Intervention de Didier Migaud

Commission des affaires sociales — Réunion du 15 octobre 2014 : 1ère réunion
Rapport annuel de la cour sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale — Audition de M. Didier Migaud premier président de la cour des comptes

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Si nous proposons une loi de finances sociales, c'est pour avoir constaté que les outils dont dispose le Parlement ne lui permettent pas d'envisager une véritable régulation des dépenses, notamment des régimes conventionnels. Le même constat vaut pour les finances locales. L'Etat s'engage auprès de ses partenaires européens sur un objectif d'évolution des dépenses des administrations publiques - Etat, sécurité sociale et collectivités locales - mais le paradoxe, qui nous conduit à nous interroger sur la capacité de la France à respecter ses engagements, c'est que vous ne disposez pas de tous les outils de maîtrise de la dépense, à laquelle d'autres acteurs contribuent. D'où l'idée de vous doter des outils de régulation adéquats.

S'agissant de l'Ondam, il faut comparer des choses comparables, c'est-à-dire considérer toujours sa progression au regard de celle de l'inflation. Tout est question de différentiel. Un Ondam à 2,1 % ou 2,3 % quand l'inflation est de 0,3 % à 0,5 %, est plus généreux qu'un Ondam supérieur, mais dans un contexte d'inflation plus fort.

La fraude est en effet estimée à 20 ou 25 milliards. Mais il n'est pas facile, en vrai, d'en estimer le montant, tant est fertile l'imagination des fraudeurs. Il serait bon, à notre sens, d'élargir le champ des contrôles et des sanctions, car si la fraude prospère, c'est que le risque d'être pris est faible, et l'on sait que lorsqu'un risque est faible, certains sont prêts à l'assumer. L'idée serait de faire bénéficier les contrôleurs des mêmes prérogatives de recouvrement que celles que l'on reconnaît aux agents du fisc, et d'alourdir les sanctions.

Je laisse à M. Durrleman le soin de compléter mon propos, et de vous répondre sur la branche famille ainsi que sur les actes inutiles.

M. Antoine Durrleman, président de la 6ème chambre de la Cour des comptes. - Tant pour l'hôpital que pour les soins de ville, les méthodes d'élaboration de l'Ondam sont une boîte noire. Nous avons donc cherché à éclairer les modalités de cette construction, extraordinairement empirique puisqu'elle part des données de la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam), qui ne font pas l'objet d'une contre-expertise indépendante. Moyennant quoi, on accumule des marges de précaution à tous les stades. De ce fait, la sous-exécution constatée depuis 2010 est, pour une part, un faux semblant. C'est pourquoi nous préconisons d'adjoindre à la loi de financement de la sécurité sociale une annexe spécifique relative aux choix qui ont présidé à l'élaboration du tendanciel, sur le fondement duquel est fixé l'Ondam. La représentation nationale doit s'emparer du débat, car l'Ondam, clé de voûte de la régulation de l'assurance maladie, est un élément central de la loi de financement de la sécurité sociale.

J'en viens à la régulation des dépenses de la branche famille. Si les dépassements, moindres que ceux de la branche maladie, ne doivent pas être surestimés, ils n'en existent pas moins. Il nous semble possible de réguler en agissant sur les dotations de gestion administrative, et le cas échéant, sur certaines dotations d'action sociale. Mais il y faut, surtout, une gestion plus vigilante.

Pour remédier aux insuffisances du contrôle et du recouvrement des cotisations, les Urssaf et l'Acoss ont engagé des efforts indéniables, mais la mutualité sociale agricole (MSA), en revanche, est restée très en arrière de la main, tandis que le régime social des indépendants (RSI), du fait des difficultés rencontrées lors de la mise en place de l'interlocuteur social unique, a purement et simplement abandonné tout contrôle. Quant aux caisses de retraite complémentaires, elles n'ont jamais, depuis leur création en 1947, procédé à aucun contrôle. Imaginez-vous que lorsque des situations de travail dissimulé sont décelées par les services fiscaux et les Urssaf, cela n'est pas même communiqué aux régimes complémentaires ! D'où des pertes considérables, estimées entre 80 et 100 millions, mais sans doute vingt fois supérieures. Alors que la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 avait prévu de confier aux Urssaf le contrôle du recouvrement des cotisation des régimes complémentaires, le décret d'application, huit ans plus tard, n'est toujours pas paru, en raison d'obscures querelles entre régimes. Ce n'est pas normal.

La Cour n'est pas compétente pour juger de la pertinence ou non d'un acte médical. Elle s'en remet sur ce point aux études de la Haute Autorité de santé - à laquelle il revient, via ses recommandations de bonnes pratiques, de corriger le tir - de même qu'aux analyses de contrôle médical des caisses d'assurance maladie. Cependant, la Haute Autorité de santé ne dispose pas des moyens d'analyse qu'exige l'ampleur du sujet. Quant au contrôle médical, il demeure plus administratif que réellement médical.

Reste que le nombre d'actes non pertinents est élevé. Citons le cas des analyses sans justification médicale, comme celles sur la vitamine D, que l'on a vu se multiplier, sans raison médicale, dans la population âgée, et dont le coût atteint 100 millions, qui seraient mieux employés à couvrir d'autres besoins.

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