Rapporteur. - Nous sommes heureux de vous présenter aujourd'hui le résultat des travaux que nous avons menés au cours de ces derniers mois sur la question de la fiscalité comportementale.
Vous savez qu'il s'agit d'un sujet qui me tient à coeur et sur lequel, avant le début de cette mission, j'ai eu l'occasion de m'exprimer à double titre : en tant que simple citoyen, dans la mesure où, concerné par des problèmes cardio-vasculaires, j'ai été très sensibilisé aux conséquences néfastes de certaines habitudes alimentaires sur la santé ; en tant que rapporteur général de la commission, puisque j'ai été à l'initiative d'un amendement visant à augmenter le niveau de taxation des huiles de palme, de coprah et de palmiste dans le cadre de la discussion du PLFSS pour 2013. Les discussions qui ont entouré cet amendement ont influencé mon choix de proposer à la Mecss de traiter un sujet situé aux confins du champ social et du champ financier.
L'impact médiatique de l'amendement « Nutella », le débat de société qu'il a suscité autour de la consommation des produits palmés mais aussi et surtout les incertitudes entourant l'efficacité d'une taxe destinée à influencer les habitudes de consommation et de production, justifiaient un travail approfondi sur le sujet.
Au-delà de ces motivations personnelles, le travail que nous vous présentons aujourd'hui fait écho à la multiplication des initiatives gouvernementales et parlementaires visant à instaurer de nouvelles taxes de santé publique ou à augmenter le taux des taxes existantes. La taxe sur les boissons sucrées, celle sur les boissons édulcorées, la hausse des droits applicables aux produits du tabac, aux spiritueux, aux bières, le prélèvement sur les boissons énergisantes, la taxe sur l'aspartame, la contribution additionnelle sur l'huile de palme ont ainsi été examinés dans l'hémicycle au cours des trois dernières années.
La situation dégradée de nos finances publiques, qui appelle la multiplication des bases taxables, le niveau élevé des prélèvements pesant sur les facteurs de production traditionnels, qui conduit à explorer des assiettes alternatives, et le lien fréquemment établi entre consommation et dépenses de santé, qui appelle la participation des consommateurs au financement des régimes sociaux, sont sans doute à l'origine d'un tel foisonnement.
Ce travail vise enfin à remédier au nombre limité et au caractère parcellaire des travaux administratifs publiés sur ce sujet. A cette date, aucun document ne traite en effet de la fiscalité comportementale en tant que telle. Si nous avons pu nous appuyer sur quelques rapports consacrés spécifiquement au tabac, à l'alcool ou aux taxes nutritionnelles, aucun d'entre eux n'a cherché à établir de diagnostic global au moment où l'emploi du terme « fiscalité comportementale » suggère qu'il pourrait exister des points communs entre les différentes taxes qu'il désigne.
En ce sens, il s'agit d'un travail précurseur pour lequel nous nous sommes heurtés à d'importantes difficultés.
Ces difficultés tiennent en premier lieu au faible nombre d'études réalisées sur la situation française. Ce qui est vrai pour les rapports administratifs l'est aussi pour les études économiques, ce qui est beaucoup plus inquiétant. Contrairement à leurs homologues anglo-saxons, nos chercheurs produisent ainsi très peu d'études consacrées aux élasticités du tabac, de l'alcool, des produits gras, sucrés et salés... qui mesurent l'évolution du prix de ces produits en fonction d'une hausse des taxes ou l'évolution de leur consommation en fonction de l'évolution de leur prix. Ces études sont pourtant indispensables à l'évaluation des politiques publiques faisant appel, à titre essentiel ou accessoire, à des outils fiscaux. Chacun comprendra qu'il est en effet problématique de transposer à la France des résultats obtenus pour des pays dont les réactions des consommateurs et des producteurs dépendent par définition de facteurs économiques, sociaux ou culturels tout à fait spécifiques.
Dans le même esprit, la recherche française produit très peu d'études destinées à quantifier le coût global, pour la société, des pratiques addictives. Au cours des dix dernières années, une seule équipe de chercheurs s'est lancée dans ce type de travail. Il est pourtant utile de disposer de plusieurs évaluations des dépenses liées aux différents risques sanitaires afin de définir les politiques les plus adéquates pour les prendre en charge.
Enfin, nous avons été déçus par le contenu des auditions réalisées. Certes, nous n'avons pas été surpris par l'opposition de principe des représentants des différents lobbies à l'utilisation de la fiscalité pour diminuer la consommation des produits dont ils sont chargés de promouvoir l'image. Mais aucun d'entre eux n'a cherché à aller au-delà de cette posture pour alimenter une réflexion qui nous paraît légitime.