Quoi qu’il en soit, des engagements, que nous constatons sans les approuver, ont été pris par le Président de la République ; ils seront très difficiles à défaire plus tard. Nous dérivons d'une façon telle que tout retour en arrière deviendra, dans deux ou trois ans, complexe, voire impossible.
Le sommet de l'OTAN qui s'est achevé par un accord sur la mise en place d'une défense anti-missile en Europe est un grand succès pour l'organisation atlantique et pour les États-Unis, puisque la France, longtemps circonspecte, méfiante même, face à ce projet, le soutient désormais.
Le nouveau concept stratégique apparaît comme le produit d'un compromis destiné à ne fâcher personne : opération réussie, puisqu'il a été adopté à l'unanimité. Il paie alors un tribut : il est assez vague pour masquer les désaccords et assez ambigu pour permettre les interprétations.
Voici quelques réflexions et quelques interrogations sur les décisions prises à Lisbonne et sur la nouvelle position française.
La défense anti-missile de l’OTAN constitue-t-elle un renforcement ou une fragilisation de la dissuasion ? Cette défense anti-missile peut-elle être un complément de la dissuasion ? La réponse est non pas technique, mais politique.
D'abord, en laissant à d'autres le soin de choisir à notre place la stratégie de défense de la France, de l'Europe, nous affaiblissons notre dissuasion nucléaire. Dans le sillage atlantiste, notre posture stratégique perd son autonomie de décision.
Nous aurions préféré la création d'un concept nouveau, intégrant une défense anti-missile de théâtre à la panoplie défensive, mais gardant la dissuasion nucléaire au cœur du dispositif. Nous aurions voulu un concept qui cherche à rassembler les pays européens autour d'une défense européenne autonome, susceptible de préconiser à l'Alliance une position commune à partir d'un pilier européen qui soit force de proposition, et non pas d'absorption.
M. Sarkozy n'a pas eu cette volonté politique, et nous nous trouverons donc embrigadés sous le parapluie nucléaire américain, assorti d’une hypothétique défense anti-missile. Alliés, et donc alignés ! C'est un enterrement de première classe pour la défense européenne…
Le très récent ralliement du Président Sarkozy à la défense anti-missile proposée par les États-Unis et l'OTAN mérite quelques explications de votre part, monsieur le ministre d’État. Vous-même étiez naguère réticent face à la réintégration pleine et entière de la France dans l'OTAN, n'est-ce pas ?
Or, le 15 octobre, l'Élysée a rappelé le soutien de principe de la France à la nouvelle approche de la défense anti-missile proposée par le Président des États-Unis. C'était un brutal changement de position, d’autant que, quelques jours plus tôt, le 12 octobre, au Sénat, le ministre de la défense, M. Morin, s’était déclaré réticent devant la construction d'une nouvelle « ligne Maginot » en Europe.
Maintenant, il s'agit d'un nouveau tour de vis. En effet, avec le processus de réintégration au sein du commandement intégré de l'OTAN, le Gouvernement et le Président de la République ont mis le doigt dans l'engrenage. Il est normal que nos alliés tirent toutes les conséquences de ce geste originel et que la France soit par suite embarquée dans des projets « otaniens » qu'elle refusait il y a encore quelque temps.
Nous constatons donc un revirement, un glissement atlantiste inquiétant, guidé, ce n’est pas une surprise, par le plus proaméricain des présidents de la Ve République. Ce n'est pas moi qui le dis, mais le département d'État américain…
Pourtant, le Livre blanc de 2007, rédigé sous la haute main de l'Élysée, n'avait pas retenu l'option d'une défense anti-missile des territoires. En revanche, il avait ébauché une démarche intéressante, qui consistait à compléter notre panoplie de défense par des systèmes d'alerte avancée. Pour cela, bien sûr, il fallait disposer de nos propres moyens d'observation et de nos propres systèmes.