Intervention de Amiral Edouard Guillaud

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 10 octobre 2013 : 1ère réunion
Projet de loi de finances pour 2014 — Audition de l'amiral guillaud chef d'état-major des armées

Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées :

L'argumentaire que j'avais développé pour la LPM reste donc tout à fait d'actualité ici. Plutôt que de le reprendre point par point, je voudrais ce matin attirer votre attention sur les enjeux pour nos armées de l'année à venir. Ces enjeux concernent les opérations, les équipements et le fonctionnement ; ils sont aussi - et peut-être surtout, en ces temps de réforme sous forte contrainte budgétaire - humains et financiers.

Ils s'inscrivent dans un contexte marqué par l'articulation de deux réformes d'ampleur. Vous le savez, nous nous trouvons aujourd'hui à la charnière d'un ensemble formé par la réforme issue du « paquet RGPP + Livre blanc 2008 + LPM 2009-2014 », et celui, à venir, prescrit par le Livre blanc 2013, la LPM 2014-2019 et les restructurations associées dont le principe a été annoncé par le ministre de la défense.

Cette transition est d'autant plus délicate à mettre en oeuvre qu'elle se traduit dans les faits par un véritable empilement de mesures à appliquer. La réforme précédente n'est pas achevée, et pour cause : elle devait aboutir en 2015. A ce jour, plus de 10 000 déflations restent à réaliser au titre de la LPM 2009-2014, avant de mener à bien les 23 500 déflations attendues au titre du Livre blanc 2013, dont une part significative devra porter sur les soutiens. Conclusion : nous allons devoir tout remettre à plat, notre carte militaire comme notre modèle de ressources humaines - j'y reviendrai.

En parallèle, le ministre de la défense a décidé de mettre en place une nouvelle gouvernance du ministère. Toutes les fonctions « transverses » sont concernées : ressources humaines, finances, relations internationales, soutien, communication et concertation, maintien en condition opérationnelle.

En tant que chef d'état-major des armées, la chasse aux doublons me paraît impérative, de même que la volonté de simplifier des processus toujours plus complexes. Peu importe, d'ailleurs, qui actionne les leviers, pourvu que l'opérationnel conserve sa crédibilité et sa primauté, et que les armées restent en mesure de faire valoir leurs besoins dans ce cadre. Mais le mot « opérationnel » n'est pas restrictif. La notion de coeur de métier peut être aussi dangereuse que celles de back office et de front office. Un exemple ? L'entretien des hélicoptères à Gao, c'est de l'opérationnel ; si nous le faisions en France, ce serait du simple soutien.

La nouvelle organisation impliquera des changements dans notre manière de fonctionner, et donc jusque sur le terrain. Premier exemple : le maintien en condition opérationnelle de nos équipements. C'est d'heures de vol, de jours de mer et de jours de terrain dont j'ai besoin, plutôt que de matériels dans une base ou un régiment, dont la disponibilité technique est parfaite, avec un coût faible puisque ces matériels ne sont pas utilisés. Nos services de soutien tournent de façon systématique les contrats de soutien vers l'action. Cela a des conséquences sur l'articulation entre les échelons opérationnels et industriels du soutien technique. Deuxième exemple : l'unification des crédits de titre 2 sous la responsabilité du SGA, pour garantir une meilleure maîtrise de la masse salariale. La nouvelle gouvernance devra satisfaire les besoins opérationnels, c'est-à-dire conduire une politique des ressources humaines cohérente avec le temps long du recrutement, de la formation initiale et de l'acquisition régulière de compétences à jour, afin que toutes les compétences nécessaires aux armées soient disponibles au bon moment, y compris les plus rares.

Venons-en aux enjeux du projet de loi de finances. Au plan opérationnel, le projet de loi de finances pour 2014 enregistre une augmentation de 5,5% par rapport à 2013 des crédits affectés à l'entretien programmé des matériels. C'est un mieux, incontestablement, mais qui conduira à un niveau d'activité encore inférieur de 15 à 20% aux normes de la LPM et aux standards internationaux de nos principaux alliés. Cet écart entre l'effort financier consenti et l'évolution des indicateurs d'activité tient au coût des facteurs, toujours supérieur à l'inflation. Il tient aussi au fait que nous nous trouvons dans une situation de rattrapage, avec un effet d'inertie, les conséquences des mesures prises ne se manifestant qu'après 18 à 24 mois. Il tient enfin à l'accroissement du vieillissement des parcs de nos principaux équipements, plus coûteux à entretenir, et au renchérissement, simultanément, du coût de l'entretien des nouveaux matériels.

Je serai très attentif sur cette question de l'activité des forces, essentielle pour notre capacité à faire face à la diversité des scénarios d'engagement. La montée en puissance de certaines de nos capacités, début septembre, dans la perspective d'une opération en Syrie, est une illustration récente de cette diversité. Nous étions prêts, pour une action d'une autre nature que celles conduites récemment en Afrique, dans un environnement de menaces plus confus et a priori plus dangereux.

Les incertitudes pesant à ce jour sur la zone d'intérêt définie par le Livre blanc, au Sahel, en Centrafrique ou au Proche Orient imposent le maintien d'un haut niveau de vigilance, et donc de garantir à nos forces l'activité de préparation opérationnelle nécessaire, dans toute la gamme des savoir-faire, des plus simples aux plus complexes.

S'agissant des équipements, l'agrégat « équipements » sera doté de 16,5 Md€, en hausse de 500 M€ par rapport à la LFI 2013. L'année 2014 verra la livraison de nombreux matériels. Pour ne citer que les plus emblématiques d'entre eux : l'armée de terre recevra 77 VBCI, 4 hélicoptères Tigre dans la version « appui-destruction », 4 hélicoptères NH-90, 13 lance-roquettes unitaires, et 115 porteurs polyvalents terrestres. 250 de ces porteurs polyvalents seront par ailleurs commandés. L'armée de l'air recevra 11 Rafale, 4 A 400M, ainsi que le 10ème et dernier système sol-air à moyenne portée SAMP/T. La marine nationale réceptionnera sa 2ème frégate multi-missions, 3 hélicoptères NH-90, et bénéficiera de la commande du 4ème sous-marin de type Barracuda. Enfin, le segment spatial des armées sera renforcé, en particulier par la livraison du satellite de télécommunications franco-italien SICRAL, et par celle de stations de communications par satellite SYRACUSE III et COMCEPT.

Mais cette année 2014 sera déterminante, car plusieurs décisions importantes sont attendues. À brève échéance, la signature d'un contrat d'export du Rafale est la condition sine qua non pour valider les cadences de livraison nationales retenues pour les premières années de la LPM. Nous comptons par ailleurs sur la décision de lancement du programme SCORPION, essentiel pour la cohérence opérationnelle des forces terrestres à moyen terme. Nous comptons également sur la décision de lancement du programme MRTT, structurant pour l'avenir de la composante nucléaire aéroportée mais aussi, plus généralement, pour notre capacité de projection de force et de puissance hors du territoire métropolitain.

Par ailleurs, le sommet européen de décembre 2013, les réflexions capacitaires conduites à l'OTAN dans le cadre de son avenir post-Afghanistan, ainsi que les différentes initiatives bilatérales nous permettront - je l'espère- d'élargir nos marges de manoeuvre dans les domaines où nos capacités sont les plus tendues. Je pense aux avions ravitailleurs, où notre engagement pour le MRTT serait mobilisateur, mais aussi aux drones MALE, où l'acquisition de Reaper ouvre de nouvelles perspectives avec nos partenaires européens qui disposent déjà de ce système ou envisagent de l'acquérir à court terme.

S'agissant du fonctionnement, vous le savez, l'année 2014 s'annonce très difficile : les économies programmées par le PLF sont supérieures de 30 M€ aux 70 M€ que le ministère de la défense avait prévus au titre de la LPM, et ces 70 M€ représentaient déjà un effort considérable. Sachez, à titre d'exemple, que pour cette année 2013, les budgets de fonctionnement de nos bases de défense seront sans doute consommés dès novembre, et devront donc être abondés en fin de gestion. Les économies réalisées sur le soutien courant sont en effet absorbées par des facteurs haussiers, telle que la hausse du coût des fluides et de l'énergie, qui représente 40% des dépenses des bases de défense.

L'identification des gisements d'économie pour atteindre l'objectif des 100 M€ d'économies qui nous est assigné dès 2014 est donc un défi majeur et immédiat. À cet égard, les restructurations programmées en 2014 permettront d'y contribuer, mais elles seront largement insuffisantes. À titre d'exemple, la fermeture d'un régiment ne permet d'économiser qu'un peu plus de 2 M€ de fonctionnement en année pleine.

Par conséquent, seules des réorganisations couplées à des optimisations de fonctions très volontaristes, en plus des fermetures d'emprises, permettront d'atteindre l'objectif recherché. À défaut, les économies seront « saupoudrées » sur toutes les bases de défense, en prolongeant ou en amplifiant des mesures qui ont déjà été mises en oeuvre au niveau local : réduction de la période de chauffage (à Nancy par exemple, région où il ne fait pas particulièrement chaud, la période de chauffage a été retardée de 15 jours et raccourcie de 15 jours supplémentaires), fermeture de bâtiments (toujours à Nancy, le gymnase a été fermé par exemple) ou absence d'entretien locatif de bâtiments, limitation des services de nettoyage, abandon de l'entretien de certains espaces verts, non renouvellement du mobilier, etc...

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