Intervention de Josette Durrieu

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 30 octobre 2013 : 1ère réunion
La rive sud de la méditerranée une zone de prospérité à construire — Présentation du rapport d'information

Photo de Josette DurrieuJosette Durrieu, co-présidente du groupe de travail :

La mission qui nous a été confiée porte sur les pays de la rive sud de la Méditerranée mais pour toutes sortes de raisons, y compris la limitation de nos déplacements, nous avons vite perçu que les problématiques pouvaient s'avéraient différentes et qu'il y avait une logique à concentrer nos efforts sur le Maghreb et la Méditerranée occidentale, qui constitue un espace géographique et humain pertinent, même s'il n'est pas dépourvu de liens avec les Moyen-Orient.

Dans le cadre de ce travail, nous avons avec les membres du groupe de travail auditionné 18 personnalités et effectué quatre déplacements : avec Christian Cambon à Alger et à Rabat, Michèle Demessine et Joëlle Garriaud-Maylam se sont rendus à Tunis, je me suis rendu à Laayoune et nous avons conduit une délégation à Bruxelles.

Cinq ans après le lancement, à l'initiative de Nicolas Sarkozy, de l'Union pour la Méditerranée (UPM) qui suscitait de grandes espérances, l'objectif étant le développement concerté des pays de la rive sud et la transformation de cet espace en une zone de coprospérité, trois ans après le déclenchement en Tunisie d'évènements qui allaient entrainer la chute de Ben Ali et une révolution qui allait s'étendre à nombre d'Etats du monde arabe et conduire à des changements de régimes (Libye, Tunisie, Égypte) ou des évolutions (Maroc, Algérie) et à l'arrivée au pouvoir, seuls ou au sein de coalition, de partis islamistes, proches de la mouvance des Frères musulmans aux termes d'élections démocratiques, il était particulièrement opportun que notre commission s'interroge à cet instant sur la situation de ces Etats, leur devenir et leurs perspectives et les relations que devraient entretenir avec eux l'Europe et la France.

La situation dans ces pays est loin d'être stabilisée et il faut continuer à suivre leur évolution. Comme le rappelait le Président de la République, François Hollande, le 24 mai dernier lors de la présentation du Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale, « les printemps arabes qui avaient suscité de grands espoirs soulèvent désormais de grandes inquiétudes. »

Il faut donc nous interroger sur les tensions qui traversent, aujourd'hui, ces sociétés. Elles sont à l'évidence religieuses, voire identitaires, mais elles ne sont pas que cela ! Elles sont incontestablement économiques et sociales dans tous ces Etats et à replacer dans le contexte de la mondialisation, qui les concerne aussi. La mort de Mohamed Bouazizi à Sidi Bouzid (17 décembre 2010), petit marchand ambulant à qui on avait pris sa charrette, ses légumes, sa balance et qui s'est immolé par le feu va déclencher le processus révolutionnaire en Tunisie. Cette revendication avait des raisons économiques : l'emploi et le travail, le droit et la dignité. Les vrais raisons du déclenchement de la révolte en Tunisie sont donc économiques et sociales et celles des Révolutions arabes dans leur ensemble, aussi. Ainsi les réponses devront être économiques et sociales. L'échec politique de l'Islam et des Frères Musulmans est là. L'Islam n'était pas un projet de gouvernement. Il n'a pas répondu à l'attente des populations.

Les tensions sont donc politiques et elles ont entraîné la chute des régimes autoritaires (Libye, Tunisie, Égypte) ou leur évolution (Maroc, Algérie) mais certaines évolutions sont chaotiques vers des régimes qui se voudraient plus démocratiques. A ce stade, notons cependant que l'Islam a du mal à trouver sa place et l'armée aussi. Il est donc nécessaire de continuer à suivre avec intérêt ces évolutions politiques et constitutionnelles dans tous ces Etats de la rive sud de la Méditerranée. La révolution ne fait que commencer.

Il est important aussi de se préoccuper des questions sécuritaires. Nous pensons évidemment aux divers mouvements migratoires et au risque d'installation des groupes terroristes.

Mais nous sommes convaincus qu'au-delà de cette période incertaine est engagé un processus irréversible. L'Europe et la France doivent savoir mesurer la place de la Méditerranée et des Etats arabes du sud de la Méditerranée dans leurs stratégies politiques et affirmer dès maintenant que peut-être : l'avenir est au sud !

S'agissant de la Méditerranée, placée au centre de notre réflexion, notons que le trafic maritime est le deuxième du monde. Notons également que la Méditerranée est aussi, pour reprendre la formule de Bernard Kayser, « un espace d'écart qui a occasionné l'affirmation au cours de l'histoire d'une ligne de fracture : l'interface ». Il faut aussi distinguer dans cet ensemble l'existence d'une Méditerranée occidentale, un espace de proximité qui se détache et regroupe cinq pays au nord (Portugal, Espagne, France, Italie, Malte) et cinq au sud, les Etats du Maghreb (Mauritanie, Maroc, Algérie, Tunisie, et Libye) qui ont formé une sous-région et ont établi leurs relations dans la cadre du Dialogue 5+5, depuis 1990. C'est ce cadre que nous avons privilégié pour l'élaboration des propositions et de projets d'avenir.

Encore faut-il que dans ce dispositif, l'Europe et la France redéfinissent leurs politiques et deviennent les acteurs de ces transformations. Les atouts existent mais des conditions s'imposent pour que soit définie l'intégration de ces ensembles régionaux.

Il faut également avoir à l'esprit que le positionnement du Maghreb est stratégique sur la rive sud de la Méditerranée, à 14 km de l'Europe et à la proue de l'Afrique, qui serait dit-on le « continent du XXIème siècle » 2 milliards d'Africains d'ici 2025 et ¼ de francophones soit 500 millions. Nos collègues Lorgeoux et Bockel l'ont exposé hier excellemment. Ainsi, voit-on se dessiner verticalement une « Grande région Nord-Sud » constituée de l'Europe, de la Méditerranée, du Maghreb et de l'Afrique qui pourrait peser dans la mondialisation.

Dans la première partie, nous avons essayé de montrer que les relations entre les pays de la rive nord et de la rive sud de la Méditerranée sont inscrites dans la géographie et dans l'histoire et se sont traduites par un fort brassage des populations. D'où l'importance du véhicule des langues : la place du français au Maghreb naturellement et la place de l'arabe en Europe et en France.

Nous montrons également l'asymétrie des échanges et les mouvements de population. Les relations s'inscrivent dans un processus de développement économique soumis à la réalité de l'interface entre les deux rives dont l'expression se retrouve dans la répartition des activités économiques concentrées au Nord tandis que la situation démographique montre encore une assez forte croissance de population au Sud. Mais l'évolution va vers une stabilisation de cette population. C'est cette situation qui conduit aujourd'hui à ces mouvements migratoires du Sud vers l'Europe. En résumé, l'asymétrie des relations met en évidence la position privilégiée en Europe des pays côtiers dits de « l'arc latin » et plus particulièrement de la France. Quelques chiffres illustrent cette relation. On compte 28 millions de francophones sur 90 millions d'habitants. Près de 70 000 étudiants originaires des pays du Maghreb effectuent des études en France (sur 290 000 étudiants étrangers). L'Union européenne importe 12 à 15% de sa consommation de pétrole et de gaz d'Algérie et de Libye. Elle bénéficie de positions commerciales fortes dans les pays du Maghreb : égale ou supérieure à 50% pour l'Union européenne dont 15 à 20% pour la France. Les investissements directs des entreprises restent faibles en volume mais importants pour ces pays, la France est souvent l'investisseur le plus important. La population originaire du Maghreb vivant en Europe est de l'ordre de 3 millions d'habitants, principalement installée en France (1,1 million soit 30% des étrangers), en Espagne (près de 800 000) et en Italie (plus de 550 000). Notons que le rythme des entrées s'est réduit sensiblement depuis les années 80 : environ 150 000 pour l'Union européenne dont 1/3 en France. Notons également que 40 000 résidents maghrébins acquièrent la nationalité française chaque année (37%) et que la mobilité est importante : 430 000 visas de court séjour sont délivrés par la France à des nationaux des pays du Maghreb. Enfin 6 millions de touristes européens séjournent dans le Maghreb faisant du tourisme un secteur vital notamment au Maroc et en Tunisie.

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