Monsieur le chef d'état-major, au nom de tous mes collègues, je vous souhaite la bienvenue dans cette commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat que vous connaissez bien mais qui vous auditionne pour la première fois dans vos nouvelles fonctions de chef d'état-major de l'armée de l'air.
Bien que n'étant pas gestionnaire de programme, nous auditionnons chacun des chefs d'état-major de nos armées. Vous allez dans quelques instants nous présenter les lignes de force du budget 2013 pour l'armée de l'air. Ce budget est un budget d'attente ou de transition en attendant les conclusions de la commission du Livre blanc et sa déclinaison dans la loi de programmation militaire que nous aurons à étudier au premier semestre de l'année prochaine.
Les contraintes sont très fortes et elles viennent s'ajouter à une transformation profonde de l'armée de l'ait avec la contraction de son format en effectifs, en nombre d'escadrons et de bases. Notre force aérienne rencontre par ailleurs des déficits capacitaires comme les drones, au sujet desquels nous attendons la décision finale du ministre, les ravitailleurs, mais la commande de 14 appareils vient d'être annoncée. Le déficit pèse aussi sur la protection des moyens de combats puisque nous ne disposons pas de capacités de suppression des défenses sol air adverses. Et je ne cite pas la rénovation des Mirages 2000 D, les tensions sur le renouvellement de la flotte de combat et les contraintes pesant sur le soutien.
La création des bases de défense a constitué un facteur d'incertitude pour chacune des trois armées, comme l'a montré un récent rapport de notre commission. Cependant, celles constituées à partir de bases aériennes, comme celle de Nancy, que je connais, se sont rapidement adaptées. Au total, l'armée de l'air est confrontée, comme l'ensemble de la défense, à la nécessité prioritaire du redressement des finances publiques que traduit la loi de programmation qui leur est consacrée, en cours d'examen au Parlement. Nous avons un outil performant et bien servi comme l'ont montré les opérations récentes, et je ne parle pas seulement de la Libye. Va-t-on réussir à en préserver la cohérence ? Quelles sont les commandes et les livraisons attendues par votre armée ?
Je vous laisse la parole pour éclairer ce tableau un peu sombre.
Général Denis Mercier, chef d'État-major de l'armée de l'air. - Monsieur le président, mesdames, messieurs, les sénateurs, c'est avec fierté et plaisir que je m'exprime devant vous pour la première fois en tant que chef d'état-major de l'armée de l'air.
Alors que je viens de prendre mes fonctions depuis près de deux mois, les aviateurs sont au centre de mes préoccupations. Ils mènent les opérations dans lesquelles l'armée de l'air est engagée, sur le territoire national et sur les théâtres extérieurs, tandis qu'ils mettent en oeuvre une des réformes les plus importantes que nous ayons jamais conduite. Leurs attentes sont fortes et légitimes. En tant que CEMAA, j'ai deux objectifs principaux. Le premier : que l'armée de l'air soit toujours en mesure de répondre à ses engagements opérationnels, le second : faire aboutir la transformation engagée depuis plusieurs années et qui proportionnellement touche le plus l'armée de l'air : 25% de réduction des effectifs, 30% de réduction de la composante aéroportée et de l'aviation de combat. Cette transformation a en outre été menée pendant la conduite permanente d'opérations : au cours de l'été 2011, des personnels ont par exemple été simultanément engagés dans l'opération Harmattan et dans le déménagement de leurs unités de la base aérienne de Reims vers celle de Mont-de-Marsan, le tout dans un état d'esprit remarquable. Je dois pour cela donner aux aviateurs, sous l'autorité du CEMA, une direction pour l'avenir, un projet cohérent de la politique qui sera déterminée par le Livre blanc. Un projet qui permette de maintenir le niveau opérationnel pour faire face aux nombreuses missions qui nous attendent et donner un sens aux efforts consentis par ces hommes et ces femmes qui continuent de démontrer au quotidien une motivation profonde pour servir notre défense, notre Nation et ses valeurs.
Aujourd'hui, les aviateurs sont engagés dans de nombreuses missions opérationnelles. Sur le territoire national, au sein de forces prépositionnées, en opérations extérieures ils participent de façon déterminante à la mise en oeuvre de la politique de défense de notre pays. Ils montrent ainsi au quotidien combien l'armée de l'air est efficace.
D'abord pour garantir en permanence la protection de notre pays.
La posture de sureté aérienne conduite par le centre national des opérations aériennes de Lyon Mont Verdun, coeur de l'armée de l'air, en liaison directe avec le premier ministre le cas échéant, assure la souveraineté de notre espace aérien national, 24 heures sur 24. Ce dispositif éprouvé, extrêmement flexible et réactif, permet d'armer huit avions de combat en alerte, à moins de 15 minutes, ainsi que cinq hélicoptères. C'est une mission essentielle, au coeur de notre expertise.
Ce dispositif permet en outre d'assurer la protection de nos concitoyens, avec les missions de sauvegarde et d'assistance, missions interministérielles assurées en métropole et dans les DOM-COM. Depuis le début de l'année, 27 opérations de recherche et sauvetage réalisées, 31 personnes sauvées. En engageant régulièrement des moyens, comme l'AWACS E3F, dans la lutte contre les trafics (pirates ou narcotrafiquants) en coordination étroite avec la marine, l'armée de l'air contribue aussi activement à tous les types d'engagement.
Enfin, mission essentielle et structurante, la protection de nos intérêts vitaux repose, notamment, depuis 1964, sur la mise en oeuvre par l'armée de l'air de la composante aéroportée de la dissuasion. Depuis la diminution d'un tiers de son format en 2011, cette composante est mise en oeuvre par deux escadrons de chasse dotés de l'ASMP-A (Air Sol Moyenne Portée - amélioré), l'un sur Rafale, l'autre sur Mirage 2000, auxquels s'ajoutent nos ravitailleurs. Bien qu'en s'ouvrant à la polyvalence, nous avons réussi à maintenir la crédibilité de cette force par un entraînement très strict et adapté au maintien de la posture voulue par le Président de la République. Les américains se tournent aujourd'hui vers nous car nos procédures les intéressent.
L'armée de l'air est présente sur tous les théâtres d'opérations, comme en témoignent nos différents engagements actuels.
Présent depuis onze ans, en Afghanistan, notre dispositif a évolué au cours de cette année 2012. Nos avions de chasse et nos drones ont quitté le théâtre mais la mission continue. Nous maintenons notre détachement d'avions de transport à Douchanbé ainsi qu'un Caracal à Kaboul et un C135 aux Emirats Arabes Unis. Nous avons la responsabilité, depuis le 1er octobre, de commander la base aérienne de Kaboul. C'est une vraie mission centrée sur la gestion des flux de matériels entrants et notamment sortants alors que l'OTAN se désengage et qui met en oeuvre toutes les capacités d'une base aérienne. Une mission lointaine, opérationnelle, complexe mais stimulante. Elle illustre notre capacité à gérer, dans n'importe quelles circonstances, des plates-formes aéroportuaires, le coeur de notre métier. Peu d'armées de l'air en sont capables, les Américains nous ont demandé de nous en charger, en raison, notamment, de notre action sur l'aéroport de Sarajevo dans les années 1990. Le détachement de Douchanbé au Tadjikistan nous permet aussi de conduire une action diplomatique dans des pays cruciaux pour l'avenir, en plus des missions logistiques, avec un nombre très réduit de personnels.
De la même façon, notre dispositif a connu des changements récents en Afrique avec le déploiement au Tchad de Mirage 2000D pour remplacer nos Mirage F1 CT récemment retirés du service. Notre prépositionnement et notre capacité à nous déployer rapidement sur ce continent nous offrent des leviers d'action particulièrement intéressants dans de nombreux domaines.
Enfin, l'ensemble de nos capacités offre des perspectives de coopérations internationales fortes, que ce soit au sein de l'OTAN, dans une dimension européenne, ou dans un cadre bilatéral.
Comme vous venez de le constater, au service de la Nation et de la volonté politique de nos dirigeants, l'armée de l'air possède une expertise unique. Elle protège en permanence notre pays et est capable d'intervenir à plusieurs milliers de kilomètres sur une zone de crise, par la voie des airs, immédiatement et en toute autonomie, à partir de notre territoire national. L'opération Harmattan, l'année dernière, en a fait la meilleure des démonstrations. Pour cela, l'armée de l'air s'appuie sur quatre capacités clés dont je considère qu'elles forment le socle de ce domaine d'excellence. Ces capacités, au coeur de nos missions de protection, sont armées en permanence et concourent à toutes les fonctions stratégiques.
Première d'entre elles, la capacité permanente, armée 7J/7, 24H/24 à assurer la planification, le commandement et le contrôle des opérations aériennes à partir du Centre national des opérations aériennes du Mont Verdun à Lyon.
Alimentée par le renseignement, cette capacité représente le véritable cerveau qui coordonne et conduit nos opérations aériennes. En Libye, les évacuations de ressortissants menées dès le 22 février, les missions de reconnaissance pré-crise, ou les frappes des premiers jours, ont été dirigées à partir de Lyon Mont Verdun. Maintenu en alerte par une activité quotidienne, ce centre présente des aptitudes de permanence, d'anticipation, de déclenchement d'alerte, de conduite d'intervention et de gestion de crise ouvertes à l'interarmées, l'international et l'interministériel.
Reliées en permanence à ce centre, nos bases aériennes forment la colonne vertébrale de l'armée de l'air. Nos avions de chasse ont frappé à Benghazi en décollant de Nancy, Dijon ou Saint-Dizier. L'opération Harmattan a prouvé qu'elles étaient un véritable outil de combat, apte à basculer instantanément du temps de paix au temps de crise. Organisées en pôles de compétences, pouvant accueillir des organismes interarmées ou interministériels, elles sont disponibles en permanence au service des autorités étatiques pour tout cas de crise. Prépositionnées loin du territoire métropolitain, comme à Al Dhafra à Djibouti ou à Cayenne, elles offrent également des possibilités uniques pour déployer des dispositifs importants. Ceci illustre que les personnels du soutien qui arment ces bases participent tous à la réalisation des opérations menées sur, en dehors ou à partir du territoire national.
Deuxième capacité clé liée à la première: l'aptitude à recueillir du renseignement avant et pendant une opération.
Notre pays a pu intervenir en premier le 19 mars 2011, de façon autonome, parce qu'une importante campagne de surveillance, de recueil et d'exploitation de l'information avait été menée auparavant. Yeux et oreilles de notre dispositif, les satellites, AWACS, Transall Gabriel et avions de chasse ont offert une complémentarité de moyens permettant de reconstituer une grande partie de l'ordre de bataille ennemi. Si on ne voit pas, on ne sait pas, on n'agit pas.
Ce flux d'informations, pouvant être recueilli en temps réel, est le véritable nerf de nos engagements sur le territoire national ou sur les théâtres extérieurs. Cette capacité, coeur de la fonction connaissance anticipation, se fonde sur des moyens pouvant être utilisés discrètement, la plupart du temps dans les espaces internationaux.
Elle se complète par l'aptitude à recueillir sur un théâtre d'opérations, une fois acquise la maîtrise des espaces aériens, un renseignement continu par une présence permanente que seuls les drones peuvent nous offrir.
Troisième capacité clé : la projection stratégique, nos jambes.
C'est elle qui nous donne l'élongation pour agir vite et loin. Nos avions de transport, de ravitaillement, sont la clé de voûte de cette projection. Ils peuvent agir dans tout le spectre des opérations : de l'évacuation de ressortissants au déploiement de moyens de combat en passant par l'assistance à des populations sinistrées. Ce sont eux qui sont allés chercher nos ressortissants au Japon après l'accident de Fukushima, alors que les compagnies civiles avaient suspendu leur desserte. Cette capacité nous fait défaut aujourd'hui.
La réussite des opérations libyennes a reposé sur un effort logistique sans précédent permettant d'acheminer les munitions, les hommes et les matériels vers les bases d'où s'élançaient nos avions de combat. Preuve s'il le fallait que le soutien, à tous les niveaux, est une mission opérationnelle, notre infrastructure, nos systèmes d'information et de communication (SIC), notre soutien vie, ont permis le déploiement des avions de combat sur des bases aériennes où l'empreinte humaine était minimisée. A Souda, en Grèce, le ratio était de 20 aviateurs pour un avion. Cette capacité de projection sous faible préavis offre en plus une réversibilité de l'action toute aussi rapide. Plus nous disposerons de ces capacités de projection, plus nous pourrons diminuer les empreintes au sol et adapter les moyens aux besoins, donc diminuer les coûts.
Enfin quatrième capacité clé : la formation.
Véritable sang qui irrigue l'ensemble de nos composantes et nos spécialités, la formation permet l'acquisition de compétences et leur entretien tout au long de la carrière. C'est le socle indispensable qui donne à l'aviateur ses valeurs et ses repères mais aussi une qualité essentielle : sa faculté d'adaptation et son aptitude à faire face aux surprises stratégiques ! Par ailleurs, cet enseignement irrigue ces valeurs et ces compétences au-delà de la seule communauté de la défense, au profit de la Nation tout entière.
L'armée de l'air est aujourd'hui un outil crédible reconnu au niveau international. Le projet de loi de finances 2013 prévoit la livraison et la commande de nouveaux matériels qui s'inscrivent dans ces capacités socles et peuvent apporter une véritable rupture en offrant des possibilités opérationnelles nouvelles et des perspectives d'utilisation génératrices de gains de fonctionnement importants. J'insiste sur ce point qui doit à mes yeux être pris en compte dans le livre blanc et la future loi de programmation militaire (LPM) : comment les capacités nouvelles peuvent augmenter nos aptitudes opérationnelles en diminuant les coûts de fonctionnement.
Concernant le commandement et le contrôle, le PLF prévoit la livraison aux normes OTAN du centre de commandement, de détection et de contrôle des opérations aériennes. Cette évolution du CNOA permettra de diriger, depuis Lyon, toutes les opérations aériennes menées sur le territoire et à l'extérieur du territoire national. Nous maintiendrons une composante déployable, mais minimum, le but recherché étant d'opérer chaque fois que possible depuis le territoire national. Au standard OTAN, le personnel qui y sera affecté n'aura pas besoin de formation spécifique additionnelle pour être engagé dans une opération de l'Alliance. Le CNOA est déjà une structure ouverte qui offre la possibilité de planifier et conduire des opérations aériennes avec des partenaires européens. Cette évolution permettra de diminuer le nombre de centres de contrôle en France par une automatisation accrue des moyens. Il pourrait enfin servir d'épine dorsale à un dispositif plus large de gestion de crise, en agrégeant des cellules interministérielles, évolution que j'appelle de mes voeux et qui est source de réelles synergies entre défense et sécurité. Cette évolution doit aussi nous conduire à une plus large réflexion sur la cyberdéfense et la façon dont nous concevons les réseaux de demain, dans un cadre, là aussi, interarmées et interministériels. Pour simplifier nous avons le choix entre des réseaux moyennement durcis avec une couche humaine importante ou bien des réseaux durcis, qui sont plus chers à mettre en place mais requièrent ensuite une couche humaine plus faible. C'est une question qui peut être abordée au niveau interministériel. Grâce à ses réseaux opérationnels, l'armée de l'air possède une expertise dans ce domaine.
Dans le domaine du renseignement, la commande d'un premier système de drone intermédiaire MALE et la livraison d'un Transall C160 Gabriel rénové constituent des avancées significatives. Il est important dans ce domaine de distinguer, d'une part, la surveillance et l'appréciation du renseignement d'intérêt général et, d'autre part, le renseignement pendant une crise.
Concernant le premier sujet, plus que jamais, la capacité d'entrée en premier reposera sur le renseignement d'origine électromagnétique. En Syrie, comme au Vietnam précédemment, le déploiement de systèmes sol-air russes a pour objectif le déni d'accès du milieu aérien. Sans maîtrise des espaces aériens, vous ne pouvez avoir de maîtrise des espaces terrestres et maritimes. Les menaces sol-air sont particulièrement importantes ; or on a abandonné les missiles électromagnétiques en Europe. L'un des moyens de contrer cette menace est de bien positionner ces systèmes, d'où l'importance du renseignement, en particulier de nos satellites d'observation (dont Ceres), pour les détruire ensuite par des missiles de croisière.
Sur le deuxième point, nous avons acquis de véritables compétences opérationnelles en renseignement en temps réel avec le Harfang mais c'est un système non pérenne. Tous nos principaux alliés européens sont résolument engagés dans l'acquisition de systèmes modernes. Il y a de véritables gisements de coopérations à exploiter avec eux dans des domaines aussi variés que la formation, le soutien, les normes ou même l'emploi.
Nous devons aussi réfléchir à de nouvelles voies dans l'utilisation de ces drones. Conçus pour surveiller de larges zones sur de longues périodes, ils peuvent apporter une aide précieuse à des autorités civiles pour l'évaluation permanente de la situation et la coordination des moyens. A titre d'exemple, l'administration américaine des douanes et des frontières dispose de drones MALE. La surveillance des espaces, qu'ils soient aériens, maritimes ou terrestres, sera de plus en plus assurée par des drones qui pourront être opérés à partir d'un centre unique, même s'ils sont engagés hors de nos frontières.
S'agissant de la projection stratégique, nous allons entrer dans une nouvelle ère. Une ère où la rapidité et la capacité de transport des nouveaux vecteurs nous permettent d'imaginer de nouveaux concepts d'emploi plus dynamiques.
L'arrivée des premiers A400M est inscrite dans le PLF 2013, marquant une étape importante. Le déficit de notre capacité de transport est critique : le maintien des compétences de nos équipages est de plus en plus difficile et nos capacités sont fragilisées. Si l'A400M devait encore avoir du retard, notre capacité à assurer l'évacuation de nos ressortissants en cas de crise serait remise en cause. L'A400M va démultiplier nos possibilités : il permettra, par exemple, de transporter quatre fois plus de charges qu'un Transall vers Dakar ou N'Djamena en deux fois moins de temps. On ne mesure pas bien aujourd'hui combien l'arrivée de l'A400M va apporter d'innovations et bouleverser nos modes d'action, et nous devons tout faire pour que le premier soit mis en en service dès le printemps 2013, tel que prévu aujourd'hui.
La commande des premiers avions multirôles de ravitaillement en vol et de transport, MRTT, inscrite dans le PLF, ouvre aussi un nouvel horizon à notre capacité de transport stratégique. Les MRTT remplaceront, à l'horizon 2017, nos Boeing C135 dont l'âge avancé fait peser un risque permanent de rupture capacitaire et nous contraint beaucoup en termes de maintenance. Mais ils remplaceront aussi les 3 Airbus A310 et les 2 A340 dont ils reprendront la totalité des missions de transport de personnel et d'équipements. 14 appareils en remplaceront 19. Pilier de notre projection de forces et de puissance, un MRTT sera capable d'amener 4 Rafale et 20 tonnes à 5 000 km, là où un C135 n'amène que 2 avions et 7 tonnes. Vecteur polyvalent, il pourra transporter près de 300 passagers à 5 000 km, là où un C135 n'en transporte que 55.
A partir du territoire national, s'appuyant sur des « hubs » judicieusement positionnés, A400M et MRTT, parfaitement complémentaires, offriront une capacité d'intervention immédiate et inégalée vers n'importe quel point du globe. Ils pourront servir à d'autres coopérations dans des zones d'intérêt et leur long rayon d'action laisse imaginer l'emport de moyens de reconnaissance banalisés dans l'avenir. Utilisable dans une vaste panoplie de missions, le MRTT pourra par exemple atteindre l'Asie, à coût réduit car c'est un appareil qui est opéré aujourd'hui par la grande majorité des compagnies aériennes.
A400M et MRTT permettront d'assurer des lignes régulières vers les DOM-COM et de mutualiser des capacités de transport avec d'autres ministères qui se tournent aujourd'hui vers des affrètements coûteux et de mieux réagir aux surprises stratégiques. Ils permettront donc de revoir nos principes de prépositionnement de forces et d'équipements.
Tous deux offriront des perspectives de coopérations européennes très fortes. En nous adossant au commandement européen du transport aérien, l'EATC, qui a montré sa pertinence lors d'Harmattan, nous pouvons envisager de créer une véritable escadre européenne dont l'A400M sera le fer de lance.
L'ensemble de ces capacités sont ouvertes aux coopérations européennes. J'ai cité le centre de Lyon Mont Verdun mais aussi, concernant l'A400 M la coopération bilatérale avec les allemands pour la formation et avec le Royaume Uni pour un soutien commun.
La mutualisation européenne c'est d'abord un accord sur les normes de réparation et les pièces de rechange comme cela existe au niveau civil. Je suis persuadé que c'est par les normes que l'Europe de la défense avancera. Pour le MRTT une partie est mutualisable hors dissuasion comme l'emploi ou la formation. L'EATC est un exemple remarquable de bourse d'échange qui aboutit à constituer une véritable escadre européenne sur laquelle il faut continuer à capitaliser.
Pour l'aviation de combat, le PLF 2013 confirme la livraison de neuf nouveaux Rafale polyvalents. Je me réjouis de la livraison de ces appareils. Cependant, il importe de bien dimensionner notre outil dans la future LPM. Le fait de conserver des Mirage 2000 D rénovés est tout à fait pertinent. Ils sont moins chers et d'emploi plus facile sur des missions ciblées comme la police du ciel, afin de laisser au Rafale les missions les plus exigeantes. La combinaison des deux flottes est optimale. Une capacité de combat bien entraînée et crédible est essentielle au début de chaque opération car elle conditionne la maîtrise des espaces aériens, condition nécessaire pour assurer une liberté de mouvement dans les espaces terrestres et maritimes. Cette capacité d'entrée en premier doit être crédible car il n'y a pas de combat asymétrique dans les espaces aériens où c'est le plus fort qui impose sa loi. Contrairement à ce que nous avons pratiqué jusqu'ici, il nous faut dimensionner cette capacité initiale et réfléchir à toutes les voies pour l'entraînement et l'équipement du reste de la flotte de combat destinée à assurer, dans une deuxième phase des opérations, l'aptitude à durer et à régénérer le potentiel. Différents niveaux d'entraînement : accroissement de la simulation, utilisation de flottes de complément, ou de flottes à la polyvalence plus limitée, capacité à remonter en puissance, sont parmi les pistes que nous explorons dans un souci de maintien de nos aptitudes opérationnelles à coût maîtrisé. Tout le format de l'aviation de combat ne doit pas forcément être en mesure de réaliser les missions des premiers jours d'un engagement de haute intensité.
Mais la vision à moyen et long terme ne doit pas occulter la gestion du présent. Les efforts budgétaires du court terme pourraient nous imposer des choix aux conséquences irréversibles pour l'avenir. C'est pourquoi j'exprime trois inquiétudes principales.
La première concerne le maintien de l'activité aérienne pour nos équipages. Elle est essentielle pour garder des compétences, préserver un niveau suffisant de sécurité aérienne et garantir le moral de nos aviateurs. Nous sommes confrontés à la difficulté de contenir les coûts de maintien en condition opérationnelle (MCO). En 2012, l'écart entre les ressources disponibles et les besoins d'entretien programmé des matériels aéronautiques de l'armée de l'air a atteint 300 M€.
Cela se traduit par une pression de plus en plus forte sur la formation et l'entraînement des forces et, en conséquence, une érosion du capital des savoir-faire opérationnels. Malgré les efforts, que je salue, du ministère sur le domaine, en 2013, le déficit d'activité sera d'environ 20 % par rapport au besoin nominal d'entraînement des équipages. C'est acceptable dans un budget d'attente, mais nous approchons d'un seuil qui pourrait devenir critique. Notre cohérence repose sur notre capacité à trouver le bon équilibre entre notre format et les ressources dédiées à l'entretien programmé de nos matériels.
Ma deuxième préoccupation concerne les hommes et les femmes de l'armée de l'air. Ils consentent depuis de nombreuses années de lourds efforts à des réformes exigeantes, dont les effets ne sont pas immédiatement visibles par tous. Nous avons fermé 12 de nos bases aériennes en quatre ans. A raison de 4 000 départs pour environ 2 000 recrutements annuels, nous conduisons une réduction de format de 25 %, sur le principe du « non-remplacement d'un départ sur deux ». En deçà, nous perdons des compétences. Il faudra remonter à 4 000 recrutements annuels en 2015. Au 1er janvier 2013, l'armée de l'air comptera 47 100 militaires, dont les 3/4 (36 400) au sein du budget opérationnel de programme (BOP) AIR, ainsi que 5 400 personnels civils, hors Service industriel de l'aéronautique (SIAé).
Depuis 2008, nos effectifs militaires ont donc diminué de près de 18 %. Au terme de la réforme, 43 100 militaires porteront l'uniforme de l'armée de l'air.
Cette politique s'est accompagnée d'une maîtrise de notre masse salariale pour laquelle nous avons conduit une politique rigoureuse en matière d'avancement et d'attribution de primes. Nous avons encore des défis à relever pour mener cette réforme à son terme.
Nous devons anticiper la remontée du recrutement. Nous devrons trouver la bonne formule pour permettre une remontée progressive et réaliste du recrutement tout en amenant à son terme la déflation prévue des effectifs. Car nous avons toujours un besoin essentiel de recruter dans les bonnes compétences.
Je suis également attentif à la perspective, en 2013, d'une réduction significative des tableaux d'avancement qui risque de fragiliser le moral des aviateurs, notamment dans les catégories de personnel qui portent la réforme. Au lieu d'un effort ponctuel peu bénéfique, il me semble nécessaire d'inscrire notre action dans une logique globale et pluriannuelle de révision des avancements prenant en compte l'allongement des carrières.
Je suis enfin très à l'écoute des problèmes d'identité que me font remonter les nombreux aviateurs qui sont dans les structures interarmées. C'est une vraie demande de leur part et nous développons un plan d'action spécifique qui proposera, par exemple, la mise en place de « bases aériennes virtuelles » dans lesquelles les aviateurs pourront se retrouver au sein d'espaces numériques participatifs.
Ma dernière crainte concerne la construction budgétaire. Les trajectoires financières actuellement esquissées nous amènent à court terme sous le seuil nécessaire pour honorer nos engagements déjà passés. En poursuivant dans cette direction, nous serons dans l'impossibilité de procéder aux nouvelles acquisitions, celles qui nous permettront de mettre en place des modes de fonctionnement sources d'économies.
Les drones, les MRTT, qui n'entrent pas encore dans la construction budgétaire, sont en position de vulnérabilité.
Par ailleurs, la phase 2 de la quatrième étape du système de commandement et de conduite des opérations (SCCOA) n'est pas prévue dans le PLF. L'étape 4 a été scindée en deux phases pour des raisons budgétaires. Elle a notamment pour objectif majeur de renforcer la posture permanente de sûreté en fiabilisant la détection et en abaissant son plancher sur l'ensemble du territoire national, mais aussi de rendre notre système plus interopérable au sein de l'OTAN, et de préserver la capacité à planifier et conduire des opérations sur et à partir du territoire national. De façon générale, le programme SCCOA est au coeur de la transformation de l'armée de l'air.
Le report de nombreux programmes d'équipement, décidés en amont des travaux du PLF, pourrait aussi s'avérer préjudiciable à notre capacité opérationnelle. C'est le cas par exemple de ceux liés aux obsolescences du missile Aster30, du pod RECO NG, du simulateur Mirage 2000C, de la mise aux normes civiles des hélicoptères Puma et Fennec, de la rénovation des C130 et de la flotte de Mirage 2000D.
Sur ce dernier point, je souligne que le Mirage 2000D, au potentiel de vie encore élevé, nous permettrait de disposer d'un avion capable d'effectuer une large gamme de nos missions en complément du Rafale. Avec cette remise à niveau, dont le besoin a été exprimé en 2006, le Mirage 2000D pourrait assurer aussi bien les missions de police du ciel, de renseignement électromagnétique, de frappes à longue distance que d'appui feu au profit des troupes au sol. Ainsi rénové, cet appareil libérerait le Rafale pour des missions plus exigeantes. Enfin, l'existence de deux flottes nous garantirait d'assurer en toutes circonstances nos missions, même en cas d'arrêt de l'une d'entre elles pour un fait technique majeur, par exemple.
Enfin, si j'ai brossé les perspectives pour le moyen et le long terme, pour le court terme, je milite pour l'étude de solutions qui permettent de conserver la réversibilité nécessaire à la préparation d'un avenir qui pourra être différent de celui d'aujourd'hui. Un avenir qui sera porté par le personnel s'il n'est pas tourné vers une simple diminution des formats mais bien vers un véritable projet.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, après un mois passé à la tête de l'armée de l'air, je vous ai présenté ma vision de l`armée de l'air au regard des moyens que la Nation lui consacre. Je vous ai fait aussi part de mes inquiétudes. Notre outil est remarquable. Il est résolument tourné vers l'avenir. Il repose sur un équilibre complexe et fragile. Le PLF 2013 est un projet de transition sur lequel nous devons être vigilants dans son application. Toute mesure irréversible prise pour gérer le court terme pourrait de façon irrémédiable compromettre l'avenir. Il doit nous permettre, par ailleurs, de lancer les programmes indispensables à notre capacité opérationnelle.
Notre richesse repose sur des aviateurs remarquables, à la motivation exemplaire, qui sont engagés sur de nombreux théâtres d'opérations. Des citoyens français, fiers de leur engagement au service de leur pays dont ils portent haut les couleurs. Nous leur devons des moyens et des conditions de travail à la hauteur des efforts qu'ils consentent depuis de nombreuses années.
Je vous remercie de cet exposé passionnant, qui insiste sur les perspectives interministérielles.