenses militaires américaines ne doit pas être uniquement perçue en termes d'assurances de sécurité pour l'Europe et d'engagement beaucoup plus limité à l'avenir des Américains derrière les Européens dans le fil du conflit libyen. Nous devons rester conscients du fait que la contraction des commandes de l'industrie américaine de défense, conjuguée à la baisse des budgets de la défense chez la plupart des pays européens, se traduira par de fortes tensions et une concurrence accrue sur le marché européen de la défense, voire une tentation renouvelée de nos alliés d'en finir avec la BITDE européenne. Cette pression n'est pas à attendre. Nous la subissons aujourd'hui au sein de l'Alliance autour de la douzaine de programmes capacitaires jugés majeurs lors du sommet de Lisbonne.
La deuxième rupture fondamentale par rapport au paradigme décrit en 2008 concerne à l'évidence l'évolution du monde arabe, depuis ce « printemps arabe » dont l'issue est encore bien floue. Nous ne pouvons naturellement que nous féliciter des processus engagés. Mais l'incertitude demeure encore sur bien des dossiers et ceux-ci devraient encore marquer durablement notre environnement immédiat en tant que puissance méditerranéenne : avenir de la Libye après la chute du régime de Kadhafi, attente d'une stabilisation politique en Egypte et du retour de l'armée dans ses casernes, poursuite dans la dignité des réformes démocratiques au Maghreb, résolution de la crise syrienne, relance du processus de paix.... Jamais les contraintes n'ont été aussi nombreuses et les situations aussi volatiles, à l'image d'un Yémen dont la fragilité et les risques majeurs que celle-ci induit pour le développement d'Al Qaida, doivent aujourd'hui nous interpeller.
Au-delà de cette présentation trop rapide, quels sont, brièvement, les autres changements ou tendances importants constatés depuis 2008 ?
On peut d'abord s'interroger sur le fait de savoir si le terrorisme est toujours le principal facteur structurant de l'analyse stratégique aujourd'hui. Non pas que la menace ait diminué, bien au contraire, et le développement d'AQMI et d'AQPA est là pour nous le rappeler. Mais la lutte contre le terrorisme doit-elle toujours occuper, dans le cadre de la révision de l'analyse stratégique menée actuellement, la place centrale qu'elle avait revêtue lors de la rédaction du Livre blanc de 2008 ? On peut s'interroger sur ce point.
Cet aspect soulève également la question de la pertinence du concept de l'« arc de crise », de Kandahar à Dakar, qui avait été développé dans le Livre blanc de 2008, et qui était, à l'époque, étroitement lié à la menace terroriste.
Pour ma part, ce concept d'« arc de crise » reste valable : ses facteurs explicatifs se sont étendus comme son espace géographique, avec notamment les tensions renouvelées entre les deux Corée, la réapparition des crispations territoriales en Mer de Chine du Sud comme du Nord. Ces tensions alimentent la forte augmentation des dépenses militaires des pays de la région, dont certains budgets frôlent des taux de croissance parfois supérieurs à 7 % De la même façon, les crises de prolifération ne se sont pas taries, bien au contraire, à l'image du dossier iranien ou nord coréen. Alors que la révélation par ce dernier de son programme d'enrichissement pose bien des questions sur la dimension réelle de celui-ci, le refus de l'Iran de se soumettre aux quatre résolutions votées par le Conseil de sécurité, de stopper l'accumulation de matières fissiles et d'arrêter un programme d'enrichissement dont on voit mal quelle pourrait en être la finalité civile, constitue un sujet majeur de préoccupation qui devrait continuer à marquer profondément l'architecture de sécurité régionale et au-delà .
Parmi les autres évolutions ou ruptures, il convient enfin de mentionner également la poursuite de la mondialisation, avec son impact sur le contrôle des flux, toujours plus difficiles et porteurs de menaces potentielles, qu'il s'agisse des flux maritimes ou du cyberespace, avec le développement inquiétant des phénomènes de piraterie maritime ou de piraterie informatique, sous-tendus par la volonté délibérée de certains Etats.