Intervention de Josette Durrieu

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 15 décembre 2011 : 1ère réunion
Audition de M. Francis delOn secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale

Photo de Josette DurrieuJosette Durrieu :

Je me suis rendue en Russie dans le cadre d'une mission de l'OSCE et du Conseil de l'Europe, afin d'observer le déroulement des élections législatives qui se sont tenues le 4 décembre dernier. Ces élections se sont déroulées sur fond de fraudes massives, dont j'ai été, avec mon collègue député M. René Rouquet, le témoin dès l'ouverture des bureaux de vote, à Moscou.

Dès 8h10, à l'ouverture des bureaux de vote, une urne bourrée de bulletins de vote m'a été signalée par des observateurs locaux, notamment des membres du parti d'opposition libérale Iabloko. J'ai pu vérifier. Difficilement, mais c'était exact. Dans une urne, il y avait 2 bulletins, la seconde urne était remplie au tiers de sa capacité. J'ai demandé à vérifier sur la liste d'émargement, il y avait douze votants...

A la clôture, lors du dépouillement dans le bureau de vote où je me trouvais, on a pu noter que sur des bulletins inutilisés, une soixantaine de bulletins avaient été pré-marqués « Russie unie », le parti pro-kremlin, sur 620.

Ce ne sont que quelques exemples d'une situation de fraude généralisée qui, d'après les premières estimations du lundi matin, représente au minimum 6 à 7 % des voix par rapport aux résultats obtenus par « Russie Unie ».

En définitive, le parti « Russie Unie » n'a pas réuni 50 % des suffrages et n'a pas réussi à conserver la majorité des deux-tiers des sièges dont il bénéficiait à la Douma après les élections de 2007. Mais avec 238 députés, il détient toujours la majorité absolue à la Douma. Les autres partis représentés au Parlement sont le parti communiste de Guennadi Ziouganov, qui bénéficie d'un vote refuge et protestataire et qui passe de 11,5 % à 19,2 % des voix (92 députés), le parti de centre-gauche « Russie juste » de l'ancien président du Sénat russe, Serguei Mironov, qui obtient 13,2 % des voix (64 députés), et le parti ultranationaliste démocrate-libéral de Vladimir Jirinovski, qui progresse et obtient 11,4 % des voix (56 députés). Seuls ces quatre partis sont représentés à la Douma. Sept partis, dont le parti de l'opposition libérale Iabloko, avaient présenté des candidats mais ces partis n'ont pas réussi à franchir le seuil des 7 % nécessaires pour obtenir des sièges à la Douma.

Les trois partis qui sont éliminés font émerger des leaders, pas « les Patriotes » mais de « Juste cause » (centre droit) émerge Prokhorov, troisième fortune de Russie, qui était et a dit vouloir être candidat aux présidentielles du 4 mars 2012 dans ce parti et de Iabloko, qui n'avait pas de candidat, émerge Alexei Navalny, 35 ans, actuellement en prison jusqu'au 20 décembre et qui pourrait être une figure montante de l'opposition.

Cela ne signifie pas pour autant que l'opposition soit structurée et organisée.

Quelles sont les perspectives ?

S'agissant des manifestations importantes qui ont suivi ce scrutin, elles ont été spontanées et peu organisées. Elles sont l'expression d'une colère. Ce sont des jeunes peu politisés, la classe moyenne, des intellectuels. Cela sera-t-il durable ? On aurait tendance à dire non mais il faut voir évoluer les choses.

Ces élections, dans la perspective de l'élection présidentielle du 4 mars 2012, marquent une étape dans le positionnement assez difficile de Vladimir Poutine. Son impopularité grandit mais il reste installé assez solidement dans le système qu'il a créé et est populaire auprès des petites gens. Dimitri Medvedev, qui devrait être le futur Premier ministre dans le schéma élaboré par Poutine, avait un objectif imposé de dépasser 50 % des voix. Il ne l'a pas atteint. Il se trouve donc dans une position fragilisée. Vladimir Poutine en a joué tout au long de la campagne pour menacer Medvedev de ne pas le prendre comme Premier ministre. Ce dernier garde cependant une part réelle de popularité auprès de classes moyennes et des intellectuels.

Dimitri Medvedev a déçu soit parce qu'il n'a pas su, soit parce qu'il n'a pas pu s'imposer au sein du tandem formé avec Vladimir Poutine.

Face aux manifestations, la réaction de Dimitri Medvedev a été de dire : « on va vérifier ». Tandis que pour Vladimir Poutine, il n'est pas question de remettre en cause les résultats des élections.

Et il peut s'en tenir à l'exercice d'une fermeté brutale qui prolonge la stabilité du système.

Il peut aussi vouloir faire évoluer ce système ou le régime. Personne n'y croit. Il ne semble pas avoir une quelconque volonté d'assouplissement, d'ouverture vers plus de démocratie.

L'avenir est incertain. Il y a beaucoup de désillusion qui s'exprime dans les classes moyennes et intellectuelles et pas de perspective lisible.

Les classes moyennes, les fonctionnaires, et, c'est nouveau, les intellectuels, ont voté contre le parti « Russie unie » de Poutine. Ce sont les petites gens qui ont voté pour Poutine.

Si l'opposition s'exprime, c'est contre ce système et contre la corruption. Elle nourrit le populisme et le nationalisme qui sont le refuge du vote contestataire.

Je reste surprise que ce peuple par ailleurs si sensible aux idées nouvelles, à la littérature et à la musique, ait tant de mal à trouver le chemin de la démocratie. Je suis aussi interpellée par le silence des puissances occidentales sur cette situation de fraude électorale et ses conséquences.

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