Pourriez-vous nous faire un bilan d'étape de la coopération militaire entre les forces armées britanniques et françaises depuis la fin de l'opération en Libye en matière aérienne ? Je sais par exemple qu'il y a eu des exercices conjoints entre Rafale et Eurofighter, dans le nord de l'Écosse. Quels enseignements en tirez-vous ? D'une façon générale, la coopération opérationnelle entre le Royaume-Uni et la France a beaucoup progressé depuis Lancaster House, mais aussi depuis Saint-Malo. On voit en ce moment se dérouler des manoeuvres conjointes entre marines et forces amphibies britannique et française en Méditerranée dans le cadre de l'exercice « Corsican Lion ». Est-ce que la coopération des armées de l'air est aussi bonne ?
A propos de la coopération entre armées européennes, est-ce qu'une escadrille franco-allemande de drones MALE vous semble réalisable et, si oui, dans quel horizon temporel ?
Comment voyez-vous évoluer dans les quinze prochaines années l'aviation de combat ? A quoi serviront exactement les drones UCAV sur lesquels tout le monde travaille, aux Etats-Unis et ailleurs ? Les nations vont dépenser, ont déjà dépensé des centaines de millions d'euros sur ces concepts - près de 500 millions d'euros pour NEUROn et le démonstrateur DEMON ; avez-vous une idée des doctrines d'emploi futur de ces équipements militaires ?
Les Italiens viennent de mettre en oeuvre leurs batteries SAMP-T. Est-il prévu de faire des exercices communs avec eux ?
Général Denis Mercier - Notre coopération avec l'armée de l'air britannique est bien antérieure aux accords de Lancaster House ; nous procédons ainsi à des échanges réguliers de pilotes depuis longtemps. Les accords de Lancaster House comportent trois volets : dissuasion, partage capacitaire, et la Combat Joint Expeditionnary Force. Nos priorités, dans ce cadre, portent tout d'abord sur nos capacités de commandement et contrôle qui méritaient d'être renforcées après l'intervention en Libye avec le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Nos trois pays sont les seuls qui ont les structures politiques d'engagement immédiat des forces. Nous souhaitons également partager avec les Britanniques nos méthodes de soutien de l'A400M, et avons entrepris un échange de pilotes des avions Rafale et Eurofighter. Cet échange sera très intéressant. Cela étant, même si elles évoluent, les capacités de l'Eurofighter n'auront jamais le même degré de polyvalence du Rafale, par choix conceptuel au départ.
En matière d'acquisition de drones MALE, la coopération avec l'Allemagne est envisagée puisque nos pays ont le même calendrier ; un accord vient d'ailleurs d'être conclu entre les deux directions générales de l'armement pour une coopération dans le domaine des drones MALE. La solution qui me paraît la plus pertinente est l'achat du drone américain Reaper, sous réserve de pouvoir rapidement « l'européaniser ». Une coopération avec les britanniques est aussi envisageable.
Le Royaume-Uni possède déjà des Reaper utilisés depuis une base située au Nevada, avec le projet de réaliser rapidement une base nationale à Waddington afin de gagner en autonomie. Leur calendrier est donc aussi similaire au nôtre.
Ce drone pourra constituer une solution intermédiaire jusqu'aux années 2020-2025. Pour l'étape suivante, il paraît indispensable de recourir à une solution européenne, notamment du fait des vastes potentialités d'exportation de ce type de matériel. L'atout français réside dans l'intégration dans l'espace aérien, que nous avons pu mettre en oeuvre pour le drone Harfang, notamment lors des célébrations du 14 juillet 2012. Cela a été remarqué par les représentants de l'armée de l'air britannique. L'intégration dans l'espace aérien européen est le principal défi.
En matière d'UCAV, le démonstrateur Neuron, construit par un consortium industriel réuni autour de Dassault, devrait faire son premier vol en novembre 2012, et pourrait se poursuivre jusqu'en 2014.
A l'horizon 2030 se pose la question des rôles respectifs qui seront assignés aux avions de combat et aux drones armés. Le créneau exact d'emploi des drones armés n'est pas encore bien défini. On s'oriente très vraisemblablement sur une utilisation mixte pilotée et non pilotée. Un groupe d'études européen travaille actuellement sur ce point. Le prix d'un drone de combat sera le même que pour un avion de combat, donc le drone de combat jetable pour pénétrer les défenses adverses n'est pas un concept réaliste. Les missiles de croisière sont plus efficaces pour cela quand on a identifié les cibles. Pour autant, je suis certain que nous aurons des drones de combat dans l'avenir et nous faut continuer à travailler sur leur concept d'emploi.
Pour en revenir au NEUROn, il s'agit d'un démonstrateur destiné à valider les technologies qui le composent. La France et le Royaume-Uni coopèrent, dans le cadre d'un programme d'études amont (PEA), pour la construction d'un démonstrateur de drones de combat « Demon ». D'autre part, les Rafale devront commencer à être remplacés à partir de 2030 ; ce calendrier est identique dans d'autres pays. C'est un sujet important pour l'Europe qui devrait nous guider rapidement à des réflexions sur les futures plateformes de combat, notamment sur les aspects industriels.
Enfin, en matière de défense anti-aérienne, notre coopération avec l'Italie est pleinement satisfaisante ; des représentants de l'armée de terre italienne participeront au prochain tir du block 1 du SAMP-T (système sol-air moyenne portée/terrestre) prévu à Biscarosse. Le sol/air moyenne portée, a été, en effet, confié à l'armée de l'air en France, et à l'armée de terre en Italie, ce qui ne nuit en rien à la densité de notre coopération, qui devrait conduire à des échanges d'officiers.