Intervention de Michel Miraillet

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 19 octobre 2011 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2012 — Mission défense - programme environnement et prospective de la politique de défense - Audition de M. Michel Miraillet directeur chargé des affaires stratégiques au ministère de la défense

Michel Miraillet, directeur chargé des affaires stratégiques au ministère de la défense :

La réintégration pleine et entière de la France dans l'ensemble des structures et organes de l'OTAN, qui se traduit par la présence aujourd'hui d'environ 8 à 900 de nos officiers insérés dans les différentes structures a, certes, eu un coût financier et humain. Mais elle s'est traduite par un sensible renforcement de notre présence et de notre influence, dont l'intérêt a d'ailleurs été démontré lors de l'intervention de l'OTAN en Libye, qu'il s'agisse de la chaîne de commandement ou des aspects relatifs au renseignement, où la présence de hauts officiers français a été non seulement bénéfique mais fondamentale. Au sein du Conseil de l'Atlantique Nord, où la présence et l'influence de la France ont toujours été fortes, cette réintégration n'a pas entraîné un prétendu alignement de notre pays sur la position des Etats-Unis. Nous défendons nos intérêts au sein de l'Alliance et notre vision de celle-ci. Nos partenaires, du reste, ne s'y trompent pas. Notre réintégration a permis de renforcer notre influence au sein de l'organisation.

L'intervention de l'OTAN en Libye a aussi démontré la pertinence de la réforme des structures de commandement de l'Alliance et de la réforme de la gouvernance financière de celle-ci, que nous avons voulue et soutenue. L'expérience libyenne a d'ailleurs montré à quel point notre ambition en faveur d'une structure plus réduite, professionnelle et reposant sur le principe de sélectivité des personnels engagés s'était révélée pertinente.

S'agissant de la défense européenne, après une période marquée par d'importants progrès institutionnels, depuis la déclaration franco-britannique de Saint-Malo en 1998, nous sommes aujourd'hui entrés dans une période moins propice à des avancées sur la politique de sécurité et de défense commune (PSDC). La consolidation de la PSDC, après une phase de construction d'une petite dizaine d'années qui a vu la mise en place de structures, comme l'état-major et le comité militaire de l'Union européenne, des groupements tactiques et le lancement de plusieurs opérations, passe aujourd'hui, plus que jamais, par la multiplication des opérations de l'UE, nonobstant le « conflit gelé » actuel sur l'OHQ à Bruxelles. Ainsi, peut-on regretter l'absence de l'Union européenne lors de l'intervention en Libye : au-delà des aspects humanitaires, celle-ci aurait été tout aussi capable d'assurer l'opération maritime de contrôle de l'embargo sur les armes. Il est vrai que l'on peut regretter l'absence de véritable centre de planification et de conduite des opérations de l'Union européenne, en raison de l'opposition dogmatique du Royaume-Uni sur ce point. Mais tel est le monde réel. Toutes les déclarations confirment qu'il est illusoire de s'attendre prochainement à un changement de la position britannique sur cette question. En revanche, il est important, comme l'ont fait la présidence polonaise et nos partenaires allemands, de rappeler à nos alliés d'outre-Manche, qu'ils sont seuls dans leur positionnement au sein de l'UE... car je suis certain qu'à la lumière de l'expérience des nombreuses opérations de l'Union européenne, la nécessité d'un renforcement du centre de planification et de conduite des opérations de l'Union européenne finira bien par s'imposer, y compris chez nos amis britanniques, puisqu'il s'agit là d'une garantie d'efficacité militaire. La question qui se pose aujourd'hui, dans un contexte marqué par la diminution des budgets de la défense chez la plupart de nos partenaires européens, comme l'Espagne, l'Italie ou les Pays-Bas, en raison de la crise économique et financière, est celle de savoir si l'Union européenne sera toujours en mesure, à l'avenir, de lancer des opérations militaires et si elle aura les capacités pour le faire. Ainsi, même si l'opération Atalanta de lutte contre la piraterie maritime au large des côtes somaliennes a incontestablement permis de stabiliser la situation dans cette zone, les réticences ou l'opposition de nombre de nos partenaires européens à étendre cette opération par des actions de formation à terre des soldats somaliens ou de garde-côtes ne permettent pas de mettre un terme au phénomène. Pire, elles entraînent un effet pervers sous la forme du développement considérable du recours à des sociétés militaires privées par les armateurs, c'est-à-dire à une sorte de « privatisation » de la sécurité maritime, qui, à terme, pourrait se révéler assez inquiétante. Il y aura bientôt plus de 60 sociétés militaires privées, qui ont d'ailleurs leur siège dans un pays proche du nôtre, et treize bâtiments déclassés de la marine suédoise et norvégienne, affrétés par des sociétés militaires privées, déployés dans cette zone pour lutter contre la piraterie maritime. Comment penser que ces institutions soient de nature à éradiquer un phénomène qui constitue leur fond de commerce ?

S'agissant de la cyberdéfense, comme vous l'avez signalé Monsieur le rapporteur, un important effort a été réalisé dans ce domaine, sous l'autorité du Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, avec notamment la création de l'Agence nationale de sécurité des systèmes d'information (ANSSI).

L'intérêt de l'Arabie Saoudite pour le nucléaire n'est pas une nouveauté. Il s'inscrit très directement dans la perception qu'a le Royaume, Etat signataire du TNP, de sa sécurité et des garanties dont il dispose. Si, de fait, ce pays entretient depuis longtemps des liens étroits avec le Pakistan, et est aujourd'hui considéré par bien des observateurs comme l'un des principaux financiers du programme lancé par Ali Bhutto, nous devons conserver à l'esprit que les rumeurs autour de « tentations » nucléaires saoudiennes s'expliquent exclusivement par la perception d'une menace iranienne dont les travaux de l'AIEA où, par exemple, les dernières révélations concernant le site clandestin de Qom, ont renforcé, année après année, l'acuité. On voit d'ailleurs bien là les limites d'une éventuelle politique d'apaisement (« containment ») des pays occidentaux à l'égard de la poursuite du programme nucléaire militaire par l'Iran, qui est parfois évoquée par certains observateurs. Le programme nucléaire iranien constituerait une remise en cause de l'ordre international et du régime de non-prolifération avec des conséquences mondiales incalculables : course aux armements, tentation des pays de la région de renoncer aux engagements souscrits à travers le TNP, etc... La question qui demeure est donc de savoir si les Etats-Unis et les pays européens seront en mesure de mettre un terme, le moment voulu, à la volonté des dirigeants iraniens à vouloir se doter de l'arme nucléaire, comme semble le montrer l'accélération de l'enrichissement de l'uranium en Iran, de façon à rassurer l'Arabie Saoudite et les pays du Golfe. C'est là tout le sens des sanctions internationales et unilatérales imposées à l'Iran.

Concernant la diplomatie de défense et le réseau des attachés de défense, il est vrai que certains postes d'attachés de défense ont été supprimés, mais le réseau a surtout été rationalisé et réorganisé. Cette réorganisation est conduite sous la direction d'un inspecteur général des armées en étroite liaison avec le ministère des affaires étrangères et en concertation avec l'ensemble des services concernés du ministère de la défense. Grâce à la mutualisation de certaines fonctions de soutien avec les ambassades, en matière de secrétariat et de comptabilité, par exemple, nous avons pu supprimer plusieurs postes, mais nous avons aussi renforcé des postes d'attachés de défense dans certains pays, en ouvrant désormais, comme à Singapour ou en Suède, ces fonctions à des ingénieurs de l'armement. A l'inverse, lorsque certains pays réduisent fortement leurs dépenses militaires, à des niveaux tels que ceux-ci donnent le sentiment qu'ils auront des implications fortes pour notre relation bilatérale, nous réfléchissons à la possibilité de supprimer ces fonctions et à les faire assumer par l'attaché de défense d'une ambassade limitrophe. Nous envisageons ainsi de supprimer l'an prochain le poste d'attaché de défense à Prague.

La diminution des crédits destinés à soutenir nos exportations s'explique uniquement par des raisons conjoncturelles, qui tiennent au coût moindre de l'organisation des salons d'armement en 2012.

Enfin, le Comité de coordination de la recherche stratégique et de la prospective de défense est un vrai succès. C'est un lieu qui permet de réunir la direction des affaires stratégiques, l'état major des armées, la direction générale pour l'armement et les autres services concernés du ministère de la défense pour réfléchir aux évolutions du contexte stratégique. C'est notamment grâce à ce comité que le ministère de la défense a pu s'organiser aussi rapidement pour contribuer à la réflexion sur l'actualisation de l'analyse stratégique du Livre blanc, conduite sous l'autorité du Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, en constituant très rapidement six groupes de travail et en soumettant des contributions au secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, à la différence de ce qui s'était passé lors de l'élaboration du Livre blanc en 2008, où le ministère de la défense n'avait peut être pas été assez préparé à cet exercice.

Au sein de ce comité, nous surveillons aussi les priorités en matière d'études et de recherches, le pilotage de l'IRSEM, et nous procédons à une évaluation des résultats.

Dans ce cadre, nous travaillons aussi à l'élaboration d'un document intitulé « horizons stratégiques », qui devrait être publié début janvier, après l'actualisation de l'analyse stratégique, et dont vous recevrez un exemplaire.

Sur la Turquie, il est de notre intérêt de renforcer nos relations et notre coopération avec ce pays, notamment en matière militaire, compte tenu du rôle joué par Ankara au sein de l'Alliance, dans le Caucase, en Afghanistan et au Proche-Orient. Mais les discussions sont actuellement difficiles faute d'attitude réciproque.

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