Intervention de Bernard Frimat

Réunion du 29 mars 2006 à 15h00
Élection du président de la république — Adoption définitive d'un projet de loi organique

Photo de Bernard FrimatBernard Frimat :

... il nous faut donc bien, comme l'écrit notre excellent collègue Hugues Portelli dans son rapport, qualifier cette attitude de « carence » !

La commission des lois va d'ailleurs dans le même sens lorsqu'elle regrette le caractère tardif du dépôt du texte.

La seule issue possible pour tenir les délais est donc de demander une nouvelle fois au Sénat un vote conforme, ce que votre majorité ne vous refusera sans doute pas, même si les limites de l'enthousiasme de M. le rapporteur sont clairement exprimées quand il qualifie d'« insuffisante » la modification apportée par le projet de loi organique.

Le groupe socialiste considère qu'il était possible, s'agissant de l'adaptation de la loi du 6 novembre 1962, d'avoir un débat utile et constructif. Nous ne comprenons pas pour quelles raisons le Gouvernement a une nouvelle fois verrouillé l'issue de la discussion parlementaire. Sur ce sujet, comme sur d'autres, beaucoup plus préoccupants, la place réservée par le gouvernement de M. de Villepin au dialogue est inexistante, et nous ne pouvons que le déplorer.

Le contenu du projet de loi organique reprend partiellement les observations du Conseil constitutionnel. Dans sa finalité, ce texte n'appelle pas de remarques particulières.

Les deux innovations les plus intéressantes introduites par le présent projet de loi organique sont l'instauration d'un double contrôle des comptes de la campagne présidentielle et l'anticipation dans le temps de la date limite de recueil des parrainages. S'y ajoutent des aspects techniques - mise à jour des articles du code électoral et suppression des références obsolètes - qui n'appellent aucune remarque de notre part au vu du travail de M. le rapporteur.

Des modifications concernent également le vote des Français de l'étranger, et mon ami Richard Yung interviendra sur ce point particulier.

Monsieur le ministre, je concentrerai maintenant mon propos sur les domaines dans lesquels le projet de loi nous semble, comme à d'autres, insuffisant.

Chacun reconnaît, pour s'en réjouir ou pour le déplorer, que l'élection présidentielle constitue l'échéance principale sous la Ve République. Au vu de l'importance de cette élection, on ne peut qu'être favorable aux éléments renforçant la clarté et la sincérité du scrutin.

En ce qui concerne les parrainages, le Gouvernement n'a que très partiellement repris les propositions du Conseil constitutionnel, et il est resté silencieux sur l'interrogation suivante formulée par ce dernier quant à leur nombre : « Le Conseil s'interroge de nouveau sur le bien-fondé de règles de présentation dont le renforcement en 1976 - qui a porté de 100 à 500 le nombre de présentations requises - ne suffit plus à éviter la multiplication des candidatures ».

Dans le discours qu'il a prononcé lors de la cérémonie de présentation des voeux au Président de la République, le Président du Conseil constitutionnel indiquait ceci : « L'élection présidentielle sert à désigner le Chef de l'État. C'est considérable. Ne lui demandons pas en plus de permettre un sondage en vraie grandeur des différentes sensibilités du paysage politique national ».

Or le texte qui est proposé à notre vote laisse inchangé le nombre de parrainages nécessaires pour se présenter à l'élection et ne retient pas la proposition du Conseil constitutionnel quant à la publicité des présentateurs. Comment expliquer cette attitude de la part du Gouvernement ?

Si j'en crois M. le rapporteur, « le silence du texte [...] en ce qui concerne le nombre et la publicité des présentateurs semble motivé par le souci de ne pas limiter l'accès à la candidature de personnalités disposant d'un fort potentiel électoral mais d'un nombre limité de présentateurs ».

Monsieur le rapporteur, si l'on peut admettre, en dépit de la personnalité dont le portrait-robot est esquissé en creux dans votre rapport, qu'il n'est pas démocratique d'interdire à un courant politique de participer à l'élection présidentielle alors qu'il possède un fort potentiel électoral, cela n'implique pas pour autant qu'il faille garder inchangées les règles régissant aujourd'hui les possibilités de candidatures.

C'est un chantier qui est devant nous, et le Gouvernement aurait été bien inspiré d'engager cette réflexion au Parlement en temps voulu.

M. le rapporteur estime par ailleurs que « l'augmentation du nombre requis de présentateurs aurait été cohérente afin de garder la proportion adoptée voici trente ans ».

C'est indiscutablement une piste de réflexion, mais il en existe d'autres, qui peuvent soit faire référence au nombre de voix recueillies lors des élections législatives ou européennes, soit s'orienter vers un système mixte conciliant parrainage et nombre de voix.

Dans ce domaine, nous ne pouvons, à ce jour, que formuler des regrets puisqu'il est évident qu'une modification des règles de candidature ne peut s'improviser à la sauvette, un an avant l'élection présidentielle. En 2007, nous serons, sur ce point, condamnés au statu quo. Je forme le voeu que la question ne reste pas en l'état jusqu'en 2012.

La question de la publicité éventuelle des noms et qualités des présentateurs se pose quant à elle de manière complètement différente. Il ne s'agit pas d'une modification substantielle par rapport à la réalité des pratiques observées. Il s'agit simplement de sortir d'une pseudo-publicité. Actuellement - ma collègue Nicole Borvo Cohen-Seat l'a rappelé -, seule une liste de 500 présentateurs pour chaque candidat est publiée au Journal officiel. Ainsi, en 2002, 8 000 noms furent rendus publics par tirage au sort sur un total de 17 815. Dans le même temps, le Conseil constitutionnel affichait dans ses locaux, pendant quelques jours, les listes exhaustives des présentateurs. Cette pratique existe depuis 1988. L'intervention des médias permet de porter à la connaissance des citoyens les présentateurs de chaque candidat.

Le Conseil constitutionnel a préconisé de diffuser sur son site Internet le nom de tous les présentateurs. Il a estimé, dans ses observations de novembre 2002, que la publication de l'intégralité de la liste était « conforme à l'égalité entre élus qui présentent un candidat comme à la transparence de la vie démocratique ».

Le Gouvernement n'a pas repris cette suggestion. Or, il ne s'agissait en l'occurrence que de mettre en accord les faits et le droit. La décision de publier au Journal officiel la liste intégrale des présentateurs entre tout à fait dans le champ de la loi organique. Que l'on ne vienne pas nous expliquer qu'une telle publication romprait l'égalité entre les candidats ! Le passé témoigne de l'absence de corrélation positive automatique entre le nombre de présentateurs et le nombre de suffrages obtenus. De plus, le nombre de présentateurs recueillis par chaque candidat est connu de tous.

Comme l'écrit M. le rapporteur, « la transparence la plus élémentaire devrait conduire à la publication de tous les présentateurs ». Celui qui exerce un mandat politique doit rendre compte des actes effectués dans le cadre de ce mandat. Accepter de présenter un candidat à l'élection présidentielle est un acte important qui doit être porté à la connaissance des citoyens.

Faute d'argument sérieux à opposer à cette publicité, je vous invite, monsieur le ministre, à réviser la position du Gouvernement et à accepter l'amendement que le groupe socialiste présentera en ce sens, allant ainsi au-devant des désirs du rapporteur. Nous aurons de la sorte introduit ensemble, avec son accord je l'espère explicite, une plus grande transparence dans le processus de présentation. Qui pourrait s'en plaindre du point de vue de la démocratie ?

La seconde innovation introduite par votre projet de loi concerne le contrôle des comptes. Confier en première instance ce contrôle à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques ne nous pose pas de problème. Cela peut même paraître judicieux, en raison de la concomitance de la production des comptes de campagne pour l'élection présidentielle et de ceux des élections législatives, et du fait que certaines dépenses peuvent concerner à la fois les deux types d'élection. Réserver au Conseil constitutionnel les contestations et faire de cette institution, sur l'initiative des candidats concernés, une instance d'appel peuvent aussi recueillir notre accord.

En revanche, un point reste pour nous délicat : le nouveau système de modulation du montant du remboursement forfaitaire. Cette mesure mérite attention. En 2001 déjà, le législateur avait adopté des dispositions pour atténuer la rigueur de la privation automatique du remboursement forfaitaire et pour donner une plus grande marge d'appréciation au Conseil constitutionnel. Le projet de loi organique vise, dans son article 4, à élargir encore ce pouvoir d'appréciation. Est-ce véritablement nécessaire ?

La rédaction actuellement en vigueur, une fois effectuée l'adaptation rendue nécessaire par l'intervention de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, me semble meilleure. Elle était d'ailleurs issue d'une proposition d'amendement de notre collègue Robert Badinter qui avait en son temps recueilli l'accord de la commission des lois du Sénat. Cette proposition, adoptée par le Sénat, était équilibrée puisqu'elle reconnaissait au Conseil constitutionnel un pouvoir d'appréciation mais, dans le même temps, encadrait strictement celui-ci.

Or, dans la rédaction proposée par le Gouvernement, cet encadrement disparaît. C'est, à nos yeux, regrettable. Donner à une instance, surtout une autorité administrative, la possibilité d'apprécier ce qui devrait relever du domaine de la loi n'est pas une démarche que nous pouvons accepter et diminue le niveau de garantie accepté par le Sénat en 2001. Nous présenterons donc un amendement sur ce point précis.

Pour conclure, monsieur le ministre, permettez-moi une nouvelle fois, après d'autres, de regretter les conditions dans lesquelles nous débattons, qui nous privent d'une réelle discussion parlementaire sur un sujet important.

Peut-être pouvons-nous nous rejoindre sur un point, en reconnaissant que, vu l'importance du rôle du Président de la République, il nous faudra, dans la configuration que les Français décideront, revoir la copie et répondre à des questions essentielles aujourd'hui négligées.

Je me contenterai d'évoquer, sans volonté d'exhaustivité, deux points qu'il faudra régler : premièrement, le statut pénal du chef de l'État, si solennellement promis et toujours attendu ; deuxièmement, le contrôle démocratique de l'élection présidentielle, placé dans les mains de conseils au sein desquels le pluralisme n'est plus respecté.

La mainmise que la majorité actuelle exerce durablement sur deux des piliers de notre démocratie que sont le Conseil supérieur de l'audiovisuel et le Conseil constitutionnel obligera, tôt ou tard, à revenir sur leur mode de nomination, mais cela, je vous le concède, relève d'un autre débat.

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