Ce rendez-vous sur le thème du projet de loi de finances revêt une importance toute particulière en cette année d'élaboration d'un nouveau Livre blanc puis d'une nouvelle LPM.
La Cour des comptes a publié cet été son analyse de la problématique budgétaire des armées. Depuis, le ministre de la défense et ses grands adjoints se sont également exprimés sur le sujet. Les grands enjeux budgétaires des armées ne sont donc un secret pour personne.
Les problématiques des bases de défense, de l'A400M ou encore des espaces communs - abordés à travers la maritimisation ou le cyber - ne sont plus, non plus, un secret, depuis les rapports que votre commission a réalisés sur ces sujets. Vous me pardonnerez de ne pas revenir en détail sur les huit rapports publiés l'an dernier. Je tenais juste, en préambule, à souligner leur qualité et, outre leur vertu pédagogique, leur intérêt très réel pour les travaux que nous menons.
Au-delà de l'exercice imposé qui nous réunit cet après-midi, je suis très heureux de l'occasion qui m'est faite de vous fournir notre éclairage sur la situation de déséquilibre que connaîtront bientôt nos armées - pour ne pas dire qu'elles la connaissent déjà.
La situation à laquelle nous sommes confrontés est bien celle-ci : le modèle défini par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale (LBDSN) de 2008 n'est plus soutenable, malgré les efforts consentis par l'Etat pour sa défense, malgré les efforts entrepris par les armées pour s'optimiser. Pour fixer les idées, depuis quinze ans et la fin de la conscription, l'outil de défense est dimensionné, en moyenne, à 32 milliards d'euros constants de 2012. Le nouveau projet de loi de programmation des finances publiques prévoit 29 milliards d'euros pour 2015. C'est clairement un changement de portage !
La conclusion est simple et sans appel : nos ambitions doivent être repensées. C'est ce à quoi travaille la commission du Livre blanc. A l'issue, nous devrons concevoir un modèle d'armées adapté à ces ambitions revisitées. Notez bien que je ne dis pas réduites, car on peut s'efforcer d'atteindre les mêmes effets par des moyens différents. C'est bien ce que fera le ministère de la défense, sous la direction de Jean-Yves Le Drian, lorsque le Président de la République, chef des armées, aura fixé le cap.
Nous sommes dans une situation difficile. Certaines difficultés sont structurelles, d'autres relèvent de conjonctures malheureusement persistantes. Le défi sera bien de concevoir puis de mettre en oeuvre la transition entre notre situation d'aujourd'hui et le modèle que nous définirons, au regard des contraintes budgétaires mais également des rigidités de court terme et de moyen terme de certaines de nos dépenses.
J'évoquerai, avant de rentrer dans l'analyse budgétaire, les opérations. Elles sont notre finalité, notre raison d'être. Elles sont le révélateur de la performance de nos capacités, c'est-à-dire tout ensemble de nos soldats, de notre matériel, de nos savoir-faire et de notre organisation. Je commencerai donc par parler de l'Afghanistan.
Vous le savez, 2012 aura été une année charnière pour les forces françaises, avec les décisions de désengagement. Le défi logistique est considérable mais il n'est qu'une partie de l'équation. Ce désengagement est une opération à part entière, en termes de planification et de conduite. En termes de vigilance également car, jusqu'au départ de notre dernier soldat, les risques sont réels. Pour l'heure, les échéances fixées par le Président de la République sont tenues.
Onze ans après nos premières reconnaissances aériennes sur ce territoire, nous pouvons - nous devons - être fiers du travail formidable réalisé là-bas par nos soldats, nos marins et nos aviateurs.
Nous avons joué un rôle majeur dans l' « afghanisation » des provinces placées sous notre responsabilité. Nous avons joué un rôle majeur dans la formation et l'encadrement des forces armées et de sécurité afghanes. Bien sûr, les choses ne se passent pas toujours comme nous le voudrions ici mais les progrès sont incontestables : j'en veux pour preuve la situation actuelle en Surobi, secteur que les Soviétiques n'avaient jamais réussi à pacifier en dix ans.
Je rends hommage à l'action de nos militaires, aux quatre vingt-huit d'entre eux qui ont vécu leur engagement jusqu'au don de leur vie, aux centaines d'autres qui ont été blessés dans leur chair, souvent de manière durable, parfois de manière irrémédiable. L'Afghanistan est trop souvent caricaturé par nos médias. Ne perdons pas de vue nos réussites et, à travers le sacrifice de ses soldats, le prix payé par la Nation. C'est notre responsabilité, c'est notre devoir de le dire !
Le succès de nos armes, ce sont aussi les missions de lutte contre la piraterie conduites au large de la Somalie. Succès de nos armes parce que, depuis le lancement de l'opération Atalanta, le nombre d'attaques réussies a diminué sensiblement : six depuis le 1er janvier 2012 contre vingt trois l'an dernier, sur la même période, et quarante sur les deux années précédentes. Atalanta est ainsi une opération concluante sur le plan militaire. Ce succès est bien sûr celui de l'ensemble des composantes impliquées, mais nos armées en portent une part significative, moyennant un coût raisonnable si l'on considère le volume des moyens engagés - 1,4 bâtiment porte-hélicoptères et quelques aéronefs en moyenne sur l'année. Atalante est enfin une opération fédératrice et motrice, emblématique de ce que peut faire l'Union européenne lorsqu'elle le veut. C'est d'ailleurs cette année que l'Union a autorisé les moyens engagés à mener des actions contre les bases logistiques à terre - elle est, parmi les coalitions internationales impliquées, la seule à l'avoir fait. Cette option n'a été utilisée qu'une seule fois pour l'instant mais elle constitue à mes yeux une avancée très positive : le traitement de la menace est nécessairement global.
L'efficacité de nos armées, c'est encore - pour prendre un exemple récent - la mise en place d'une antenne médico-chirurgicale en Jordanie, avec les militaires et la logistique nécessaires, dans des délais très brefs. Ce déploiement illustre à nouveau l'aptitude de nos armées, directions et services à combiner leurs capacités pour produire le résultat souhaité, dans un cadre toujours particulier. Je précise d'ailleurs que si nous avons pu répondre vite et bien, c'est parce que notre service de santé est pleinement intégré à la manoeuvre des armées.
Nos engagements à venir, le Président de la République en a dessiné les contours récemment, à la tribune des Nations unies. Ce pourrait être le soutien, notamment logistique, des forces africaines qui interviendront dans le nord du Mali pour aider cet Etat ami à recouvrer sa pleine souveraineté. La stabilisation de la zone sahélienne est pour nous aussi un enjeu de sécurité nationale.
L'évolution de la situation au Moyen-Orient pourrait nous confronter à des scénarios plus durs que ces dernières années -je pense, en plus des actions terroristes traditionnelles, à la menace sol-air et aux risques d'emploi et de détournement des armes de destruction massive. Nous savons tous que le régime syrien a développé des armes chimiques, mais vraisemblablement aussi des armes biologiques.
Ce parcours rapide de quelques-uns de nos engagements extérieurs en cours ou potentiels illustre la diversité de nos missions, des moyens engagés et des dispositifs projetés, dispositifs constamment optimisés. Il souligne deux points essentiels, qui vont éclairer la suite de mon propos.
Le premier point, c'est l'intérêt de disposer d'un éventail capacitaire couvrant toute l'ambition c'est-à-dire capable, dans le cadre de cette ambition, de faire face à la diversité des situations et des menaces. Un éventail large, ce sont - même à volume redimensionné - des forces bien préparées, bien équipées et capables de durer. Ces qualités sont encore celles de nos armées, directions et services. Ce sont elles qui, lorsque le recours à la force s'impose, permettent à la France de concrétiser sa volonté.
Le deuxième point, c'est la nécessité de ne pas baisser la garde, pour pouvoir faire face à l'imprévu.
Disposer d'un éventail capacitaire large, ne pas baisser la garde, ce sont à la fois des enjeux du présent et de l'avenir. Enjeux du présent parce que l'action militaire s'impose souvent sans préavis. Enjeux d'avenir parce que la capacité d'intervention ne se décrète pas : elle se construit sur la durée et s'entretient au jour le jour, dans le temps long des ressources humaines et des programmes, que vous avez rappelé tout à l'heure. C'est aussi une affaire de crédibilité, qui se construit également dans la durée. C'est l'objet de la loi de programmation militaire et de sa traduction annuelle, la loi de finances. Là encore, les finances sont une condition de la crédibilité.
J'avais déjà évoqué devant l'Assemblée nationale, en juillet, les grandes lignes de l'exécution de la programmation militaire 2009-2014. Ce qu'il faut en retenir, c'est que cette exécution a été globalement conforme jusqu'en 2011, du moins en ce qui concerne les paiements et donc les livraisons des matériels. Pour ce qui est des commandes, les contraintes de la programmation budgétaire triennale 2011-2013 nous avaient déjà obligés à reporter la plupart des lancements de programmes nouveaux. En tout état de cause, 2012 marque une rupture, dont nous savons aujourd'hui qu'elle est irréversible.
2009-2011, tout d'abord.
Malgré un certain nombre de dépenses non programmées que nous avons dû financer, nous avons bénéficié sur la période de 98 % des ressources attendues. Vous noterez que les 2 % manquants correspondent à 1,9 milliard d'euros, soit près de deux années de production du Rafale ou dix avions ravitailleurs MRTT (Multi Role Transport and Tanker), ou encore l'intégralité du programme MUSIS, qui est le successeur du satellite d'observation Hélios !
Nous avons malgré tout poursuivi notre effort en faveur des équipements, engagé la transformation de nos structures, la revalorisation de la condition du personnel et atteint en avance de phase nos objectifs de réduction du format.
Dans le domaine du renouvellement des équipements, nous avons réceptionné quasiment ce qui était prévu. Nous avons également commandé, sur cette période, une bonne partie des matériels prévus, à l'exception, pour 2011, des programmes nouveaux. La fiche dont vous disposez résume ce bilan.
La transformation de nos structures, c'est la rationalisation et la mutualisation des implantations et des modes de fonctionnement. 85 % des réorganisations prévues auront été réalisées à la fin de cette année.
La difficile manoeuvre des ressources humaines s'est jusqu'ici déroulée conformément au rythme prévu, et même plus rapidement. 30 000 des 54 000 postes prévus sur le périmètre de la mission défense avaient été supprimés fin 2011. Nous étions à cette date en avance de 1300 emplois. Cette avance sera portée à la fin 2012 à environ 3 600 emplois, soit de l'ordre d'une demi-annuité de déflation, en tenant compte de la mesure de gel de 10 % du recrutement 2012, soit 2 000 emplois, inscrite dans la lettre plafond pour 2013 pour réduire nos dépenses de masse salariale.
Pour autant, tout n'a pas été nominal. Nos difficultés ont débuté dès l'été 2010. En effet, la PBT 2011-2013 a exercé une pression substantielle sur la programmation. Cette pression s'est manifestée par le décalage de 1 à 3 ans de la plupart des programmes futurs (MRTT, LRU - lance roquettes unitaire, rénovation des Mirage 2000D, flotte logistique), une contrainte forte sur le fonctionnement (- 7,5 % en 2012 par rapport à 2010) et une baisse progressive de l'activité de préparation opérationnelle, notamment traduite par une diminution des crédits d'entretien programmé des matériels sur la période. Les opérations extérieures restent bien sûr prioritaires et l'on n'est plus très loin d'une armée à 2 vitesses, avec ceux qui font la guerre et les autres. Or, l'armée à deux vitesses n'est jamais une bonne solution !
A partir de 2012, la trajectoire des ressources diverge encore plus nettement de la trajectoire de référence de 2008. La pression budgétaire s'est encore accrue suite à la révision à la baisse des prévisions de croissance et aux objectifs de redressement des comptes publics.
En tenant compte des lois de finances rectificatives et du gel de crédits supplémentaires intervenu en juillet, les crédits de 2012 sont désormais en recul de 1,2 milliard d'euros par rapport à l'annuité de la LPM. Conjugué à l'écart cumulé de 1,9 milliard d'euros fin 2011 et sans préjuger des conditions de la fin de gestion 2012, ce recul dépassera ainsi les 3 milliards d'euros à la fin de cette année.
La fin de gestion 2012 est sous tension. Sont déjà formellement identifiés les surcoûts OPEX et la hausse du carburant opérationnel pour un total de 250 millions d'euros. En outre, la levée des réserves n'a pas encore été obtenue. Enfin, le déficit structurel du titre 2 est en cours de consolidation. La LPM prévoit des clauses de sauvegarde pour les OPEX, le carburant opérationnel et le titre 2. Il est essentiel qu'elles soient appliquées. A défaut, nous devrons ponctionner des ressources sur les crédits d'équipement et aggraver le volume de nos factures en attente de paiement en fin d'année, autrement dit notre report de charges.
Je voudrais faire une dernière remarque, avant de clore ce volet sur la gestion 2012. Je sais que l'on entend dire ici ou là que nous pourrions faire beaucoup mieux si nous étions mieux organisés. Il est vrai que plusieurs organisations sont possibles, mais elles dépendent toutes des hommes. Un exemple : le titre 2 du ministère de la défense, dans lequel s'inscrivent les armées. Il représentait cette année 11,4 milliards d'euros. Nous sommes en fin de gestion 2012 avec un « trou de prévision » de l'ordre de 200 millions d'euros, soit moins de 2 % (1,7 très exactement). Sur ces 200 millions d'euros, 140 sont la conséquence de facteurs exogènes. Nous ne nous sommes donc trompés que sur 60 millions d'euros, soit 0,5%. Cela me paraît tout à fait correct !
Je vois aussi des risques dans le domaine des ressources humaines. Les économies décidées imposent un gel des recrutements d'environ 2 000 personnes sur 2012-2013 et, une nouvelle fois en 2013, une diminution des mesures catégorielles. En termes de taux de retour des économies dégagées par les déflations, celui du ministère s'est établi à 33 % en 2011 et 20 % en 2012. Il atteindra 30 % en 2013, ce qui est nettement inférieur à la norme en vigueur de 50 %. Le moral est déjà fragile, ce ne sont pas ces mesures qui vont l'améliorer !
Après cette introduction sombre, quel est le bilan capacitaire, rapporté aux priorités déterminées par le Livre blanc de 2008 ?
Le plan de modernisation de la dissuasion a été respecté. Le quatrième SNLE de la classe « Triomphant », Le Terrible, a été admis au service actif fin 2010 avec le nouveau missile M-51. L'adaptation des trois premiers SNLE est lancée, elle sera achevée en 2018. La composante aéroportée a atteint le format défini par le Livre blanc, avec deux escadrons de chasse dotés du nouveau missile ASMP-A.
La fonction stratégique « Connaissance et anticipation » était prioritaire. Tous les objectifs ne sont pas atteints, par exemple pour les drones MALE - le ministre de la défense a lancé une remise à plat volontariste du dossier pour une décision à brève échéance. D'autres programmes sont en retard pour des raisons liées à des difficultés techniques ou de coopération.
La fonction « Connaissance et anticipation » a cependant été correctement dotée et soutenue dans les arbitrages, malgré les contraintes financières que j'ai évoquées. On peut citer le lancement de plusieurs programmes majeurs, dont les satellites MUSIS. Pour les matériels en service, « Connaissance et anticipation » a bénéficié régulièrement de la procédure des urgences opérationnelles ou d'acquisitions accélérées : soutien des drones Harfang en Afghanistan, capteurs infrarouge des ATL2, etc.
Les fonctions « Protection » et « Prévention » ont été préservées. Au final, c'est surtout la fonction « Intervention » qui a fait l'objet des arbitrages les plus sévères. Et nous touchons là un paradoxe : cette fonction est emblématique des armées et la densité opérationnelle a été très élevée sur la période !
Le ministre a confirmé que le budget de 2013 serait un budget d'attente et de transition, c'est-à-dire un budget ne préemptant pas les conclusions du LBDSN.
Je constate que les crédits sont globalement identiques à ceux de la LFI 2012, la baisse des crédits budgétaires devant être compensée par une hausse équivalente des prévisions d'emploi des ressources exceptionnelles.
Dans ces conditions, la priorité accordée à l'activité des forces et à l'entretien du matériel a été intégrée :
Les crédits d'activité permettront de financer au plus juste la préparation opérationnelle dans un contexte de diminution des engagements en opérations extérieures. « Au plus juste », c'est-à-dire 10 à 15 % en dessous des normes annuelles d'activité définies par la LPM.
Les crédits consacrés à l'entretien programmé des matériels retrouvent quelques couleurs, avec une augmentation de 8% par rapport à la LFI 2012, ce qui permettra d'accompagner au mieux la mise en service des matériels nouveaux, dont le coût de maintenance est supérieur à celui des matériels qu'ils remplacent.
Malgré tout, ce niveau de ressources nécessite de nombreuses économies sur le fonctionnement courant, c'est-à-dire le fonctionnement hors activité opérationnelle, la masse salariale et - surtout - les équipements.
Le fonctionnement courant baisse de 7 % entre 2012 et 2013, dans le respect des directives gouvernementales. Cette baisse s'ajoute à celle effectuée lors de la précédente programmation budgétaire triennale, qui s'appliquait elle-même à une programmation initiale déjà ambitieuse en termes d'économies. Les bases de défense ont pourtant dû être accompagnées avec un budget abondé à 720 millions d'euros, dont 20 millions d'euros de fonds de concours, financé par redéploiement au sein du fonctionnement des armées.
La masse salariale est en baisse de plus de cent millions d'euros, sous l'effet principalement du gel des recrutements en 2012 et de la diminution des mesures catégorielles.
Pour les équipements, il a été décidé de reporter au-delà de 2013 la plupart des commandes qui pouvaient l'être. Ces reports évitent de générer des situations irréversibles avant le vote de la prochaine LPM, avec des ruptures capacitaires irrémédiables, des ruptures de capacités industrielles de développement et de fabrication, ou des ruptures contractuelles. C'est le Délégué général pour l'armement qui serait le mieux à même de développer ces derniers points.
Parmi d'autres opérations d'armement, ont été maintenus en 2012 et 2013 la commande de 34 hélicoptères NH-90 TTH, le lancement du standard F3-R du Rafale, le lancement du MRTT et la réception de la FREMM « Aquitaine ».
Les mesures d'économie réalisées sur les équipements représentent 850 millions d'euros. Au total, la diminution des engagements atteint 5,5 milliards d'euros sur 2012 et 2013, dont près de 4,5 milliards d'euros sur les seules opérations d'armement. C'est, sur deux ans, plus de la moitié d'une annuité du titre 5 !
Ces décalages préservent les choix futurs. Mais ils impliquent dans l'immédiat des aggravations ou de nouvelles réductions temporaires de capacité, une prolongation d'équipements à bout de souffle, des limitations dans la protection des forces ou dans leurs capacités de déploiement. C'est le cas des hélicoptères et des avions de transport tactique, des véhicules logistiques terrestres et plus globalement des véhicules blindés VAB et VBL de l'armée de terre, sans oublier les navires de soutien hauturier BSAH en métropole ou outre-mer. Dans ces conditions, sur le terrain, les problèmes risquent d'être logistiques avant d'être tactiques !
A plus long terme, cette accumulation de décalages en peu de temps complique notre capacité à préparer l'avenir en termes d'équipements. Toutes les opérations d'armement sont concernées, les équipements principaux comme les équipements secondaires. On y perd en cohérence !
Pour finir, ces mesures de report ou d'annulation de commandes touchent également fortement l'infrastructure, à hauteur de 750 millions d'euros sur 2012 - 2013.
Le projet de loi de finances 2013 est donc un projet de loi de finances de transition. Le décrochage des ressources amorcé dès 2011 avec l'impossibilité de consommer les ressources exceptionnelles des cessions de fréquences, puis les lois de finances de règlement de 2012, se poursuit et surtout s'amplifie. Je rappelle que le modèle sous-tendu par la LPM en cours était bâti, entre autres, sur une prévision d'augmentation en volume des ressources de 1 % par an à partir de 2012. Dans les faits, le budget de la défense diminuera de 4 % en valeur sur la période 2012-2015.
Au résultat, la divergence entre les ressources aujourd'hui prévues et la programmation initiale atteint 10 milliards d'euros sur la période 2013-2015, soit quasiment une année de masse salariale du ministère hors pensions ou la totalité du programme des six Barracuda. Si je prolonge les tendances actuelles, cet écart sera de 40 milliards d'euros en 2020, soit 130 % du budget total de toute une année !
Vous l'aurez compris, l'écart actuel n'est pas de l'ordre de l'ajustement. Il impose de revoir les ambitions. Pour mémoire, l'effort de défense était, aux normes OTAN - c'est-à-dire hors pensions et hors gendarmerie - de 2 % du PIB en 1997 avant de se stabiliser entre 1,6 % et 1,7 % au cours des 10 dernières années. Il est aujourd'hui de 1,55 %. Il dépassera à peine 1,3 % à l'horizon 2015. Vous connaissez la situation des finances publiques. Clairement, le modèle en vigueur n'est plus soutenable. Nous devrons penser autre chose et nous devrons penser autrement.
C'est tout l'enjeu de la préparation du nouveau LBDSN, puis de la prochaine LPM.
Ce que nous attendons tous du Livre blanc, c'est d'abord une ambition pour notre défense. Inutile de dire : nous saurons tout faire, et nous saurons le faire partout ! Nous savons que c'est aujourd'hui hors de notre portée.
A ce stade des travaux, je voudrais vous faire part de trois idées forces :
Première idée force : la situation budgétaire ne doit pas brider la réflexion stratégique, la réflexion sur les ambitions. Ne construisons pas la maison en commençant par le toit ! Il faut commencer par les fondations et les fondations, ce sont nos ambitions : quelles menaces, quels risques devons-nous prendre en compte ? Que voulons-nous faire, où et avec qui ? Bien sûr, la situation économique est une donnée à prendre en compte, mais ce n'est pas la donnée d'entrée.
Deuxième idée force : quel que soit le niveau d'ambition déterminé, la cohérence de notre modèle d'armées est primordiale : nos capacités doivent être adaptées aux réponses que nous souhaitons apporter ! Nos capacités doivent être soutenables financièrement, aussi longtemps que nécessaire - je veux bien sûr parler de tout ce qui constitue une capacité : des hommes et des femmes, de l'activité opérationnelle, des équipements, le soutien. C'est une question d'efficacité militaire. C'est aussi une question de résilience. C'est encore et toujours une question de crédibilité, sur la scène internationale.
Troisième idée force : toute réforme ajoutée à la réforme présente un risque. D'abord, parce qu'elle ne laissera pas le temps de tirer tous les dividendes de la réforme actuelle. Ensuite, parce qu'elle pourrait soulever des défis insoupçonnés alors qu'une réforme est toujours une période de vulnérabilité. Je rappelle que l'échéance de notre transformation était fixée à 2015 ! Pour illustrer cette pensée, 2 réflexions de bon sens. Première réflexion : ne réparons pas quelque chose qui n'est pas cassé ! Deuxième réflexion : ne démontons pas une montre pour savoir pourquoi elle marche !
Pour terminer le volet financier de mon intervention, je voudrais insister sur mes inquiétudes de court terme.
Quelles que soient les orientations stratégiques que le Président de la République, avec le gouvernement, aura définies, orientations qui modèleront les capacités et le format futurs de notre outil de défense, respecter le niveau de ressources fixé par la programmation budgétaire triennale sera très difficile.
Cette transition devra prendre en compte non seulement - et bien entendu - les difficultés budgétaires du pays, mais aussi les rigidités des dépenses du ministère à court terme, celles notamment de masse salariale, d'entretien des matériels, de préparation opérationnelle ou de fonctionnement courant. Le tout en s'efforçant de préserver les programmes nouveaux ainsi que la base industrielle et technologique de défense.
L'exercice sera très difficile parce que nos degrés de liberté sont peu nombreux.
Première contrainte : les déflations d'effectifs de la LPM en cours s'étalent jusqu'en 2015, aller au-delà impliquerait des dissolutions d'unités de combat supplémentaires. Les marges de manoeuvre sur la masse salariale sont donc faibles.
Deuxième contrainte : les marges de manoeuvre sur le fonctionnement courant sont désormais réduites à leur plus simple expression. Vous qui êtes au contact des réalités locales, demandez aux commandants des bases de défense ce qu'ils en pensent ! Et même si de nouvelles restructurations venaient à être décidées, seules à même de générer des effets d'échelle, elles ne produiraient pas d'économie à court terme.
Troisième contrainte : l'activité opérationnelle, je vous l'ai dit, est en-deçà des objectifs de la LPM. Le ministre de la défense a obtenu que les crédits qui y sont consacrés soient plus importants en 2013. Nous ne pouvons que nous en réjouir parce que ces crédits atteignent aujourd'hui un seuil qui remettrait en cause le choix d'une armée polyvalente et homogène, celle qui garantit réactivité, souplesse d'emploi et endurance.
Quatrième contrainte : les crédits d'entretien du matériel, en retrait de 550 M€ par rapport aux prévisions initiales sur 2009-2012 et qui croissent en 2013, devront être soutenus à l'avenir en raison de la montée en puissance de matériels nouveaux, sauf à dégrader davantage une disponibilité technique déjà moyenne.
J'ajoute d'ailleurs que, dans ce domaine du maintien en conditions opérationnelles (MCO) de nos matériels, les réorganisations conduites par la Défense ne laissent pas entrevoir de nouveaux gisements d'économie en interne. Hormis l'augmentation des financements, la seule voie de progrès, ce sont les efforts des industriels...
Cinquième contrainte : les programmes d'armement sont rigides, d'une part, par le niveau d'engagements récent, d'autre part, par le fait que, pour dégager des économies, nous avons fait des commandes globales, enfin parce qu'il y a déjà eu en 2009 une grande vague de négociations pour contenir les financements. La réouverture des contrats, toujours difficile, risque d'être sportive ! Là encore, c'est le DGA qui serait le mieux placé pour vous en parler.
Si je devais résumer ces inquiétudes, ces inerties, ces rigidités, je dirais que la défense est comme un grand navire : lancée à 32 Md€, on ne peut pas réduire sa vitesse aussi rapidement qu'on le voudrait !
Cela ne veut pas dire qu'il n'existe aucune alternative à la situation extrêmement tendue que nous connaissons, surtout si l'on considère chacun des leviers que je viens d'aborder.
Mais attention, ces leviers sont tous liés, de manière indissociable : toute action sur l'un se répercutera sur les autres. Ne me demandez pas de choisir aujourd'hui : c'est la déclinaison de l'ambition nationale définie par le Livre blanc qui déterminera le levier à privilégier !
Les militaires sont bien conscients des difficultés économiques et budgétaires. Nous sommes solidaires, nous ne nous sommes jamais dérobés. Les armées sont totalement mobilisées pour identifier et mettre en oeuvre de nouvelles voies.
Les armées prennent d'ores et déjà toute leur part dans ces travaux, qui nous engagent tous, vous, nous et tous nos concitoyens, au service de la place de la France dans le monde.
Je vous remercie.