Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Réunion du 15 décembre 2011 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Notre collègue Mme Josette Durrieu a participé à une mission d'observation en Russie lors des élections législatives qui se sont tenues le 4 décembre, dont le déroulement a été critiqué par plusieurs organisations internationales et non gouvernementales et qui ont été suivies par des manifestations importantes à Moscou et dans plusieurs grandes villes russes.

Avant d'entendre l'ambassadeur de France en Russie, M. Jean de Gliniasty, sur la situation politique de la Russie, j'ai donc pensé utile de demander à notre collègue de nous présenter brièvement les impressions qu'elle retire du déroulement de ce scrutin, et je la remercie d'avoir accepté cette proposition.

Debut de section - PermalienPhoto de Josette Durrieu

Je me suis rendue en Russie dans le cadre d'une mission de l'OSCE et du Conseil de l'Europe, afin d'observer le déroulement des élections législatives qui se sont tenues le 4 décembre dernier. Ces élections se sont déroulées sur fond de fraudes massives, dont j'ai été, avec mon collègue député M. René Rouquet, le témoin dès l'ouverture des bureaux de vote, à Moscou.

Dès 8h10, à l'ouverture des bureaux de vote, une urne bourrée de bulletins de vote m'a été signalée par des observateurs locaux, notamment des membres du parti d'opposition libérale Iabloko. J'ai pu vérifier. Difficilement, mais c'était exact. Dans une urne, il y avait 2 bulletins, la seconde urne était remplie au tiers de sa capacité. J'ai demandé à vérifier sur la liste d'émargement, il y avait douze votants...

A la clôture, lors du dépouillement dans le bureau de vote où je me trouvais, on a pu noter que sur des bulletins inutilisés, une soixantaine de bulletins avaient été pré-marqués « Russie unie », le parti pro-kremlin, sur 620.

Ce ne sont que quelques exemples d'une situation de fraude généralisée qui, d'après les premières estimations du lundi matin, représente au minimum 6 à 7 % des voix par rapport aux résultats obtenus par « Russie Unie ».

En définitive, le parti « Russie Unie » n'a pas réuni 50 % des suffrages et n'a pas réussi à conserver la majorité des deux-tiers des sièges dont il bénéficiait à la Douma après les élections de 2007. Mais avec 238 députés, il détient toujours la majorité absolue à la Douma. Les autres partis représentés au Parlement sont le parti communiste de Guennadi Ziouganov, qui bénéficie d'un vote refuge et protestataire et qui passe de 11,5 % à 19,2 % des voix (92 députés), le parti de centre-gauche « Russie juste » de l'ancien président du Sénat russe, Serguei Mironov, qui obtient 13,2 % des voix (64 députés), et le parti ultranationaliste démocrate-libéral de Vladimir Jirinovski, qui progresse et obtient 11,4 % des voix (56 députés). Seuls ces quatre partis sont représentés à la Douma. Sept partis, dont le parti de l'opposition libérale Iabloko, avaient présenté des candidats mais ces partis n'ont pas réussi à franchir le seuil des 7 % nécessaires pour obtenir des sièges à la Douma.

Les trois partis qui sont éliminés font émerger des leaders, pas « les Patriotes » mais de « Juste cause » (centre droit) émerge Prokhorov, troisième fortune de Russie, qui était et a dit vouloir être candidat aux présidentielles du 4 mars 2012 dans ce parti et de Iabloko, qui n'avait pas de candidat, émerge Alexei Navalny, 35 ans, actuellement en prison jusqu'au 20 décembre et qui pourrait être une figure montante de l'opposition.

Cela ne signifie pas pour autant que l'opposition soit structurée et organisée.

Quelles sont les perspectives ?

S'agissant des manifestations importantes qui ont suivi ce scrutin, elles ont été spontanées et peu organisées. Elles sont l'expression d'une colère. Ce sont des jeunes peu politisés, la classe moyenne, des intellectuels. Cela sera-t-il durable ? On aurait tendance à dire non mais il faut voir évoluer les choses.

Ces élections, dans la perspective de l'élection présidentielle du 4 mars 2012, marquent une étape dans le positionnement assez difficile de Vladimir Poutine. Son impopularité grandit mais il reste installé assez solidement dans le système qu'il a créé et est populaire auprès des petites gens. Dimitri Medvedev, qui devrait être le futur Premier ministre dans le schéma élaboré par Poutine, avait un objectif imposé de dépasser 50 % des voix. Il ne l'a pas atteint. Il se trouve donc dans une position fragilisée. Vladimir Poutine en a joué tout au long de la campagne pour menacer Medvedev de ne pas le prendre comme Premier ministre. Ce dernier garde cependant une part réelle de popularité auprès de classes moyennes et des intellectuels.

Dimitri Medvedev a déçu soit parce qu'il n'a pas su, soit parce qu'il n'a pas pu s'imposer au sein du tandem formé avec Vladimir Poutine.

Face aux manifestations, la réaction de Dimitri Medvedev a été de dire : « on va vérifier ». Tandis que pour Vladimir Poutine, il n'est pas question de remettre en cause les résultats des élections.

Et il peut s'en tenir à l'exercice d'une fermeté brutale qui prolonge la stabilité du système.

Il peut aussi vouloir faire évoluer ce système ou le régime. Personne n'y croit. Il ne semble pas avoir une quelconque volonté d'assouplissement, d'ouverture vers plus de démocratie.

L'avenir est incertain. Il y a beaucoup de désillusion qui s'exprime dans les classes moyennes et intellectuelles et pas de perspective lisible.

Les classes moyennes, les fonctionnaires, et, c'est nouveau, les intellectuels, ont voté contre le parti « Russie unie » de Poutine. Ce sont les petites gens qui ont voté pour Poutine.

Si l'opposition s'exprime, c'est contre ce système et contre la corruption. Elle nourrit le populisme et le nationalisme qui sont le refuge du vote contestataire.

Je reste surprise que ce peuple par ailleurs si sensible aux idées nouvelles, à la littérature et à la musique, ait tant de mal à trouver le chemin de la démocratie. Je suis aussi interpellée par le silence des puissances occidentales sur cette situation de fraude électorale et ses conséquences.

La commission auditionne M. Jean de Gliniasty, ambassadeur de France en Russie.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Hue

Au nom de mes collègues, je vous remercie, Monsieur l'Ambassadeur, d'avoir accepté de venir devant notre commission afin de nous parler de la situation politique de la Russie et des évolutions de sa politique étrangère, alors que vous participez aujourd'hui à un colloque au Sénat sur la présence économique française en Russie, organisé par le groupe d'amitié France Russie en partenariat avec UbiFrance.

Je rappelle que vous avez effectué une brillante carrière diplomatique, alternant des postes importants, tant au sein de l'administration centrale du Quai d'Orsay, où vous avez notamment occupé les fonctions de directeur des Nations Unies, puis de directeur d'Afrique et de l'Océan Indien, que dans différents postes diplomatiques, puisque vous avez été Consul de France à Jérusalem, ambassadeur à Dakar et au Brésil, avant d'être nommé, en janvier 2009, ambassadeur à Moscou.

Vous étiez d'ailleurs déjà venu devant notre commission, il y a un an, nous parler de la Russie.

Depuis votre dernière audition beaucoup de choses se sont passées.

En matière de politique intérieure, tout d'abord, avec l'annonce de la candidature de Vladimir Poutine à la prochaine élection présidentielle de 2012 - même si elle ne constitue pas une surprise - et les résultats des dernières élections législatives du 4 décembre.

Ces élections, dont le déroulement semble avoir donné lieu à des fraudes dénoncées par les organisations non gouvernementales et européennes. Nous venons d'ailleurs d'entendre le rapport de notre collègue Mme Josette Durrieu qui a été un observateur attentif de ces élections. Ces dernières, qui ont été suivies de manifestations importantes de l'opposition, se sont traduites par un tassement des voix du parti pro-Poutine « Russie unie », qui est passé de 60 à moins de 50 % des suffrages, et une progression du parti communiste (19 %).

A quelques semaines des prochaines élections présidentielles russes (prévues le 4 mars 2012), nous aimerions donc connaitre votre analyse sur le déroulement et les conséquences de ce scrutin. J'observe une remarquable retenue des commentaires officiels des pays occidentaux qui pourraient faire penser que nous avons deux poids, deux mesures sur ces questions de transparence des processus électoraux.

Après le « printemps arabe » faut-il s'attendre, Monsieur l'Ambassadeur, à un « hiver russe » ? La manifestation de grande ampleur du 10 décembre dernier marque-t-elle un tournant ?

Alors que les relations entre l'Occident et la Russie semblent connaître à nouveau certaines tensions, avec notamment la forte opposition de Moscou au déploiement du système de défense anti-missiles de l'OTAN, comme l'illustre le récent discours très virulent du Président Medvedev, avec enfin l'opposition frontale sur la Syrie, nous souhaiterions également connaître votre sentiment sur l'évolution de la politique étrangère russe.

La Russie est-elle en train de se détourner de l'Occident et de l'Europe pour se tourner vers d'autres partenaires, comme la Chine et les autres puissances émergentes, comme on a pu le constater avec le rôle critique des BRICSA (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) à l'égard de l'intervention en Libye ?

Où en sommes nous des relations entre l'OTAN et la Russie, notamment sur la question du système de défense anti-missiles, et des relations Union européenne-Russie, alors qu'un Sommet Union européenne-Russie se tient aujourd'hui à Bruxelles ?

Enfin, alors que l'on aurait pu craindre un certain essoufflement après l'année croisée France Russie de 2010, comment se présentent les relations bilatérales franco-russes ? Les désaccords sur la Libye ou la Syrie ont-ils eu un impact sur l'état de nos relations bilatérales ? La présence économique française en Russie s'est-elle renforcée ?

- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président - 

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

En vous priant de bien vouloir m'excuser pour mon retard, je voudrais saluer la présence parmi nous du président du groupe d'amitié France Russie du Sénat, notre collègue Patrice Gélard, qui connaît très bien la Russie, ce pays dont Winston Churchill disait qu'il « est un mystère enveloppé d'une énigme ».

Debut de section - Permalien
Jean de Gliniasty, ambassadeur de France en Russie

Je commencerai mon intervention par un point assez rapide sur les relations bilatérales, pour évoquer ensuite la politique étrangère russe et, enfin, la situation politique de la Russie, qui me paraît le sujet le plus délicat.

Concernant les relations bilatérales, l'approche de la diplomatie française s'inscrit dans une tradition constante de rapprochement avec la Russie, qui a été poursuivie par tous les présidents de la République successifs, depuis François Mitterrand, Jacques Chirac, jusqu'à Nicolas Sarkozy. Cette approche constante repose sur la volonté d'établir un « espace économique commun, un espace commun de sécurité et un espace humain de Brest à Vladivostok », pour reprendre l'expression du Président de la République.

Cette approche a conduit la diplomatie française à relancer la coopération avec la Russie en 2009, après certaines tensions provoquées par le conflit russo-géorgien de l'été 2008 et les crises du gaz avec l'Ukraine et la Biélorussie, ce qui a donné lieu à des résultats importants, notamment sur le plan économique.

Actuellement, la France est le 5e investisseur étranger en stock en Russie et notre pays a dépassé les Etats-Unis. Nos entreprises sont présentes dans tous les secteurs, comme l'automobile, la distribution, la banque, les transports, l'aéronautique, le spatial, la défense, l'électronique, la pharmacie, les nouvelles technologies, etc. Nos échanges commerciaux ont connu un développement très rapide, puisque, entre 2010 et 2011, ils sont passés de 13 à 23 milliards d'euros. Si la plupart de nos grandes entreprises sont présentes en Russie, à l'image de la Société générale, d'EDF et de TOTAL, de Renault, d'Auchan ou d'Alstom, nous avons encore des progrès à faire en ce qui concerne la place des petites et moyennes entreprises, notamment par rapport à leurs concurrents allemands, même si on constate une forte progression ces dernières années et que de nombreuses petites et moyennes entreprises s'installent dans le sillage des grandes, à l'image des petites boutiques dans les supermarchés d'Auchan.

Alors que la mauvaise image de la Russie véhiculée par les médias n'incite guère les entreprises à s'installer ou à investir dans ce pays, je voudrais rappeler que toutes les entreprises françaises, sans exception, qui ont eu affaire avec la justice russe ont gagné leur procès, avec, il est vrai, parfois l'appui discret de l'ambassade pour accélérer la procédure.

Sur le plan économique, les résultats sont donc exceptionnels. Ils correspondent, grâce à une forte impulsion politique, à un contexte et à un environnement très favorables aux investissements économiques français en Russie.

Sur le plan culturel, la coopération est toujours aussi dense. Elle s'appuie sur une longue tradition, avec la forte influence culturelle et linguistique française en Russie, notamment au XVIIIe et au XIXe siècle, et, inversement, l'influence culturelle russe, notamment en matière littéraire, musicale et artistique au début du XXème siècle en France. Le succès de l'année culturelle croisée France-Russie de 2010, qui a donné lieu à plus de 400 manifestations, a permis de donner un nouvel élan, qui devrait trouver un prolongement avec l'année croisée de la langue et de la littérature française en Russie et russe en France en 2012. Sur le plan linguistique, la place de la langue française en Russie progresse, notamment grâce à la présence d'entreprises françaises. A cet égard, je suis souvent consterné par l'attitude de certains dirigeants d'entreprises françaises qui choisissent de s'exprimer publiquement en anglais lorsqu'ils viennent en Russie, par exemple lors de manifestations ou d'inaugurations officielles, ce qui témoigne à la fois d'une absence de souci de créer un patriotisme d'entreprise et d'une profonde méconnaissance des attentes des Russes, pour lesquels la langue française représente toujours la langue du raffinement et de la culture. A l'inverse, on peut rendre hommage à la politique menée par une entreprise comme Auchan, dont l'ensemble du personnel suit des cours de français et qui met en avant les couleurs de notre pays à chaque inauguration d'un nouveau magasin.

Enfin, sur le plan politique, nous entrons désormais dans un contexte pré-électoral peu propice à de nouvelles impulsions, avec l'approche des élections présidentielles russes le 4 mars 2012, et des élections présidentielles et législatives en France. Toutefois, le dernier séminaire intergouvernemental, qui s'est tenu à Moscou en novembre, en présence du Premier ministre français et du Premier ministre russe, a permis de définir une « feuille de route » pour les prochains mois et de lancer de nouveaux projets de coopération.

Concernant la politique étrangère russe, il ne faut pas oublier le choix fondamental fait par l'équipe réunie autour de Vladimir Poutine et de Dimitri Medvedev d'un rapprochement avec l'Europe. Je parle d'une « équipe », car avoir voulu opposer l'un à l'autre, comme le fait souvent la presse occidentale, m'a semblé très artificiel. Entre le Président Dimitri Medvedev et le Premier ministre Vladimir Poutine, il n'existe pas de véritable opposition. Ils ont tous les deux bénéficié de la même formation de juriste auprès de l'ancien maire de Saint-Pétersbourg, Anatoli Sobtchak, dont on sous-estime souvent l'influence sur les deux hommes, et ils ont la même vision et partagent les mêmes idées, par exemple sur les questions énergétiques. L'image très caricaturale de Vladimir Poutine, souvent véhiculée par les médias semble occulter une réalité plus complexe. N'oublions pas que c'est Vladimir Poutine qui a fait inscrire l'Archipel du goulag de Soljenitsyne dans les programmes scolaires et que c'est lui qui a créé le conseil présidentiel des droits de l'homme, qui est une institution très respectée, y compris par les organisations indépendantes de défense des droits de l'homme. Par ailleurs, Vladimir Poutine conserve une relative popularité dans l'opinion et bénéficie toujours de l'image de l'homme ayant permis de redresser son pays après la grave crise et l'humiliation de 1998. Entre les deux, je pense qu'il faut davantage parler d'un partage des rôles. La principale différence tient au décalage des générations, puisque Vladimir Poutine est l'aîné d'une dizaine d'années de Dimitri Medvedev.

La politique étrangère russe est guidée par deux ou trois constantes.

La première tient à la volonté des dirigeants de moderniser la Russie en se rapprochant de l'Europe occidentale. En effet, pour les dirigeants russes, il n'existe pas d'alternative à un rapprochement avec l'Europe occidentale. Les relations avec les Etats-Unis demeurent toujours empreintes de méfiance, comme l'illustrent les désaccords sur le système de défense anti-missiles, les relations avec le Japon se heurtent toujours au contentieux des iles Kouriles, tandis que la Chine suscite une certaine méfiance des Russes. Enfin, au Sud, le monde arabo-musulman est perçu comme un risque de déstabilisation, notamment pour le Caucase russe, ce qui explique en partie l'attitude réservée de la Russie à l'égard du « printemps arabe » ou son opposition à la condamnation du régime syrien. Ainsi, l'Europe occidentale représente pour la Russie le seul véritable partenaire. La coopération avec l'Europe occidentale est donc la première priorité des autorités russes.

La deuxième priorité tient à la défense des intérêts de la Russie à l'étranger. Il s'agit à mon sens moins d'une politique offensive que d'une approche défensive, qu'il s'agisse de l'attitude de la Russie à l'égard du système de défense anti-missiles de l'OTAN, du soutien au régime syrien ou encore de l'attitude de Moscou à l'égard du « printemps arabe ».

Ainsi, concernant le système de défense anti-missiles de l'OTAN, les Russes veulent bien croire les dirigeants occidentaux actuels qui les assurent que ce système n'est pas dirigé contre eux, mais ils considèrent que pour l'avenir rien ne garantit que les futurs responsables, notamment aux Etats-Unis, surtout s'ils sont issus du parti républicain, partagent les mêmes orientations, et ils craignent une évolution de ce système qui remettrait en cause leur dissuasion nucléaire. C'est la raison pour laquelle ils demandent des garanties juridiquement contraignantes, ou du moins un engagement de l'Alliance, selon lequel ce système n'est pas dirigé contre la Russie.

L'attitude de la Russie à l'égard de la Syrie, comme d'ailleurs du « printemps arabe », s'explique par plusieurs facteurs. On retrouve tout d'abord l'attitude traditionnelle, partagée avec la Chine et les autres puissances émergentes, qui consiste à défendre le principe de non ingérence dans les affaires intérieures d'un pays. A cet égard, le précédent de la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations unies sur la Libye fait figure d'épouvantail aux yeux des dirigeants russes. Les Russes n'étaient pas totalement défavorables au départ au principe d'une intervention en Libye (zone d'interdiction aérienne) sous mandat de l'ONU mais le fait que l'opération a été selon eux élargie et menée par l'OTAN a représenté un tournant dans l'opinion publique et auprès des dirigeants.

On trouve aussi, parmi les constantes de la politique étrangère russe, la défense des minorités, notamment chrétiennes orthodoxes mais aussi alaouites ou chiites, face à la majorité sunnite. Or, de nombreux responsables ou observateurs russes interprètent les évènements en Syrie ou dans le Golfe à l'aune de l'opposition entre les chiites et les sunnites. Pour autant, si la Russie est traditionnellement proche des minorités, notamment des chrétiens d'orient, majoritairement orthodoxes, et des chiites, les responsables russes se souviennent aussi du rôle positif joué par l'Arabie saoudite dans la résolution du conflit tchétchène, notamment en mettant un terme au financement des groupes islamistes.

Mais les réserves et réticences de la Russie à l'égard du printemps arabe s'expliquent surtout par l'inquiétude de Moscou à l'égard du risque d'une déstabilisation à proximité de ses frontières et d'une contagion de la menace islamiste en Asie centrale et au Caucase, en particulier au Caucase russe. Les responsables russes font un lien entre le conflit en Tchétchénie et le retrait soviétique d'Afghanistan et ils craignent que le retrait des occidentaux d'Afghanistan en 2014 n'entraîne à nouveau des tensions dans la région. Le « printemps arabe » a été perçu par beaucoup de responsables russes comme une source potentielle de tensions au Maghreb et au Moyen Orient et d'une menace islamiste accrue, qui risquerait d'entraîner une déstabilisation en Asie centrale et au Caucase. Cette stratégie est dans une impasse car après avoir perdu l'Égypte, encore du temps de l'Union soviétique, l'attitude de la Russie à l'égard de la Libye, puis de la Syrie, lui a fait perdre ce qui restait de son image positive auprès de l'opinion publique des pays du Maghreb et du Moyen Orient.

Concernant la politique russe à l'égard de l'Asie, elle est guidée par la crainte de la montée de l'influence chinoise et de la pression démographique chinoise sur l'extrême orient russe. Les Russes parlent peu de la Chine. Si la Chine est officiellement un partenaire stratégique de la Russie et si les échanges économiques sont en plein essor, de même que la coopération, par exemple en matière d'énergie nucléaire à usage civil, on constate que les autorités russes sont très prudentes quant aux investissements chinois en Russie. C'est aussi dans cette perspective qu'il faut comprendre le thème de l'Eurasie, mise en avant par les dirigeants russes. L'idée est de constituer autour de la Russie une sorte de zone d'influence, là où elle a été autrefois puissante.

Mais il ne s'agit pas pour les dirigeants russes de se tourner vers la Chine par opposition à l'Europe, mais plutôt de conserver leur influence en Asie centrale et dans l'extrême orient russe, où les craintes à l'égard de la Chine sont les plus vives, afin de les ancrer au continent européen via une Russie à nouveau puissante.

Le véritable objectif des dirigeants russes est d'établir un solide partenariat avec l'Union européenne. Or, on sous-estime en Occident l'ampleur des attentes et de la déception des dirigeants russes à l'égard de l'Union européenne, même si officiellement chacun se satisfait des progrès enregistrés. Aussi sur la question des visas de circulation entre l'Union européenne et la Russie, le Sommet Union européenne-Russie, qui se tient aujourd'hui à Bruxelles, ne devrait déboucher que sur l'adoption d'étapes conjointes, dont l'issue reste incertaine, puisque la Russie n'est pas assurée que ce processus ne débouche un jour sur l'établissement d'un espace de libre circulation des personnes. La France y était très favorable, mais les réticences de certains des Etats membres n'ont pas permis d'aller jusque là. De même, en matière énergétique, l'adoption du « troisième paquet énergétique » par l'Union européenne a donné lieu à des préoccupations du côté russe, notamment concernant le découplage entre le transport ou la distribution ou encore concernant l'accès des tiers aux infrastructures de transport. Les autorités russes font en effet valoir qu'elles se trouvent dans une situation particulière, en tant que principal fournisseur de gaz de l'Europe, qu'elles ont réalisé d'importants investissements pour acheminer le gaz en construisant les gazoducs et que les mesures du troisième paquet énergétique pourraient constituer un obstacle aux contrats à long terme qui lient les compagnies de production de gaz russes et les distributeurs européens et plus généralement à la rentabilité des investissements dans ce secteur. Alors que le troisième paquet énergétique autorise des dérogations, mais qui sont accordées ponctuellement par la Commission européenne, la Russie souhaite que l'Union européenne se montre flexible.

Enfin, la Russie était très désireuse de nouer un dialogue avec l'Union européenne sur les questions stratégiques. Or, un tel dialogue est aussi dans l'intérêt de l'Union européenne, compte tenu du rôle joué par la Russie sur la scène internationale, par exemple sur le dossier du nucléaire iranien. A l'initiative de la chancelière Angela Merkel, un projet de création d'un comité sur les questions de politique étrangère et de sécurité, qui réunirait périodiquement le Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et le ministre russe des affaires étrangères, initiative dite de Meseberg, a été lancé en juin 2010.

Cette initiative, qui a souffert de certaines maladresses lors de son lancement, n'a pas pu aboutir jusqu'à présent, puisque l'Union européenne a fait du règlement de la question de la Transnistrie un préalable à sa mise en place. Or, la vocation d'un tel comité est précisément de contribuer à la résolution de ce type de conflit gelé et de rapprocher les points de vue sur les grands dossiers internationaux.

Si l'on ajoute aux difficultés dans la relation avec l'Union européenne, l'échec du projet russe de traité sur la sécurité européenne, l'absence d'accord sur le système de défense anti-missiles de l'OTAN, et l'action de l'OTAN en Libye, on comprend les critiques contre Dimitri Medvedev dans l'opinion russe nationaliste et dans certains cercles dirigeants.

La politique intérieure russe est aujourd'hui marquée par le retour de Vladimir Poutine, qui a annoncé son intention de se présenter à nouveau à l'élection présidentielle, le 4 mars prochain, et par le retrait assez récent de Dimitri Medvedev, qui a déclaré avoir accepté de se retirer pour laisser la place à son premier ministre, compte tenu de l'avance de ce dernier dans les sondages d'opinion. Comme je l'ai mentionné précédemment, je suis profondément convaincu qu'il n'existe pas de véritable opposition entre les deux hommes, qui sont très proches, même si une dizaine d'années les séparent. Peut être existait-il une sorte de contrat, d'après lequel celui qui serait le mieux placé dans les sondages serait le candidat à l'élection présidentielle et en définitive la popularité de Vladimir Poutine demeure largement plus forte que celle de Dimitri Medvedev, ce que ce dernier a d'ailleurs reconnu. Il est d'ailleurs frappant de constater que dans son dernier récent message à la nation, en septembre, le Président Dimitri Medvedev s'en était tenu à un registre de Premier Ministre sans s'étendre sur des grandes questions stratégiques ou sur les aspects de politique étrangère, comme il le faisait habituellement.

C'est dans ce contexte que se sont tenues les élections législatives du 4 décembre dernier. Tout le monde s'attendait lors de ces élections à un net recul du parti pro-Kremlin « Russie unie », qui regroupe beaucoup d'ambitieux et d'opportunistes voulant faire carrière, et qui apparaît aux yeux de beaucoup d'opposants comme le parti des « escrocs et des corrompus ». Alors que l'on s'attendait à ce que ce parti recueille entre 30 et 35 % des suffrages, il a recueilli, selon les résultats officiels, un peu moins de 50 % des voix, devant le parti communiste (19 %), et le parti de centre gauche « Russie juste », qui progresse de 7 à 14 % et le parti démocrate-libéral de Vladimir Jirinovski. Comme cela a été confirmé par les rapports des observateurs internationaux de l'OSCE et du Conseil de l'Europe, ainsi que par les organisations non gouvernementales, et comme vient de le confirmer Mme Josette Durrieu, ces élections ont donné lieu à des fraudes, avec plusieurs cas de bourrage des urnes. Ces pratiques inacceptables tiennent à la volonté du pouvoir de disposer d'une majorité quel que soit le mode de scrutin. Comme vous le savez, les institutions de la Fédération de Russie sont très largement inspirées de celles de la Constitution de la Ve République. Les autorités russes ont longtemps hésité entre le scrutin majoritaire et le scrutin proportionnel, avant de faire le choix de ce dernier. Toutefois, le scrutin proportionnel ne permet généralement pas de disposer d'une majorité absolue au Parlement. Or, les autorités russes ont voulu les deux : le scrutin proportionnel et le fait majoritaire.

La publication de ces résultats a été suivie par des manifestations importantes, à Moscou et dans les grandes villes russes, dénonçant les fraudes électorales, dont le point d'orgue a été la manifestation de grande ampleur du 10 décembre dernier qui s'est déroulée pacifiquement.

Pour conclure, je crois que le fonctionnement des institutions ne paraît plus adapté aujourd'hui à l'état de la société civile russe. Ce sont surtout les jeunes, issus des classes moyennes, qui se sont mobilisés lors des récentes manifestations, grâce à l'Internet et aux réseaux sociaux. Cette jeunesse, parlant anglais, maîtrisant les nouvelles technologies, ouverte sur le monde et ayant l'habitude de voyager, est la première génération à ne pas avoir connu l'Union soviétique et avoir été éduquée dans une Russie plus démocratique.

Les manifestants ne réclament pas une révolution ou un changement de régime. Ils ne visent pas un renversement du pouvoir. Ils demandent avant tout d'être respectés et d'être pris au sérieux par le pouvoir. En réalité, ces manifestations marquent réellement la naissance d'une société civile russe, dont nous avions pu voir les prémices avec les manifestations organisées pour le sauvetage de la forêt de Khimki, par laquelle doit passer l'autoroute Moscou-Saint-Pétersbourg, ce qui avait été dénoncé par les organisations écologistes.

Or, le pouvoir russe paraît pour l'instant désemparé face à l'émergence de cette société civile, dont il ne semble pas comprendre les ressorts. Il paraît peu probable que le pouvoir choisisse la voie de la répression. En revanche, il serait inquiétant que le pouvoir ne prenne pas en compte les attentes de la société. Face à la contestation, c'est à ce stade l'incompréhension qui semble dominer. Il sera intéressant de voir les réactions des autorités pendant la période qui précède les présidentielles de mars.

A l'issue de cet exposé, un débat s'est engagé au sein de la commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Guerriau

Après 18 années de négociations, la Russie a enfin atteint son objectif d'adhérer à l'OMC, nombre d'observateurs estimant que cette adhésion sera favorable à l'économie russe. Quels avantages la France va-t-elle tirer de cette adhésion ? La Russie s'est engagée à réduire ces subventions à l'agriculture. Y a-t-il des perspectives pour les exportations françaises notamment dans le domaine agricole et agro-alimentaire ? Les banques françaises connaissent-elles toujours des obstacles pour s'implanter en Russie ?

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Gournac

Où en sont les relations avec la Géorgie ? La Russie a t'elle des craintes pour la sécurité des Jeux olympiques d'hiver de Sotchi ?

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Hue

Quelle est l'évolution de la situation démographique de la Russie ? Gorbatchev dispose-t-il encore d'une influence en Russie ?

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Pozzo di Borgo

Dans mes deux précédents rapports d'information sur les relations entre la Russie et l'Union européenne, je regrettais que l'opinion publique européenne continuait à regarder la Russie avec des lunettes datant d'avant 1989. Dans l'opinion publique en Europe, le déroulement des élections législatives a donné une image très négative de la Russie, alors même que celle-ci souhaite se rapprocher de l'Union européenne. Comment interpréter cette contradiction ?

Debut de section - PermalienPhoto de Josette Durrieu

Où en est la position de la Russie sur la question de la Transnistrie ? Continue-t-elle de soutenir le régime de Smirnov ?

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Conway-Mouret

Au regard de l'évolution de la société civile, l'équipe actuelle au pouvoir de la Russie pourra-t-elle perdurer ?

Debut de section - Permalien
Jean de Gliniasty, ambassadeur de France en Russie

La France a soutenu l'adhésion de la Russie à l'OMC. L'avantage économique est assez faible pour la Russie qui, actuellement, n'a aucun mal à attirer les investissements étrangers compte tenu de ses bons indicateurs économiques. L'adhésion à l'OMC est pour elle une question d'image, un choix politique qui conforte sa place dans la communauté internationale. Lorsqu'elle était en dehors de l'OMC, elle pouvait protéger son industrie, désormais nos entreprises vont bénéficier du démantèlement de certaines normes artificielles et anticoncurrentielles.

A ma connaissance, la Russie ne subventionne pas son agriculture, du moins très peu. L'agriculture russe est très désorganisée. C'est un poste d'exportation en Russie important pour nous. L'adhésion à l'OMC va permettre d'éliminer certaines réglementations phytosanitaires qui empêchaient nos exportations dans le domaine agricole et agro-alimentaire.

Dans le secteur bancaire, l'opération la plus importante est le rachat de près de 80% du capital de la banque de dépôt Rosbank (10ème rang) par la Société générale.

La question de la Géorgie est devenue un sujet mineur dans la presse et dans l'opinion publique russes. Grâce à l'action de la Suisse et des occidentaux, une solution a pu être trouvée sur la circulation des marchandises entre la Russie et la Géorgie à travers l'Abkhazie ce qui a permis à la Géorgie de lever son veto à l'adhésion de la Russie à l'OMC.

Les Russes sont conscients des risques pour les jeux Olympiques de Sotchi. Le danger ne viendra pas de la Géorgie. En revanche, la situation dans le nord du Caucase (Ingouchie, Daghestan) est source d'inquiétude. Pour la première fois, outre une action sécuritaire, un effort est fait pour ces régions à travers un grand projet de développement touristique, auquel la France apporte une expertise.

L'analyse de la situation de la démographie en Russie est, dans la presse occidentale, bien sommaire. La Russie ne se distingue pas de la majorité des pays européens par son taux de croissance démographique, la divergence concerne le taux de mortalité qui est élevé en raison du nombre de morts causées chaque année par les accidents de la circulation routière (30.000), la consommation de drogue (30.000), et d'alcool (non chiffré mais très élevé), le mauvais état du réseau sanitaire. Vladimir Poutine a pris les choses en main, avec de premiers résultats en matière de sécurité routière par une répression plus sévère des infractions au code de la route, sur la drogue et l'alcool (c'est sans doute plus difficile), et en engageant des moyens massifs pour restaurer le système de santé. C'est le troisième étage de la lutte anti-crise : les banques, ensuite, l'économie réelle, enfin, le système social. A terme, la population de la Russie devrait d'ici quelques années se stabiliser autour de 140 millions d'habitants.

Gorbatchev n'a que peu d'influence, il jouit dans l'opinion publique russe qui lui impute la fin de la puissance soviétique, de moins de crédit qu'en Occident.

Le Russie fera sans doute son possible pour régler la question de la Transnistrie qui est devenue une condition de l'instauration d'un dialogue régulier de haut-niveau avec l'Union européenne. Smirnov est largement déconsidéré. Les Russes ne le soutiennent plus. Une solution de retour de la Transnistrie à la Moldavie avec en contrepartie un système fédéral et la garantie de la Russie est envisageable.

La question de la durée de l'ère Poutine est difficile à évaluer. L'évolution de l'opinion publique devient un facteur important. La difficulté vient aussi du fait que ni au sein de l'équipe actuellement au pouvoir, qui agit dans une certaine collégialité, ni dans l'opposition, aucune personne n'est mise en avant pour préparer une relève.

La commission nomme rapporteur M. Marcel-Pierre Cléach sur le projet de loi n° 4079 (AN - XIIIe législature) fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Nous avons reçu une invitation de la part de nos partenaires allemands pour participer à un séminaire organisé conjointement par la SWP (Stiftung Wissenschaft und Politik) et la FRS (Fondation pour la Recherche Stratégique) le 18 janvier prochain. Il comprendra un panel de discussions suivi d'un dîner au ministère de la défense allemand.

Les thèmes que nous pourrions aborder sont les suivants :

- état des lieux de la relation et de nos cultures stratégiques ;

- quel cadre stratégique commun/quels objectifs pour la relation franco-allemande de défense et de sécurité ?

- rôle des Parlements dans la coopération de défense, et dans la mise en oeuvre du dialogue stratégique.

Les Allemands attendent 5/6 parlementaires de chaque pays, soit pour la France : 3 députés et 3 sénateurs.

Devraient être présents par ailleurs : des représentants institutionnels (DAS/Planungsstab, Quai d'Orsay/Auswärtiges Amt), les ambassadeurs de l'Allemagne et de la France à Paris et Berlin, et enfin des représentants des instituts de réflexion FRS/SWP qui sont chargés précisément de l'organisation du séminaire.

Je vous propose de désigner nos collègues Christian Cambon et Jean-Marie Bockel. Je conduirai cette délégation.