Intervention de Nicole Borvo Cohen-Seat

Réunion du 29 mars 2006 à 15h00
Élection du président de la république — Adoption définitive d'un projet de loi organique

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis d'accord avec M. le rapporteur pour regretter que cette réforme soit examinée à la sauvette, alors que les propositions du Conseil constitutionnel sont connues depuis trois ans.

Permettez-moi de souligner l'ironie du calendrier qui veut que nous soyons saisis d'un projet de loi organique relatif à l'élection du Président de la République au moment même où le fossé est si profond entre notre pays et ceux qui sont au pouvoir, au moment où la crise sociale, économique et institutionnelle est si patente que l'on devrait se poser bien d'autres questions sur l'élection du Président de la République.

Il est tout à fait regrettable que nous soyons saisis d'une réformette à la sauvette et que le Gouvernement ne nous ait pas proposé un débat de fond sur nos institutions, débat qu'il faudra avoir un jour ou l'autre et que l'on ne pourra pas continuer longtemps à éluder.

Mes chers collègues, ce quinquennat - le premier - a commencé dans des circonstances pour le moins particulières, à la suite d'un véritable séisme politique et démocratique caractérisé par une abstention massive, des scores calamiteux pour les candidats des grands partis à la fonction présidentielle, une poussée de l'extrême droite. La raison profonde en était, évidemment, le désarroi du peuple, déçu par la gauche portée au pouvoir à la suite d'un puissant mouvement populaire contre la politique de la droite en 1995. Un peuple dont les aspirations s'expriment si fort et si obstinément et qui est si peu entendu, cela pose problème.

Le Président de la République, élu le 5 mai 2002 par une formidable mobilisation, notamment de la jeunesse, contre Le Pen, n'a décidément rien entendu.

La politique, profondément régressive, qu'il a mise en oeuvre dès l'été 2002, après son élection par 82 % des électeurs, a été sanctionnée systématiquement depuis à chaque occasion : aux élections régionales en mars 2004, où la droite au pouvoir a été battue dans vingt régions sur vingt-deux ; le 29 mai 2005, où la majorité de notre peuple, en votant « non » au référendum, a contredit le Président de la République, les deux partis qui prétendent incarner la bipolarisation induite par le quinquennat et 91 % des parlementaires qui avaient voté le traité établissant une Constitution pour l'Europe ; ce faisant, nos concitoyens ont consacré de façon peut-être encore plus visible qu'en 2002 le divorce entre le peuple et ceux qui sont censés le représenter.

Le Président de la République, son gouvernement, sa majorité, n'ont visiblement pas entendu, comme ils n'ont pas entendu le sens profond de la violence, de la colère des quartiers en novembre, comme ils n'entendent pas la grande majorité de notre peuple qui, avec la jeunesse, encore une fois, contredit la majorité des parlementaires et rejette le contrat première embauche, c'est-à-dire la généralisation de la précarité du travail.

Ce constat de divorce montre à l'évidence le rejet massif des politiques qui sont menées sur les plans social et économique, mais il nous amène aussi à nous interroger sur nos institutions.

En faisant du Président de la République « la clé de voûte des institutions », pour reprendre l'expression de Michel Debré, la constitution de la Ve République consacrait la prééminence de l'exécutif sur le législatif.

L'évolution des institutions a renforcé ce trait originel avec l'élection du Président de la République au suffrage universel, le recours aux ordonnances, l'usage de l'article 49-3 de la Constitution. Le quinquennat et l'inversion du calendrier accentuent cette dérive et favorisent la bipolarisation, la marginalisation, donc le désintérêt croissant d'une partie de la population qui ne se reconnaît pas dans un bipartisme d'alternance.

Il eût sans doute été plus judicieux, à un an encore de la future élection, de faire un premier bilan du quinquennat et de l'inversion du calendrier.

Au vu de la crise profonde que traversent nos institutions - un parlement non représentatif, en divorce avec le peuple, dépourvu de pouvoir, un Conseil constitutionnel juge et partie, un pouvoir exécutif qui se permet tout -, n'est-il pas temps de remettre à plat l'architecture institutionnelle de notre pays avec un souci unique : quelle démocratie aujourd'hui ? Comment rendre le pouvoir aux citoyens ? En tout cas, comment la représentation nationale peut-elle être fidèle au peuple ? Il est temps, grand temps, de mettre en chantier une VIe République.

Le devenir de la fonction présidentielle elle-même ne doit pas être un tabou. Durant de nombreuses années, les électeurs ont montré leur attachement à l'élection présidentielle au suffrage universel, résultant de la réforme de 1962, élection constituant un moment fort de débat démocratique.

Mais, au fil des années, la personnalisation du pouvoir s'est accrue, les dysfonctionnements démocratiques se sont multipliés, la déconnexion entre le pouvoir exécutif et le peuple étant aujourd'hui avérée.

Nous proposons de réduire fortement le rôle du Président de la République et de le ramener à ce qu'il est dans la plupart des grandes démocraties. L'essentiel de sa fonction serait de garantir le fonctionnement des institutions. C'est, me semble-t-il, ce genre de réflexion que notre peuple attend, et aucunement un énième texte d'adaptation technique qui pérennise une situation devenue vraiment inadaptée sur le plan démocratique.

Combien faudra-t-il de 21 avril ou de 29 mai pour que cet appel soit entendu ?

Même si nous en restons au suffrage universel direct, ne faut-il pas prévoir la possibilité du maintien des candidatures recueillant un nombre déterminé de suffrages ? La question reste posée.

Sortir de la présidentialisation à tous crins dont les pires outrances sont à venir dans une société hypermédiatisée constitue une exigence démocratique.

Bon nombre de sujets méritent un grand débat national : quelle place réserver à l'initiative citoyenne, comment revaloriser le rôle du Parlement, quel rapport entretenir avec l'Europe, quelles sont les mesures à prendre pour combler le déficit démocratique, qui fut notamment l'un des points forts de la campagne référendaire de l'année dernière ? Quelle place pour un État décentralisé mais garant de la solidarité nationale et de l'unicité du service public ? Quel contrôle les citoyens peuvent-ils exercer sur l'élaboration du budget de la nation ? Quel contrôle de constitutionnalité faut-il prévoir ? Toutes ces questions méritent débat.

Il en est de même du mode de scrutin à la représentation proportionnelle, du non-cumul des mandats pour garantir la parité, du rajeunissement des élus et de la lutte contre le clientélisme. Or, à aucun moment durant les quatre années qui viennent de s'écouler, un tel débat n'a eu lieu.

Il est vrai que les préoccupations du Gouvernement étaient tout autres : instaurer une restauration libérale était l'unique priorité. Or, chacun le sait, privatisation, précarité et austérité ne riment pas avec essor de la démocratie. On peut s'en rendre compte aujourd'hui.

Pour accepter un débat institutionnel, il faut admettre la remise en cause d'un ordre économique et social fondé sur l'injustice, l'inégalité et la précarité. C'est ce que vous disent aujourd'hui nos concitoyens.

Monsieur le ministre, comme vous l'avez souligné, vous nous proposez un texte de nature technique.

Le Gouvernement affirme qu'il suit les recommandations du Conseil constitutionnel formulées le 7 juillet 2005. Ce n'est cependant pas exact, car la seule proposition un tant soit peu audacieuse, à savoir la publication au Journal officiel ou sur l'Internet de l'ensemble des noms des présentateurs d'un candidat, n'a pas été retenue. Les amendements présentés en ce sens à l'Assemblée nationale non plus. Cela signifie que ni le Gouvernement ni la majorité ne sont favorables à cette publication.

On en resterait donc à la situation actuelle : seuls 500 noms tirés au sort par candidat sont rendus publics, la liste complète étant affichée pendant quatre jours dans les locaux du Conseil constitutionnel.

L'argumentation selon laquelle il y aurait rupture d'égalité entre les candidats en cas de publication globale de la liste ne me semble pas recevable. Les signataires, comme les candidats, doivent assumer leurs choix : c'est cela la démocratie.

Nous nous interrogeons sur la possibilité offerte à la juridiction compétente de moduler les sanctions à l'encontre de tel ou tel candidat qui pourrait, en toute bonne foi, ne pas avoir respecté les règles de financement.

Il nous semble que, s'agissant du scrutin pour l'élection présidentielle, la loi doit s'appliquer de manière claire. Ce ne sont bien évidemment pas les formations les plus riches qui pâtiraient d'éventuels manquements ou ambiguïtés. Nous sommes donc hostiles à cette mesure. Il serait d'ailleurs étonnant qu'un candidat, ou son mandataire financier, ignorât la loi.

Enfin, nous souhaitons que des garanties soient apportées quant à la non-publication des résultats électoraux dans les départements et territoires d'outre-mer d'Amérique où le scrutin se déroulera dorénavant le samedi, si le projet de loi organique est adopté.

En conclusion, j'exprime une nouvelle fois le regret du peu de portée de ce projet de loi organique et, d'une manière plus générale, de l'absence de remise en question de l'actuel fonctionnement, ou plutôt dysfonctionnement, de nos institutions.

Dans l'hypothèse où l'amendement qu'il a déposé sur la publication des noms des présentateurs ne serait pas adopté, notre groupe, qui a débattu de ce projet de loi organique aujourd'hui même, voterait contre ce texte.

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