Notre rencontre du 12 septembre m'avait permis de vous donner mon appréciation du projet de Loi de programmation militaire pour la période 2014-2019. J'avais à cette occasion souligné certains aspects de ce texte, qui prennent en compte les besoins de nos armées à court et à moyen termes, à l'aune bien sûr des contrats opérationnels définis par le Livre blanc de 2013. Je pense à l'effort porté sur la préparation opérationnelle. Je pense aussi à la préservation de nos grands programmes, ces programmes à forte valeur ajoutée au plan opérationnel dont la mise au point et l'adaptation exigent un engagement continu sur le temps long de la construction capacitaire. Je pense enfin à la définition et à la réalisation d'un nouveau modèle d'armée.
Je vous avais également fait part le 12 septembre de mes points de vigilance : la contrainte imposée de fait aux programmes moins prioritaires ; la très forte tension qui pèse et pèsera sur le fonctionnement des armées ; le risque de rupture temporaire de capacité, dans un contexte de vieillissement des parcs ; la maîtrise de la masse salariale. Pour finir, j'avais évidemment insisté sur la nécessité d'une exécution conforme de la loi de programmation militaire, dès la première année.
Le projet de Loi de finances 2014 constitue le premier jalon de la LPM 2014-2019, vers le modèle d'armée 2025. Les ressources totales de la mission Défense sont prévues à hauteur de 31,4 Md€ courants, dont 1,8 Md€ de ressources exceptionnelles. L'engagement du maintien du budget de la défense, porté au plus haut niveau par le Président de la République, chef des armées, est donc confirmé. L'engagement de M. Jean-Yves Le Drian de clarifier les conditions de réalisation des ressources exceptionnelles l'est également. Et je sais qu'au sein de cette commission du Sénat, vous vous employez à permettre aux armées de concrétiser tous ces objectifs, notamment par l'affermissement des clauses de sauvegarde.
Dans le détail, la ventilation des ressources est globalement conforme aux objectifs retenus par la programmation pluriannuelle. Au bilan, ce projet de budget est la transcription fidèle de la première annuité de la LPM.
C'était la première question que je comptais vous poser ! C'est parfait...
L'argumentaire que j'avais développé pour la LPM reste donc tout à fait d'actualité ici. Plutôt que de le reprendre point par point, je voudrais ce matin attirer votre attention sur les enjeux pour nos armées de l'année à venir. Ces enjeux concernent les opérations, les équipements et le fonctionnement ; ils sont aussi - et peut-être surtout, en ces temps de réforme sous forte contrainte budgétaire - humains et financiers.
Ils s'inscrivent dans un contexte marqué par l'articulation de deux réformes d'ampleur. Vous le savez, nous nous trouvons aujourd'hui à la charnière d'un ensemble formé par la réforme issue du « paquet RGPP + Livre blanc 2008 + LPM 2009-2014 », et celui, à venir, prescrit par le Livre blanc 2013, la LPM 2014-2019 et les restructurations associées dont le principe a été annoncé par le ministre de la défense.
Cette transition est d'autant plus délicate à mettre en oeuvre qu'elle se traduit dans les faits par un véritable empilement de mesures à appliquer. La réforme précédente n'est pas achevée, et pour cause : elle devait aboutir en 2015. A ce jour, plus de 10 000 déflations restent à réaliser au titre de la LPM 2009-2014, avant de mener à bien les 23 500 déflations attendues au titre du Livre blanc 2013, dont une part significative devra porter sur les soutiens. Conclusion : nous allons devoir tout remettre à plat, notre carte militaire comme notre modèle de ressources humaines - j'y reviendrai.
En parallèle, le ministre de la défense a décidé de mettre en place une nouvelle gouvernance du ministère. Toutes les fonctions « transverses » sont concernées : ressources humaines, finances, relations internationales, soutien, communication et concertation, maintien en condition opérationnelle.
En tant que chef d'état-major des armées, la chasse aux doublons me paraît impérative, de même que la volonté de simplifier des processus toujours plus complexes. Peu importe, d'ailleurs, qui actionne les leviers, pourvu que l'opérationnel conserve sa crédibilité et sa primauté, et que les armées restent en mesure de faire valoir leurs besoins dans ce cadre. Mais le mot « opérationnel » n'est pas restrictif. La notion de coeur de métier peut être aussi dangereuse que celles de back office et de front office. Un exemple ? L'entretien des hélicoptères à Gao, c'est de l'opérationnel ; si nous le faisions en France, ce serait du simple soutien.
La nouvelle organisation impliquera des changements dans notre manière de fonctionner, et donc jusque sur le terrain. Premier exemple : le maintien en condition opérationnelle de nos équipements. C'est d'heures de vol, de jours de mer et de jours de terrain dont j'ai besoin, plutôt que de matériels dans une base ou un régiment, dont la disponibilité technique est parfaite, avec un coût faible puisque ces matériels ne sont pas utilisés. Nos services de soutien tournent de façon systématique les contrats de soutien vers l'action. Cela a des conséquences sur l'articulation entre les échelons opérationnels et industriels du soutien technique. Deuxième exemple : l'unification des crédits de titre 2 sous la responsabilité du SGA, pour garantir une meilleure maîtrise de la masse salariale. La nouvelle gouvernance devra satisfaire les besoins opérationnels, c'est-à-dire conduire une politique des ressources humaines cohérente avec le temps long du recrutement, de la formation initiale et de l'acquisition régulière de compétences à jour, afin que toutes les compétences nécessaires aux armées soient disponibles au bon moment, y compris les plus rares.
Venons-en aux enjeux du projet de loi de finances. Au plan opérationnel, le projet de loi de finances pour 2014 enregistre une augmentation de 5,5% par rapport à 2013 des crédits affectés à l'entretien programmé des matériels. C'est un mieux, incontestablement, mais qui conduira à un niveau d'activité encore inférieur de 15 à 20% aux normes de la LPM et aux standards internationaux de nos principaux alliés. Cet écart entre l'effort financier consenti et l'évolution des indicateurs d'activité tient au coût des facteurs, toujours supérieur à l'inflation. Il tient aussi au fait que nous nous trouvons dans une situation de rattrapage, avec un effet d'inertie, les conséquences des mesures prises ne se manifestant qu'après 18 à 24 mois. Il tient enfin à l'accroissement du vieillissement des parcs de nos principaux équipements, plus coûteux à entretenir, et au renchérissement, simultanément, du coût de l'entretien des nouveaux matériels.
Je serai très attentif sur cette question de l'activité des forces, essentielle pour notre capacité à faire face à la diversité des scénarios d'engagement. La montée en puissance de certaines de nos capacités, début septembre, dans la perspective d'une opération en Syrie, est une illustration récente de cette diversité. Nous étions prêts, pour une action d'une autre nature que celles conduites récemment en Afrique, dans un environnement de menaces plus confus et a priori plus dangereux.
Les incertitudes pesant à ce jour sur la zone d'intérêt définie par le Livre blanc, au Sahel, en Centrafrique ou au Proche Orient imposent le maintien d'un haut niveau de vigilance, et donc de garantir à nos forces l'activité de préparation opérationnelle nécessaire, dans toute la gamme des savoir-faire, des plus simples aux plus complexes.
S'agissant des équipements, l'agrégat « équipements » sera doté de 16,5 Md€, en hausse de 500 M€ par rapport à la LFI 2013. L'année 2014 verra la livraison de nombreux matériels. Pour ne citer que les plus emblématiques d'entre eux : l'armée de terre recevra 77 VBCI, 4 hélicoptères Tigre dans la version « appui-destruction », 4 hélicoptères NH-90, 13 lance-roquettes unitaires, et 115 porteurs polyvalents terrestres. 250 de ces porteurs polyvalents seront par ailleurs commandés. L'armée de l'air recevra 11 Rafale, 4 A 400M, ainsi que le 10ème et dernier système sol-air à moyenne portée SAMP/T. La marine nationale réceptionnera sa 2ème frégate multi-missions, 3 hélicoptères NH-90, et bénéficiera de la commande du 4ème sous-marin de type Barracuda. Enfin, le segment spatial des armées sera renforcé, en particulier par la livraison du satellite de télécommunications franco-italien SICRAL, et par celle de stations de communications par satellite SYRACUSE III et COMCEPT.
Mais cette année 2014 sera déterminante, car plusieurs décisions importantes sont attendues. À brève échéance, la signature d'un contrat d'export du Rafale est la condition sine qua non pour valider les cadences de livraison nationales retenues pour les premières années de la LPM. Nous comptons par ailleurs sur la décision de lancement du programme SCORPION, essentiel pour la cohérence opérationnelle des forces terrestres à moyen terme. Nous comptons également sur la décision de lancement du programme MRTT, structurant pour l'avenir de la composante nucléaire aéroportée mais aussi, plus généralement, pour notre capacité de projection de force et de puissance hors du territoire métropolitain.
Par ailleurs, le sommet européen de décembre 2013, les réflexions capacitaires conduites à l'OTAN dans le cadre de son avenir post-Afghanistan, ainsi que les différentes initiatives bilatérales nous permettront - je l'espère- d'élargir nos marges de manoeuvre dans les domaines où nos capacités sont les plus tendues. Je pense aux avions ravitailleurs, où notre engagement pour le MRTT serait mobilisateur, mais aussi aux drones MALE, où l'acquisition de Reaper ouvre de nouvelles perspectives avec nos partenaires européens qui disposent déjà de ce système ou envisagent de l'acquérir à court terme.
S'agissant du fonctionnement, vous le savez, l'année 2014 s'annonce très difficile : les économies programmées par le PLF sont supérieures de 30 M€ aux 70 M€ que le ministère de la défense avait prévus au titre de la LPM, et ces 70 M€ représentaient déjà un effort considérable. Sachez, à titre d'exemple, que pour cette année 2013, les budgets de fonctionnement de nos bases de défense seront sans doute consommés dès novembre, et devront donc être abondés en fin de gestion. Les économies réalisées sur le soutien courant sont en effet absorbées par des facteurs haussiers, telle que la hausse du coût des fluides et de l'énergie, qui représente 40% des dépenses des bases de défense.
L'identification des gisements d'économie pour atteindre l'objectif des 100 M€ d'économies qui nous est assigné dès 2014 est donc un défi majeur et immédiat. À cet égard, les restructurations programmées en 2014 permettront d'y contribuer, mais elles seront largement insuffisantes. À titre d'exemple, la fermeture d'un régiment ne permet d'économiser qu'un peu plus de 2 M€ de fonctionnement en année pleine.
Par conséquent, seules des réorganisations couplées à des optimisations de fonctions très volontaristes, en plus des fermetures d'emprises, permettront d'atteindre l'objectif recherché. À défaut, les économies seront « saupoudrées » sur toutes les bases de défense, en prolongeant ou en amplifiant des mesures qui ont déjà été mises en oeuvre au niveau local : réduction de la période de chauffage (à Nancy par exemple, région où il ne fait pas particulièrement chaud, la période de chauffage a été retardée de 15 jours et raccourcie de 15 jours supplémentaires), fermeture de bâtiments (toujours à Nancy, le gymnase a été fermé par exemple) ou absence d'entretien locatif de bâtiments, limitation des services de nettoyage, abandon de l'entretien de certains espaces verts, non renouvellement du mobilier, etc...
Nous avons pu le constater hier aussi sur la base de défense de Mont de Marsan, s'agissant du nettoyage des locaux - désormais fait par le personnel !- ou de la tonte des espaces verts, de moins en moins fréquente...
Avec, à la clé, une dégradation supplémentaire des conditions de vie et de travail, du moral et donc, indirectement, de l'aptitude opérationnelle de nos forces.
Je rappelle que nos bases, nos ports et nos camps d'entraînement sont des outils de combat à part entière ou y contribuent fortement. C'est à partir de ces implantations qu'est réalisée la préparation des forces. C'est aussi à partir de ces implantations que sont réalisées les missions permanentes sur le territoire national ou certaines missions en OPEX. Cela pourrait être encore plus vrai à l'avenir, avec le rapprochement géographique de nos zones d'intérêt, qui relativise la notion d'« arrière ».
Des exemples ? L'engagement quotidien de notre police du ciel ou de nos navires dans le cadre de l'action de l'État en mer ; en permanence, le déploiement de nos forces sur le territoire national dans le cadre de plans comme Vigipirate ou Harpie (lutte contre l'orpaillage clandestin), en Guyane ; l'opération Harmattan, qui a été conduite depuis les ports et les bases métropolitains ; certaines actions offensives ou de soutien pendant Serval, là aussi depuis la métropole. Plus récemment, si l'action planifiée en Syrie s'était concrétisée, c'est ainsi également que nous aurions procédé.
La garantie d'un fonctionnement courant de qualité est donc, à mes yeux, primordiale pour la qualité de la préparation opérationnelle des forces et notre aptitude à remplir nos missions. Elle est également essentielle pour la préservation du moral du personnel ; nos régiments, nos ports et nos bases aériennes sont aussi des lieux de vie, en particulier pour les jeunes militaires du rang et une partie des sous-officiers.
Au plan des ressources humaines, 7 881 suppressions d'emploi sont prévues au titre du PLF 2014, ce qui en fait l'annuité de LPM connaissant la plus forte déflation, et ce qui représente 60% des suppressions d'emplois de l'État cette année-là. Ceci souligne la part qu'assument les armées au titre de l'effort de réduction des dépenses de l'État.
Cette manoeuvre sera particulièrement délicate pour le personnel officier. L'objectif d'un taux d'encadrement en officiers de 16% au niveau du ministère est extrêmement sensible, sauf à mettre en place des mesures drastiques de restriction de l'avancement et de recrutement des jeunes officiers, au risque d'hypothéquer dangereusement l'avenir. Nous craignons ce qu'on appelle le « coup d'accordéon ».
Inévitablement, nous devons optimiser notre « modèle RH », c'est-à-dire, dans le format retenu pour les armées : définir un nouveau plan de recrutement, car les armées conservent leur vocation de recruteur ; redonner du souffle à l'avancement ; permettre une meilleure adéquation entre les grades et les responsabilités ; et mieux gérer les flux d'entrée et de sortie du personnel, en s'assurant du succès des mesures de reclassement et de reconversion pour ceux d'entre nous qui quitteront l'uniforme dans les années qui viennent.
La situation actuelle est vécue avec difficulté par le personnel, qui s'investit dans un environnement toujours plus exigeant, tout en nourrissant des inquiétudes pour l'avenir immédiat. Je passe sur Louvois, dont le traitement des erreurs a été « industrialisé », sans pour autant diminuer le taux d'erreurs ; cette affaire doit être réglée, une fois pour toutes, vous le savez !
Avant de conclure, je voudrais également attirer votre attention sur les conditions d'entrée en LPM, et donc sur la fin de gestion de l'année 2013. Je vous l'avais dit en septembre, mais c'est un enjeu capital. Je me répète donc : tout abattement de ressources en 2013, comme la non-levée des crédits gelés ou l'autofinancement des surcoûts OPEX, amplifierait le report de charges que nous prévoyons pour la fin 2013, déstabiliserait de facto les conditions de la gestion 2014 et, par conséquent, l'entrée en LPM.
Pour conclure, mesdames et messieurs les sénateurs, si le projet de LPM 2014-2019 reflète le meilleur compromis possible, au regard de la situation économique et financière actuelle, le projet de PLF en est une première déclinaison fidèle. Elle sera pour autant particulièrement complexe à mettre en oeuvre, dans tous les domaines que je viens d'évoquer et qui sont indissociables les uns des autres.
Comme je l'avais fait il y a un mois à propos de la LPM, j'en appelle à votre vigilance sur les conditions d'exécution du budget, en particulier sur les ressources exceptionnelles, dont la mise à disposition doit être consolidée, et ce dès 2014. Pour maintenir les REX au niveau des 1,8 Md€ programmés en LPM, le PLF prévoit des cessions de matériels. Plusieurs projets sont à l'étude, mais aujourd'hui, les perspectives de ces cessions ne permettent pas encore de garantir les ressources attendues, en tout cas pour 2014.
Dans son discours devant les membres du Conseil supérieur de la fonction militaire, lundi 30 septembre, le Président de la République a rappelé que chaque million d'euro compte. Compte tenu des rigidités auxquelles sont soumis la quasi-totalité de nos dépenses, je ne peux que souscrire à ce propos, et vous faire part de ma détermination pour réussir. Je vous remercie.
Amiral, nous sommes évidemment très sensibles à vos analyses, d'autant plus que nous observons une dégradation du moral des militaires, en particulier, mais pas seulement, dans l'armée de terre. En même temps, je ne vous le cacherai pas, nous sommes aussi conscients que les sommes consacrées à la défense -190 milliards d'euros courants sur la période de la LPM- peuvent paraître très importantes à nos concitoyens, compte tenu de l'état de nos finances publiques. La réduction de la charge de la dette est aussi une question de souveraineté nationale, compte tenu de son poids prédominant dans le budget de l'État. Nous continuons donc notre effort d'explication pour faire partager notre conviction de l'utilité des crédits consacrés à la défense et de la nécessité de remonter dès que possible notre effort de défense vers l'objectif de 2% du PIB -ce que notre commission a prévu par voie d'amendement à la LPM.
Notre commission a également adopté des amendements tendant à sécuriser les recettes exceptionnelles et le financement interministériel du surcoût des OPEX. Nous serons vigilants pour l'exécution de la LPM, avec notamment la possibilité de contrôles sur pièces et sur place des députés et sénateurs des commissions de la défense. Quant au retour à meilleure fortune que nous appelons de nos voeux...
Le Président de la République a fait deux fois allusion, dans son discours du 30 septembre, à l'éventualité d'une remontée des crédits de la défense après 2016
nous aurons un rendez-vous, ou « clause de revoyure », dès 2015. Sur la masse salariale, la Cour des Comptes constate une baisse de 8% des effectifs et une hausse de 5,5% de la masse salariale sur la précédente programmation, mais les effets du glissement-vieillesse-technicité, du chômage et des changements de réglementation sont à prendre en compte.
L'accroissement de 5,5% est ramené à un peu plus de 3% si l'on neutralise les effets -dévastateurs- de Louvois, et de ses trop perçus.
On oublie aussi les effets des mesures indiciaires qu'on nous a demandé de prendre « sous enveloppe », les effets de la loi sur les régimes de retraite qui a de facto différé des départs. Le ministère de la défense paie plus de 140 millions d'euros d'indemnisation chômage d'anciens militaires en 2013, là où ce poste ne s'élevait qu'à 100 millions d'euros en 2009...
Vous avez remis la loi de programmation militaire en perspective du modèle d'armée 2025 ; est-ce qu'en 2025 nous aurons encore notre place au conseil de sécurité des Nations unies ?
Vous avez évoqué la question de la masse salariale, qu'aurait-elle été si le format des armées n'avait pas évolué et le nombre de militaires réduit ? Tout en sachant que certaines tâches ont été externalisées, ce qui a aussi un coût ?
Lorsque nous intervenons à l'extérieur pour aider des Etats ou des populations menacées, je ne suis pas certain que nous en tirions toujours le bénéfice dans nos relations commerciales ou économiques. Avons-nous bénéficié de notre intervention militaire en Libye en termes de retombées économiques ? Qu'en est-il au Mali ? Comment mieux articuler intervention militaire et participation à la reconstruction ?
Les forces spéciales américaines ont mené à la fin de la semaine dernière des opérations en Libye et en Somalie, avec plus ou moins de succès. Aurions-nous été capables de mener des opérations de ce type ?
Les médias font état, ce matin, de nouvelles menaces sur la brigade franco-allemande. Je sais que depuis plusieurs années sa situation est controversée. Jusqu'à maintenant les raisons politiques et notamment le symbole fort qu'elle représente dans la relation franco-allemande ont plaidé pour son maintien, avec même l'installation d'une unité allemande en France pour équilibrer le maintien du 110e RI à Donaueschingen. Quelle est votre appréciation sur cette question ?
On sera en 2014, 15% en dessous des normes de préparation opérationnelle ; la situation ne devrait pas se redresser avant 2016 : en quelle année pourra-t-on atteindre les normes d'activité fixées dans la LPM, les 90 jours pour l'armée de terre, les 180 heures de vol pour les pilotes de chasse, etc.... Ne doit-on pas se donner des objectifs intermédiaires, chaque année, pour atteindre ce but ?
Vous nous avez indiqué l'effort d'économies de fonctionnement à conduire, avec en outre, à assumer l'augmentation du coût des fluides. Partout dans les bases de défense, nous constatons que début novembre les crédits sont consommés et les reports de crédits s'accumulent. Dans ce contexte, est-il réaliste de prévoir, dans le projet de loi de finances pour 2014, 100 millions d'euros supplémentaires dans le soutien ? Ne devrait-on pas solder nos factures pour pouvoir renégocier tous les contrats ?
J'ai lu dans la lettre « Acteurs publics » hier soir que la dérive de la masse salariale serait de 800 millions d'euros. Je suis étonné par ce chiffre. Pouvez-vous me le confirmer ?
Si aujourd'hui, aucun pays dans le monde ne remet en cause la position de la France comme membre permanent du conseil de sécurité des Nations unies avec droit de veto, c'est à la fois en raison de l'héritage des valeurs que porte la France, de son influence, notamment par le biais de la francophonie de ses armées et de sa dissuasion nucléaire, C'est aussi dû au fait que, de façon ininterrompue, elle a assumé ses responsabilités internationales, et s'est mêlée aux affaires du monde, en intervenant sous la bannière des Nations unies et en dehors. Si nous conservons cette ambition, cette capacité de s'engager, en 2025, la France sera toujours membre permanent du conseil de sécurité des Nations unies.
S'agissant de la charge de la masse salariale en l'absence de déflation d'effectifs, probablement que nous aurions été obligés d'avoir un budget de la défense représentant un pourcentage plus élevé du PIB. En 2008, on nous a forcés à entrer en déficit dans la loi de programmation. Bercy ne nous a autorisé qu'un niveau de masse salariale correspondant à un effectif inférieur à la réalité de 1 500 postes, pour nous inciter à être vertueux. Il y avait en contrepartie dans la LPM une clause de sauvegarde : « vous gérez en effectifs vos RH, il y aura abondement de la masse salariale si vous respectez vos effectifs, et si c'est nécessaire ». Cette clause n'a jamais été honorée. Depuis lors, on commence l'année avec un déficit supérieur à 100 millions d'euros. Je voudrais souligner qu'il n'y a aucune administration qui ait consenti un effort aussi grand. Le directeur du budget l'a lui-même reconnu hier devant la commission des finances du Sénat lors d'une audition. En Espagne, la réduction du budget jusqu'à 0,75% du PIB depuis 5 ans fait que les rémunérations et charges sociales représentent 70% du budget. Si nous n'avions pas réduit les effectifs, nous n'aurions pas pu acquérir les équipements dont nous avons besoin et nous aurions perdu notre autonomie de choix des équipements, avec les conséquences industrielles que cela peut induire y compris en termes d'emplois.
Sur les « retombées » économiques des OPEX, nous ne sommes pas allés jusqu'à intégrer systématiquement comme les Américains dans l'ex-Yougoslavie des chefs d'entreprises dans les réservistes sur le terrain. Ce n'est pas dans notre culture et nous n'aurions pas pu sans doute leur offrir des rémunérations suffisantes. Il y a une continuité et une coordination à assurer qui relèvent plutôt de l'action diplomatique, « la diplomatie économique ». Les armées ne sont qu'une partie d'un instrument global, qui implique au premier chef les affaires étrangères, l'industrie....
Les Américains ont conduit des opérations très complexes en Libye et en Somalie, ils n'ont pas utilisé de drones pour attaquer afin d'éviter des dommages collatéraux.
A terre, non. En mer, nous avons eu l'épisode du Ponant.
La situation en Libye est très complexe. Il est très difficile d'assurer une continuité car les interlocuteurs sont rarement les mêmes. Il y a vraiment dans ce pays un problème de continuité de l'action de l'Etat et il est dès lors difficile de coopérer.
Au Mali, nous avons des interlocuteurs. Je ne suis pas inquiet. Nous sommes allés vite et fort avec Serval et cela a plutôt réussi. Le dispositif de formation de l'EUTM fonctionne. Les deux premiers bataillons sont opérationnels et engagés en opérations. L'ensemble des partenaires européens conviennent qu'il faut poursuivre cette formation, le coût n'est pas très élevé et des fonds européens sont disponibles. L'opération Serval est une partie d'un dispositif qui va plus loin et qui doit se poursuivre avec des actions d'aide à la gouvernance et de coopération.
S'agissant de la brigade franco-allemande, les choix ne sont pas faits. Nous travaillons en concertation avec les Allemands, non pas sur l'existence de la brigade qui est sanctuarisée mais sur son activité et sur son emploi. Où et quand peut-on l'utiliser, sur quel théâtre d'opération ?
Votre propos est positif. Aurez-vous les moyens de surmonter la question du parallélisme ? Est-ce que la désignation de régiments implantés en France, qui est une vieille idée et qui n'avait pas fonctionné, sera acceptable ?
L'idée est bien d'utiliser cette brigade. Nous travaillons avec les Allemands pour déterminer sous quelle forme et dans quelles conditions politiques, diplomatiques, géographiques. Ensuite viendra le temps de la décision politique.
S'agissant des normes d'entraînement, ce sont des normes communément admises au niveau international. On peut toujours réduire les heures d'entraînement mais cela entraîne des conséquences sur la préparation opérationnelle. Ainsi, dans certains pays, les pilotes d'avions de chasse n'effectuent en moyenne que 30 heures de vol d'entraînement par an. Certes, les pilotes sont capables de faire décoller leur appareil, de le piloter et de le faire atterrir. Mais ils n'ont pas l'entraînement suffisant pour effectuer des missions.
Je partage votre avis, M. Gilbert Roger, sur la nécessité de renégocier les contrats pour récupérer des marges de manoeuvre. Mais cela nécessite aussi une certaine réduction de nos implantations territoriales, qui sont actuellement dispersées sur le territoire.
Avec notre collègue Jean-Marie Bockel, nous préparons un rapport sur l'Afrique. Alors que le nouveau Livre blanc accorde une place plus importante que le précédent à ce continent, le projet de loi de programmation militaire n'y accorde que quelques lignes et n'évoque qu'une future revue des forces pré-positionnées, qui devrait se traduire par la suppression de 1 100 postes, mais sans préciser la manière dont s'effectuera cette réforme et quelles seront les implantations concernées. Je souhaiterais donc avoir des précisions. Faut-il s'attendre à une réduction des forces prépositionnées à Djibouti, à Abidjan ou à Niamey ?
Je souhaiterais vous interroger sur le système Louvois, dont les dysfonctionnements pèsent lourdement sur le moral des armées. J'ai interrogé le ministre de la défense sur ce point mais je n'ai pas été entièrement satisfait par sa réponse.
Je voudrais également évoquer le sujet de la reconversion des militaires. Compte tenu de la déflation des effectifs et des difficultés pour les militaires de trouver un emploi, il me semble que les collectivités locales pourraient jouer un rôle utile pour faciliter les reconversions, par exemple par l'intermédiaire des délégués militaires départementaux.
Je souhaiterais vous interroger au sujet de l'opération Harpie de lutte contre l'orpaillage clandestin en Guyane, à laquelle les armées participent aux côtés de la gendarmerie nationale. Comme j'ai pu le constater moi-même à plusieurs reprises, l'orpaillage clandestin constitue un véritable « pillage » de nos richesses. Il donne lieu à des affrontements parfois meurtriers avec nos forces armées et menace la sécurité de cette région stratégique. Or, il semblerait que les orpailleurs, qui sont généralement originaires du Nord-Est du Brésil, bénéficient de complicités ou d'une passivité des autorités locales brésiliennes de l'autre côté de l'Oyapok.
Concernant le système Louvois, l'affaire remonte à une dizaine d'années. À l'époque, le déploiement de ce système avait été confié au Secrétaire général pour l'administration et à la Direction des ressources humaines du ministère de la défense. Les armées n'ont été que très peu consultées tout au long du processus.
Il est vrai que la mise en oeuvre de ce système était complexe, compte tenu du nombre de personnels au sein du ministère de la défense, du maquis de primes (plus de 160) et d'un système de paiement différent selon chaque armée.
Au début, la mise en place a semblé fonctionner de manière satisfaisante. Ainsi, le système a d'abord été appliqué au service de santé des armées, soit 12 000 personnes, sans provoquer de difficultés majeures. Compte-tenu de ce premier bilan, on l'a étendu à l'armée de terre, puis à la marine.
À ce moment-là, nous nous sommes aperçus que le système Louvois accumule les erreurs, et, pire que tout, fait des erreurs et en efface ensuite la trace, ce qui rend très difficile la possibilité de les corriger.
Actuellement, environ la moitié des personnels de la défense sont concernés par ce logiciel. Aujourd'hui ce système est devenu complètement fou, avec plus de 50% d'erreurs sur les soldes.
Pour ma part, je tiens à rappeler que, dès ma prise de fonction en 2010, j'ai écrit au ministre de la défense de l'époque pour lui faire part de mes inquiétudes au sujet de la fermeture des centres de traitement des soldes des militaires sans attendre l'évaluation de la mise en oeuvre du système Louvois.
Ces centres ont été fermés et les personnels sont partis, alors même que le nouveau logiciel n'avait pas encore été entièrement évalué, ce qui explique en grande partie les difficultés actuelles.
Par ailleurs, si j'ai accepté d'étendre ce logiciel à l'armée de terre et à la marine, car les premiers résultats semblaient satisfaisants, j'ai refusé en revanche de l'étendre à l'armée de l'air compte tenu des premiers dysfonctionnements.
Dès l'année dernière, j'ai dit qu'il fallait changer de logiciel.
Changer de système va toutefois nécessiter de deux à trois ans, un coût de l'ordre de 50 à 70 millions d'euros pour le nouveau logiciel, et plusieurs dizaines de millions d'euros que nous ne saurons pas recouvrer. En définitive, nous allons payer ce système trois fois et je ne parle pas des effets désastreux sur le moral des armées.
S'agissant de la reconversion, l'idée d'impliquer les collectivités locales me paraît excellente. Si chaque commune pouvait embaucher un ancien militaire, nous n'aurions plus de difficultés en termes de reconversion. Les militaires sont loyaux, travailleurs et adaptables. Ils sont donc de très bons candidats pour être recrutés dans la fonction publique ou le secteur privé.
En ce qui concerne la révision des forces prépositionnées en Afrique, comme vous le savez, le Président de la République a souhaité organiser un Sommet avec les chefs d'Etat africains, qui se tiendra début décembre, et il devrait discuter à cette occasion de cette question avec nos partenaires africains.
Pour ma part, je ne peux répondre que du point de vue opérationnel.
Je constate que nous avons une crise sécuritaire dans le bassin sahélo-saharien où nous disposons actuellement de deux points d'appui, au Tchad et au Niger. Nous avons également des forces spéciales, au Burkina Faso, et des forces de soutien, notamment à Dakar, à Libreville, à Abidjan. Il faut aussi tenir compte de la distance.
Actuellement, la crise semble se déplacer vers le Sud, au Nigéria ou en République centrafricaine.
Il faut donc à la fois maintenir notre présence mais d'une manière plus souple et réactive, comme le prévoit d'ailleurs le nouveau Livre blanc, contrairement au précédent.
De plus, il faut aussi tenir compte des contraintes financières.
Mais la présence de nos forces prépositionnées en Afrique apporte de nombreux avantages, en termes de protection de nos ressortissants et de nos intérêts, d'influence diplomatique ou de présence économique, mais aussi pour les armées, notamment de connaissance du terrain, d'aguerrissement et d'entraînement, d'échanges et de partage avec nos partenaires africains.
Le nouveau Livre blanc ne donne pas un chiffre précis sur le nombre de nos forces prépositionnées en Afrique mais évoque seulement une révision.
En tout état de cause, la décision appartient au Président de la République.
L'opération Harpie ne relève pas du ministère de la défense mais du ministère de l'intérieur, qui a fait appel aux armées pour épauler les gendarmes. Elle mobilise en moyenne 350 militaires par jour. Il faut rappeler que la frontière entre la Guyane et le Brésil est la plus longue frontière terrestre de la France, avec environ 700 km, et que ce territoire présente un intérêt stratégique pour notre pays. Le problème du Brésil tient à sa structure fédérale. Même si nous entretenons d'excellentes relations avec l'armée brésilienne, celle-ci n'a légalement pas le droit d'intervenir et de coopérer avec nous de l'autre côté de la frontière. Face à l'orpaillage clandestin, deux approches sont possibles. Soit on réussit à convaincre nos partenaires brésiliens de renforcer leur coopération, soit on met en place une extraction encadrée de l'or de la forêt guyanaise.
Au sujet de la reconversion des militaires, je voudrais rappeler que les trois fonctions publiques vont devoir embaucher un grand nombre de fonctionnaires dans les prochaines années pour remplacer les départs en retraite de la génération issue du « baby-boom ».