Il n’y a donc pas de fatalité du déclassement technologique et stratégique, à condition que nous sachions valoriser nos atouts, bien cibler nos objectifs et réaliser un effort supplémentaire qui ne me paraît pas totalement hors de portée pour un pays comme le nôtre, s’il en a réellement la volonté.
Enfin, dernière remarque, je souhaiterais plaider, au nom du groupe UMP, en faveur d’une approche objective, mesurée et pragmatique. C’est celle qui est préconisée par le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Quelles sont véritablement les options qui s’offrent à nous ?
D’abord, je constate qu’il aurait été politiquement très difficile de vouloir faire obstacle à une décision au sein de l’OTAN. Cela aurait également remis en question l’approche multilatérale des États-Unis. Pour mener à bien leur démarche, ceux-ci n’auraient eu alors d’autre solution que de contourner l’OTAN en cas de refus et de traiter bilatéralement avec certains pays. Ce ne serait pas une bonne chose pour l’Europe dans son ensemble, une partie de sa défense lui échappant.
Il y a aussi l’option du « soutien sans participation ». Dans ce cas, nous devrions tout de même contribuer aux coûts communs, tout en renonçant à un quelconque droit de regard sur la décision, ainsi qu’à une présence dans les technologies de la défense anti-missile.
Je crois que la seule option raisonnable est de viser deux objectifs.
Le premier consiste à continuer de travailler, dans le cadre de l’OTAN, pour préciser, clarifier et encadrer ce que pourraient être l’architecture et le fonctionnement d’une future défense anti-missile des territoires de l’Alliance. À cet égard, deux échéances importantes ont été fixées au sommet de Lisbonne : la clarification, d’ici au mois de mars 2011, des questions liées au commandement et au contrôle, et l’élaboration, d’ici au mois de juin 2011, d’un plan d’action sur les étapes de la mise en œuvre de la défense anti-missile.
Le second objectif est de se mettre en position d’apporter, à partir de nos compétences existantes, des « briques » qui nous permettront de participer au système autrement qu’en simple financeur. Autrement dit, il s’agit d’être un acteur de cette défense anti-missile qui va influer sur le paysage stratégique international dans les décennies à venir.
Comme l’indique le rapport de la commission, il faut que nous posions très clairement les conditions de notre engagement.
Au plan stratégique, tout d’abord, la défense anti-missile balistique n’est pas une protection absolue ; elle ne peut pas être non plus un substitut à la dissuasion, dont elle est seulement un complément.
Notre excellent collègue Jean-Pierre Chevènement vient une nouvelle fois de nous rappeler que, dans l’histoire du monde et des guerres, le glaive a toujours vaincu le bouclier. Je crois, mes chers collègues, qu’il nous faut aujourd'hui disposer à la fois du glaive et du bouclier. À mon sens, dissuasion et défense anti-missile sont complémentaires.
Toutefois, il nous faudra impérativement trouver un terrain d’entente avec la Russie, en d’autres termes éviter que le dossier de la défense anti-missile n’altère la relation entre l’OTAN et la Russie. Pour cela, dès maintenant, il est nécessaire d’engager des échanges concrets entre les deux parties.
La France dispose aussi, me semble-t-il, d’une expertise lui permettant de discuter activement du niveau d’ambition du système, du partage de l’information et des règles d’engagement, qui sont des points cruciaux.
Enfin, il faudra veiller à la maîtrise financière de ce projet. Ces dernières années, l’OTAN a accumulé un déficit colossal au titre de ses programmes d’investissement. Nos partenaires doivent être bien conscients de ce risque.
Sur tous ces sujets, la France doit bien définir ses objectifs et les faire valoir, non pas dans l’idée d’entraver la réalisation du projet, mais dans celle de clarifier celui-ci, de le rendre plus compatible avec les moyens de l’Alliance et plus utile au regard de ses priorités.
Je pense qu’il faudrait aussi discuter de manière très approfondie avec nos partenaires européens. Il serait tout de même souhaitable qu’émerge une vision européenne commune, ou du moins un certain nombre d’objectifs communs aux principaux pays européens, puisqu’il s’agira de la défense du continent. Au même titre que la France, je crois que nos partenaires doivent bien mesurer tous les enjeux de ce débat.
Pour conclure, je voudrais soutenir les propositions faites par le président de Rohan pour donner de la substance à ce qui pourrait être une contribution française à la défense anti-missile de l’OTAN.
Nous savons bien que la situation budgétaire est difficile : c’est une contrainte très forte. Cependant, nous ne parlons pas de milliards d’euros ; nous parlons d’investissements très ciblés, beaucoup plus accessibles.
Je pense par exemple au radar de poursuite M3R de Thales, qui permettrait à l’Aster 30 de fonctionner de manière autonome en anti-missile. Son acquisition pourrait être accélérée sans bouleverser les équilibres de notre programmation financière. Nous serions alors pleinement au rendez-vous du programme de défense de théâtre de l’OTAN.
Je pense à la constitution d’une véritable capacité d’alerte avancée. C’est l’une des pièces les plus essentielles du dispositif, puisqu’elle fournit le renseignement. Le démonstrateur spatial Spirale donne des résultats excellents et le démonstrateur de radar à très longue portée doit être lancé l’an prochain. Il faudra faire au plus vite pour que ces réalisations expérimentales débouchent sur des capacités opérationnelles, c’est-à-dire le satellite et le radar d’alerte qui sont prévus par le Livre blanc.
Enfin, l’acquisition de compétences dans le domaine de l’interception nécessiterait un budget d’études amont approprié.
Des chiffres ont été cités par les différents experts devant la commission : il s’agit de quelques dizaines de millions d’euros par an, alors que l’enveloppe annuelle, pour les études amont, est de l’ordre de 700 millions d’euros. Certes, cela n’est pas négligeable, mais, étant donné l’importance de l’enjeu, ne faudrait-il pas envisager de majorer quelque peu cette enveloppe ? À défaut, nous renoncerions définitivement à participer aux développements liés aux technologies de l’interception.
En résumé, je crois, monsieur le ministre d’État, qu’il faut être présents sur quelques créneaux et pleinement valoriser des investissements qui sont déjà en cours ou déjà programmés, afin d’avoir voix au chapitre. Cet objectif ne paraît pas hors de portée pour la France.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, les conclusions que nous pouvons tirer à ce stade de la réflexion. Le dossier de la défense anti-missile n’est pas facile, car, on le sait, nos moyens financiers sont limités, mais il me semble que nous sommes les seuls, en Europe, à avoir autant d’atouts à valoriser. Il dépend de notre volonté de ne pas entièrement laisser à d’autres ce nouveau champ de la défense et des relations stratégiques.